Intervention de Michel Thooris

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère :

Évidemment, les cycles horaires sont importants, et aujourd'hui le cycle de la vacation forte est celui qui conviendrait le mieux à nos collègues de la voie publique. Sa mise en place nécessiterait 20 % d'effectifs supplémentaires – à recruter ou à sortir des bureaux.

Cependant, les nombreux suicides ne sont pas uniquement liés au rythme de travail. La difficulté de notre métier, c'est la confrontation permanente avec la criminalité, la délinquance et la mort, mais également un sentiment d'abandon – plus personne ne soutient les policiers.

La hiérarchie de la police nationale est très carriériste. Le système qui a été mis en place, que ce soit chez les officiers ou chez les commissaires, ne fonctionne qu'avec des chiffres, des statistiques et des résultats. Or la police nationale n'est pas une entreprise qui doit produire des dividendes ; elle est là pour répondre à une situation bien précise à un instant T. La voie que la police nationale a empruntée depuis une vingtaine d'année a totalement oublié le coeur de notre métier.

Nos collègues ont le sentiment de travailler pour rien. Certains, dans les services judiciaires, ont jusqu'à 500 dossiers à traiter ! Comment voulez-vous qu'un policier gère 500 dossiers judiciaires ! Ce n'est pas possible. Alors, ils choisissent les trois ou quatre affaires qu'ils estiment être les plus importantes et laissent les autres jusqu'à leur prescription.

Par ailleurs, lorsque les services de la police judiciaire (PJ) montent de belles affaires et qu'elles sont renvoyées par la justice, aucune sanction n'est appliquée. Loin de moi l'idée de faire du « magistrat bashing » : je suis parfaitement conscient des difficultés que rencontre la justice, notamment du fait que le parc carcéral est totalement saturé. De sorte que les magistrats, qui ne peuvent plus mettre toutes les personnes jugées coupables en prison, prennent, lorsqu'ils jugent X affaires par jour, une mesure ferme uniquement à l'encontre de l'affaire qu'ils jugent être la plus grave – même si toutes les affaires sont graves.

Notre organisation syndicale porte des revendications sociales, mais surtout sociétales. Les conditions de travail des policiers ne pourront pas être améliorées sans une série de réformes sociétales. Or ces réformes passent notamment par une réponse judiciaire adaptée. Nous militons pour l'arrêt des confusions de peines et pour le passage à un cumul de peines – un individu arrêté a commis, en général, plusieurs infractions –, qui permettrait de prononcer des sanctions plus adaptées. Nous souhaitons également un accroissement important du parc carcéral pour que les réponses pénales soient adaptées.

Par ailleurs, une réforme de l'ordonnance de 1945, relative à l'enfance délinquante, est nécessaire. Aujourd'hui, nos services sont saturés par les infractions commises par les mineurs délinquants, auxquelles la justice ne peut apporter aucune réponse. Le mineur est envoyé dans un centre, qui le laisse sortir le jour même.

De plus, la réforme de la légitime défense qui a été mise en place n'en ait pas une. En effet, cette réforme a maintenu deux notions qui sont sujettes à toutes les interprétations jurisprudentielles possibles : d'une part, la notion d'absolue nécessité, et d'autre part, la notion de stricte proportionnalité. Ces deux notions abstraites permettent au juge d'interpréter les faits de la façon qu'il le souhaite de sorte que les collègues sont dans une situation d'insécurité juridique. Cette insécurité les amène à prendre le risque, nous l'avons vu lors des mouvements des gilets jaunes et à Grenoble, d'y laisser leur vie plutôt que de se défendre.

Toutes ces réformes sont extrêmement importantes et urgentes. Faire du social, disposer de plus beaux véhicules et de locaux, bénéficier d'une augmentation de salaire, c'est bien. Mais ce que nous demandons en urgence, ce sont des réformes qui mettent un terme aux agressions contre nos collègues, afin qu'ils puissent rentrer chez eux en sécurité, sans craindre de se faire immoler ou assassiner.

Vous êtes des députés et vous avez la possibilité de transformer la loi ; les 130 000 policiers actifs attendent des réformes urgentes pour mieux travailler. Des réformes que vous serez obligés de conduire si vous ne souhaitez pas que le pays sombre dans le chaos. Car, comme l'avait dit M. Gérard Collomb, le ministère de l'intérieur sortant, aujourd'hui deux France s'affrontent. Dans certains quartiers la police n'a même plus accès ; 600 quartiers sont aujourd'hui perdus. Ce sont des gangs de narcotrafiquants qui en ont pris le contrôle. De même, des gangs sont en train d'infiltrer les politiques, notamment dans des petites communes, via la politique des grands frères.

Si l'État ne réagit pas, le pays va sombrer, car sera mis en place un système à la sud-américaine, avec une corruption endémique chez les politiques comme dans la police ; ce sera la loi du plus fort qui régnera. J'attire vraiment votre attention sur ces questions qui sont tout aussi essentielles que les questions budgétaires.

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