Je commencerai par répondre à votre interrogation, madame la présidente. Vous me demandiez si des interdictions de manifester avaient été prononcées. La circulaire du 22 novembre 2018 préconise effectivement que soit requise la peine d'interdiction de manifester, mais je ne dispose pas de statistiques précises sur ce point au moment où je vous parle.
Madame Moutchou, vous m'avez interrogée au sujet des appels à la violence sur internet. Effectivement, la loi sur la liberté de la presse de 1881 incrimine toute provocation publique à commettre un crime ou un délit, que cette provocation ait été ou non suivie d'effet. Nous pouvons donc nous fonder sur les articles 23 et 24 de cette loi, ainsi d'ailleurs que sur l'article 433-10 du code pénal, pour réprimer ces incitations. Plusieurs parquets ont été destinataires de signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, émanant généralement des préfets, et concernant des appels lancés sur internet à la commission de violences ou de dégradations. À partir de là, des enquêtes ont été ouvertes, conformément à ce que préconisait une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces du mois de décembre. Cependant, il est parfois très difficile d'arriver à établir les preuves qui permettent d'aller au-delà de l'enquête. Ce sujet devra peut-être être traité de manière un peu plus précise.
Madame Vichnievsky, je n'évoquerai pas ce qui concerne la réponse politique : les réponses du Président de la République, passées et à venir, à la suite du Grand débat, ainsi que vos propres observations, lors des débats qui auront lieu très prochainement, constitueront autant d'éléments en la matière. En revanche, je suis plus intéressée par votre question relative à l'articulation entre les forces de sécurité intérieure et la police judiciaire. Je crois en effet que, pour répondre avec efficacité sur le plan judiciaire aux dégradations résultant des comportements dont nous parlons, il est important qu'il y ait une préparation en amont, une coopération étroite entre les procureurs et les forces de sécurité intérieure. C'est, je crois, ce qui se passe la plupart du temps : des réunions préalables sont organisées et, le cas échéant, des réquisitions peuvent être données par les procureurs aux préfets, ce qui permet d'effectuer des contrôles d'identité. Il faut également que, pendant les manifestations, les officiers de police judiciaire (OPJ) soient présents en nombre suffisant. La réorganisation autour des BRAV – une très belle appellation – est très importante : elle permet de garantir qu'il y ait un nombre suffisant d'OPJ. De la même manière, nous avons adressé une dépêche expliquant comment les preuves résultant d'un certain nombre d'éléments – notamment les colorants ; nous en avons parlé –, pouvaient être prises en compte. C'est un élément important pour la suite de la judiciarisation éventuelle des dossiers. Nous travaillons donc pour que la dimension judiciaire soit prise en compte, avec cette présence suffisante d'OPJ, mais aussi d'unités spécifiques chargées de l'interpellation des casseurs : il s'agit de faire en sorte que les procédures puissent être étayées par des preuves. Nous oeuvrons vraiment de manière conjointe.
Monsieur Zumkeller, vous m'avez interrogée, si j'ai bien compris, sur les conséquences du mouvement pour l'activité des tribunaux. Je ne vous cacherai pas que le nombre important de procédures que les magistrats ont eu à traiter a des incidences sur l'audiencement des affaires traditionnelles : celles-ci sont, effectivement, un peu reculées, notamment à la suite des interpellations et des gardes à vue massives qui ont eu lieu en décembre. Les comparutions immédiates font que nous sommes obligés de réaudiencer des affaires.
Vous m'avez également interrogée sur l'affaire des personnes qui portaient des pulls où était écrit « Oui au RIC » et qui ont fait l'objet de contraventions. Ces personnes ont manifesté leur volonté de déférer les contraventions devant un tribunal ; je ne prendrai donc pas parti sur la question elle-même. Je voudrais toutefois vous donner un élément de réponse en évoquant la dépêche qui a été diffusée par la direction des affaires criminelles et des grâces pour accompagner le décret instaurant cette contravention de quatrième classe : outre la présence des individus dans le périmètre interdit par arrêté, l'infraction suppose la démonstration que l'individu, par son comportement ou sa tenue, est un manifestant. La dépêche précise aussi que l'exhibition de messages ou slogans en lien avec la manifestation, la possession d'objets caractéristiques de manifestants – tels que pancartes, banderoles, vêtements, drapeaux – ou bien le port d'autres attributs, comme un casque ou un masque à gaz, peuvent être de nature à caractériser une personne susceptible de faire l'objet d'une telle contravention.
Madame Pau-Langevin, vous m'avez interrogée – tout au moins l'ai-je compris ainsi – sur le profil des personnes qui ont fait l'objet de poursuites. Ce sont des profils assez disparates. Néanmoins, certains traits sociologiques apparaissent comme dominants. Dans la quasi-totalité des cas, il s'agit d'hommes – les femmes représentent moins de 5 % des personnes qui ont été condamnées. La majeure partie ont entre 20 et 35 ans. La part des mineurs est assez faible – il convient de le préciser, car nous avons parfois été interpellés quant au fait qu'il s'agissait de personnes très jeunes. Les catégories socioprofessionnelles sont variées, mais les parquets indiquent que la plupart des prévenus sont des personnes socialement insérées, qui disposent d'un travail ou poursuivent des études. Les personnes qui sont jugées sont principalement des primo-délinquants, parfois sans aucun antécédent judiciaire, ce qui est évidemment pris en compte dans les réquisitions du parquet et dans le prononcé des condamnations. Enfin, on note la présence, dans ces mouvements, de personnes issues de mouvances d'ultra-gauche ou d'ultra-droite. Elles ne sont pas forcément interpellées en flagrance – c'est là un point important : ces personnes font souvent l'objet d'enquêtes au long cours ou d'informations judiciaires, du chef d'association de malfaiteurs, pour démanteler les groupes violents et organisés auxquels elles appartiennent. C'est une des raisons qui expliquent que, pour le moment, elles n'ont pas nécessairement été condamnées : elles font l'objet d'enquêtes plus longues.
Enfin, je répondrai aux insinuations de M. Bernalicis concernant le procureur Rémy Heitz – avec lequel j'ai en effet travaillé, et très bien travaillé du reste…