La réunion débute à 16 heures 30.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, et M. Laurent Nunez, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, sur les réponses opérationnelles et judiciaires apportées par le Gouvernement dans le prolongement des violences et dégradations survenues à l'occasion de plusieurs manifestations de « gilets jaunes », en particulier dans la capitale.
Mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour auditionner les trois ministres en charge de la Justice et de la Sécurité sur les réponses opérationnelles et judiciaires apportées par le Gouvernement aux violences et aux dégradations survenues à l'occasion de plusieurs manifestations, en particulier celle du 16 mars dernier.
Nous avons tous à coeur la sécurité des Français. Nos forces de l'ordre s'y consacrent jour après jour avec un professionnalisme, un dévouement et un engagement qui forcent l'admiration. Je crois pouvoir parler en notre nom à tous en leur rendant hommage.
Monsieur le ministre de l'Intérieur, monsieur le secrétaire d'État, nous vous avons déjà auditionnés le lundi 3 décembre 2018, après le saccage de l'Arc de Triomphe, afin de comprendre comment cela avait pu se produire, quelles étaient les difficultés auxquelles étaient confrontées les forces de l'ordre dans l'exercice de leurs missions et quelles étaient les mesures que vous comptiez mettre en oeuvre. Les événements survenus le 16 mars dernier, ainsi que les nouvelles mesures annoncées par le Gouvernement, ont justifié aux yeux de la commission des Lois une nouvelle audition, que nous avons voulue conjointe avec Mme la garde des Sceaux.
Nous souhaiterions que vous nous informiez sur les modalités selon lesquelles les derniers rassemblements ont été gérés par les services du ministère de l'intérieur et sur la mise en oeuvre des mesures annoncées par le Gouvernement en matière de maintien de l'ordre – interdiction de manifestations, utilisation de moyens nouveaux pour recueillir des éléments de preuve, plus grande autonomie donnée aux forces de l'ordre sur le terrain ou encore augmentation du montant de la contravention pour les participants à des manifestations interdites.
Madame la garde des Sceaux, nous aimerions notamment avoir des précisions sur l'engagement des poursuites judiciaires à l'encontre des personnes qui se sont rendues coupables d'actes répréhensibles et sur les instructions susceptibles d'être données dans cette perspective.
Je vais vous donner la parole successivement, pour un propos liminaire que je souhaiterais assez bref, puis nous passerons à des questions d'une durée de deux minutes chacune. Nous ne sommes pas dans le cadre d'une discussion générale sur un texte : je vous demande vraiment, mes chers collègues, de respecter ce temps de parole.
Chacun le sait ici : depuis 19 semaines, l'ordre public est contesté. Chaque samedi, en marge des manifestations des « gilets jaunes », des émeutiers s'infiltrent dans les cortèges, attaquent les forces de l'ordre et les symboles de la République, pillent des magasins et provoquent des blessures, tant chez les manifestants que chez les forces de l'ordre et les sapeurs-pompiers. Nous connaissons ce phénomène : il n'est, hélas, pas nouveau. Il s'agit, pour l'essentiel, de militants d'extrême gauche animés par la seule volonté de casser et de détruire. Ces dernières semaines, ils ont été rejoints par des « gilets jaunes » radicalisés et celles et ceux qui, complices aussi, assistent aux attaques, protègent les agresseurs et participent au pillage.
Face à eux, nos consignes ont toujours été très claires : fermeté et zéro impunité. Le 1er décembre dernier, des manifestations particulièrement violentes – nous avons eu l'occasion de venir devant vous pour les évoquer – se sont déroulées dans la capitale. Des voitures ont été brûlées, des vitrines ont été brisées, et des forces de l'ordre ont été prises pour cibles avec des pavés ou des cocktails Molotov. Face à la violence et à la multiplication de manifestations qui confinent à l'émeute, le Gouvernement a alors immédiatement réagi. En moins d'une semaine, nous avons fait, avec Laurent Nunez, des propositions et nous avons profondément modifié notre doctrine de maintien de l'ordre, que personne n'avait pris la responsabilité de changer au cours des dix dernières années.
Alors que nous partions d'un maintien de l'ordre statique, nous avons demandé aux policiers et aux gendarmes plus de réactivité, plus de mobilité et des interpellations immédiates. L'idée de cette nouvelle doctrine est simple : il s'agit de briser immédiatement l'émeute pour permettre des manifestations pacifiques. Le 8 décembre, cette doctrine a montré son efficacité. Des groupes d'individus dangereux ont pu être dispersés et les violences ont été maîtrisées.
Le samedi 16 mars, nous avons pourtant assisté à des scènes inacceptables sur les Champs-Élysées : 10 000 casseurs, militants « gilets jaunes » radicalisés et complices se sont retrouvés sur cette avenue parisienne avec un seul et unique objectif, qui était de détruire, de piller et parfois même de tuer. Sur 19 samedis de manifestations, le 16 mars est le jour dont le bilan est le plus grave pour nos forces de sécurité intérieure à Paris. Dans la même journée, 25 magasins ont été pillés, plus de 130 ont été dégradés, 79 feux ont été provoqués et 5 bâtiments ont été incendiés. Le 16 mars, 30 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été blessés. Il y a eu des accidents très graves : je me souviens de ce gendarme dont la mâchoire supérieure a été brisée par un pavé et qui en portera les séquelles toute sa vie ; je me souviens aussi de cette femme et de son enfant qui ont été sauvés in extremis par les forces de l'ordre et les secours dans un bâtiment que les émeutiers avaient incendié. Le bilan des casseurs s'est encore aggravé avec ces blessés ; il est lourd et inexcusable : près de 4 000 personnes – membres des forces de l'ordre, sapeurs-pompiers et manifestants – ont été victimes des débordements et de la violence de ces brutes.
Outre le bilan matériel et humain, je pense qu'il faut évoquer celui qui existe sur le plan économique et moral. Il y a un bilan économique, évidemment, pour les commerçants dont les magasins ont été saccagés, mais aussi pour ceux qui perdent une partie de leur chiffre d'affaires à cause des rituels débordements du samedi. Il y a des employés mis au chômage technique et des millions d'euros de dégâts à réparer. Le bilan est aussi moral. Quand on incendie un restaurant ou que l'on brûle un kiosque, ce ne sont pas les clients qui sont pénalisés. Les premières victimes sont les serveurs qui travaillent jusqu'au milieu de la nuit et perçoivent le SMIC, ainsi que les kiosquiers qui se lèvent tous les jours à 5 heures du matin et qui voient leur vie détruite.
Je souhaite que nous condamnions fermement, ensemble et sans aucune ambiguïté, ces débordements, et je sais que ce sera le cas. Le samedi 16 mars, il n'y avait plus de revendications. Il n'y avait que de la violence, et je le dis parce que, trop souvent, certains parlent de la violence mais en ajoutant un « mais » : pour ma part, quand je parle de la violence, il n'y a pas de « mais ». Face à ces scènes inacceptables, notre première mission, avec Laurent Nunez, a été d'identifier ce qui n'avait pas fonctionné et d'en tirer les conséquences.
Si vous le permettez, madame la présidente, je vais laisser la parole à Laurent Nunez.
Je voudrais souligner, tout d'abord, que nous n'avons pas cessé de nous adapter depuis le début du mouvement. Christophe Castaner a évoqué notre doctrine de maintien de l'ordre, qui a effectivement changé. J'aimerais aussi relever l'adoption de la proposition de loi visant à renforcer et à garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, qui va pouvoir montrer ses effets. Les violences d'il y a 10 jours apportent une preuve nouvelle et édifiante de la nécessité de ce texte.
Le 16 mars, nous disposions d'une doctrine de maintien de l'ordre renouvelée, qui avait été adoptée dans la semaine du 1er au 8 décembre, comme l'a rappelé Christophe Castaner, en seulement 72 heures. Nous disposions, le 16 mars, des évaluations des services de renseignement, qui avaient correctement estimé le nombre de manifestants et les risques de violence. Nous avions un dispositif à la hauteur et adapté, puisqu'un peu plus de 5 000 policiers et gendarmes étaient déployés dans Paris. Christophe Castaner et moi avions donné des ordres extrêmement clairs au Préfet de police : fermeté, dispersion immédiate des groupes violents et interpellation des auteurs. Ces instructions sont les mêmes depuis la semaine qui a suivi les incidents du 1er décembre – elles ont été appliquées dès le 8 décembre.
Le 16 mars, force est de constater que des dysfonctionnements majeurs ont empêché nos consignes d'être exécutées correctement. La conséquence, que Christophe Castaner a décrite, a été des violences dramatiques sur les Champs-Élysées. Nous avons alors pris les décisions qui s'imposaient. D'abord, nous avons proposé la nomination d'un nouveau Préfet de police, Didier Lallement. Nous lui avons adressé une lettre de mission très claire, avec pour première mission le maintien de l'ordre public à Paris – l'ordre républicain. Ensuite, nous avons chargé le nouveau Préfet de police de veiller à la mise en oeuvre complète et immédiate de la doctrine de maintien de l'ordre, telle qu'elle avait été décidée après les incidents du 1er décembre. Nous avons assisté, en particulier ces dernières semaines, à un véritable travail de sape en ce qui concerne l'usage des armes intermédiaires. Cela a eu deux conséquences : sans doute de mauvaises consignes quant à leur usage, voire une retenue des forces de l'ordre. Je crois qu'il ne faut pas avoir d'états d'âme quand il s'agit de rétablir l'ordre républicain, et c'est ce que nous avons demandé au Préfet de police.
Par ailleurs, la violence est encore montée d'un cran le 16 mars. Avec Christophe Castaner, nous avons donc réfléchi à des options plus fortes pour maîtriser les ultras. Notre premier objectif est de renforcer le maintien de l'ordre tout en protégeant le droit de manifester. Outre l'application pleine et entière de la doctrine arrêtée après le 1er décembre, nous avons proposé au Premier ministre un certain nombre de mesures supplémentaires.
Dès lors qu'une manifestation est déclarée et que son service d'ordre travaille en bonne intelligence avec la police, il n'y a évidemment pas de changement : il n'existe pas de raison de s'opposer à la tenue d'une telle manifestation. Celles concernant le climat, le 16 mars, l'ont montré, et le cortège parisien du 23 mars aussi. Le problème n'est pas, en soi, les manifestations et le droit de manifester, mais les casseurs et les pilleurs. Nous serons intransigeants dans la lutte contre les militants des mouvances ultras et tous les adeptes de la violence. Nous avons décidé de demander aux préfets d'interdire les manifestations dans les lieux les plus sensibles où nous savons que les prétendus manifestants viennent pour détruire. Par ailleurs, nous avons demandé que tous les attroupements soient immédiatement dispersés, avant même qu'ils ne constituent des rassemblements conséquents.
À la suite de l'échec du 16 mars dernier, le Président de la République nous a demandé un renforcement de la doctrine. Nous avons donc fait l'ensemble de ces propositions qui ont été validées par le Premier ministre. En plus des mesures d'interdiction de manifester, nous avons pris des mesures d'organisation qui sont majeures.
Après le 16 mars, nous avions un seul objectif : que cela ne se reproduise pas. Ce fut le cas la semaine dernière, et cela doit être le cas aussi dans les semaines à venir.
Nous n'avions que peu de temps pour faire bouger un certain nombre d'éléments de la doctrine, pour la renforcer sans la changer. Les détachements d'action rapide (DAR) sont devenus des brigades de répression de l'action violente (BRAV), disposant de moyens adaptés pour viser spécifiquement ceux qui viennent semer le chaos. Nous avons choisi de donner plus d'autonomie de décision aux forces de l'ordre sur le terrain au moyen d'un quadrillage par zones et d'une responsabilisation, en faisant confiance aux décisions prises au plus près du terrain. Nous avons pris le parti des nouvelles technologies en recourant à des drones et à des produits marquants et en amplifiant le recours à la vidéo. Nous avons maintenu un objectif d'impunité zéro. Nous avons décidé de déployer plus d'officiers de police judiciaire sur le terrain et d'augmenter très sensiblement les amendes encourues pour participation à des manifestations illégales. Je sais que la garde des Sceaux partage notre volonté de ne laisser aucun acte illégal impuni. Nous travaillons main dans la main, à la Justice et à l'Intérieur, pour y parvenir.
Nous voulions des effets immédiats. Nous avons chargé Didier Lallement de s'assurer que les mesures supplémentaires décidées la semaine dernière seraient opérationnelles dès le samedi 23 mars. Cela a été le cas. Malgré une menace toujours importante et la présence, encore, d'individus déterminés à casser, l'ordre républicain a été maintenu samedi dernier. Les bonnes consignes ont été bien appliquées et les résultats sont là. Le calme a prédominé dans toutes les manifestations déclarées et les tentatives de violences, malheureusement trop nombreuses encore, y compris à Paris, ont pu être empêchées, endiguées, stoppées.
Samedi dernier, nous avons réussi à priver les ultras de leurs armes. À Paris, 8 545 contrôles préventifs ont été réalisés, dont 5 547 dans le périmètre interdit. Des armes et du matériel de protection ont pu être saisis dans toute la France, notamment dans les gares et aux péages. Les individus qui montaient à Paris avec des battes de baseball ou des projectiles et qui revendiquaient de fait leur intention de casser ont été arrêtés. Partout où des périmètres de protection avaient été décidés sur notre territoire, nous avons oeuvré pour qu'ils soient respectés. À Paris, aucune manifestation ne s'est tenue sur les Champs-Élysées et 83 personnes ont été interpellées. À Nice et à Bordeaux, de la même manière, nous avons arrêté et sanctionné tous ceux qui tentaient de contrevenir aux arrêtés d'interdiction de manifester. À Nice, 80 interpellations ont eu lieu. En ce qui concerne les heurts que l'on a pu observer à la fin des cortèges à Paris et dans quelques villes, en particulier à Lyon et plus encore à Lille et à Montpellier, où des Black Blocs s'étaient donné rendez-vous, les forces de l'ordre ont réagi immédiatement et les individus violents ont pu être interpellés. Dans toute la France, on a compté 304 interpellations samedi dernier et 262 gardes à vue.
Ce bilan montre que les décisions prises vont dans le bon sens. Cependant, personne, et nous les premiers, ne peut s'en réjouir. Je ne le veux pas, car il y a encore des violences, des individus qui se croient au-dessus du droit, au-dessus des lois, et qui veulent toujours semer le chaos. Je ne veux pas non plus me réjouir parce que je sais que ce n'est qu'un début. En matière d'ordre public, nous menons à la fois une course de vitesse, afin d'arrêter immédiatement les débordements, et un marathon pour sauver durablement les manifestations des émeutiers. Samedi dernier n'était que le début d'un travail long, qui va demander beaucoup d'efforts de mobilisation et de détermination. Nous devons rester vigilants et surtout ne pas baisser la garde face aux individus violents.
Je voudrais vous demander, sachant que nous sommes tous dans le même état d'esprit républicain, de penser aussi aux forces de sécurité intérieure. Elles sont depuis 19 semaines en première ligne face aux violences et aux insultes. Les moments qu'elles vivent sont éprouvants, mais elles tiennent bon, elles maintiennent l'ordre, elles protègent les manifestants et tous les Français avec un courage et un professionnalisme qui forcent le respect. Leur engagement est exceptionnel et je souhaite, pour clore mon propos liminaire, les remercier avec vous.
Nous sommes aujourd'hui confrontés, comme d'autres démocraties, à des manifestations extrêmement importantes, dont certaines peuvent donner lieu à des débordements. C'est un phénomène désormais très installé dans notre société. Aux manifestants qui viennent exprimer des revendications ou aux personnes qui viennent fêter tel ou tel événement peuvent se joindre des casseurs, presque professionnels, et des militants radicaux qui commettent des actes de violence et causent des dégâts très importants, parfois à l'encontre même des symboles de l'État.
Cela peut témoigner d'une volonté de mettre à bas notre état de droit et nos institutions. Cela a été le cas le 1er mai dernier, en marge du traditionnel défilé annuel, à l'occasion duquel des individus encagoulés, issus de la mouvance Black Block, s'en sont pris aux forces de l'ordre et se sont livrés à des saccages de magasins et à des dégradations de mobilier urbain. Cela a également été le cas depuis le mois de novembre dernier lors de plusieurs des manifestations qui ont eu lieu sur le territoire national, dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes ». J'ai évidemment en tête – et le ministre de l'intérieur les a aussi mentionnés – les débordements inacceptables qui ont été commis par des individus irresponsables non seulement à Paris, avec l'ensemble des dégradations qui ont touché l'Arc de Triomphe, mais également en province – je pense à l'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay et au saccage de nombreux bâtiments publics, notamment des palais de justice, comme ceux d'Avignon, du Havre et de Perpignan, ou encore les préfectures de Carcassonne et l'ancienne trésorerie de Narbonne.
Personne ne peut sérieusement prétendre que ces agissements sont le fait de manifestants pacifistes. Ils sont causés par des casseurs infiltrés au milieu des manifestants et déterminés à nuire, y compris aux mouvements dont ils prétendent se revendiquer. Au moment où j'évoque devant vous ces images chocs d'actions menées contre des symboles de la République, que vous avez en mémoire et qui nous ont tous révoltés, permettez-moi d'avoir une pensée et un mot pour l'ensemble de nos concitoyens qui ont été affectés, jour après jour, week-end après week-end, par ces débordements. Je pense en particulier aux nombreux commerçants et petits entrepreneurs des centres-villes, à Paris, à Toulouse, à Marseille, à Bordeaux et dans tant d'autres villes encore, qui doivent faire face, du fait du climat de violence et d'insécurité qui règne en marge de ces manifestations, à une baisse de fréquentation de leur clientèle et donc de leur chiffre d'affaires. Je crois qu'il est temps, dans l'intérêt de tous, que ces débordements cessent.
La justice doit prendre sa part pour y veiller, en réprimant les agissements qui mettent en péril les personnes et les biens, ainsi que la paix sociale. Pour cela, l'action judiciaire doit veiller à identifier, à poursuivre et à sanctionner les auteurs des faits, dans le respect du cadre constitutionnel et du cadre européen qui s'imposent à tous.
Quel est ce cadre ? Je vais le rappeler brièvement devant vous. La Constitution, de même que la Convention européenne des droits de l'Homme, protège la liberté de manifestation, qui constitue une liberté fondamentale, issue de la combinaison entre la liberté d'aller et de venir et la liberté d'exprimer ses idées et ses opinions. Le Conseil constitutionnel a toutefois précisé, à diverses reprises, que cette liberté peut faire l'objet de limitations afin d'être conciliée avec « la prévention des atteintes à l'ordre public, et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, qui répond à des objectifs de valeur constitutionnelle ». C'est donc un équilibre qu'il convient de trouver, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) va dans le même sens. La liberté de manifester constitue pour elle une composante de la « liberté de réunion pacifique », qui est garantie par l'article 11 de la convention et liée à la liberté d'expression des opinions, posée par l'article 10. La CEDH estime qu'il peut y être apporté des restrictions pour un besoin social impérieux, à condition qu'elles soient proportionnées à un but légitime.
Notre cadre juridique actuel, mais aussi futur, compte tenu des apports du texte que vous avez adopté récemment pour prévenir les violences lors des manifestations et sanctionner leurs auteurs, permet tout à fait de sanctionner les dérives et les débordements commis à l'occasion de manifestations, dans le but de permettre à nos concitoyens d'exercer leurs droits dans ce domaine en toute sécurité et en toute sérénité.
La politique pénale que j'entends mener va dans ce sens : elle vise à permettre à tous nos concitoyens d'exprimer en toute liberté et en toute sécurité leurs opinions sur la place publique et à faire sanctionner, lorsque cela apparaît nécessaire, tous ceux qui abuseraient de cette liberté pour nuire à autrui ou qui auraient pour but de faire obstacle au droit de manifester. Je le redis, rien ne justifie qu'il y ait, à l'occasion de manifestations, les violences graves à l'encontre des forces de l'ordre auxquelles Christophe Castaner a fait allusion ou des dégradations des symboles de la République, du mobilier urbain ou des magasins et enseignes. Aucune revendication sociale, aussi légitime soit-elle, ne justifie de tels accès de violence et le refus de respecter la loi.
C'est pourquoi j'ai diffusé, en novembre 2018, une circulaire visant à rappeler aux procureurs les infractions qui peuvent être relevées en ces occasions : violence sur personne dépositaire de l'autorité publique, dégradations, participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations, participation à un attroupement, etc.
J'ai également donné des orientations de politique pénale que je souhaite voir privilégiées pour faire face aux débordements commis en marge du mouvement des « gilets jaunes ». J'ai principalement insisté sur deux points. Les faits les plus graves, en particulier les violences commises à l'encontre des forces de l'ordre, doivent donner lieu à des défèrements dans le cadre de comparutions immédiates, comparutions par procès-verbal et comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, sur défèrement. Les autres modes de réponse pénale, notamment les alternatives aux poursuites, doivent être cantonnés aux faits les moins graves ou à des faits isolés. Dans le cadre d'une dépêche diffusée en décembre dernier, j'ai par ailleurs demandé aux procureurs de délivrer aux policiers et aux gendarmes, en amont des manifestations susceptibles de dégénérer, des réquisitions aux fins de contrôle d'identité et de fouille de bagages pour prévenir le transport d'objets pouvant être utilisés contre les forces de l'ordre. Le ministre de l'intérieur y a également fait allusion tout à l'heure. Il y a quelques jours, le 22 mars dernier, la direction des affaires criminelles et des grâces a en outre diffusé aux parquets une dépêche leur présentant la nouvelle contravention de participation à une manifestation interdite – c'est le décret du 20 mars 2019 : la participation à une manifestation interdite peut être sanctionnée d'une amende prévue pour les contraventions de 4e classe. À cette occasion, j'ai également appelé l'attention des parquets sur les nouveaux modes de recueil des preuves qui ont vocation à être développés par les forces de l'ordre dans les prochaines semaines, tels que les produits de marquage et les moyens vidéos – caméras- piétons, drones, hélicoptères avec caméras de haute précision.
Voilà pour la politique pénale que j'ai souhaité mener.
En application des directives de politique pénale que je viens de vous présenter, environ 9 000 personnes ont été placées en garde à vue depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », en lien avec les débordements qui se sont produits à cette occasion. Les magistrats du parquet et du siège se sont pleinement mobilisés, y compris le week-end et lors d'audiences qui peuvent avoir lieu jusque très tard le soir, pour traiter cet afflux de procédures assez inédit – permettez-moi de saluer leur engagement au cours des derniers mois et des derniers jours.
Les suites judiciaires qui ont été données par les magistrats à ces 9 000 gardes à vue s'analysent de la manière suivante. On dénombre un peu plus de 150 jugements de relaxe et environ 1 800 décisions de classement sans suite, pour insuffisance de charges ou irrégularités de procédure. Pour ce qui est des faits les moins graves, environ 1 800 décisions d'alternatives aux poursuites ont été prises par les procureurs. Dans ce cadre, il s'agit essentiellement de rappels à la loi. Un peu moins de 4 000 affaires ont fait l'objet de renvois devant les tribunaux. Parmi ces affaires, on en dénombre environ 1 800 qui sont encore en attente de jugement au moment où je vous parle. Il s'agit évidemment d'un chiffre en constante évolution puisque des enquêtes sont régulièrement menées à leur terme et permettent au parquet de prendre des décisions supplémentaires de renvoi devant le tribunal. Par ailleurs, 2 000 condamnations ont d'ores et déjà été prononcées. Là encore, j'insiste sur le caractère instable et évolutif de ce chiffre : il est en constante consolidation et il varie selon que l'on y inclut ou non les jugements non définitifs, soit parce qu'ils n'ont pas encore été notifiés aux intéressés, soit parce qu'ils sont frappés d'appel.
Pour ce qui est des peines prononcées, il ressort des remontées des parquets généraux qu'environ 40 % des condamnations ont donné lieu au prononcé de peines d'emprisonnement ferme. Le quantum des peines est très varié : il varie entre quelques mois et trois ans. Environ 400 mandats de dépôt ont été décernés, soit à titre d'écrou, soit dans le cadre d'une détention provisoire. Les peines alternatives à l'emprisonnement ferme, c'est-à-dire le sursis intégral, avec mise à l'épreuve ou assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général (TIG) et les amendes, représentent 60 % des peines prononcées par les tribunaux. Je le redis : il y a 40 % de peines d'emprisonnement ferme et 60 % d'autres peines, alternatives à l'emprisonnement ferme. La peine d'interdiction de séjour, en particulier à Paris, est fréquemment prononcée à titre complémentaire, notamment dans le cadre des comparutions immédiates. Les magistrats du siège ont ainsi, dans le cadre de leur indépendance statutaire, fait le choix de sanctions qui me semblent adaptées et équilibrées.
J'ajoute que de nombreuses enquêtes sont en cours, généralement dans le cadre préliminaire, sous la direction du parquet. Des informations judiciaires ont également été ouvertes auprès de juges d'instruction pour identifier les auteurs des faits les plus graves, par exemple les dégradations commises à l'Arc de Triomphe, l'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay et la tentative de lynchage de motards sur les Champs-Élysées.
Permettez-moi, pour conclure, de dire un mot des suites données aux plaintes déposées par des manifestants pour des violences imputées aux forces de l'ordre. Soyez assurés que l'autorité judiciaire veille à ce que des enquêtes soient systématiquement diligentées lorsque de telles plaintes sont déposées. Il y va, je le crois, de la crédibilité de nos institutions. L'action des forces en charge du maintien de l'ordre, qui a lieu dans des conditions parfois extrêmement difficiles, doit toujours se dérouler dans le respect des principes de l'usage de la force, à savoir la nécessité et la proportionnalité.
On a recensé 290 plaintes déposées à l'encontre des forces de l'ordre depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Dans la majorité des cas, les investigations ont été confiées par le parquet ou par les juges d'instruction à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). À ce jour, la quasi-totalité de ces enquêtes est toujours en cours. Aucune poursuite à l'encontre des membres des forces de l'ordre n'a été portée à la connaissance du ministère de la justice ; en revanche, 17 procédures ont fait l'objet d'un classement sans suite.
En tant que garde des Sceaux, il ne m'est pas possible de préjuger ce qui pourrait être le résultat de ces enquêtes. Néanmoins, il est évident que si des manquements graves aux règles entourant les conditions posées par la loi pour le recours à la force ont été commis, des sanctions pénales pourront être prononcées. Permettez-moi aussi de rappeler que le principe du recours à certains équipements décriés par certains, comme les armes intermédiaires, de type lanceurs de billes de défense (LBD), n'est pas illégal en tant que tel – c'est en tout cas ce que le Conseil d'État a eu l'occasion de préciser récemment, après avoir été saisi de référés portant sur ce point. Dans ce type d'affaires, il appartient à l'autorité judiciaire de déterminer au cas par cas, sur la base des plaintes reçues et des enquêtes menées, si le recours à la force, et notamment à ce type d'armes, a pu être effectué d'une manière qui ne serait ni nécessaire ni proportionnée, pour éventuellement en tirer les conséquences qui s'imposeraient.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je souhaitais vous dire à titre liminaire. Je terminerai en soulignant que je suis avant tout attachée, en tant que garde des Sceaux et avec les magistrats du parquet comme avec ceux du siège, au respect de l'ensemble des règles qui fondent l'état de droit. Je sais que c'est une position partagée avec mes collègues du ministère de l'intérieur.
Avant de donner la parole à mes collègues, j'ai deux brèves questions à vous poser.
Vous avez annoncé, monsieur le ministre de l'intérieur, l'ouverture d'une réflexion élargie sur un schéma national de maintien de l'ordre et vous avez affirmé que vous alliez mener des travaux dans le cadre d'un collège d'experts auquel vous associeriez des membres du Parlement – et donc des commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est une question un peu intéressée, compte tenu de mes fonctions, mais je voudrais savoir où vous en êtes dans la création de ce groupe et combien de parlementaires vous souhaitez y associer.
Je me tourne maintenant vers Mme la garde des Sceaux : vous avez indiqué que des interdictions de séjour ont été prononcées à titre complémentaire. Qu'en est-il des interdictions judiciaires de manifester ? Avez-vous donné des instructions pour que vos procureurs en requièrent ? Savez-vous, à tout le moins, si des magistrats prononcent ces peines, et dans quelle mesure ?
Je voudrais d'abord rendre hommage, à mon tour, aux forces de l'ordre pour leur engagement et leur mobilisation. Elles sont déployées partout en France depuis 19 semaines afin d'assurer la sécurité des Français, dans des conditions souvent très difficiles, on le sait. Avec vous, monsieur le ministre, nous condamnons bien sûr fermement les violences qui sont commises pendant les manifestations. Je voudrais également m'associer à ce qu'a dit Mme la garde des Sceaux : je salue tout le travail qui a été accompli par le personnel judiciaire ces dernières semaines.
À la suite des événements du 23 mars, il a été décidé de sanctuariser un certain nombre de bâtiments publics à fort capital symbolique, à Paris comme en région. Pour ce faire, des militaires de l'opération « Sentinelle » ont été déployés dans et aux abords des sites officiels pour permettre aux forces de l'ordre de se concentrer sur leurs missions de maintien de l'ordre public. Ce déploiement inédit a suscité un certain nombre de craintes qui ont, malheureusement, alimenté une polémique dangereuse, car ce n'était pas de nature à apaiser les esprits. Ce qui était en jeu était une confrontation directe entre des manifestants et des militaires déployés. Rien de tel n'est arrivé, heureusement, sans doute grâce au professionnalisme des forces en présence et, en même temps, à la rigueur des règles d'engagement qui leur ont été fixées. Pouvez-vous nous dire, messieurs les ministres, quelles sont ces règles et si le Gouvernement entend maintenir ce dispositif dans le cadre de « Sentinelle » ?
J'ai aussi une question pour Mme la garde des Sceaux. En amont des violences, il y a eu des appels à les commettre, notamment des appels à la sédition qui ont été largement diffusés par internet et relayés sur les réseaux sociaux, ce qui a contribué à attiser la colère et à faire que certains passent à l'acte. Ces messages sont évidemment répréhensibles et ils sont sanctionnables : ils tombent sous le coup de la loi. J'aimerais savoir dans quelle mesure ils ont été sanctionnés à ce jour, et selon quel dispositif. On sait qu'il y a des difficultés pour appréhender les auteurs de messages sur internet et les réseaux sociaux. Êtes-vous favorable à une évolution de la loi en la matière ?
Je vais m'adresser principalement à M. le ministre de l'intérieur.
Avant d'être élu maire de ma ville en 2001, j'étais colonel de gendarmerie et j'ai servi à plusieurs reprises comme commandant de groupement opérationnel de maintien de l'ordre à Paris. Qu'il me soit permis de vous indiquer, si tant est que vous ne le sachiez pas, que nos forces de maintien de l'ordre – compagnies républicaines de sécurité ou escadrons de gendarmerie mobile – ont un très haut niveau technique. Leur savoir-faire et leur doctrine d'emploi sont connus et reconnus dans le monde entier. Le centre de formation de la gendarmerie mobile, implanté à Saint-Astier, en Dordogne, est une référence internationale. D'ailleurs, ces forces spécialisées vous ont prouvé samedi dernier qu'elles étaient en mesure de contenir les débordements à Paris et en province, comme elles ont su le faire tant de fois par le passé.
Dès lors, je ne parviens pas à m'expliquer l'état insurrectionnel sur les Champs-Élysées le samedi 16 mars. De plus, je suis intimement convaincu que si les unités ne sont pas intervenues alors qu'elles assistaient à des dégradations massives, c'est qu'elles en avaient reçu expressément l'ordre. J'ai bien compris, monsieur le ministre, comme tous les Français, que vous avez rejeté la responsabilité sur le Préfet de police. En tant que spécialiste du maintien de l'ordre, je ne peux pas m'empêcher d'émettre un doute profond sur la version des faits que vous avez donnée au Sénat. Aussi, je vais vous reposer des questions qui me paraissent essentielles. Tout d'abord, quelles sont les instructions que vous avez données personnellement pour la journée du 16 mars, sachant que les renseignements concernant cette manifestation étaient alarmants ? Ensuite, sous quelle forme étaient ces instructions ?
Je commencerai par indiquer que le groupe MODEM souhaite lui aussi rendre hommage aux forces de sécurité qui assurent notre protection depuis maintenant quatre mois et que nous nous félicitons du rétablissement de l'ordre constaté, tout au moins à Paris, le 23 mars lors de l'acte 19 des gilets jaunes. Il semble bien que la doctrine de l'emploi des forces et la mise en place d'une nouvelle chaîne de commandement aient porté leurs fruits. Cependant, nous constatons aussi que la vie politique du pays est comme suspendue depuis plus de quatre mois aux manifestations, blocages, dégradations et affrontements de toutes sortes. Pour en sortir, il faut d'abord restaurer l'ordre et la paix publics, ce à quoi vous vous employez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, avec un succès que nous souhaitons durable. Toutefois, il semble qu'il faille maintenant une réponse politique. Ma première question sera donc d'ordre général : comment le Gouvernement envisage-t-il de sortir, après plus de quatre mois, de cette période de troubles ?
Ma seconde question, plus précise, s'adresse à Mme la garde des Sceaux. Même si l'institution judiciaire a réagi rapidement et fermement aux actes de délinquance commis en marge de manifestations des « gilets jaunes », on a pu constater, lors des audiences, que ce n'étaient pas les délinquants les plus dangereux qui avaient été interpellés, à savoir les casseurs organisés, qui appartiennent notamment aux Black Blocs. Peut-être ceux-là font-ils l'objet des informations judiciaires que vous avez évoquées, madame la garde des Sceaux. Quoi qu'il en soit, nous souhaiterions savoir comment s'articule sur le terrain – car c'est très compliqué – l'intervention des forces de sécurité et de maintien de l'ordre et celle des forces de police judiciaire, de manière que des interpellations, puis des enquêtes ou comparutions puissent être ordonnées.
Je voudrais revenir à mon tour sur la journée du 16 mars. Mme la garde des Sceaux a rappelé que les manifestations qui dégénèrent ne sont malheureusement pas une nouveauté : il y en avait déjà eu le 1er mai dernier, mais aussi en novembre. J'aimerais donc connaître quelles mesures ont été prises depuis le 1er mai, et pas seulement depuis quelques semaines, pour essayer de savoir qui sont ces casseurs et d'où ils viennent – puisque, manifestement, ce sont toujours les mêmes – et pour les juguler.
J'aimerais également que vous m'indiquiez, si possible précisément, quel était l'état de vos informations la veille, c'est-à-dire le 15 mars. Que saviez-vous exactement sur ce qui allait se passer ? Quelles mesures concrètes avez-vous décidé de prendre ? J'aimerais des réponses assez précises, pas tout à fait comme celles que vous avez faites devant le Sénat, où vous avez dit, en substance : « Nous avons pris des mesures mais personne ne les a appliquées. Circulez, il n'y a rien à voir. » Nous aimerions donc des réponses aux questions suivantes : quel était l'état des informations la veille ? Quelles mesures ont été prises pour essayer de juguler ces phénomènes que tout le monde condamne avec fermeté ?
Vous avez aussi parlé de la loi dite « anti-casseurs ». On peut comprendre ce que vous avez dit. Ce qu'on a un peu plus de mal à comprendre, en revanche, c'est la raison pour laquelle, si elle était si urgente et si importante, le Président de la République l'a déférée devant le Conseil constitutionnel. D'ailleurs, samedi dernier, même sans cette loi, il a manifestement été possible de juguler les violences. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait avant ? Nos concitoyens ne comprennent pas qu'il ait fallu attendre dix-huit semaines pour que l'on essaie de juguler ces mouvements. Voilà un sujet qui mérite des réponses.
Je finirai par deux questions pour Mme la garde des Sceaux. Les événements actuels entraînent une charge de travail supplémentaire pour l'institution judiciaire : comment est-elle gérée ? En effet, il n'est pas si facile de traiter ce flux. Ma seconde question sera très directe. Je vous sais attachée à l'État de droit, madame la garde des Sceaux. Dès lors, trouvez-vous normal que le fait de porter un pull où il est écrit « Oui au RIC » – dans un périmètre interdit, il est vrai – mérite une amende de 135 euros ?
Vous venez de le dire vous-même : c'était dans un périmètre interdit !
Nous savons qu'il n'est pas facile de maintenir l'ordre face à des manifestations non organisées et mal déclarées. Nous sommes conscients de la difficulté du travail qu'effectuent les forces de l'ordre semaine après semaine. Cela dit, les Parisiens sont victimes des manifestations depuis des semaines et sont excédés. Nous aimerions donc savoir pourquoi ce qui a été possible la semaine dernière, à savoir endiguer les manifestations, notamment en empêchant les gens d'accéder aux Champs-Élysées, ne l'a pas été la semaine précédente, alors qu'on savait précisément, avant le 16 mars, qu'il y avait des risques de violences.
En outre, en général, les jours de manifestations, la préfecture est en liaison étroite avec la place Beauvau. Or il semble que le Préfet de police de Paris n'ait pas répondu à vos instructions et qu'aucune réaction n'ait été possible. Comment cela se fait-il ?
Par ailleurs, vous nous dites : « Il ne faut pas avoir d'états d'âme quand il s'agit de rétablir l'ordre républicain. » Qu'est-ce que cela veut dire ?
Pourriez-vous nous donner une typologie des manifestants qui ont été déférés devant les tribunaux ? Combien y a-t-il, parmi eux, d'une part, de casseurs connus, et, d'autre part, de « gilets jaunes » qui semblent s'être laissé entraîner par la violence des manifestations dans lesquelles ils se trouvaient ?
Vous avez prévu que des militaires interviennent : quelles garanties pouvez-vous nous donner que ces personnels, qui ne sont pas entraînés au maintien de l'ordre, pourront éviter les bavures ?
Enfin, les commerçants ont été lésés : quelles mesures entendez-vous prendre pour les indemniser ?
Tout d'abord, je souhaite moi aussi rendre hommage à tous ceux qui galèrent, tous ceux qui triment depuis maintenant plus de dix-neuf semaines, c'est-à-dire à la fois ceux qui font le difficile métier de policier et de gendarme et ceux qui se mobilisent pour leurs revendications, car ce n'est facile pour personne, face à un gouvernement qui s'entête et qui, visiblement, ne prend pas la mesure des choses. Je voudrais également saluer l'expérimentation à Lille, samedi dernier, pour la première fois, d'un dispositif qui s'apparente à de la désescalade. J'aimerais que ce dispositif soit reconduit, bien que des casseurs, des Black Blocs soient venus chez nous – probablement de Paris – pour casser, y compris des bars, ce qui, à mon sens, est plus qu'idiot.
Il faudra effectivement faire preuve de sagesse, mais cela ne vaut pas seulement pour Mme Geneviève Legay, qui, elle, a sauvé notre honneur à toutes et à tous en se mobilisant pour le droit fondamental de manifester pacifiquement. On constate que ce sont toujours, en tout cas souvent, les mêmes qui sont blessés, à savoir ceux qui sont pacifiques.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez limogé le Préfet de police et ses équipes au motif qu'ils n'auraient pas obéi à vos ordres. Je n'y crois pas une seule seconde. D'où ma question : est-ce que, lors des prochains débordements qui auront lieu à l'occasion de manifestations à Paris, vous allez limoger les suivants ? Est-ce cela, en définitive, la nouvelle doctrine de maintien de l'ordre ? Et puis, il y a quand même un inconnu dans l'histoire : je pensais qu'il existait un directeur général de la police nationale. On n'en entend plus parler. Quelle est sa part de responsabilité ? Que fait-il dans ce dispositif de maintien de l'ordre ? Par ailleurs, je vois que vous avez nommé préfet de police le préfet qui a validé, accepté le fait que l'on frappe un député de la République – en l'occurrence, mon collègue Loïc Prud'homme. Je ne savais pas que le fait de frapper un député méritait une promotion. En définitive, je pense qu'il serait plus salutaire pour vous de démissionner, monsieur le ministre.
Pour conclure, je voudrais adresser une petite question à Mme Belloubet. Madame la garde des Sceaux, est-ce que vous validez les propos du procureur Rémy Heitz – lequel, par ailleurs, a travaillé pour vous, notamment sur le projet de loi relatif à la justice –, selon lesquels il faudrait prolonger les gardes à vue le plus longtemps possible, quel que soit le cas de figure, et quand bien même elles seraient de nature arbitraire et abusive, pour éviter que les gens retournent manifester ?
Je m'efforcerai de répondre dans l'ordre, en commençant par la réflexion autour du nouveau schéma national de maintien de l'ordre. L'urgence nous a fait réagir entre le 1er et le 8 décembre, puis l'amplification a été décidée, sous l'autorité du Premier ministre, voilà une quinzaine de jours. Vous avez tout cela en tête. Au-delà de la situation actuelle, on voit bien l'évolution des troubles à l'ordre public que connaît notre pays depuis de longues années. Cela nous a conduits à demander au directeur général de la police nationale (DGPN), au directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) et au Préfet de police d'élaborer conjointement un nouveau schéma national de maintien de l'ordre. Notre objectif est que ce texte soit prêt avant l'été. Nous voulons donc, évidemment, le disjoindre des tensions que nous avons à gérer chaque samedi avec la mobilisation des « gilets jaunes » – et pas seulement le samedi, je le rappelle : de nombreux incidents se sont produits les autres jours, et très régulièrement la nuit, du fait de commandos attaquant un certain nombre de cibles dans notre pays.
Sur la base de ce travail, je souhaite que nous nous livrions à un benchmark approfondi, en particulier en observant ce qui se fait au niveau européen, mais aussi, en parallèle – vous l'avez rappelé, madame la présidente –, que cette réflexion soit soumise à un groupe d'experts, dont la constitution est toujours en cours. L'idée est qu'il soit composé de praticiens, de chercheurs et d'universitaires. Comme je vous l'ai indiqué, je souhaite également proposer aux commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat de désigner chacune un de ses représentants pour y siéger. Il appartiendra au représentant de l'Assemblée, s'il le souhaite, et avec votre accord, d'organiser des discussions sur le sujet au sein de la commission des lois.
En ce qui concerne la mobilisation des militaires de l'opération Sentinelle, madame Moutchou, l'idée n'est pas de sanctuariser des bâtiments gardés par des militaires, à l'exception – je vais vous répondre en entrant dans les détails pratiques – de l'ambassade des États-Unis, qui est située dans un périmètre lui-même protégé par les forces de sécurité intérieure, où nous avons effectivement procédé à plusieurs reprises à une substitution, en y mettant des gendarmes.
Je voudrais insister sur deux choses, et d'abord sur la polémique elle-même. En ce qui me concerne, je tiens à le redire, j'ai toute confiance dans nos militaires, quand ils agissent, à Paris et dans les grandes villes de France, pour la protection de certains lieux. La semaine dernière, j'ai eu le sentiment qu'on les faisait passer pour des irresponsables qui ne sauraient pas gérer un conflit. Ce n'est pas le cas.
On ne va pas s'interrompre tout le temps, monsieur Bernalicis. Le mieux est de s'écouter attentivement, même si cela ne veut pas dire qu'on va se comprendre. Je tenterai de répondre à votre question tout à l'heure.
Ensuite, je voudrais souligner que les gendarmes sont les premiers des militaires qui sont engagés tous les samedis. Là encore, il me paraît important de réhabiliter la dimension militaire de notre sécurité – nationale et internationale.
La substitution par Sentinelle est quelque chose que nous pratiquons de façon très régulière, quasiment depuis le 17 novembre. Samedi dernier, elle était d'ailleurs à un niveau plus faible que ce que nous avons connu au mois de décembre. L'objectif est simple : il s'agit de décharger les policiers et les gendarmes pour leur permettre de se concentrer sur le maintien de l'ordre, qu'ils sont les plus à même d'assurer car ils sont formés pour cela. Le cadre est connu, il est même précisé par une instruction ministérielle : l'engagement des forces sentinelle se fait en l'absence de risque d'engagement dans une mission d'ordre public et de confrontation à la foule et quand on constate une insuffisance des moyens dont dispose l'autorité civile pour garantir la sécurité et la protection des populations.
Sur le sujet, je voudrais rappeler, pour finir, ce qui s'est passé au pied de la tour Eiffel : la force Sentinelle était présente et les casseurs, les voyous ont incendié l'un de ses véhicules. Vous avez remarqué que les membres de cette force n'étaient pas très loin du véhicule et qu'ils ont su agir avec discernement et efficacité.
Je vous remercie de votre question, madame Moutchou : elle m'a permis de mettre un terme à toute une série d'amalgames qui ont été faits et qui auraient pu aboutir à la mise en cause de nos militaires.
Monsieur Masson, vous avez rappelé que vous avez mis un terme à vos fonctions dans la gendarmerie lorsque vous avez été élu maire en 2001 – nous avons été élus la même année. Cette période correspond au moment où, sous l'autorité du préfet Massoni, une doctrine d'ordre public a été stabilisée, à Paris en particulier, qui consistait non pas à intervenir mais à tenir les manifestants « figés » lorsque la manifestation tournait à la confrontation sinon à l'émeute, à les « épuiser » puis à intervenir progressivement. Cette doctrine, en vigueur à Paris depuis 2001, n'avait pas changé depuis. Vous avez raison de souligner les capacités et la qualité de la formation de nos forces. J'étais à Saint-Astier il y a trois semaines ; je connais leur engagement.
Ensuite, vous avez dit qu'il y aurait eu un ordre exprès de ne pas intervenir. C'est votre responsabilité. Si vous pensez qu'il y a une personne en France, à quelque niveau que ce soit, qui, face à un conflit, à des violences de ce type, puisse donner l'ordre de ne pas intervenir dans le but de laisser les saccages se produire, sachez que nous n'avons pas la même vision de la République. Je respecte tous les parlementaires mais, je vous le dis, jamais je n'aurais osé penser cela d'un responsable, quel qu'il soit.
Je prendrai l'exemple de l'attaque du restaurant « le Fouquet's ». Le lieu a été tenu par nos forces. À un moment, celles-ci ont reculé physiquement. On n'a pas donné le bon ordre car il aurait fallu les renforcer. C'est un sujet que j'ai abordé avec le préfet de police quand nous avons fait le retour d'expérience de l'opération. L'escadron qui était présent à ce moment-là n'a pas pu réintervenir pour se mettre en sécurité. Il avait face à lui plusieurs milliers de personnes extrêmement violentes – vous l'avez constaté. À cet égard, je voudrais répéter ce chiffre : il y a eu quarante-quatre blessés ce samedi-là, dont vingt-cinq à Paris sur les seuls Champs-Élysées, soit un niveau très élevé. Confrontées à cette extrême violence, effectivement, nos forces ne sont pas intervenues parce que leur répartition n'était pas adaptée sur le site en question. Laurent Nunez pourra compléter, s'il le souhaite, mon propos sur le sujet.
Vous m'avez interrogé ensuite sur la forme de l'instruction qui a été donnée. Vous savez, les choses sont assez simples. Les ministres définissent une doctrine et de grandes orientations. Ensuite, ils traitent régulièrement avec l'ensemble des préfets de zone, qui ne sont pas les préfets de département – même si le Préfet de police de Paris est aussi préfet de la zone de défense de la capitale. Nous leur donnons des instructions, que chacun fait alors redescendre, notamment aux préfets, qui organisent avec les forces le système de fonctionnement adéquat.
À la préfecture de police, et pour répondre concrètement à la question qui m'a été posée, le vendredi après-midi, un briefing est organisé par le préfet de police. Celui-ci donne un certain nombre d'instructions. Des instructions écrites sont également données – certaines par ses services. Un des sujets qui nous a préoccupés et qui nous a montré qu'il y avait un défaut de management à la préfecture de police est d'ailleurs le fait que le responsable de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), il y a trois semaines – ce n'était donc pas juste avant les événements dont on parle –, a envoyé une instruction pour changer le type de cartouches utilisées avec les lanceurs de balles de défense (LBD), et cela sans que le préfet de police – selon ce qu'il m'a indiqué – en ait été informé. Vous avez dû entendre les syndicats évoquer les « balles chamallows » : c'est le fait d'une instruction écrite donnée par le DSPAP. Voilà ce que je pouvais vous répondre, de façon très concrète et très pragmatique, concernant les instructions qui ont été données à ce moment-là.
Madame Vichnievsky, vous nous avez interrogés sur la réponse politique. Ce n'est pas le lieu d'y répondre et ce n'est pas notre fonction que de le faire, mais je suis intimement convaincu d'une chose : l'ordre public ne pourra jamais régler un problème politique. L'ordre public peut engendrer un problème politique mais, à l'inverse, il ne saurait en résoudre un. Je ne reviendrai ni sur les annonces que le Président de la République a faites dès le mois de décembre ni sur le Grand débat national ; du reste, vous aurez deux jours de discussions, la semaine prochaine, à l'Assemblée nationale, pour aborder le sujet.
En ce qui concerne les casseurs les plus violents, toute la difficulté est qu'ils sont formés et entraînés ; ils savent s'échapper quand il le faut. Pour le reste, Mme la garde des Sceaux complétera ma réponse.
Monsieur Zumkeller, vous dites que les casseurs sont toujours les mêmes depuis le 1er mai. Non, ce n'est pas le cas, surtout pour ceux qui sont liés aux Black Blocs – groupes qui forment une nébuleuse. Autant il y a certaines structures d'ultras dont nous connaissons les responsables et dont nous savons où ils se réunissent – quand je dis « nous », je veux parler du renseignement classique ; Laurent Nunez complétera peut-être mes propos sur ce point –, autant ce n'est pas le cas pour les Black Blocs : il s'agit vraiment d'une nébuleuse qui se constitue puis évolue. Le groupe n'a jamais de chef ni même de protocole d'intervention organisé. En revanche, au moment où ils agissent, ils savent s'organiser – je n'ai pas le temps de développer le sujet, mais on voit bien la manière dont ils procèdent.
Vous nous avez interrogés sur notre niveau d'information. Laurent Nunez l'a dit : nous avions un bon niveau d'information. Nous savions que les Blacks Blocs étaient particulièrement mobilisés. C'est pourquoi nous avions mis un niveau de forces élevé, qui correspondait à la demande du préfet de police. Chaque semaine, en effet, nous procédons à la répartition des forces disponibles – escadrons de gendarmerie, brigades de CRS –, en fonction des demandes des préfets. Généralement, nous n'arrivons pas à toutes les satisfaire mais, en ce qui concerne Paris, le samedi en question, nous avons bel et bien donné le nombre de forces sollicitées par le préfet de police, compte tenu du niveau de renseignements que nous avions. C'est la gestion opérationnelle de ces forces qui, à mon sens, a été défaillante.
Vous me demandez pourquoi la « loi anti-casseurs » a été déférée au Conseil constitutionnel. Je note – mais vous le savez déjà – qu'il y a eu trois recours sur le texte. Par ailleurs, vous ne pouvez pas penser véritablement que cela pose problème, dès lors que vous-même vous vous êtes abstenu lors du vote, ce qui, du moins je l'imagine, traduit des questionnements – légitimes – sur ce texte.
Madame Pau-Langevin, vous me posez une question pertinente : pourquoi les débordements n'ont-ils pas été contenus avant ? La réponse est que nous avons changé la doctrine entre le 1er et le 8 décembre et que, depuis lors, globalement – j'emploie ce terme parce qu'il ne faut pas oublier qu'il y a eu plus de 15 000 manifestations en France dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes » –, la sécurité a été plutôt assurée et l'ordre public plutôt maintenu. Il est vrai que la situation n'est pas satisfaisante ; je vous le dis d'autant plus volontiers que jamais une doctrine n'empêchera une cinquantaine de personnes de faire une descente dans une rue pour tout casser... D'ailleurs, s'il suffisait d'élaborer une doctrine ou de prendre des dispositions législatives pour qu'il n'y ait plus ni cambriolages, ni violences urbaines ni vols en France, cela se saurait. Quoi qu'il en soit, la doctrine a changé, disais-je, et Paris a été protégé, mais il y a eu un dérapage, avec des conséquences extrêmement graves.
Vous évoquez la liaison étroite entre la Préfecture de police et la place Beauvau mais, au moment de l'action – et je ne dis pas cela pour me dédouaner : là n'est pas la question –, c'est celui qui est sur le terrain qui doit diriger, d'autant que je ne crois pas qu'il existe des ministres omniscients, capables de diriger une manoeuvre au « centre Bourse » à Marseille, par exemple. Je pense même que si les ministres, quels qu'ils soient, se mettaient à faire cela, ce serait une faute : l'expérience, que M. Masson évoquait tout à l'heure, est acquise par ceux qui sont sur le terrain. Notre rôle à nous est de leur donner des moyens, des orientations, une doctrine et, dans la mesure du possible, de les protéger chaque fois que cela est nécessaire.
Monsieur Bernalicis, vous avez parlé de désescalade à Lille. Tout au contraire, samedi dernier, à Lille, le niveau de dégradations par des casseurs a été le plus élevé jamais atteint. Or ce n'est pas la conséquence de la désescalade car, je puis vous le dire, les instructions que j'ai données personnellement au préfet en charge à Lille, Michel Lalande, ont été d'être aussi ferme qu'à Paris. Quand les Black Blocs, qui s'étaient donné rendez-vous à Lille, ont commencé à agir, la réponse a été d'une très grande fermeté. Je n'ai donc pas la même lecture que vous.
Vous pensez que Mme Legay a « sauvé notre honneur ». Je lui souhaite un prompt rétablissement mais je ne pense pas que l'on sauve l'honneur de qui que ce soit – surtout de parlementaires ou de ministres – en méconnaissant la loi républicaine. En l'espèce, nous avions décidé d'interdire un périmètre à toute manifestation. Le fait était connu. Des personnes s'y sont quand même rendues et, y compris après discussion avec les policiers – car ces derniers sont allés au contact pour parler avec les manifestants, qui étaient en petit nombre, et leur rappeler que la manifestation était interdite – et en dépit des sommations, elles sont restées.
Vous avez mis en cause le directeur général de la police nationale, en vous interrogeant sur ce qu'il fait. Je vous précise qu'il travaille à nos côtés, aussi bien à la définition de la doctrine qu'à la répartition des forces de gendarmes, de policiers et de CRS, car il est de sa responsabilité de nous faire des propositions en la matière. S'agissant de l'ordre public à Paris, il ne fait rien parce qu'il n'a aucune compétence fonctionnelle dans ce domaine ; je tenais à vous le préciser.
Je voudrais apporter quelques compléments à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur. M. Masson dit que les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) sont des unités spécialisées en matière d'ordre public, ce qui est absolument incontestable, et qu'il faut s'appuyer sur elles. Je voudrais le rassurer : c'est ce que nous faisons. Simplement, comme l'a expliqué M. le ministre de l'intérieur, l'ordre public a évolué. Nous sommes de plus en plus confrontés à des groupes extrêmement mobiles, qui se déploient rapidement puis se dispersent, cherchant à diviser les forces de l'ordre. Nous concevons donc de nouveaux dispositifs, en liaison avec les organisations syndicales de policiers et en lien avec les représentants de la gendarmerie nationale, comme vous le savez très bien. Cela a d'ailleurs été le cas, je tiens à le souligner, de l'évolution de la doctrine à laquelle nous avons procédé avec Christophe Castaner entre le 1er et le 8 décembre. Celle-ci nous avait été demandée à l'unanimité. De la même façon, l'évolution récente qui est intervenue a été élaborée avec les forces de l'ordre.
Nous utilisons les forces mobiles, CRS et EGM, en veillant à les associer dans ce qu'on appelle une forme d'interopérabilité avec des forces plus légères, qui peuvent bouger rapidement et sont donc en mesure de procéder à des interpellations, le plus souvent d'ailleurs en appui des forces mobiles. Nous faisons donc toute confiance aux CRS et aux EGM mais, à Paris – en province également –, nous utilisons des dispositifs mixtes, qui donnent tout à fait satisfaction et que nous aurons l'occasion d'inscrire noir sur blanc dans le schéma dont a parlé le ministre de l'intérieur. Je tiens à souligner que c'est Christophe Castaner et moi-même qui avons voulu et imposé cette interopérabilité à Paris entre le 1er et le 8 décembre. Elle existait en province mais pas toujours à Paris, y compris au cours des vingt dernières années. Je veux bien que nous recevions un certain nombre de leçons sur le sujet, mais nous avons su nous adapter, être réactifs et opérationnels ; les forces de l'ordre nous en savent d'ailleurs gré. Nous donnons plus de responsabilités aux CRS et aux EGM : un commandant d'escadron ou de compagnie républicaine de sécurité dispose de davantage de capacité d'initiative, ce qui leur permet, sans attendre une instruction venant de plus haut, d'intervenir immédiatement.
Effectivement. Comme vous le savez, et sans entrer dans les détails techniques, les CRS et les EGM ont des sections dédiées à l'interpellation, que nous avons souhaité voir mobilisées.
Monsieur Zumkeller, vous avez indiqué qu'au Sénat, nous avions répondu de manière un peu générale. Or Christophe Castaner et moi-même avons répondu très précisément à toutes les questions trois heures durant. La presse l'a d'ailleurs noté.
Pour répondre à votre question, voici les renseignements précis dont nous disposions : il y avait un appel au rassemblement, majoritairement à Paris et peut-être moins en province que ce que nous attendions habituellement. Aucun lieu n'était défini. Il y avait des appels, notamment de la part des leaders du mouvement – M. Drouet, M. Nicolle et d'autres –, visant à disperser notre dispositif. Nous n'avions donc pas de certitude quant à l'endroit où les choses allaient se passer. Nous savions que la mobilisation de la mouvance ultra, notamment de l'ultra-gauche, serait un peu plus importante, ce qui a effectivement été le cas. Outre ces renseignements, il y avait les cibles habituelles, à savoir le palais de l'Élysée ou encore l'Assemblée nationale – bref, les institutions –, mais aussi les forces de l'ordre.
En ce qui concerne les mesures qui ont été prises, puisque c'est la question précise que vous posiez, à partir du moment où nous savions que des individus allaient venir de province, Christophe Castaner et moi-même avons réuni les préfets de zone, comme il l'a dit, et nous avons demandé qu'un nombre aussi important que possible de contrôles soient effectués en amont, dans chaque ville, dans chaque gare où nous savions que des déplacements étaient possibles. Ainsi, plus de 7 000 contrôles ont été effectués en amont. Force est de constater que, désormais, les casseurs s'adaptent : alors qu'au mois de décembre les contrôles permettaient de détecter beaucoup d'armes par destination – entre autres –, les individus en question ne viennent plus forcément armés.
Une dernière remarque pour compléter les propos de Christophe Castaner au sujet de la supposée désescalade à Lille : la désescalade, face à des casseurs et à des émeutiers qui viennent pour piller, je ne sais pas ce que c'est, monsieur Bernalicis. La désescalade, pour nous, ce sont les déclarations de manifestations, les contrôles préventifs et, quand il le faut, les interdictions de manifestation – interdiction générale pour le moment, interdictions individuelles, à l'avenir, une fois que la « loi anti-casseurs » aura été promulguée. Mais, face à des émeutiers et des casseurs, on ne peut pas parler de désescalade et, dans une telle situation, aucun pays, contrairement à ce qu'on peut lire, ne la pratique. Cela n'existe pas.
Je n'ai pas répondu à Mme Pau-Langevin concernant les commerçants, parce que cela relève plutôt du ministre de l'Économie Bruno Le Maire. Celui-ci a mis en place un plan d'action et de soutien aux collectivités territoriales et aux commerçants. Je vous propose de vous faire passer des éléments par écrit.
Je commencerai par répondre à votre interrogation, madame la présidente. Vous me demandiez si des interdictions de manifester avaient été prononcées. La circulaire du 22 novembre 2018 préconise effectivement que soit requise la peine d'interdiction de manifester, mais je ne dispose pas de statistiques précises sur ce point au moment où je vous parle.
Madame Moutchou, vous m'avez interrogée au sujet des appels à la violence sur internet. Effectivement, la loi sur la liberté de la presse de 1881 incrimine toute provocation publique à commettre un crime ou un délit, que cette provocation ait été ou non suivie d'effet. Nous pouvons donc nous fonder sur les articles 23 et 24 de cette loi, ainsi d'ailleurs que sur l'article 433-10 du code pénal, pour réprimer ces incitations. Plusieurs parquets ont été destinataires de signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, émanant généralement des préfets, et concernant des appels lancés sur internet à la commission de violences ou de dégradations. À partir de là, des enquêtes ont été ouvertes, conformément à ce que préconisait une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces du mois de décembre. Cependant, il est parfois très difficile d'arriver à établir les preuves qui permettent d'aller au-delà de l'enquête. Ce sujet devra peut-être être traité de manière un peu plus précise.
Madame Vichnievsky, je n'évoquerai pas ce qui concerne la réponse politique : les réponses du Président de la République, passées et à venir, à la suite du Grand débat, ainsi que vos propres observations, lors des débats qui auront lieu très prochainement, constitueront autant d'éléments en la matière. En revanche, je suis plus intéressée par votre question relative à l'articulation entre les forces de sécurité intérieure et la police judiciaire. Je crois en effet que, pour répondre avec efficacité sur le plan judiciaire aux dégradations résultant des comportements dont nous parlons, il est important qu'il y ait une préparation en amont, une coopération étroite entre les procureurs et les forces de sécurité intérieure. C'est, je crois, ce qui se passe la plupart du temps : des réunions préalables sont organisées et, le cas échéant, des réquisitions peuvent être données par les procureurs aux préfets, ce qui permet d'effectuer des contrôles d'identité. Il faut également que, pendant les manifestations, les officiers de police judiciaire (OPJ) soient présents en nombre suffisant. La réorganisation autour des BRAV – une très belle appellation – est très importante : elle permet de garantir qu'il y ait un nombre suffisant d'OPJ. De la même manière, nous avons adressé une dépêche expliquant comment les preuves résultant d'un certain nombre d'éléments – notamment les colorants ; nous en avons parlé –, pouvaient être prises en compte. C'est un élément important pour la suite de la judiciarisation éventuelle des dossiers. Nous travaillons donc pour que la dimension judiciaire soit prise en compte, avec cette présence suffisante d'OPJ, mais aussi d'unités spécifiques chargées de l'interpellation des casseurs : il s'agit de faire en sorte que les procédures puissent être étayées par des preuves. Nous oeuvrons vraiment de manière conjointe.
Monsieur Zumkeller, vous m'avez interrogée, si j'ai bien compris, sur les conséquences du mouvement pour l'activité des tribunaux. Je ne vous cacherai pas que le nombre important de procédures que les magistrats ont eu à traiter a des incidences sur l'audiencement des affaires traditionnelles : celles-ci sont, effectivement, un peu reculées, notamment à la suite des interpellations et des gardes à vue massives qui ont eu lieu en décembre. Les comparutions immédiates font que nous sommes obligés de réaudiencer des affaires.
Vous m'avez également interrogée sur l'affaire des personnes qui portaient des pulls où était écrit « Oui au RIC » et qui ont fait l'objet de contraventions. Ces personnes ont manifesté leur volonté de déférer les contraventions devant un tribunal ; je ne prendrai donc pas parti sur la question elle-même. Je voudrais toutefois vous donner un élément de réponse en évoquant la dépêche qui a été diffusée par la direction des affaires criminelles et des grâces pour accompagner le décret instaurant cette contravention de quatrième classe : outre la présence des individus dans le périmètre interdit par arrêté, l'infraction suppose la démonstration que l'individu, par son comportement ou sa tenue, est un manifestant. La dépêche précise aussi que l'exhibition de messages ou slogans en lien avec la manifestation, la possession d'objets caractéristiques de manifestants – tels que pancartes, banderoles, vêtements, drapeaux – ou bien le port d'autres attributs, comme un casque ou un masque à gaz, peuvent être de nature à caractériser une personne susceptible de faire l'objet d'une telle contravention.
Madame Pau-Langevin, vous m'avez interrogée – tout au moins l'ai-je compris ainsi – sur le profil des personnes qui ont fait l'objet de poursuites. Ce sont des profils assez disparates. Néanmoins, certains traits sociologiques apparaissent comme dominants. Dans la quasi-totalité des cas, il s'agit d'hommes – les femmes représentent moins de 5 % des personnes qui ont été condamnées. La majeure partie ont entre 20 et 35 ans. La part des mineurs est assez faible – il convient de le préciser, car nous avons parfois été interpellés quant au fait qu'il s'agissait de personnes très jeunes. Les catégories socioprofessionnelles sont variées, mais les parquets indiquent que la plupart des prévenus sont des personnes socialement insérées, qui disposent d'un travail ou poursuivent des études. Les personnes qui sont jugées sont principalement des primo-délinquants, parfois sans aucun antécédent judiciaire, ce qui est évidemment pris en compte dans les réquisitions du parquet et dans le prononcé des condamnations. Enfin, on note la présence, dans ces mouvements, de personnes issues de mouvances d'ultra-gauche ou d'ultra-droite. Elles ne sont pas forcément interpellées en flagrance – c'est là un point important : ces personnes font souvent l'objet d'enquêtes au long cours ou d'informations judiciaires, du chef d'association de malfaiteurs, pour démanteler les groupes violents et organisés auxquels elles appartiennent. C'est une des raisons qui expliquent que, pour le moment, elles n'ont pas nécessairement été condamnées : elles font l'objet d'enquêtes plus longues.
Enfin, je répondrai aux insinuations de M. Bernalicis concernant le procureur Rémy Heitz – avec lequel j'ai en effet travaillé, et très bien travaillé du reste…
… à l'élaboration du texte relatif à la Justice récemment adopté par le Parlement – en rappelant que le parquet de Paris a été confronté, ces derniers mois, à un volume inédit de gardes à vue et que ses magistrats ont été fortement mis à contribution pour y faire face. Aussi le procureur de Paris a-t-il demandé que toutes les vérifications d'identité soient faites en exploitant la totalité de la durée des gardes à vue, lesquelles ont ensuite été levées lorsque le parquet estimait ne pas avoir assez de preuves.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, depuis le début du mouvement, vous n'avez cessé d'adapter la stratégie de maintien de l'ordre. Ainsi, lundi dernier, suite aux dysfonctionnements majeurs constatés le samedi 16 mars, vous avez pris un certain nombre de mesures : changement du préfet de police de Paris, adaptation de notre doctrine de maintien de l'ordre, afin qu'elle soit plus autonome et plus réactive, interdiction de périmètres restreints, hausse très significative du montant de la contravention pour participation à une manifestation interdite… Force est de constater que ces mesures ont été efficaces. Nous pouvons collectivement nous en réjouir et remercier les forces de l'ordre pour leur travail et leur engagement.
Monsieur le ministre, lors de votre précédente audition par notre commission, nous avions discuté des moyens juridiques supplémentaires que nous pourrions consacrer au maintien de l'ordre sans limiter la liberté de manifester. Au cours de cette audition, vous aviez dû répondre à de nombreuses questions sur le Lanceur de balles de défense (LBD), certains de nos collègues n'hésitant pas à évoquer – sans preuve – des violences policières, d'autres – bien souvent les mêmes – demandant que l'on interdise purement et simplement l'usage des LBD et des grenades lacrymogènes. Vous avez vous-même évoqué à ce propos un « travail de sape ». Le discours de certains partis de l'opposition a-t-il eu des conséquences sur l'action des forces de l'ordre et la sécurité des Français et, si tel est le cas, lesquelles ?
Je veux tout d'abord me joindre aux remerciements adressés aux forces de l'ordre, de sécurité et de secours, qui sont intervenues dans des conditions extrêmement difficiles.
La loi visant à prévenir les violences lors des manifestations – qui, lorsqu'elle sera promulguée, renforcera le droit de manifester dans des conditions sécurisées – aurait-elle pu faciliter l'intervention et la sécurisation des personnes, notamment samedi dernier ? Autrement dit, comment peut-on encore améliorer les dispositifs de sécurité que vous avez adaptés en un temps record – et je vous en félicite très chaleureusement – pour limiter davantage les conséquences des actes de violence ?
Il y a trois ans, lors des manifestations contre la loi « Travail », ma circonscription a été le théâtre de violents débordements et d'assauts des Black Blocs contre les commerces, le mobilier urbain et les forces de l'ordre. Le 8 décembre dernier, lors de l'acte iv des « gilets jaunes », des barricades ont été dressées sur les Grands boulevards et des pillages et exactions ont eu lieu place de la République. Samedi dernier, lors de l'acte xix, en fin de journée, des cortèges sauvages se sont constitués à nouveau dans le Xe arrondissement : boulevard de Strasbourg, rue du Château d'eau, le long du canal Saint-Martin, place de la République ; des poubelles ont été incendiées et nous avons assisté à des tentatives de violence.
Je tiens à saluer l'intervention mobile et extrêmement réactive des forces de l'ordre, qui a permis d'endiguer très rapidement ces débordements, d'éviter les violences et les pillages, et d'éteindre rapidement les débuts d'incendie de poubelles. Je veux rendre hommage et apporter mon soutien au policier qui a été victime d'une crise cardiaque place de la République et vous féliciter, à mon tour, d'avoir fait appliquer la nouvelle doctrine de maintien de l'ordre à Paris, puisque la manifestation de samedi dernier ne s'est accompagnée ni de violences plus importantes ni de pillages. Pouvez-vous nous confirmer que c'est bien la modification de la doctrine appliquée à Paris qui a permis d'endiguer rapidement les violences et qu'elle empêchera, les prochains samedis, tout débordement dans la capitale ?
Le phénomène des Blacks Blocs a une dimension européenne, puisqu'il semble que nombre de leurs membres viennent de pays voisins dans le cadre d'un « nomadisme de la casse » – c'était déjà le cas lors des manifestations d'il y a trois ans. Disposez-vous d'informations sur le nombre de ceux qui participent aux manifestations du samedi, notamment à Paris, et la part qu'il représente au sein des groupes violents ? La coopération avec les services de police des pays voisins est-elle efficace pour prévenir ou anticiper leur déplacement ?
Monsieur le secrétaire d'État, lorsque je vous ai interrogé, la semaine dernière, dans le cadre des questions au Gouvernement, vous ne m'avez répondu que partiellement. « Force est de constater, avez-vous dit, que les forces de l'ordre ne sont pas montées à l'action, pas suffisamment en tout cas. »
Je reviens donc sur la chronologie des faits qui se sont déroulés le 16 mars dernier. À onze heures, la manifestation dégénère en émeute. À treize heures, le feu est mis à une banque et risque de mettre en péril des personnes en s'étendant aux étages supérieurs de l'immeuble. Vous comprenez, à ce moment-là, que la situation dégénère et que la doctrine adoptée suite aux événements du 1er décembre n'est pas appliquée, puisque vous suiviez les événements de minute en minute, soit au PC du ministère de l'intérieur, soit au PC de la préfecture de police. Pourquoi n'avez-vous pas alors adapté le dispositif ?
Je suis inquiet car les Blacks Blocs sont intervenus à trois reprises en un an – le 1er mai, le 1er décembre le 16 mars – et, par trois fois, vous n'avez pas su endiguer ces vagues de violence ; je le déplore.
Ma question est simple : pourquoi n'avez-vous pas adapté le dispositif quand vous avez constaté que la manifestation dégénérait ?
Madame la garde des Sceaux, monsieur le ministre de l'Intérieur, monsieur le secrétaire d'État, je suis très heureux que vous vous exprimiez devant la commission des Lois, qui joue son rôle, reconnu par la Constitution, de contre-pouvoir.
En ce qui concerne la doctrine de maintien de l'ordre, nous avions, dès le mois de décembre, soulevé un certain nombre de questions ; vous nous aviez répondu, monsieur le ministre de l'intérieur, qu'une adaptation était possible, laquelle a, semble-t-il, un peu tardé. On se gargarise, aujourd'hui, de l'efficacité de la nouvelle doctrine après un seul samedi de « succès ». Or, les 22e et 23e semaines notamment risquent d'être un peu compliquées, car les annonces qui seront faites, à l'issue du Grand débat, par le Président de la République ou le Premier ministre pourraient susciter quelque contrariété – pour dire les choses de façon assez élégante. Je souhaiterais donc savoir comment vous vous préparez aux semaines à venir, qui s'annoncent rudes : identification des Black Blocs, mesures préventives, renseignement…
Ma seconde question a trait au décret du 20 mars portant à 135 euros le montant de la contravention pour participation à une manifestation interdite. Ce décret soulève, semble-t-il, de véritables questions de légalité, puisque l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure auquel il est fait référence vise des manifestations déclarées en préfecture, ce qui n'est pas le cas des manifestations concernées. Comment comptez-vous sécuriser rapidement ce texte pour que cette nouvelle contravention – même si elle n'est peut-être pas très dissuasive, compte tenu de son montant – ne soit pas un coup d'épée dans l'eau ?
Monsieur le ministre, dans le discours que vous avez prononcé lors de l'installation du préfet Lallement, vous avez rappelé le rôle et les missions de la préfecture de police de Paris, évoquant une institution qui « n'est pas comme les autres, pas ordinaire ». À plusieurs reprises, vous avez précisé vouloir avancer main dans la main avec les services préfectoraux. Je souhaiterais donc savoir, tout d'abord, la manière dont cette institution « pas comme les autres » devra, à l'avenir, vous rendre compte.
Par ailleurs, ne pourrait-on pas imaginer, comme le suggère le criminologue Alain Bauer, une direction exclusivement dédiée au maintien de l'ordre public, qui viendrait en appui des missions déjà remplies par la préfecture de police ?
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, j'ai bien noté vos propos sur la fermeté des ordres et la nouvelle doctrine que vous avez établie. Mais dix-neuf samedis consécutifs, cela fait beaucoup ! Les services de renseignement, dites-vous, font leur travail et vous disposez d'une évaluation objective de la situation. Dès lors, pourquoi ne pas avoir utilisé les moyens liés à l'état d'urgence pour permettre aux préfets de prendre, en amont, des mesures administratives, notamment de rétention, afin d'éviter ces manifestations récurrentes ?
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, j'aimerais vous demander quand Paris et la France retrouveront un samedi serein et sans heurts, mais je ne suis pas certain que vous soyez capables de nous donner une date précise… Au demeurant, j'ai presque le sentiment, à vous entendre, que vous semblez vous faire à l'idée que les samedis vont se suivre et se ressembler, et cela me semble particulièrement inquiétant.
En effet, pour imaginer la fin de cette séquence gravissime, inédite et douloureuse, il faut traiter la cause et pas seulement les symptômes. Or, celle-ci paraît presque oubliée, effacée par les images du Fouquet's en feu. Pourtant, dans mon département, en Ardèche, je croise, chaque semaine, des « gilets jaunes » qui restent mobilisés. Ceux-là ne viennent pas à Paris – ils n'ont pas les moyens de se payer le billet de train –, ne cassent pas – ce n'est pas leur état d'esprit –, mais ils attendent, depuis le 17 novembre, des réponses aux questions qu'ils posent avec beaucoup de détermination. On ne peut pas dissocier, me semble-t-il, ce mouvement social, qui n'est pas traité politiquement, des violences, qui sont, certes, le fait de groupuscules, mais de groupuscules qui prospèrent dans un climat social extrêmement dégradé.
Ma question est donc simple : pouvez-vous nous rappeler le calendrier politique de réponse au mouvement social qui agite la France depuis le 17 novembre dernier, mouvement social qui n'est pas près, je le crois, de s'arrêter et auquel nous devrons, à l'issue du Grand débat, qui fut une parenthèse un peu longue, apporter des réponses précises ?
Monsieur le ministre, bien que la mobilisation des « gilets jaunes » dure depuis maintenant plusieurs mois, il semble qu'aucun des dispositifs mis en place jusqu'alors n'ait été réellement efficace. Des casseurs sont identifiés, connus : ce sont ceux qui galvanisent les cortèges et les conduisent à la violence. Le préfet de Paris a été remplacé : est-ce suffisant ? Vous avez annoncé au Sénat qu'il n'y aurait aucun changement s'agissant des manifestations déclarées. Or, les semaines passées nous ont montré que les Black Blocs infiltraient également ces cortèges et qu'il fallait donc adapter la répression.
Les soldats de l'opération Sentinelle ont été mobilisés pour soulager les forces de l'ordre et permettre à celles-ci de se concentrer sur les manifestations et le maintien de l'ordre. Par ailleurs, vous avez évoqué, devant le Sénat, le recours à la vidéosurveillance, aux drones et aux Produits de marquage codés (PMC), qui ont été utilisés lors de l'acte xix. Pouvez-vous nous informer sur les retours d'expérience concernant la mobilisation des militaires de l'opération Sentinelle et l'usage de ces dispositifs ? Ces derniers sont-ils efficaces et nécessaires ? L'utilisation de PMC a-t-elle permis d'identifier les casseurs a posteriori ?
Madame la garde des Sceaux, le pillage de magasins par des personnes saisissant l'opportunité d'une manifestation pour causer des troubles et prendre possession d'objets divers est devenu monnaie courante. Or ces pillages entraînent un recel important. Ne conviendrait-il donc pas de prononcer des sanctions particulièrement dissuasives afin de limiter le recel et le vol d'objets et, éventuellement, la casse de certains commerces, lors des manifestations ?
Madame Guévenoux, peut-on dire, à propos de l'usage du LBD, qu'un travail de sape aurait conduit les effectifs de police à la retenue ? Nous le pensons. Le LBD est une arme intermédiaire utilisée dans le cadre, non pas de manoeuvres d'ordre public, mais de violences urbaines, d'émeutes. Les policiers le savent ; ils sont formés à son utilisation et habilités à en faire usage. On peut donc penser que la dénonciation systématique de violences policières les a conduits à une forme de retenue. C'est pourquoi nous leur avons rappelé que cette arme devait être utilisée dès lors qu'ils étaient confrontés à des pillages ou à des émeutes.
Monsieur Rebeyrotte, les nouvelles dispositions seront très utiles et très efficaces en ce qu'elles permettront, non seulement de prononcer des interdictions individuelles de manifester, mais aussi – et c'est une forme de désescalade – d'aller « chercher » et d'interpeller les individus qui dissimulent leur visage, et ils sont nombreux. Nous attendons beaucoup de ces dispositions.
Madame Fajgeles, nous avons, en effet, de nouveau assisté, samedi dernier, au départ d'un cortège sauvage – ou plutôt à une fausse dislocation, puisque des individus ont reconstitué un attroupement et tenté de commettre des violences – dans le périmètre que vous avez décrit. Bien entendu, la mobilité de nos effectifs – conformément à la doctrine et à la demande des policiers – a permis de les disperser très rapidement.
Par ailleurs, je rappelle que les Blacks Blocs, évoqués par plusieurs d'entre vous, ne constituent pas un mouvement, mais une forme d'action qui consiste, pour des individus, à se dissimuler au milieu d'une manifestation, à revêtir un casque et des vêtements noirs et à commettre des violences. Ces Blacks Blocs peuvent être formés de membres de l'ultragauche, qui agrègent des « gilets jaunes » autour d'eux, et sont plus ou moins importants selon la possibilité qu'on leur laisse de se constituer. Ainsi, contrairement à ce que vous avez indiqué, monsieur Diard, nous ne les avons pas vus seulement à trois reprises mais tous les samedis.
Parce que nous les avons empêchés de se constituer !
Ce n'est pas rendre hommage au travail des policiers et des gendarmes que d'affirmer qu'on ne les a vus que trois fois. Ils étaient présents tous les samedis, et nous les avons empêchés de se regrouper et de commettre des violences.
Il est bien évident que, chaque samedi, nous travaillons avec nos partenaires européens – ce travail relevant du renseignement, je ne vous en dirai pas davantage –, de sorte que nous prenons, le cas échéant, des mesures de police administrative afin d'empêcher certains individus de se rendre sur le territoire national.
Monsieur Diard, vous m'avez interrogé sur la manoeuvre. Encore une fois, les Black Blocs sont une forme d'action : dès qu'un groupe se constitue, des individus violents se placent au milieu et créent un Black Bloc. Il faut donc intervenir pour les en empêcher, et c'est ce que nous avons fait presque chaque samedi. Parler de dix-neuf samedis d'échec, c'est oublier ce qui s'est passé le 8 décembre ou le 5 janvier – vous rappelez-vous l'histoire du boxeur ? Nous empêchons des individus de commettre des dégradations, nous les bloquons et nous les dispersons : pardonnez-moi mais, en matière d'ordre public, c'est plutôt une belle manoeuvre ! En tout état de cause, il est parfaitement erroné de parler de dix-neuf samedis d'échec.
La plupart d'entre vous l'ont dit, au moins de ce côté-ci de la salle. Je vous invite donc à peser vos mots. Vous voulez vous en prendre aux ministres, et c'est normal : c'est le jeu politique. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
Mais n'oubliez pas que, ces samedis-là, des gendarmes et des policiers ont réussi de belles manoeuvres et que le dispositif a plutôt bien fonctionné. En tout cas, je ne peux pas vous laisser dire que, durant ces dix-neuf semaines, les manifestations ont dégénéré. C'est complètement faux ! Il n'y a pas eu dix-neuf échecs.
En ce qui concerne la manifestation du 16 mars, vous avez dit, monsieur Diard qu'à onze heures, elle avait dégénéré en émeute. C'est faux : les pillages de magasins les plus violents ont débuté à dix-sept heures. Au début, des Blacks Blocs se sont constitués pour s'en prendre à l'Arc de triomphe. La doctrine a alors été appliquée : ils ont été immédiatement empêchés de se diriger vers ce monument. Je conteste donc votre chronologie des faits.
Monsieur Gosselin, nous avons connu, je l'ai dit, des samedis de succès.
N'oubliez pas la tentative d'intrusion au sein de l'Assemblée nationale, qui a été empêchée, ni les rassemblements que nous avons encadrés et qui se sont déroulés sans aucune violence. Encore une fois, il est inexact de parler de dix-neuf samedis de violence.
Comment nous préparons-nous ? Les services de renseignement montent en puissance – vous comprendrez que je ne puisse pas en dire plus à ce sujet – dans le suivi des mouvances « ultra », mais aussi des individus radicalisés qui ont pu être interpellés et qui font, par la suite, l'objet de toute notre attention. Par ailleurs, nous allons continuer à appliquer notre doctrine de mobilité, de réactivité et d'interpellations. La principale difficulté tient au fait que cette doctrine mobilise fortement nos forces de l'ordre.
Sur la contravention de quatrième classe, le débat juridique ne nous semble pas pertinent. Le texte a vocation à s'appliquer chaque fois qu'une manifestation est interdite, y compris, dans notre esprit, lorsqu'elle n'a pas été déclarée. En effet, comme vous le savez, un préfet a la possibilité d'interdire une manifestation non déclarée dès lors qu'il a connaissance de sa tenue. En tout état de cause, le Conseil d'État se prononcera dans les jours qui viennent.
Madame Florennes, la préfecture de police de Paris comprend depuis toujours une direction de l'ordre public, mais nous avons demandé, avec Christophe Castaner – et le nouveau préfet de police a appliqué cette décision dès samedi dernier – qu'un seul directeur de police s'occupe de l'ordre public. Désormais, le nouveau directeur de l'ordre public et de la circulation dirigera donc l'ensemble des effectifs engagés dans le maintien de l'ordre public, qu'ils soient directement rattachés à cette direction ou qu'ils soient affectés à la voie publique.
Monsieur Morel-À-L'Huissier, j'ai répondu à votre question sur nos « échecs » et sur l'implication des services de renseignement.
Madame Lorho, les dispositifs expérimentaux que vous avez évoqués seront inscrits dans le schéma. Ils sont, me semble-t-il, l'avenir de la gestion de l'ordre public, qu'il s'agisse des produits de marquage codés, qui faciliteront les investigations judiciaires, ou des drones, que nous utilisons dans le respect des conditions d'emploi des aéronefs civils. Quant au dispositif Sentinelle, Christophe Castaner a évoqué ses conditions d'emploi. Je précise néanmoins que la substitution qu'il a évoquée nous permet de gagner entre une force et demie et deux forces mobiles de policiers ou de gendarmes, qui sont dès lors disponibles pour participer à la gestion de la manoeuvre destinée à rétablir l'ordre républicain.
Je précise, madame Lorho, que nous avons équipé, dès samedi dernier, un certain nombre de nos policiers et gendarmes intervenant à Paris de produits de marquage codés. Toutefois, comme aucun incident ne s'est produit, ils ne les ont pas utilisés. Nous avons besoin d'un retour d'expérience en la matière. C'est un dispositif qui est utilisé dans le privé, notamment dans certaines zones commerciales ; il a fait ses preuves, et nous commençons donc à l'expérimenter.
Monsieur Saulignac, vous nous reprochez, à l'instar de M. Gosselin, de nous installer dans la gestion. Permettez-moi de vous rappeler qu'était organisée, aujourd'hui, une journée nationale d'action syndicale ; les forces de l'ordre public étaient mobilisées, et elles le seront si un événement se produit demain ou si, vendredi après-midi, une marche lycéenne est organisée pour le climat. La responsabilité du ministère de l'intérieur est de gérer l'ordre public – il le fait plus ou moins bien, et vous pouvez nous reprocher de mal le gérer – et d'anticiper. Ainsi, nous savons que, si une nouvelle mobilisation avait lieu samedi prochain, Avignon serait une cible.
Vous nous reprochez également d'oublier la cause de ce mouvement. À cet égard, je me sens sûrement, comme vous, en partie responsable de cette cause, puisque j'ai été, pendant cinq ans, membre d'une majorité parlementaire socialiste. En effet, que disaient les manifestants, le 17 novembre dernier – ils étaient alors 250 000 ? Ils dénonçaient la pression fiscale. Or, j'ai lu ce matin, dans Le Moniteur, un excellent article qui montre que, depuis 2002 – la période couvre un spectre politique assez large –, la fiscalité sur les personnes a été multipliée par deux, en France ! Vous avez raison : il ne faut pas oublier les causes. Mais il ne faut pas oublier non plus les responsabilités…
Monsieur Masson, un ministre vous a-t-il donné des ordres directs pour vous indiquer comment agir lorsque vous étiez sur le terrain ?
Je suis d'accord avec vous : heureusement, le ministre ne participe pas au pilotage opérationnel. En tout cas, je me l'interdis, par principe et peut-être par modestie.
Cela m'amène à répondre à la question d'Élise Fajgeles. Samedi dernier, la manifestation se présentait plutôt bien à Denfert-Rochereau, mais, dès le début, alors même que 500 personnes seulement étaient présentes, nous avons assisté à des tentatives de dispersion et de départ dans les rues adjacentes. La manifestation était alors maîtrisée et accompagnée jusqu'à Montmartre, où a eu lieu une fausse dislocation : 800 personnes partent et, conformément à leur procédé habituel, mettent immédiatement le feu à des poubelles pour voir la manière dont nous réagissons. Nous avons alors senti que, malgré le changement de doctrine, nous étions à la limite de la rapidité. Nous en avons tiré les enseignements avec le nouveau préfet de police, en décidant de renforcer la mobilité et la rapidité d'intervention. Pourtant, un groupe de policiers équipés de 60 motos avait été déployé... Je précise, à ce propos, qu'il ne s'agit pas de voltigeurs car on a posté, sur les réseaux sociaux, des photos de policiers se déplaçant à moto pour réveiller une mémoire douloureuse.
Prétendre qu'on a la solution ou affirmer que, demain, il n'y aura plus de problèmes – cela vaut pour les vols, les cambriolages, les attaques… –, ce serait mentir aux gens. En revanche, il faut se donner les moyens nécessaires, et c'est ce que nous tâchons de faire avec le préfet de police.
Enfin, monsieur Gosselin, le Conseil d'État aura à se prononcer, mais, je le rappelle, le décret en question a été pris en Conseil d'État, donc après avis de celui-ci. J'ajoute que, selon sa jurisprudence, une manifestation non déclarée peut être interdite dès lors que l'autorité de police dispose d'informations suffisantes quant à sa tenue, son objet ou les risques induits. J'ai le sentiment que tel était le cas lorsque nous avons décidé d'interdire aux manifestants de se rendre sur les Champs-Élysées.
En conclusion, force est de constater, aujourd'hui, que ceux qui manifestent n'ont plus de revendication. Dès lors, aucune réponse ne permettrait de leur dire – je ne parle pas des « gilets jaunes » – qu'ils ont gagné et qu'ils peuvent rentrer chez eux, si ce n'est la décapitation du ministre de l'intérieur en place de Grève – et je ne suis même pas certain que cela suffise. Voilà la véritable difficulté : nous devons faire face à des revendications qui n'en sont plus ou qui n'ont d'autre objet que de susciter le chaos. À preuve, la décision qui a été prise, dès lundi, par des manifestants présents samedi dernier de revenir sur les Champs-Élysées. J'ai donc donné des instructions extrêmement précises au préfet de police pour que toute manifestation sur cette avenue, samedi prochain, qui ne serait qu'une provocation à de nouvelles violences, soit interdite.
J'ose à peine revenir sur la question des LBD, puisque M. Nunez y a répondu. J'ajouterai cependant que la rédaction du Conseil d'État est extrêmement claire et très intéressante, puisqu'il a jugé, dans son ordonnance du 1er février 2019, que « les très nombreuses manifestations qui se sont répétées semaine après semaine depuis le mois de novembre 2018 sur l'ensemble du territoire national, sans que des parcours soient toujours clairement déclarés ou respectés ont été très fréquemment l'occasion de violences volontaires, de voies de fait, d'atteinte aux biens et de destructions » et que « l'impossibilité d'exclure la reproduction de tels incidents au cours des prochaines manifestations rend[ait] nécessaire de permettre aux forces de l'ordre de recourir à ces armes, qui demeurent particulièrement appropriées pour faire face à ce type de situation, sous réserve du strict respect des conditions d'usage s'imposant à leur utilisation, qu'il appartient aux autorités nationales et aux responsabilités d'unité de rappeler. » Ces conditions d'usage, nous les avons évoquées: il s'agit de la nécessité et de la proportionnalité. La décision du Conseil d'État est donc très claire ; on sait ce qu'il en a été des appréciations politiques qui ont suivi.
Monsieur le député Gosselin, le ministre Castaner a répondu à votre question sur la légalité du décret portant création de la contravention de quatrième classe. Je compléterai à peine sa réponse, en soulignant que ce décret ne soulève pas, me semble-t-il, de problème de légalité, puisque la nouvelle contravention pour participation à une manifestation interdite s'applique tant aux manifestations déclarées qu'à celles qui ne le sont pas. L'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure vise, en effet, les manifestations projetées, qui incluent et l'une et l'autre. Comme l'a rappelé Christophe Castaner, lors de l'examen du décret en Conseil d'État, le rapporteur et les autres membres de la section ont tous considéré que l'interdiction pouvait être prise dans tous les cas, que la manifestation soit déclarée ou non, et que la contravention s'appliquait donc, pourvu qu'un arrêté préfectoral d'interdiction ait bien été publié.
Monsieur Saulignac, vous m'avez interrogée sur le calendrier politique : après avoir pris des mesures sur le pouvoir d'achat en décembre, nous sommes aujourd'hui dans la phase finale du Grand débat. On peut d'ores et déjà affirmer qu'il n'y aura pas de Grand soir, qu'il n'y aura pas une réponse unique : des décisions seront annoncées, les réponses se construiront, elles seront élaborées de façon progressive, dans un continuum. C'est ainsi que nous répondrons aux demandes de nos concitoyens.
Madame Lorho, vous évoquez les scènes de pillage et m'interrogez sur la nécessité d'instaurer de nouvelles sanctions pour le recel d'objets volés par des pilleurs. La loi prévoit que le recel de toute infraction, qu'il s'agisse de vol ou d'abus de confiance, est passible de cinq ans d'emprisonnement. Cette peine a déjà été appliquée dans le cadre des comparutions immédiates et l'infraction sera sans doute retenue à l'encontre des personnes mises en examen après les événements survenus à l'Arc de Triomphe, ou sur les Champs-Élysées, après les vols commis chez Swarovski par exemple.
On a pu constater la présence de groupuscules extrémistes radicaux dans les manifestations ultra-violentes qui ont eu lieu samedi dans certaines villes. Ils appartiennent aussi bien à la mouvance d'extrême droite – Bastion social, Identitaires ou néofascistes – que d'extrême gauche – Black Blocs. Ils sont intervenus chacun de leur côté, ou ensemble, provoquant le chaos dans un seul but : mettre à bas notre état de droit en dévoyant un mouvement social qui était au départ légitime.
Nous les avions déjà vus à l'oeuvre dans d'autres manifestations, à l'image des Blacks Blocs le 1er mai 2018, et nous aurons encore affaire à eux dans les années à venir, car ils se sont structurés et ont renforcé leur présence dans ce type d'événements. Ce qu'ils veulent, c'est installer le rapport de force avec les forces de l'ordre, instaurer la violence, mais aussi en découdre, entre eux. Des vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont montré une scène surréaliste sur le cours Lafayette, à Lyon, le 9 février : des groupes de « gilets jaunes » se sont affrontés, avec une telle violence qu'il est étonnant qu'il n'y ait pas eu de nombreuses victimes chez eux et parmi les passants qui se trouvaient dans ce quartier commerçant du centre-ville.
En matière de renseignement, quelles méthodes utilisez-vous pour parvenir à identifier ces personnes ? Pourra-t-on, grâce à la future loi dont j'espère qu'elle sera bientôt promulguée dans son intégralité, interpeller des personnes identifiées comme dangereuses et leur interdire de manifester ? Parmi les individus qui ont déjà été interpellés, quelle est la part de ceux qui relèvent de groupuscules d'extrême gauche ou d'extrême droite ?
Je veux m'associer aux félicitations adressées aux forces de l'ordre pour le travail qu'elles accomplissent depuis de nombreux mois.
Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur les violences survenues dans le cortège parisien et sur la nouvelle doctrine que vous avez retenue, s'agissant du fonctionnement de la préfecture de police de Paris.
J'aimerais connaître l'incidence des réductions de postes drastiques que la majorité de droite a décidées entre 2007 et 2012 – 10 000 postes de fonctionnaires de police et de gendarmerie en moins. Je voudrais aussi connaître l'effet du renforcement et du redéploiement de nombreux postes entre 2012 et 2017, certes insuffisants au regard des enjeux, et des mesures, elles aussi drastiques, prises par le gouvernement actuel, comme la création d'une police de sécurité du quotidien. Les effectifs doivent augmenter. Est-ce que leur nombre permet aujourd'hui une rotation des équipes ? Selon vous, quels sont les éléments qui ont pu limiter votre action : des services de renseignement pas assez pourvus ; une lutte contre la cybercriminalité pas assez efficace ; des effectifs en nombre insuffisant pour assurer le maintien de l'ordre sur le terrain ?
Enfin, madame la garde des Sceaux, je souhaiterais savoir si le délai moyen dans lequel sont jugées les personnes qui refusent la procédure de comparution immédiate est inférieur à un mois. C'est en effet le temps que durera l'interdiction administrative de manifester prononcée à l'encontre d'un individu repéré comme violent. En d'autres termes, cette mesure est-elle opérationnelle ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'image de la France ne sort pas renforcée de ces manifestations récurrentes, qui ne sont plus le fait de mouvements sociaux, mais l'expression de violences urbaines, alimentées par des groupes déstructurés, par les Black Blocs ou encore par une nouvelle catégorie de « gilets jaunes à cagoules noires ».
La vision que l'on peut avoir de la France depuis l'étranger a sans doute été transformée par les déclarations du Conseil de l'Europe, ou encore de la Haut commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU. Je voudrais savoir si une coordination existe au plan européen. Sauf erreur, la présence de factieux étrangers dans les dernières manifestations a été relevée. Quel type de coordination, en matière de renseignement, en matière de police et en matière judiciaire est envisagé pour mieux gérer ces événements, en partie alimentés de l'étranger ? Existe-t-il un échange de pratiques au plan européen ?
Enfin, on entend beaucoup dire que l'Allemagne, l'Italie ou encore l'Espagne auraient des pratiques très différentes en matière de maintien de l'ordre et de gestion des manifestations ou de mouvements de rue. Qu'en est-il exactement ? On dit que la France serait le seul pays à utiliser des armes de défense, méprisant de ce fait, semaine après semaine, les droits de l'homme. Pourriez-vous apporter les précisions qui nous seraient nécessaires pour disposer d'une vision globale ?
Je veux d'abord saluer le dévouement sans faille des forces de l'ordre et du personnel judiciaire, face à une violence exacerbée.
Madame la ministre, vous avez annoncé dimanche les derniers chiffres relatifs au traitement judiciaire des violences exercées pendant ou en marge des rassemblements des « gilets jaunes ». Depuis le 17 novembre, plus de 9 000 personnes ont été placées en garde à vue. Considérez-vous que ce chiffre est proportionnel aux violences exercées sur l'ensemble du territoire ? À ce jour, 2 000 personnes ont été condamnées, auxquelles s'ajoutent 1 800 personnes interpellées en attente de jugement. Le volume d'affaires à traiter dans un délai court a-t-il entraîné des modifications dans le fonctionnement des juridictions ? Cela a-t-il causé un retard dans le traitement des autres affaires prévues ? Le message de fermeté que vous avez porté à l'encontre des casseurs, qui ne revendiquent que la violence, a-t-il été suivi par les juridictions ?
Monsieur le ministre, alors que les « gilets jaunes » souhaitent continuer leurs rassemblements, adaptent leurs actions en fonction des dispositifs et veulent braver les interdits, comptez-vous maintenir la présence des effectifs de la mission Sentinelle et avez-vous prévu d'apporter des correctifs au dispositif mis en place la semaine dernière, et dont on peut saluer la bonne exécution et l'efficacité ?
Pour avoir rencontré des policiers et des gendarmes à plusieurs reprises, je sais qu'ils sont inquiets, ce qui est légitime, quant à la restitution du temps travaillé les samedis successifs, qu'ils se plaignent de l'absence de reconnaissance et qu'ils comprennent mal les critiques portées sur leur action dans les médias et sur les réseaux sociaux. Comment améliorer leur image ?
Monsieur le ministre, vous venez nous dire, pour la seconde fois après le 3 décembre, que vous n'êtes ni responsable ni coupable. Pour notre part, nous vous considérons coupable d'avoir mis le pays dans cette situation d'extrême violence et nous vous estimons responsable de ne pas avoir su rétablir l'ordre républicain.
Depuis dix-neuf semaines – oui, dix-neuf semaines ! –, la France, grande démocratie, se trouve confrontée presque chaque jour à la multiplication des actes de violence sur le territoire de la République. Puisque vous appelez à cette République des fusibles, que dénonçait pourtant le Président de la République à la Maison de l'Amérique latine en juillet, dans un tout autre contexte, sachez que les Français ne s'y trompent pas et vous font très clairement porter la responsabilité. Si j'en crois la dernière enquête Odoxa, ils sont 76 % à ne pas vous faire confiance. Et ils ont raison : alors que nous faisons face à un échec majeur – plusieurs milliers de blessés parmi les manifestants et 1 500 parmi les forces de l'ordre – vous nous dites, en gros, que tout va bien, et que vous avez pris les bonnes décisions au bon moment.
Nous considérons pourtant que vous avez changé à de multiples reprises de stratégie de maintien de l'ordre. C'était déjà le cas le 3 décembre. Nous estimons aussi que vous avez manqué à vos devoirs de commandement et que vous avez fait porter la faute aux services du préfet de police, qui n'ont fait qu'exécuter les ordres contraires et multiples émanant de vous depuis plusieurs semaines.
Le week-end dernier, nous avons constaté une amélioration de la situation, ce dont nous nous réjouissons. Les forces de l'ordre ont été massivement mobilisées, mais comment assurer les mêmes moyens durablement ? Comment comptez-vous payer les heures supplémentaires effectuées par les policiers, notamment ?
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les moyens préventifs mis en oeuvre, sur la dissolution des groupes violents, sur le renseignement.
Enfin, madame la garde des Sceaux, nous demandons des moyens plus répressifs : pourquoi n'y a-t-il pas une information judiciaire, à tout le moins une enquête préliminaire, pour association de malfaiteurs contre les groupes violents, dont vous nous dites que vous les connaissez ? Reliés sur les réseaux, ils se mobilisent ensemble et se regroupent. Par ailleurs, pourquoi refusez-vous d'instaurer des peines planchers à l'encontre des personnes qui portent atteinte à l'intégrité des forces de l'ordre, policiers et gendarmes ?
Le 24 juillet, le Président de la République lui-même, dans une forme de provocation ultime qui a durablement marqué les esprits, affichait que, sous son règne, il n'y aurait pas de République des fusibles. Et pourtant : après le 16 mars, monsieur le ministre, vous en avez été rendu à limoger Michel Delpuech, préfet de police, Frédéric Dupuch, directeur de la DSPAP et Pierre Gaudin, directeur de cabinet du préfet de police.
Le motif est assez flou, puisque vous prétextez qu'une note interne n'aurait pas diffusé une position qui aurait été la vôtre sur les LBD. Pourtant, ce sujet, dont l'opinion publique s'était emparé, était déjà politique, voire polémique. Mais alors qu'il existait une position juridique, celle du Conseil d'État, votre ministère n'a pas pris clairement et publiquement position. Dès lors, pourquoi sanctionner des fonctionnaires qui ne font qu'agir dans le cadre qu'ils connaissent depuis des années et qui est celui qu'on leur impose depuis le début de ce mouvement, la crainte d'un dérapage causé par le mésusage d'un outil ? Si vous ne prenez pas vos responsabilités politiques, il est normal que l'administration cherche à se protéger d'une bavure – que vous auriez été le premier à condamner ! Pourquoi rendez-vous responsables les agents de votre absence de prise de position politique ?
Suite aux événements survenus le 16 mars, vous avez limogé le Préfet de police Michel Delpuech, son directeur de cabinet Pierre Gaudin et le directeur de la DSPAP, Frédéric Dupuch. Vous avez justifié cette décision par l'existence de dysfonctionnements graves, de problèmes d'exécution, de consignes inappropriées. Vous avez répété aux sénateurs mardi que la doctrine avait été changée sans l'assentiment du Gouvernement.
Mes questions sont donc les suivantes : avez-vous présidé, avant le 16 mars, des réunions préparatoires durant lesquelles le préfet de police a délivré ses instructions ? Le 16 mars, étiez-vous présent en salle de commandement de la direction de l'ordre public et de la circulation ? Est-il vrai que vous avez effectué des allers-retours entre le sous-sol, le bureau préfectoral et les Champs-Élysées, où vous avez rejoint le Premier ministre ? Est-il exact que, grâce aux écrans de contrôle et aux caméras de vidéo protection, tout s'est déroulé devant vos yeux ?
S'agissant de l'utilisation des LBD, il était prévu depuis novembre 2016 de remplacer les anciennes balles de plastique semi-rigides par des munitions moins puissantes, donc moins susceptibles de créer des dommages corporels importants. La quasi-totalité des unités ont pu opérer ce changement de munitions avant novembre 2018, à l'exception de la DSPAP, qui n'est pas spécialisée dans le maintien de l'ordre et qui compte environ 500 hommes. Or ce détachement d'action rapide s'est retrouvé en première ligne ces dernières semaines, avec pour résultat 2 900 tirs LBD recensés pour la seule DSPAP, des blessures lourdes, une vingtaine de policiers entendus par l'IGPN, et six d'entre eux officiellement mis en cause.
Comment se fait-il que la DSPAP se soit retrouvée en première ligne, alors qu'elle n'est pas spécialisée dans le maintien de l'ordre ? Qui a pris cette décision et pourquoi le changement de ses munitions n'a-t-il pas été ordonné ?
Enfin, madame la garde des Sceaux, vous nous avez donné des chiffres très précis concernant le nombre d'interpellations et de condamnations. D'aucuns, comme le maire de Montfermeil, Xavier Lemoine, estiment que la réponse judiciaire aux violences entourant les manifestations de « gilets jaunes » est bien plus sévère que celle apportée lors des émeutes de 2005. Pourriez-vous donner des éléments chiffrés qui nous permettent d'établir des comparaisons ?
Votre Gouvernement souffre du syndrome « Malik Oussekine », du nom de ce malheureux étudiant de 22 ans, fauché en marge des manifestations étudiantes de décembre 1986. Ces dernières semaines, la peur d'une bavure vous a tétanisés et les policiers se sont plaints de ne pas avoir reçu de consignes claires. Personne ne souhaite des bavures, des blessés, encore moins des morts. Mais peut-on encore qualifier les événements du 16 mars de « manifestation » ?
Lors de l'acte XVIII, comme de l'acte II, nous avons assisté sur les Champs-Élysées à des scènes de guerre civile, d'intifada – plusieurs casseurs agitaient du reste des drapeaux palestiniens. De grâce, comment expliquer aux Français que quelques centaines de casseurs ou extrémistes de tous bords ont tranquillement, pendant des heures, dévasté la plus belle avenue du monde, notre symbole, au milieu de 5 000 policiers et gendarmes ? Nous sommes désormais la risée du monde ! Dix-neuf semaines, cela suffit ! Plus aucun magasin ne doit fermer un samedi ! J'ai aussi une pensée pour ces commerçants qui ont subi de plein fouet les atermoiements de votre gouvernement.
Lorsqu'on le veut, les dispositifs fonctionnent : cela a été le cas, et c'est normal, de ceux mis en place autour de l'Élysée et de l'Assemblée. La seule violence légitime est celle de l'État et ceux qui se livrent à des actes de violence doivent assumer le risque. Mais hélas, l'État a perdu sa force de dissuasion en matière policière et judiciaire, et les casseurs profitent aujourd'hui du syndrome « Malik Oussekine ». Il faut restaurer la dissuasion, cela relève de votre responsabilité.
Pensez-vous, oui ou non, qu'il existe une responsabilité politique ? Le magazine Le Point vient de sortir un sondage, terrible, qui montre qu'un Français sur deux serait favorable à ce que l'on nomme un militaire à la tête du pays. Cela m'inquiète, et j'aimerais recueillir votre réaction sur le sujet.
Enfin, madame la ministre, pouvez-vous nous dire si les personnes condamnées à plus de deux ans de prison ferme pourront bénéficier d'une remise de peine ?
Monsieur Habib, je ne crois pas que le Gouvernement souffre du syndrome « Malik Oussekine » et qu'il a été tétanisé. Sans doute n'avez-vous pas eu l'occasion de m'écouter : j'ai appelé à la plus grande fermeté lorsque des violences se produisent. D'ailleurs, un parlementaire a voulu me faire déférer devant la Cour de justice de la République pour avoir osé appeler à la fermeté ! Il a fait plus de publicité sur cette procédure, engagée avec 500 militants, que sur son résultat : la demande a été classée sans suite par le procureur de Paris.
À chaque occasion, j'ai défendu, avec Laurent Nunez, les forces de l'ordre lorsqu'elles ont été violemment attaquées. Nous nous sommes d'ailleurs parfois sentis un peu seuls… Je remercie Élise Fajgeles d'avoir évoqué le policier tombé place de la République, auquel j'ai rendu visite, ainsi qu'à sa compagne, dimanche matin. Il se trouve toujours dans le coma, et nous n'avons pas de diagnostic définitif. J'ai eu l'occasion de parler de ces nombreux blessés parmi nos forces de sécurité.
Mais il est vrai que pendant de longues semaines, l'ordre des choses a été inversé : on a laissé penser qu'il y avait, d'un côté, de gentils manifestants et, de l'autre, de méchants flics. Un montage vidéo de ce qui pouvait être interprété comme une faute policière pouvait être vu un million de fois et largement commenté, tandis que nos forces, attaquées systématiquement à coups de cocktails molotov, même dans les manifestations qui se passaient bien, comptaient de nombreux blessés. Non, il n'y a pas de syndrome Malik Oussekine, mais il est certain que nous devons faire usage des forces de façon proportionnée et encadrée – c'est le principe même d'un État démocratique.
D'aucuns voudraient que la réaction soit plus violente et certains pensent qu'un militaire à la tête du gouvernement réglerait le problème. Mais si demain, un manifestant devait mourir sous les balles, les mêmes s'empresseraient de faire le procès de l'État – car personne ne souhaite une telle chose.
Il m'a été reproché récemment d'avoir confirmé dans un média que nous n'encourageons pas, dans certaines circonstances, la poursuite d'un individu circulant sur un scooter dépourvu de plaque, afin d'éviter qu'un accident grave ne se produise. On pourra considérer cette position comme laxiste. Il s'agit plutôt de trouver le point d'équilibre entre la recherche de la vérité et les consignes que je donne. Je demande que l'individu soit identifié, et qu'il soit interpellé à son domicile par la suite, mais que l'on ne lance pas une course-poursuite risquée.
Monsieur Schellenberger, vous nous accusez de ne pas avoir pris de position. Mais n'ayant pas compris sur quoi, j'ai un peu de mal à vous répondre.
Les positions que j'ai prises sur les LBD sont on ne peut plus claires et je vous invite à réécouter le discours que j'ai prononcé devant la préfecture de police de Paris, au moment de l'installation du nouveau préfet. Je pense avoir toujours été très clair sur ce sujet, comme sur celui de l'opération Sentinelle.
Je vous ai moins entendu – mais sans doute vos propos remontent-ils moins jusqu'à moi ? – défendre les policiers lorsqu'ils étaient mis en cause dans l'usage du LBD. Pour ma part, je l'ai fait de façon systématique. Mais nous ne sommes pas là pour nous opposer sur ce sujet : manifestement, nous sommes d'accord pour que les moyens soient proportionnés et que policiers et gendarmes puissent utiliser des armes de défense.
Avec M. Ciotti, vous avez évoqué la République des fusibles et nous avez reproché d'avoir limogé le préfet Delpuech. Permettez-moi de rappeler quelques faits : Éric Delzant, préfet de Haute-Corse, saute en 2003 après quelques désordres lors d'une visite du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin ; Jean Charbonniaud, préfet de la Manche, saute en 2009 après une manifestation importante contre le Président de la République Nicolas Sarkozy, à l'occasion de ses voeux à l'éducation ; Jacques Laisné, préfet du Var, saute la même année après un problème au Cap Nègre ; Albert Dupuy, préfet de l'Isère, saute le 21 juin 2010 ; Gilles Leclair, préfet délégué des Bouches-du-Rhône, saute en 2011, pour un reportage sur un parking, diffusé au journal de 20 heures. Il avait été nommé en Corse en 2008, en remplacement du contrôleur général Dominique Rossi, limogé après que la pelouse de la demeure corse d'un célèbre acteur français eut été envahie…
La modestie voudrait que l'on évite de telles critiques.
Je ne sais pas quel monde est le vôtre, mais évitez de jouer à ce petit jeu. Nous ne sommes pas là pour nous opposer. Pour ma part, je suis en responsabilité.
Je ne pense pas l'avoir été une seule fois depuis le début de cette audition. Je me suis au contraire montré très respectueux et j'ai répondu à la totalité des questions ; tout comme je l'ai fait, trois heures durant, au Sénat, la semaine dernière.
Monsieur Ciotti, j'ai eu à répondre à vos questions récurrentes, vous expliquant à chaque fois que non, la doctrine n'avait pas évolué d'un samedi sur l'autre, mais que nous en avions changé une seule fois. Rien n'y a fait. Vous reprenez systématiquement la même antienne dans les médias, dès que vous apercevez un micro. J'assume, pour ma part, mes décisions. Ainsi, nous étions en désaccord samedi : vous souhaitiez que la manifestation soit interdite dans toute la ville de Nice ; je vous ai indiqué que cela n'était ni juridiquement fiable ni politiquement intéressant car cela créerait des tensions.
Je reconnais nos désaccords, mais ne venez pas dire que nous avons changé systématiquement de doctrine. Je le répète donc : depuis la doctrine mise en place à la préfecture de police par le préfet Massoni, il y a eu un seul changement. Nous l'assumons. Depuis, il y a eu un renforcement de ce changement à la suite des décisions annoncées par le Premier ministre, dans un esprit de fermeté. Nous l'assumons. Vous savez très bien que s'il devait y avoir un incident – ce que personne ne souhaite –, ce serait notre responsabilité que l'on mettrait en cause. C'est pourquoi j'utilise le terme « assumer ».
Madame Dubré-Chirat, vous avez évoqué le maintien des forces de l'opération Sentinelle. Nous adaptons le dispositif de samedi en samedi, en fonction des disponibilités et des besoins. Les militaires de Sentinelle ont pu être plus fortement mobilisés en décembre. Cela pourrait évoluer, mais chacun est dans son rôle et agit en complémentarité. Après avoir défendu leur honneur tout à l'heure, je veux dire que notre fonctionnement, avec le ministère des armées, est fluide et ne pose aucun problème.
Bien sûr, nous ferons évoluer le dispositif et nous l'adapterons lorsque cela s'avérera nécessaire. Nous le faisons d'ailleurs chaque semaine, en répartissant les forces en fonction des renseignements dont nous disposons, de la concentration des groupes de Black Blocs, des remontées des hommes du terrain. Nous n'avons changé de doctrine qu'après avoir écouté l'ensemble des organisations syndicales. Et lorsque nous avons décidé de monter en puissance, nous les avons entendues de nouveau : tous les représentants, aussi bien des gardiens de la paix que des commissaires, ont été reçus au ministère de l'intérieur jeudi. D'autres bruits circulent, mais je peux vous dire que tous ont approuvé et soutenu l'évolution de la doctrine. Il n'y a pas eu une seule voix discordante – je voudrais que chacun ait cela à l'esprit.
Messieurs Paris, Rudigoz, Houlié, en réponse à vos questions sur le renseignement, je laisserai à Laurent Nunez le soin de vous donner les quelques éléments qu'il est possible de vous transmettre.
Monsieur Paris, nous avons passé commande d'un benchmark pour avoir une vision globale du maintien de l'ordre en Europe. Ne croyons pas que la France est le seul pays à faire face à des difficultés : au Royaume-Uni, la police montée intervient dans les manifestations, et c'est très violent ; quant à l'Allemagne, elle a vu les premières actions des Blacks Blocs – je pense aux manifestations de l'été 2017 contre le G20 à Hambourg. Il existe bien une coordination européenne, et son efficacité est impressionnante.
Monsieur Houlié, vous avez évoqué la réduction des effectifs. En effet, 10 000 postes ont été supprimés, dont 5 000 concernaient uniquement les forces de l'ordre ; des escadrons ont fermé et de nombreuses compagnies républicaines de sécurité sont passées de quatre à trois unités. Il manque un peu moins de 5 000 postes par rapport à 2008. Un plan de recrutement de policiers avait été lancé en 2015, sous la présidence de François Hollande, nous le poursuivons avec un objectif de 10 000 nouveaux policiers recrutés d'ici à 2022. Cependant, ni les gouvernements précédents ni le nôtre n'ont privilégié l'ordre public : la question se pose sérieusement aujourd'hui, notamment au vu des déséquilibres au sein des CRS composées de trois unités, qui posent une difficulté opérationnelle.
Vous avez évoqué la disparition des renseignements généraux. N'oublions pas, au passage, que la gendarmerie fait aussi, et fort bien, du renseignement. Comme le renseignement politique n'existe plus, le niveau d'information est un peu inférieur en la matière. Mais recréer un service n'est pas à l'ordre du jour – personne ici ne souhaite revenir sur le sujet – et nous devons nous adapter à cette exigence démocratique.
Une des conséquences de la suppression des effectifs, monsieur Houlié, est la surutilisation de nos forces d'ordre public. Alors qu'elles intervenaient en semaine dans certains quartiers de banlieues difficiles, lorsque l'on voulait par leur présence faire de la prévention, elles s'y rendent moins souvent depuis qu'elles sont mobilisées chaque samedi et que la fatigue s'installe. La récurrence des manifestations fait que cela devient un rituel, mais nos forces de l'ordre aimeraient sérieusement pouvoir faire autre chose !
Monsieur Rudigoz, vous avez demandé quelle était la part des individus appartenant à des groupuscules parmi les personnes interpellées. Nous constatons, au fur et à mesure des manifestations, une évolution. J'avais utilisé l'expression « bon enfant » pour qualifier la première manifestation, celle du 17 novembre, qui réunissait 250 000 personnes. Même si nous avons eu par la suite à déplorer deux morts accidentelles, liées à l'occupation irrégulière des ronds-points, les violences restaient circonscrites à quelques incidents, parfois liés, au bout de plusieurs jours d'occupation, à l'état de « fatigue » et à des tensions.
Nous avons vu arriver l'ultra-droite lors des événements du 24 novembre. Nous avons identifié des personnes que nous connaissions comme appartenant à cette mouvance. J'ai dit lors d'un point presse devant la préfecture que nous craignions la jonction des ultra-droite et des ultra-gauche. On me l'a reproché. Je me rappelle aussi avoir regretté qu'une responsable politique nationale, sur Tweeter, ait accusé le Gouvernement de ne pas accueillir les manifestants sur les Champs-Élysées. Les faits, depuis, ont montré combien les ministres de l'intérieur successifs avaient toujours eu raison d'interdire formellement les manifestations sur l'avenue. Pour répondre à votre question, les choses ont évolué petit à petit, mais la majorité des personnes interpellées ne relèvent d'aucune catégorie politique et le plus grand nombre n'est pas connu de nos services.
Nous notons aussi une évolution, en parallèle, des cibles visées. Le mouvement a changé, passant de l'occupation des ronds-points, des axes autoroutiers et routiers à des manifestations dans les grandes villes. Les cibles sont devenues les symboles de l'État, les bâtiments préfectoraux, les permanences parlementaires, les parlementaires eux-mêmes. De la même manière, les slogans sont désormais très éloignés des revendications initiales et portent sur des sujets qui ne sont plus le pouvoir d'achat ou les impôts, mais sont liés à l'organisation de la société, à l'image de cette banderole qui réclamait, samedi au Trocadéro, « le chômage pour tous ». Les temps changent : il fut une époque où l'on réclamait le travail pour tous !
Les revendications sont aujourd'hui différentes mais elles n'appartiennent pas à un même corpus. Les Blacks Blocs, qui dominent totalement aujourd'hui, appartiennent à l'ultra gauche et s'en prennent aux institutions, avec pour objectif de les attaquer systématiquement et de les faire tomber. Ils sont toujours animés par la volonté de « refaire le match » : la cible de leurs attaques il y a dix jours était de nouveau l'Arc de Triomphe, car ils considéraient avoir gagné une victoire le 1er décembre et voulaient recommencer. Ils ont attaqué les forces de l'ordre trois heures durant afin de « reconquérir » le monument, selon une organisation paramilitaire, particulièrement visible dans leur façon de multiplier les assauts.
Quelques mots en complément à la réponse du ministre de l'intérieur à Didier Paris : nous travaillons sur ces groupes entre services de renseignement, au niveau européen. Le 16 mars, nous savions qu'ils allaient se déplacer.
Les informations que nous échangeons avec les autres services de renseignement nous permettent d'édicter des mesures d'interdiction d'entrée sur le territoire, et des contrôles sont diligentés. Et en matière judiciaire, avec Europol et Eurojust, nous travaillons sur les mouvements de subversion violents.
Monsieur Schellenberger, relisez mes déclarations et celles de M. Castaner : qu'il s'agisse du débat sur les violences policières ou du texte qui a été présenté pour interdir le LBD, vous constaterez que nous nous opposons totalement au retrait du LBD et qu'au contraire, nous avons dit à plusieurs reprises que c'était une arme indispensable pour la gestion des émeutes et des violences urbaines.
M. Houlié établissait le lien entre les comparutions immédiates et la loi dite anti-casseurs récemment adoptée, je peux apporter les éléments complémentaires suivants : près de 1 700 comparutions immédiates se sont tenues depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Nous ne connaissons pas le délai moyen en cas de renvoi de comparution immédiate à la demande du prévenu, mais le délai maximum est de six semaines. Dans cette attente, les prévenus peuvent être placés en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire par le tribunal.
La nouvelle loi anti-casseurs dispose que les contrôles judiciaires pourront dorénavant prévoir une interdiction de manifester courant sur toute la durée du renvoi. Il s'agit d'un cadre judiciaire différent de la mesure administrative d'interdiction de manifester, qui ne peut durer qu'un mois. La nouvelle loi ouvre en effet la possibilité d'interdire de manifester pendant le contrôle judiciaire.
Monsieur Paris, M. Nunez vient de vous répondre sur la coordination judiciaire. Peu de ressortissants d'autres pays européens ou d'étrangers figurent parmi les personnes placées en garde à vue. Quelques-uns ont malgré tout pris part aux événements du dernier samedi violent avant ce week-end, et nous travaillons alors avec nos relais habituels dans les États de l'Union et Eurojust ou Europol.
Madame Dubré-Chirat, vous évoquez la masse d'affaires exceptionnelle arrivée devant les tribunaux : 9 000 gardes à vue, des enquêtes, des comparutions immédiates. Face à cette situation inédite, les juridictions ont adapté leur fonctionnement. Cela n'a pas eu d'impact significatif dans la majorité des cas, mais il a été nécessaire de réorganiser l'audiencement à Paris comme le procureur de Paris m'en a fait état il y a quelque temps.
S'agissant des réponses apportées, les procureurs de la République, qui déclinent localement les instructions de politique pénale, ont naturellement adopté une réponse pénale ferme à l'égard des casseurs, conformément aux instructions de politique générale édictées. La réponse apportée a systématiquement pris en compte la personnalité de l'auteur – nous avons rappelé qu'il s'agissait parfois de primo-délinquants – et la gravité des faits.
Monsieur Ciotti, une centaine d'informations judiciaires sont ouvertes du fait d'association de malfaiteurs. Elles nous permettent de traiter les mouvements les plus violents.
J'ai eu l'occasion de vous répondre à plusieurs reprises sur la question des peines plancher, et comme je vous l'ai toujours dit, elles ne s'appliquent qu'en cas de récidive. Elles n'auraient donc pas été applicables à la majorité des cas qui nous occupent, s'agissant de primo-délinquants. C'est pourquoi je pense que la sévérité en première instance vaut mieux qu'une peine plancher.
Madame Ménard, je ne dispose pas à cette heure d'éléments comparatifs entre 2005 et aujourd'hui, et si je les avais, il serait très difficile de comparer la sévérité des peines entre ces deux périodes, puisque les magistrats prennent en compte le contexte et la personnalité des prévenus au nom du principe d'individualisation des peines.
Monsieur Meyer Habib, vous évoquez le syndrome Malik Oussekine. Je ne pense pas que l'on puisse parler d'un tel syndrome, et j'ai bien connu cette affaire en son temps. Vous demandez si les personnes condamnées à plus de deux ans de prison ferme pourront bénéficier d'une remise de peine et de ce fait sortir immédiatement ? La loi pour la réforme de la justice que vous avez adoptée a modifié les règles existantes : dorénavant, lorsqu'une peine de détention d'un an sera prononcée, elle sera immédiatement exécutée et ne pourra plus faire l'objet d'aménagement de peine a priori.
Enfin, vous faites état du sondage paru dans Le Point selon lequel les Français souhaiteraient que, dans certaines circonstances, un militaire puisse gouverner le pays. Je m'en tiens quant à moi à l'article 20 de notre Constitution, en vertu duquel le Gouvernement dispose de l'administration et de la force armée, et non l'inverse.
Madame la garde des Sceaux, messieurs les ministres, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
La Commission en vient à l'examen des articles du projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française (n° 1695) et du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (n° 1696) (M. Guillaume Vuilletet, rapporteur).
Nous avons achevé ce matin la discussion générale sur les deux projets de loi relatifs à la Polynésie. Nous allons maintenant examiner leurs articles, en commençant par le projet de loi organique.
Monsieur Bernalicis, je me suis interrogée sur la recevabilité de vos amendements. J'ai finalement décidé d'accepter leur dépôt. Vous pouvez constater que vous ne faites pas l'objet d'une discrimination au sein de la commission des Lois !
Le Conseil constitutionnel a validé les modalités du contrôle de recevabilité opéré par l'Assemblée nationale dans sa décision sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par un raisonnement circulaire assez étrange. Il constate que rien n'est prévu pour contrôler la constitutionnalité des amendements, en déduit qu'il n'a pas à se prononcer à ce sujet, et aucune voie de recours n'étant prévue, il peut d'autant moins le faire… Vous pouvez donc prendre les décisions que vous voulez, personne ne pourra rien en dire et l'appréciation restera politique et non uniquement technique, puisque le Conseil constitutionnel ne sera pas d'un grand recours en la matière, à mon grand regret.
Article 1er (section 2 du titre Ier, art. 6-1 et 6-2 [nouveaux] de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation
La Commission est saisie de l'amendement CL3 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Par cet amendement de réécriture, nous souhaitons mettre en adéquation les termes et les faits à propos des essais nucléaires en Polynésie française.
Pendant trente ans, de 1966 à 1996, la France a testé ses bombes en Polynésie, à cent quatre-vingt-treize reprises. Ce choix d'utiliser le territoire polynésien comme site des essais nucléaires est venu bousculer l'ensemble du mode de vie de la région aux niveaux économique, social, alimentaire, culturel et environnemental. Par cette décision unilatérale, un capitalisme occidental a été imposé et a détourné la population locale de ses moyens de subsistance traditionnels. Pour comble, la toute première bombe larguée au-dessus de l'atoll de Moruroa le 2 juillet 1966 a dérivé jusqu'à Mangareva, entraînant l'évacuation du ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer alors que la population locale n'avait pas été informée. Malgré la connaissance de taux de radioactivité supérieurs à la normale dès le début des essais, ceux-ci se sont poursuivis jusqu'en février 1996.
En 2018, M. Oscar Temaru, ancien président de la Polynésie française, a déclaré devant l'Organisation des Nations unies à New York qu'une plainte avait été déposée pour crimes contre l'humanité devant la Cour pénale internationale contre la France, au nom de toutes les personnes mortes des conséquences du colonialisme nucléaire.
L'article 1er de ce projet de loi organique prévoit notamment : « La République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation. » Alors que ce territoire paie encore les conséquences sanitaires, sociales et environnementales des essais, nous estimons indispensable de reconnaître également les préjudices économiques, environnementaux, sanitaires et sociaux.
Certes, les amendements servent à susciter une discussion politique sur un thème. Mais l'article 1er comprend déjà des dispositions importantes dans sa section 2, introduite par le Sénat. Un équilibre, fruit d'une réflexion collective, a été trouvé.
Vous proposez de remplacer le mot de « contribution » par celui de « participation ». Nous pourrions débattre des choix terminologiques, et je pense d'ailleurs que si le texte avait retenu « participation », vous auriez déposé un amendement pour le remplacer par « contribution ». La participation me semble plus volontaire que la contribution. En tout état de cause, eu égard au consensus auquel nous sommes parvenus après une large concertation, je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, avis défavorable.
Je remercie le groupe La France insoumise d'avoir déposé ce type d'amendement qui permet d'aborder au fond cette modification majeure.
Tout d'abord, il est hors de question pour nous d'insinuer une quelconque démarche volontaire de la Polynésie française. Elle a été clairement utilisée par l'État pour atteindre ses objectifs de dissuasion nucléaire, et elle a évidemment payé un lourd tribut.
Nous sommes entièrement d'accord pour parler de préjudice. En revanche, s'agissant du terme de « participation », je rejoins le rapporteur : ce terme donne le sentiment que nous avons volontairement pris part à cette action. Il est vrai qu'il a été difficile de trouver le bon mot ; les échanges ont duré quatre ans. Nous avons évoqué ce point lors de l'audition de la ministre des outre-mer : faut-il mentionner une « mise à contribution » pour souligner qu'il ne s'agit pas d'une contribution volontaire ? Je me laisse encore le temps, d'ici à la séance, de trouver le terme le plus approprié pour qu'il n'y ait aucune confusion sur ce sujet, car nous sommes d'accord sur l'objectif. Vous verrez à la lecture de la suite des alinéas que les conséquences sanitaires, environnementales et économiques sont envisagées.
Nous allons retirer l'amendement pour travailler ensemble et trouver un terme plus adéquat. Il me semble différent de reconnaître la « contribution » de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire ou sa « participation ». Notre groupe a déposé cet amendement car nous estimons que la formulation actuelle ne traduit pas suffisamment le fait que cette situation a été imposée à la population, et c'est pour cela que nous avons mentionné la première bombe lâchée en 1966 : quand vous évacuez le ministre, c'est bien que vous savez ce qui se passe. Or, les populations locales n'ont pas été informées.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL4 de Mme Danièle Obono.
Par cet amendement, nous demandons que l'État français mette à disposition du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) tous les documents qui garantiront la possibilité d'une compensation effective et complète des victimes, dans le respect des intérêts stratégiques contemporains de la nation et pour les nécessités de l'enquête. Le ministère de la défense maintient en effet un embargo sur les enquêtes afférentes aux questions nucléaires. Or, l'impossibilité d'accéder aux dossiers exclut toute enquête exhaustive, et donc toute possibilité de compensation effective et complète.
Pour preuve, les rapports divulgués en 2018 par le ministère de la santé de la Polynésie française indiquent une augmentation du nombre de maladies, avec 467 nouveaux cas de cancer signalés en 2017 contre 93 en 1992. Cette hausse ne peut être purement fortuite. Mais sur les 1 245 cas enregistrés depuis l'établissement du CIVEN, 147 seulement émanent de la population polynésienne. Seules 11 % des demandes ont été acceptées depuis mars 2015.
Si l'on souhaite une véritable indemnisation, il faut voter cet amendement.
Je crains que cet amendement n'arrive trop tard. Il aurait eu du sens avant l'adoption de la loi de programmation relative à l'égalité réelle dans les outre-mer du 28 février 2017, dite loi ÉROM, quand le régime d'indemnisation comportait un seuil de probabilité qui permettait d'exonérer l'État de toute responsabilité dans les maladies déclarées par des Polynésiens.
Ce n'est plus le cas depuis la loi ÉROM. Pour bénéficier de l'indemnisation prévue, il suffit d'avoir résidé dans une certaine zone pendant un certain temps. Je ne vois pas ce que pourrait apporter à ces conditions très objectives la mise à disposition de documents relatifs à la Défense.
Une fois encore, je me félicite de l'intérêt porté par le groupe La France insoumise à la bonne indemnisation des victimes. Ce fut un long combat, depuis la loi du 5 janvier 2010, dite « loi Morin », jusqu'à la loi ÉROM.
Permettez-moi d'actualiser vos données : de 2010 à 2017, 96 dossiers ont été acceptés sur 1 240 déposés. La mention dans la loi Morin d'un « risque négligeable » empêchait les indemnisations, mais elle a été supprimée. Depuis lors, entre le 1er janvier 2018 et octobre 2018, 147 dossiers sur 160 ont été admis. Le bilan dont vous faites état est donc juste, mais la modification de la loi a permis une énorme progression. Notre collègue députée Nicole Sanquer, membre de la commission de suivi créée à la suite de la suppression de la notion de risque négligeable, pourra vous donner plus d'informations.
Nous nous sommes battus pendant des années pour parvenir à déclassifier les archives de la défense. Je vous invite à consulter l'article 4 de la loi Morin, qui créé le CIVEN. Il prévoit que le comité « peut requérir de tout service de l'État, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande ».
Nous avons donc traité de ce sujet au fond. Je ne suis pas opposée à son inscription dans la loi organique, mais le dossier est en très bonne voie depuis deux ans.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 1er sans modification.
Après l'article 1er
La Commission est saisie des amendements CL5 de Mme Danièle Obono, CL6 de M. Jean-Hugues Ratenon, CL7 et CL8 de Mme Danièle Obono et CL9 de M. Jean-Hugues Ratenon, pouvant faire l'objet d'une présentation commune.
L'amendement CL5 propose, dans le respect des compétences statutaires de la collectivité de Polynésie française, d'inscrire l'urgence écologique dans la loi organique du 27 février 2004 pour reconnaître les impacts actuels et à venir des dérèglements climatiques, et leur spécificité du fait du caractère archipélagique de la Polynésie française. La montée des océans, leur acidification comme la multiplication des événements climatiques extrêmes auront des impacts non négligeables sur les géographies insulaires.
Nous demandons que l'État informe chaque année l'assemblée de la Polynésie française des coûts induits par ces dérèglements climatiques par un rapport chiffré, et qu'il accompagne la Polynésie dans la mise en oeuvre des politiques d'adaptation et de lutte qu'elle souhaitera mener.
L'amendement CL6 prévoit, toujours dans le respect des compétences statutaires de la collectivité de Polynésie française, la participation de l'État français aux efforts pour atteindre l'autonomie énergétique et l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables en Polynésie française. C'est d'autant plus nécessaire qu'en novembre 2015, le gouvernement de la Polynésie française a réaffirmé son intention d'atteindre en 2020 une production d'électricité provenant à 50 % des énergies renouvelables.
L'amendement CL7 reconnaît la nécessité de lutter contre les pollutions, notamment marines, et d'assister la Polynésie dans la lutte contre ce fléau mondial qui constitue un enjeu international. La zone économique exclusive de 5,5 millions de kilomètres carrés autour de la Polynésie française est particulièrement concernée, car les récifs coralliens et l'écosystème marin dans son ensemble y sont extrêmement importants. Les tonnes de plastique que l'on retrouve aujourd'hui au fond des océans sont au coeur du problème.
La Polynésie française est la collectivité d'outre-mer comportant le plus grand nombre d'espèces éteintes ou menacées de toutes les collectivités d'outre-mer. Le nombre d'espèces végétales et animales endémiques rapporté à la superficie exiguë du pays est remarquable. À l'heure de la sixième extinction de masse, la préservation du patrimoine naturel et culturel polynésien est donc un enjeu essentiel. C'est l'objet de l'amendement CL8.
Enfin, l'amendement CL9 porte sur la pêche illégale et le pillage des ressources halieutiques par des bateaux étrangers dans la zone économique exclusive de Polynésie française.
Cette première série d'amendements porte sur la planification écologique, mais ma réponse vaudra aussi pour la série suivante sur l'égalité réelle. Le rôle des amendements est de susciter un certain nombre de débats, je ne vous le reprocherai pas. Nous pouvons toutefois admettre que, par souci sans doute d'éviter l'irrecevabilité financière, ces amendements ont peu de portée normative. Cela étant, la situation écologique de la Polynésie française mérite d'être débattue, notamment l'objectif d'atteindre 100 % d'énergies renouvelables.
Mais c'est une vision très particulière de l'autonomie de la Polynésie française qui transparaît de vos amendements. Vous prenez le soin de spécifier dans l'exposé des motifs : « Loin de vouloir revenir sur les compétences de la Polynésie française et son autonomie, cette proposition s'inscrit au contraire dans l'idée d'acter d'un soutien renforcé de l'État si la Polynésie française le sollicite. » Dont acte, mais vous jouez avec les mots et vous empiétez de fait sur l'autonomie de la Polynésie française. Avis défavorable.
Les questions soulevées touchent directement à la vie de notre collectivité. Je suis personnellement engagée dans la lutte contre le dérèglement climatique, pour la protection de nos océans et de nos récifs. C'est un enjeu déterminant pour la Polynésie française, dont la zone économique exclusive constitue la moitié de la zone économique exclusive nationale.
L'autonomie énergétique, la lutte contre les pollutions ou la surveillance des pêches illégales sont des problèmes essentiels. Je remercie les auteurs des amendements de les avoir abordés. Nous considérons cependant qu'ils devraient figurer dans des textes spécifiques plutôt que dans la loi organique, et c'est pourquoi nous ne pouvons pas les soutenir aujourd'hui.
La loi organique est en effet une « petite Constitution ». Dès lors, entrer dans le détail d'une compétence revient à rogner sur l'autonomie du territoire. Je sais que ce n'est pas l'objectif, et il est systématiquement précisé que les dispositions s'appliquent dans le strict respect de la répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française. Mais strictement interprétée, cette mention est contradictoire avec le dispositif de chacun des amendements. C'est pourquoi nous ne voulons pas inscrire ce type d'engagements dans la loi organique, car même s'il est prévu que l'intervention doit se faire à la demande de la Polynésie, cela peut avoir des impacts sur l'étendue des compétences exercées.
Une analyse beaucoup plus approfondie est nécessaire, même si, je le sais, vous avez pris toutes les précautions. Nous allons donc nous abstenir sur ces amendements.
Par ailleurs, la loi organique nous permet déjà d'exercer ces compétences. Nous sommes pleinement compétents sur la plupart des sujets abordés par ces amendements, sauf en matière de lutte contre la pêche illégale. Je vous invite à consulter l'article 14 de la loi organique, qui énumère les domaines de compétence de l'État : la collectivité de Polynésie a la compétence de principe, elle est compétente dans tous les domaines, à l'exception de ceux qui ont été spécifiquement attribués à l'État ou aux communes. Or, les questions de surveillance et de lutte contre la pêche illégale sont expressément attribuées à l'État.
Je comprends l'intérêt de mettre en valeur ce sujet important, mais il faut également rappeler tout ce qui a déjà été fait. Depuis 1952, nous sommes à l'avant-garde : la ZEE est protégée des pêcheries étrangères ; il n'y a pas de pêche à la senne ; il n'existe pas de dispositifs de concentration de poissons (DCP) dérivants. Il y a des DCP ancrés, autour desquels les pêcheurs polynésiens peuvent tourner. Cela n'a rien à voir avec les DCP dérivants aujourd'hui décriés par les associations environnementales, qui dérivent le long de notre ZEE avant d'être récupérés à l'extérieur par de grands senneurs.
Hier, nous avons passé en revue tous ces sujets avec le vice-président, et j'aurais aimé que vous soyez présents. Si, demain, vous consultez le système de surveillance du trafic maritime AIS, pour Automatic identification system, vous verrez apparaître sur l'image satellite la ZEE de Polynésie dans le Pacifique car tous les bateaux qui pêchent autour sont visibles. C'est la seule ZEE à bénéficier de ce niveau de protection aujourd'hui, grâce à l'État qui a mis en place un vrai partenariat – Mme George Pau-Langevin, ici présente, qui a été ministre des outre-mer, pourrait en témoigner. Les moyens mis en oeuvre pour protéger cet espace sont conséquents. Nous sommes très conscients de ces enjeux ; nous avons été proactifs pour créer un sanctuaire pour les mammifères marins et une zone de pêche durable. Nous avons créé plus d'une dizaine d'aires marines protégées et nous sommes d'ailleurs à l'origine des aires marines éducatives qui font des émules au niveau national.
Ce n'est pas par hypocrisie que nous avons mentionné le partage des compétences entre l'État et la collectivité de Polynésie. Nous l'avons fait à la suite du travail mené avec des associations et des militants polynésiens. Nous maintenons nos amendements, car nous pensons que l'État a la responsabilité d'accompagner et de fournir des moyens pour régler ces questions. Ces enjeux nous dépassent et représentent le défi majeur du XXIe siècle.
La Commission rejette successivement les amendements.
Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements CL10 et CL11 de Mme Danièle Obono, CL12 et CL13 de M. Jean-Hugues Ratenon ainsi que l'amendement CL14 de Mme Danièle Obono.
Je suppose que vous allez me répondre la même chose sur cette série d'amendements, mais ce sont des propositions que nous avons travaillées avec des Polynésiens et qui nous tiennent à coeur.
S'agissant de l'amendement CL10, si le gouvernement de Polynésie française souhaite mettre en place un protectionnisme solidaire afin de lutter contre les graves conséquences sociales et économiques que ce territoire connaît, l'État français, par l'accompagnement et le soutien à la collectivité pour instaurer des mécanismes de protection tels que la taxe kilométrique et l'octroi de mer, contribuera au développement des productions locales tout en luttant contre l'impact écologique des importations s'ajoutant à l'impact économique et social.
L'amendement CL11 porte sur un sujet extrêmement important en Polynésie française : la lutte contre la pauvreté. La Polynésie française est particulièrement touché par ce fléau, avec un taux de chômage en progression inquiétante concernant les jeunes. Les inégalités sont criantes. Là aussi, il y a des choses à faire.
L'amendement CL12 concerne la lutte contre la vie chère. Une étude de 2016 de l'Institut de la statistique de Polynésie française (ISPF) concluait que le niveau général des prix à la consommation y était supérieur de 39 % à celui de la métropole, alors même que le territoire est particulièrement touché par la pauvreté.
L'amendement CL13 porte sur le droit à l'accès à l'eau. Nous demandons d'acter un soutien renforcé de l'État pour consacrer un vrai droit en la matière, notamment avec les premiers mètres cubes gratuits. L'eau est un bien commun vital.
Enfin, l'amendement CL14 porte sur l'enseignement supérieur. Il s'agit de prévoir des investissements permettant une formation la plus complète possible répondant aux besoins de la Polynésie, une meilleure accessibilité et une plus grande attractivité de l'Université de Polynésie française qui est un rouage essentiel pour la société polynésienne, en particulier dans les domaines sociaux, environnementaux, énergétiques et économiques.
Ne vous méprenez pas, chère collègue, nous n'avons aucun grief. Mme Maina Sage reprend la parole à chaque fois car cela lui permet d'aborder ces sujets. J'ai auditionné la majorité et les oppositions au sein de l'assemblée de Polynésie ; il existe des divergences mais les thèmes que vous abordez sont bien au coeur des problématiques locales. Ne m'en veuillez pas de souligner cependant qu'il est un peu compliqué de justifier ces amendements dans le cadre de l'autonomie de la Polynésie – Mme Sage vous a largement répondu.
Sur l'amendement CL10, de façon un peu taquine, j'aurais tendance à vous inviter à relire la tribune « Renaissance » du Président de la République : vous y trouverez des préoccupations environnementales et sociales de même nature.
Relisez bien ! En tout état de cause, je demande le retrait des amendements, à défaut de quoi l'avis est défavorable.
La lutte contre la vie chère est un enjeu majeur, surtout depuis la grave crise économique que nous avons vécue, le véritable décrochage qui s'est produit à partir 2004. Dans la période des essais nucléaires, la Polynésie a été « dopée » : c'était la « manne nucléaire ». En 1996 nous avons déjà connu un décrochage, qui avait été plus ou moins rattrapé grâce à la dotation de compensation et aux efforts de la Polynésie pour développer ses ressources propres, notamment en matière de tourisme. En 2004, nous avons cependant subi une grave instabilité politique qui a duré dix ans : treize gouvernements se sont succédé et nous avons perdu dix points de PIB. Le taux de chômage a doublé. Cette situation d'instabilité a été accentuée en 2008 par la crise des subprimes car les États-Unis étaient notre premier marché touristique. Quand la formation politique à laquelle j'appartiens est revenu au pouvoir dans les instances du pays, en 2013, il était en lambeaux. C'était une catastrophe économique, politique, sociale. Les niveaux de pauvreté avaient explosé.
Nous avons alors élaboré un plan de lutte contre la pauvreté et augmenté la pression fiscale de dix points en 2013 sur toutes les catégories sociales, les banques, les assurances, tout le monde, à hauteur de ce que chacun pouvait contribuer. Cette fiscalité a été fléchée dans un fonds pour l'emploi et la lutte contre la pauvreté. Nous ne nous réveillons pas aujourd'hui. C'est un travail de longue haleine ; on ne relève pas en quelques années un pays qui a été en crise pendant dix ans.
Les chiffres que vous avez sont ceux de 2015-2016 ; je vous remettrai ceux de 2018 et vous verrez qu'ils sont bien meilleurs. Nous avons réduit le taux d'endettement, retrouvé la croissance et nous revenons aux trajectoires de 2006. Certes, tout n'est pas encore réglé, même en termes de PIB par habitant, mais la situation est en nette amélioration.
L'État nous a accompagnés. C'est un partenaire majeur dans la reconstruction de la solidarité envers les plus faibles. Notre première action forte a d'ailleurs été de réinscrire un contrat de solidarité entre l'État et la Polynésie.
S'agissant de vos propositions, j'ai un problème de fond avec l'idée de « protectionnisme solidaire » et de lutte contre la vie chère, car c'est contradictoire. Pour votre information, nous avons une taxe pour le développement local qui grève les produits afin de protéger l'industrie locale. En même temps, cela dope forcément les prix. De nombreuses assises se sont tenues en Polynésie sur ces sujets. Nous avons fléché le produit ainsi perçu sur des outils de solidarité et élaboré un plan pour assainir les situations de monopole et d'abus de position dominante, avec la création d'une autorité de la concurrence.
Plutôt que de doper les prix à l'entrée et faire du rattrapage, comme dans vos propositions, pour augmenter les salaires des non-fonctionnaires, nous avons privilégié une stratégie de vérité des prix. Nous souhaitons des outils permettant de bloquer les marges : c'est ce que nous avons fait en revisitant la fiscalité douanière, pour permettre une baisse des prix. De l'autre côté, les aides sociales doivent aider les publics les plus démunis.
Les efforts produisent leurs effets puisque, si nous sommes encore loin d'être sortis de l'ornière, nous avons retrouvé des tendances positives en termes de développement, de taux de croissance, de climat des affaires et même d'emploi, choses que beaucoup de collectivités nous envient.
La Commission rejette successivement les amendements.
Article 2 (art. 7 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Application de plein droit en Polynésie française des dispositions législatives et réglementaires relatives aux agents publics de l'État
La Commission adopte l'article 2 sans modification.
Article 2 bis (art. 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Dématérialisation de la procédure de consultation de l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 2 bis sans modification.
Article 2 ter (art. 10 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Dématérialisation de la procédure de consultation du gouvernement de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 2 ter sans modification.
Article 3 (art. 7 et 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française
La Commission adopte l'article 3 sans modification.
Article 3 bis (art. 29 et 186-2 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Régime des sociétés d'économie mixte
La Commission adopte l'article 3 bis sans modification.
Article 4 (art. 30-1 et 111 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Création d'autorités administratives indépendantes et définition des règles déontologiques, budgétaires et comptables qui leur sont applicables
La Commission est saisie de l'amendement CL15 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Avis défavorable. La possibilité offerte par cet article à la Polynésie de créer des autorités administratives indépendantes dans d'autres secteurs est une avancée pour cette collectivité.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL16 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Par cet amendement, nous proposons, toujours dans le respect des compétences statutaires de la collectivité de Polynésie française, que les délibérés de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) soient publics. Nous proposons ainsi de supprimer le secret du délibéré de l'APC afin que les Polynésiens puissent avoir connaissance des raisons motivant les décisions de l'autorité, qui ont un impact direct sur leur vie de tous les jours, ce qui permettra de lutter plus efficacement contre les hausses de prix.
Avis défavorable. Une telle disposition ne relève pas de la compétence du législateur organique mais de la loi du pays.
La Commission rejette l'amendement.
Puis, suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette l'amendement CL17 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Enfin, elle adopte l'article 4 sans modification.
Article 5 (art. 30-2 [nouveau], 91, 111, 157-2, 157-3, 172-2 et 186-2 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Création de sociétés publiques locales
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement CL18 de Mme Danièle Obono.
Puis elle adopte l'article 5 sans modification.
Article 5 bis (art 30-3 [nouveau], 65, 167 et 171 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Publication des actes et documents administratifs de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 5 bis sans modification.
Article 5 ter (art. 30-4 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Aide juridictionnelle en matière foncière
La Commission adopte l'article 5 ter sans modification.
Article 5 quater (art. 34 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Participation de la Polynésie française à l'exercice de missions de police
La Commission adopte l'article 5 quater sans modification.
Article 6 (art. 42 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Élargissement de la possibilité pour la Polynésie française de participer à des organisations internationales
La Commission adopte l'article 6 sans modification.
Article 7 (art. 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Conditions de la délégation de compétences de la Polynésie française aux communes polynésiennes
La Commission est saisie de l'amendement CL23 de Mme Maina Sage.
Cet amendement a pour objet de préciser la compétence des communes en matière de transports communaux, qui ne doit pas exclure la mise en place des services de transports par le pays. Le service de transport, surtout sur l'île de Tahiti, est aujourd'hui difficilement détachable des lignes communales. Notre objectif est donc d'indiquer clairement que la compétence communale est exercée « sans préjudice des services de transports mis en place par la Polynésie française ».
C'est un sujet qui nous a beaucoup occupés. Dans l'état actuel des choses, il ne semble pas que la rédaction pose problème. Cela étant, je vous propose de retirer l'amendement pour que nous continuions à en discuter en vue de la séance, avec le Gouvernement, afin de bien éclaircir les choses.
L'amendement est retiré.
La Commission adopte l'article 7 sans modification.
Article 8 (art. 45 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Répartition des compétences en matière de production et de distribution d'électricité
La Commission adopte l'article 8 sans modification.
Article 9 (art. 47 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Exploration et exploitation des terres rares
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement de suppression CL2 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Elle adopte ensuite l'article 9 sans modification.
Article 9 bis (art. 52 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Modification des ressources et du fonctionnement du Fonds intercommunal de péréquation
La Commission adopte l'article 9 bis sans modification.
Article 9 ter (art. 53 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Possibilité pour les communes ou leurs groupements de confier à la Polynésie française le recouvrement des impôts et taxes locaux
La Commission adopte l'article 9 ter sans modification.
Article 10 (art. 55-1 [nouveau] de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Participation de la Polynésie à des syndicats mixtes ouverts
La Commission adopte l'article 10 sans modification.
Article 10 bis (art. 64 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Délégation de signature des titulaires du pouvoir d'ordonnateur de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 10 bis sans modification.
Article 11 (art. 64-1 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Conditions de remplacement du président de la Polynésie française en sa qualité d'ordonnateur lorsqu'il est déclaré comptable de fait
La Commission adopte l'article 11 sans modification.
Après l'article 11
La Commission est saisie de l'amendement CL22 de Mme Maina Sage.
Le travail de longue haleine qu'a mené le gouvernement polynésien, en concertation avec les institutions, a trouvé un aboutissement fort puisque le choix a été fait de concentrer la totalité des demandes d'évolution au Sénat. 98 % de ces demandes ont été entendues et reçues, parfois aménagées.
Il reste un point important pour les Polynésiens : passer le cap d'un plein retour de notre autonomie, notamment sur la question de l'organisation et du fonctionnement du gouvernement. Avant la période d'instabilité dont j'ai parlé précédemment, il y avait eu des excès. Le législateur organique, en 2011, a souhaité imposer un seuil, assez dur à vivre pour les Polynésiens car rognant notre autonomie, pour la masse salariale dédiée aux collaborateurs de cabinet du gouvernement local. Leur nombre est fixé par l'assemblée de Polynésie mais leur rémunération ne peut excéder une masse salariale mentionnée dans la loi organique. Ce n'aurait jamais dû être le cas : aucun autre texte organique ne fixe ce type de seuil. Il est de 3 % de la masse salariale de l'administration.
Or, dans le contexte que j'ai décrit de redressement des comptes publics et de retour de la croissance, avec un plan de départs volontaires et une réduction très forte de la masse salariale de l'administration, nous nous sommes trouvés face à un effet ciseaux. Le seuil de 3 % ne permet plus au gouvernement de fonctionner correctement.
Dans le strict respect de notre autonomie et pour que la Polynésie française soit traitée comme les autres – la Nouvelle-Calédonie n'a pas de seuil et le droit commun de l'article 74 de la Constitution ne connaît rien de tel… –, je vous propose de réviser ce taux. Nous avons à de multiples reprises tenté de franchir l'obstacle de l'article 40 de la Constitution. Nous n'avons pas proposé de supprimer le plafond, car c'est plutôt un principe vertueux de maîtrise des dépenses publiques, mais de confier la plénitude de la décision à l'assemblée de Polynésie. On ne nous l'a pas permis du fait d'une lecture très stricte de l'article 40. Si je peux le comprendre au plan juridique, je ne le comprends pas du tout au plan politique car ce taux avait été fixé par voie d'amendement. Ce qu'un amendement a fait, un autre amendement doit pouvoir le défaire, surtout quand ce n'est que justice et équité par rapport au reste des collectivités.
Mon amendement est donc un peu provocateur. Pour pouvoir vous en parler aujourd'hui, il a fallu que je propose une baisse de taux : je passe de 3 % à 2,9 %. J'espère que nous parviendrons à régler le problème d'ici à la séance.
Je peux partager la position de principe selon laquelle l'article 40 est toujours source de frustration pour les parlementaires ; cela entrera dans l'esprit consensuel de notre réunion. Par ailleurs, la décision est en effet datée et il est temps de tourner cette page. Je ne suis pas convaincu sur la forme mais un droit commun existe. Je pense qu'il faut continuer à en parler d'ici à la séance publique pour trouver une solution. Je vous demande le retrait en attendant.
Je précise que nous avons tenté de modifier le taux en gageant l'amendement sur le budget de la Polynésie – cette dépense émarge bien au budget de la collectivité. Mais même cela ne marche pas. Il faudrait peut-être réfléchir à une évolution de l'article 40 pour les collectivités de l'article 74 de la Constitution, qui sont pleinement autonomes au plan fiscal. Je rappelle enfin que la part de l'État dans le budget de fonctionnement de la Polynésie est de 11 %. Le reste est assuré par les recettes fiscales propres.
Je soutiens la demande de Mme Maina Sage. Espérons que le dialogue soit fructueux car il ne l'a pas toujours été. Il y a un certain non-sens à appliquer une limitation pour le cabinet du gouvernement de Polynésie alors que le territoire est autonome et mérite un encadrement normal, proportionnel et proportionné aux compétences exercées, surtout quand le gage porte sur les dépenses de la Polynésie. C'est donc une question de volonté politique à laquelle ne devrait pas s'opposer une infaisabilité juridique.
L'amendement est retiré.
Article 11 bis (art. 87 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Conditions de prise en charge des frais de mission et de transport du président de la Polynésie française et des autres membres du gouvernement
La Commission adopte l'article 11 bis sans modification.
Article 11 ter (art. 91 et 171 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Compétences du conseil des ministres
La Commission adopte l'article 11 ter sans modification.
Article 11 quater (art. 93 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Nominations en conseil des ministres
La Commission adopte l'article 11 quater sans modification.
Article 11 quinquies (art. 96 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Subdélégation de signature des responsables des services de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 11 quinquies sans modification.
Article 12 (art. 107 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Remplacement des membres de l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 12 sans modification.
Article 13 (art. 122 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Règles de majorité à l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 13 sans modification.
Article 13 bis (art. 126 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Conditions de prise en charge des frais de mission et de transport des représentants à l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 13 bis sans modification.
Article 13 ter (art. 129 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Pouvoir d'ordonnateur du président de l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 13 ter sans modification.
Article 13 quater (art. 137 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Statut des agents de l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 13 quater sans modification.
Article 14 (chapitre III du titre IV, art. 5, 49-1, 111, 147 à 152, 171, 172, 173-1 et 182 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Extension des compétences du conseil économique, social et culturel de Polynésie française à l'environnement
La Commission adopte l'article 14 sans modification.
Article 14 bis A (art. 157-2 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Compétence de l'assemblée de la Polynésie française sur les projets de décision avant la décision de la commission de contrôle budgétaire et financier
La Commission adopte l'article 14 bis A sans modification.
Article 14 bis (art. 157-4 et 168-1 [nouveaux] de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Dématérialisation des échanges entre les institutions de la Polynésie française, le haut-commissaire et la chambre territoriale des comptes
La Commission adopte l'article 14 bis sans modification.
Article 14 ter (art. 162 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Clarification de la protection fonctionnelle des responsables publics de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 14 ter sans modification.
Article 15 (art. 169 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Élargissement du champ du concours technique et financier de l'État
La Commission adopte l'article 15 sans modification.
Article 16 (art. 170 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Sécurisation juridique de la mise à disposition d'agents du ministère de l'éducation nationale
La Commission adopte l'article 16 sans modification.
Article 17 (art. 170-1 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Limitation du champ des conventions conclues avec l'État devant être préalablement approuvées par l'assemblée de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 17 sans modification.
Article 18 (art. 173-2 [nouveau] de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Entrée en vigueur et contrôle de légalité des actes des autorités administratives indépendantes polynésiennes
La Commission adopte l'article 18 sans modification.
Article 19 (art. 175 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Saisine pour avis du Conseil d'État sur la répartition des compétences entre les institutions polynésiennes et le domaine des lois du pays
La Commission adopte l'article 19 sans modification.
Article 20 (art. 176, 177 et 178 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Amélioration du régime contentieux des lois du pays
La Commission adopte l'article 20 sans modification.
Article 21 (art. 189 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française et L.O. 392-1 du code électoral) : Adaptation du rôle de l'Institut de la statistique de la Polynésie française aux nouvelles règles d'établissement des listes électorales
La Commission adopte l'article 21 sans modification.
Article 22 (art. 109, 111, 159, 171 et 173-1 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) : Coordinations
La Commission adopte l'article 22 sans modification.
Elle adopte ensuite l'ensemble du projet de loi organique sans modification.
La Commission en vient à l'examen des articles du projet de loi ordinaire.
Article 1er A (art. 1er A [nouveau] de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française et 168 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011) : Transformation de la dotation globale d'autonomie en prélèvement sur recettes de l'État
La Commission adopte l'article 1er A sans modification.
Article 1er (art. L. 5842-22, L. 5842-26 et L. 5842-28 du code général des collectivités territoriales et 134 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) : Compétence des communautés de communes et d'agglomération en Polynésie française
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement CL4 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Puis elle adopte successivement l'amendement rédactionnel CL11, l'amendement de précision CL12, l'amendement de coordination CL13, l'amendement rédactionnel CL14 et l'amendement de précision CL15, tous du rapporteur.
La Commission adopte l'article 1er modifié.
Article 2 (art. L. 5843-3 du code général des collectivités territoriales) : Règles d'organisation et de fonctionnement des syndicats mixtes ouverts auxquels participe la Polynésie française ou l'un de ses établissements
La Commission adopte l'amendement de précision CL16 du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 2 modifié.
Article 3 (art. L. 5843-2 du code général des collectivités territoriales et 64 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense) : Création de syndicats mixtes ouverts sans la Polynésie française ou l'un de ses établissements publics
La Commission adopte successivement l'amendement de coordination CL17 ainsi que les amendements rédactionnels CL18, CL19 et CL20, tous du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 3 modifié.
Article 4 (art. L. 1862-1 et L. 1862-3 [nouveau] du code général des collectivités territoriales et 23 de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française) : Participation des communes et de leurs groupements aux sociétés d'économie mixte créées par la Polynésie française
La Commission adopte les amendements de coordination identiques CL21 du rapporteur et CL1 de Mme Maina Sage.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CL22 du rapporteur.
La Commission est saisie de l'amendement CL2 de Mme Maina Sage.
Il s'agit d'un amendement découpé en plusieurs amendements : je les défends tous ensemble. Dans la loi ordinaire, au Sénat, un volet important a été introduit sur la possibilité d'organiser des sociétés d'économie mixte (SEM). Nous avons noté des nécessités d'adaptation complémentaires. C'est l'objet de ces amendements de précision et de coordination.
Je suis défavorable à cette précision. Vous souhaitez par cet amendement préserver la compétence du pays en matière de droit commercial en revenant dans la loi sur la fixation de l'objet des SEM créées par la Polynésie, auxquelles s'associent des communes, la forme de ces sociétés, les règles de détention du capital, ainsi que les voix détenues par les actionnaires dans les organes délibérants. Tel qu'il a été adopté par le Sénat, l'article 4 préserve complètement la compétence du pays en matière de droit commercial et les précisions que vous souhaitez supprimer constituent des éléments essentiels au statut des SEM qui ne ressortissent pas de la compétence du pays. En effet, votre amendement conduirait à supprimer de la loi la limitation de l'objet social à des activités d'intérêt général en lien avec des compétences des collectivités, la forme de société anonyme et la participation majoritaire des personnes publiques. Or il est du rôle de l'État d'encadrer les modalités de participation des collectivités dans les SEM et de celui de la Polynésie de légiférer sur l'organisation et le fonctionnement de ces SEM au titre de sa compétence en matière de droit des sociétés. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite les amendements identiques de coordination CL25 du rapporteur et CL3 de Mme Maina Sage.
Puis elle adopte successivement l'amendement rédactionnel CL24 et l'amendement de conséquence CL23 du rapporteur.
La Commission adopte l'article 4 modifié.
Article 5 (art. L. 2573-25 du code général des collectivités territoriales) : Extension des dispositions relatives aux crématoriums aux communes de la Polynésie française
La Commission adopte l'article 5 sans modification.
Article 6 (art. L. 407, L. 410 et L. 414 du code électoral) : Coordinations en matière électorale
La Commission adopte l'article 6 sans modification.
Article 7 : Clarification du statut des agents non fonctionnaires de l'administration
La Commission adopte l'article 7 sans modification.
Article 8 (art. 69-8-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique) : Financement de l'aide juridictionnelle en matière foncière
La Commission adopte l'article 8 sans modification.
Article 9 : Conditions de l'attribution préférentielle d'un bien au conjoint survivant ou à l'héritier copropriétaire qui y réside
La Commission adopte l'article 9 sans modification.
Article 10 : Retour à la famille du défunt des biens de famille, en l'absence de descendants de celui-ci
La Commission adopte l'amendement CL5 du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 10 modifié.
Article 11 : Attribution en nature ou en valeur de sa part à l'héritier omis, sans remise en cause du partage intervenu
La Commission adopte l'article 11 sans modification.
Article 12 : Dispositif dérogatoire temporaire de partage des bien indivis
La Commission adopte l'article 12 sans modification.
Article 13 : Expérimentation d'un dispositif dérogatoire de partage par souches
La Commission adopte l'amendement rédactionnel CL6 du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 13 modifié.
Article 14 : Intelligibilité et accessibilité du droit national applicable en Polynésie française
La Commission est saisie de l'amendement CL7 du rapporteur.
Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, l'article 14 est un rapport demandé au Gouvernement. Je pense que c'est une prérogative de nos assemblées ; c'est nous qui en déciderons. Je demande la suppression de cet article.
Nous avons maintenu nos amendements de précision, monsieur le rapporteur, dans l'espoir de vous convaincre de leur bien-fondé d'ici à la séance. Le droit polynésien n'étant pas toujours évident, il mérite des précisions.
Même si je comprends que vous vouliez éviter l'accumulation des rapports, je pense que vous avez tort. Cet article a été introduit au Sénat à la demande du Gouvernement. Nous faisons face à de véritables blocages. Un exemple très concret : sur cent dix-huit îles, dont soixante-seize sont habitées, savez-vous combien possèdent un réseau d'agences bancaires ? Une vingtaine ! Comment fait-on sur les autres îles ? Il y a une poste. Cette question se pose à l'échelle nationale, dans un contexte de disparition du service public en zone rurale.
Avec ce rapport, nous demandons que l'Office des postes et télécommunications (OPT), notamment, qui joue aujourd'hui un rôle social dans les îles éloignées où il n'y a pas de banques, puisse proposer de petits crédits à nos concitoyens, qui sont Français – ce n'est pas la lune ! Si nous allons jusqu'à demander un rapport dans une loi de ce type, c'est que c'est important. Peut-être, certes, faudrait-il l'écrire sous une autre forme. Mais ce que révèle cette requête, c'est l'existence d'une vraie inégalité en matière d'accès aux prêts bancaires, qui sont impossibles à mettre en oeuvre par le biais des services publics. Monsieur le rapporteur, je sais que vous êtes sensible à cette question. Nous discutons également avec votre gouvernement, et espérons trouver une solution.
Ce n'est jamais le fond du rapport qui est en cause. Qui plus est, le Gouvernement fait les rapports qu'il veut, sans qu'il soit besoin de l'inscrire dans la loi. J'ajoute que, dans votre enthousiasme, vous avez évoqué l'article 16 et non l'article 14 dont il est ici question.
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 14 est supprimé.
Article 15 : Concession d'exploitation d'un aérodrome en Polynésie française
La Commission adopte successivement les amendements de précision CL9 et CL10 du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 15 modifié.
Article 16 : Rapport sur le placement des fonds libres de la Polynésie française
La Commission examine l'amendement CL8 du rapporteur.
Cet amendement est semblable à l'amendement CL7 que j'ai déposé sur l'article 14. Il semblerait que Maina Sage l'ait déjà commenté… (Sourires.)
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 16 est supprimé.
Puis la Commission adopte l'ensemble du projet de loi modifié.
La réunion s'achève à 20 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Pierre Cordier, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Guillaume Larrivé, Mme Marie-France Lorho, M. Jean-Louis Masson, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier, M. Michel Zumkeller
Excusés. - Mme Huguette Bello, Mme Paula Forteza, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, Mme Maina Sage, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann
Assistaient également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, M. Meyer Habib, Mme Constance Le Grip, Mme Mathilde Panot, Mme Nicole Sanquer, M. Patrice Verchère