Je ne pense pas l'avoir été une seule fois depuis le début de cette audition. Je me suis au contraire montré très respectueux et j'ai répondu à la totalité des questions ; tout comme je l'ai fait, trois heures durant, au Sénat, la semaine dernière.
Monsieur Ciotti, j'ai eu à répondre à vos questions récurrentes, vous expliquant à chaque fois que non, la doctrine n'avait pas évolué d'un samedi sur l'autre, mais que nous en avions changé une seule fois. Rien n'y a fait. Vous reprenez systématiquement la même antienne dans les médias, dès que vous apercevez un micro. J'assume, pour ma part, mes décisions. Ainsi, nous étions en désaccord samedi : vous souhaitiez que la manifestation soit interdite dans toute la ville de Nice ; je vous ai indiqué que cela n'était ni juridiquement fiable ni politiquement intéressant car cela créerait des tensions.
Je reconnais nos désaccords, mais ne venez pas dire que nous avons changé systématiquement de doctrine. Je le répète donc : depuis la doctrine mise en place à la préfecture de police par le préfet Massoni, il y a eu un seul changement. Nous l'assumons. Depuis, il y a eu un renforcement de ce changement à la suite des décisions annoncées par le Premier ministre, dans un esprit de fermeté. Nous l'assumons. Vous savez très bien que s'il devait y avoir un incident – ce que personne ne souhaite –, ce serait notre responsabilité que l'on mettrait en cause. C'est pourquoi j'utilise le terme « assumer ».
Madame Dubré-Chirat, vous avez évoqué le maintien des forces de l'opération Sentinelle. Nous adaptons le dispositif de samedi en samedi, en fonction des disponibilités et des besoins. Les militaires de Sentinelle ont pu être plus fortement mobilisés en décembre. Cela pourrait évoluer, mais chacun est dans son rôle et agit en complémentarité. Après avoir défendu leur honneur tout à l'heure, je veux dire que notre fonctionnement, avec le ministère des armées, est fluide et ne pose aucun problème.
Bien sûr, nous ferons évoluer le dispositif et nous l'adapterons lorsque cela s'avérera nécessaire. Nous le faisons d'ailleurs chaque semaine, en répartissant les forces en fonction des renseignements dont nous disposons, de la concentration des groupes de Black Blocs, des remontées des hommes du terrain. Nous n'avons changé de doctrine qu'après avoir écouté l'ensemble des organisations syndicales. Et lorsque nous avons décidé de monter en puissance, nous les avons entendues de nouveau : tous les représentants, aussi bien des gardiens de la paix que des commissaires, ont été reçus au ministère de l'intérieur jeudi. D'autres bruits circulent, mais je peux vous dire que tous ont approuvé et soutenu l'évolution de la doctrine. Il n'y a pas eu une seule voix discordante – je voudrais que chacun ait cela à l'esprit.
Messieurs Paris, Rudigoz, Houlié, en réponse à vos questions sur le renseignement, je laisserai à Laurent Nunez le soin de vous donner les quelques éléments qu'il est possible de vous transmettre.
Monsieur Paris, nous avons passé commande d'un benchmark pour avoir une vision globale du maintien de l'ordre en Europe. Ne croyons pas que la France est le seul pays à faire face à des difficultés : au Royaume-Uni, la police montée intervient dans les manifestations, et c'est très violent ; quant à l'Allemagne, elle a vu les premières actions des Blacks Blocs – je pense aux manifestations de l'été 2017 contre le G20 à Hambourg. Il existe bien une coordination européenne, et son efficacité est impressionnante.
Monsieur Houlié, vous avez évoqué la réduction des effectifs. En effet, 10 000 postes ont été supprimés, dont 5 000 concernaient uniquement les forces de l'ordre ; des escadrons ont fermé et de nombreuses compagnies républicaines de sécurité sont passées de quatre à trois unités. Il manque un peu moins de 5 000 postes par rapport à 2008. Un plan de recrutement de policiers avait été lancé en 2015, sous la présidence de François Hollande, nous le poursuivons avec un objectif de 10 000 nouveaux policiers recrutés d'ici à 2022. Cependant, ni les gouvernements précédents ni le nôtre n'ont privilégié l'ordre public : la question se pose sérieusement aujourd'hui, notamment au vu des déséquilibres au sein des CRS composées de trois unités, qui posent une difficulté opérationnelle.
Vous avez évoqué la disparition des renseignements généraux. N'oublions pas, au passage, que la gendarmerie fait aussi, et fort bien, du renseignement. Comme le renseignement politique n'existe plus, le niveau d'information est un peu inférieur en la matière. Mais recréer un service n'est pas à l'ordre du jour – personne ici ne souhaite revenir sur le sujet – et nous devons nous adapter à cette exigence démocratique.
Une des conséquences de la suppression des effectifs, monsieur Houlié, est la surutilisation de nos forces d'ordre public. Alors qu'elles intervenaient en semaine dans certains quartiers de banlieues difficiles, lorsque l'on voulait par leur présence faire de la prévention, elles s'y rendent moins souvent depuis qu'elles sont mobilisées chaque samedi et que la fatigue s'installe. La récurrence des manifestations fait que cela devient un rituel, mais nos forces de l'ordre aimeraient sérieusement pouvoir faire autre chose !
Monsieur Rudigoz, vous avez demandé quelle était la part des individus appartenant à des groupuscules parmi les personnes interpellées. Nous constatons, au fur et à mesure des manifestations, une évolution. J'avais utilisé l'expression « bon enfant » pour qualifier la première manifestation, celle du 17 novembre, qui réunissait 250 000 personnes. Même si nous avons eu par la suite à déplorer deux morts accidentelles, liées à l'occupation irrégulière des ronds-points, les violences restaient circonscrites à quelques incidents, parfois liés, au bout de plusieurs jours d'occupation, à l'état de « fatigue » et à des tensions.
Nous avons vu arriver l'ultra-droite lors des événements du 24 novembre. Nous avons identifié des personnes que nous connaissions comme appartenant à cette mouvance. J'ai dit lors d'un point presse devant la préfecture que nous craignions la jonction des ultra-droite et des ultra-gauche. On me l'a reproché. Je me rappelle aussi avoir regretté qu'une responsable politique nationale, sur Tweeter, ait accusé le Gouvernement de ne pas accueillir les manifestants sur les Champs-Élysées. Les faits, depuis, ont montré combien les ministres de l'intérieur successifs avaient toujours eu raison d'interdire formellement les manifestations sur l'avenue. Pour répondre à votre question, les choses ont évolué petit à petit, mais la majorité des personnes interpellées ne relèvent d'aucune catégorie politique et le plus grand nombre n'est pas connu de nos services.
Nous notons aussi une évolution, en parallèle, des cibles visées. Le mouvement a changé, passant de l'occupation des ronds-points, des axes autoroutiers et routiers à des manifestations dans les grandes villes. Les cibles sont devenues les symboles de l'État, les bâtiments préfectoraux, les permanences parlementaires, les parlementaires eux-mêmes. De la même manière, les slogans sont désormais très éloignés des revendications initiales et portent sur des sujets qui ne sont plus le pouvoir d'achat ou les impôts, mais sont liés à l'organisation de la société, à l'image de cette banderole qui réclamait, samedi au Trocadéro, « le chômage pour tous ». Les temps changent : il fut une époque où l'on réclamait le travail pour tous !
Les revendications sont aujourd'hui différentes mais elles n'appartiennent pas à un même corpus. Les Blacks Blocs, qui dominent totalement aujourd'hui, appartiennent à l'ultra gauche et s'en prennent aux institutions, avec pour objectif de les attaquer systématiquement et de les faire tomber. Ils sont toujours animés par la volonté de « refaire le match » : la cible de leurs attaques il y a dix jours était de nouveau l'Arc de Triomphe, car ils considéraient avoir gagné une victoire le 1er décembre et voulaient recommencer. Ils ont attaqué les forces de l'ordre trois heures durant afin de « reconquérir » le monument, selon une organisation paramilitaire, particulièrement visible dans leur façon de multiplier les assauts.