Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 14 mars 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

C'est une affaire très importante pour l'Office parlementaire.

Au fond, vous dites que c'est possible, que rien ne s'y oppose, mais que ça va coûter cher, et qu'il faut faire attention aux enjeux industriels. C'est très important, puisque nous sommes un Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. La question qui nous est posée porte sur le choix technologique du véhicule électrique.

La commission du développement durable et la commission des affaires économiques peuvent s'interroger sur la neutralité carbone de la mobilité. Mais ce n'est pas la question qui nous a été posée. La question posée est la suivante : le développement du véhicule électrique peut-il permettre l'interdiction de la vente de véhicules thermiques en 2040 ? Votre réponse est positive, mais le coût sera élevé, pour toute une série de raisons. Je pense qu'il faudrait creuser un peu plus l'argument du coût, et les scénarios industriels, qui sont quand même assez vertigineux, par rapport à l'Europe, à la Chine, et aux États-Unis.

Il faut peut-être introduire un volet sur la vision mondiale. Longtemps, le véhicule automobile a été considéré comme un produit régional, au sens des grandes régions du monde. Aujourd'hui, c'est très clairement un produit mondial, mais, pour des raisons politiques, certaines régions du monde s'exonèrent. C'est le cas des États-Unis, et vraisemblablement, dans son sillage, de l'Amérique latine.

Le problème de l'Afrique est extrêmement délicat. Ce continent aspire au développement. Il en a besoin, compte tenu de sa démographie et du retard actuel. Le passage du thermique à l'électricité est-il possible ? Ce n'est pas la question qui nous est posée, mais on est obligé d'avoir un regard plus mondial. Comme vous le dites très justement, l'industrie automobile traditionnelle continuera à avoir des clients. Mais on ne sait pas très bien s'ils sont assez nombreux, solvables, et ouverts. Dans l'affirmative, il est évident qu'on est obligé de réfléchir à la coexistence d'une industrie automobile de type traditionnel, pour une partie du marché mondial, et d'une industrie automobile complètement décarbonée. Est-ce souhaitable et est-ce possible ? Ne va-t-on pas arriver à une dispersion de moyens et d'investissements, au risque de perdre des deux côtés ? Les États-Unis, pays du thermique, et la Chine, pays de l'électricité, en deviendraient les leaders mondiaux. En restant entre les deux, nous ne serions assis nulle part.

Je pose cette question, que je complète par celles du problème industriel et du problème social sous-jacent. Dans l'évaluation d'un choix national, il faudrait plus tenir compte de l'environnement international dans lequel il s'opère, car cet environnement international va peser. Dans le même esprit, un choix national qui serait découplé des intérêts des grands pays européens, qui sont nos partenaires à l'intérieur de l'ensemble dans lequel nous vivons, paraît un peu dangereux. Il faudrait peut-être analyser plus finement ce que font effectivement les Allemands en Chine. Adhèrent-ils à l'évolution du marché chinois ? Vont-ils devenir chinois en Chine ? Je ne suis pas sûr que les Chinois les acceptent vraiment. Mais si tel est le cas, les Allemands seront assis confortablement dans le véhicule électrique en étant présents sur le marché chinois, tout en ayant suffisamment de tradition dans le thermique pour rester leaders pour une fraction du marché résiduel.

Dans cette affaire, je ne vois pas quelle devrait être la ligne stratégique française, s'il y en a une spécifique. Ce n'est pas à nous de donner la réponse, mais on peut poser la question. Vous l'évoquez à un moment, au détour de la formule de « l'Airbus des batteries », expression qui me navre toujours un peu. Pour Airbus, nous avons heureusement bénéficié d'un concours de circonstances tout à fait favorable. Peut-on le transposer aux batteries ? Je crois qu'il faudrait aller plus loin que vous ne l'avez fait sur la problématique pour dire : oui, c'est tentant, tout le monde y pense, quelles sont les conditions et quelles sont les urgences ? Une ambition nationale française ne devrait-elle pas, après une analyse mondiale, évaluer dans quelles conditions on peut développer une stratégie portant sur les batteries, puisque celles-ci représentent la moitié de la valeur ?

Vous l'esquissez à travers l'idée d'une nouvelle génération de batteries, vous l'esquissez également, avec l'IFPEN et le CEA, à travers l'hydrogène. L'hydrogène apparaît comme l'élément nouveau dans le rapport. Nous sommes familiarisés avec ces questions, mais l'opinion française ne connaît pas l'hydrogène, elle n'en a pas une image très favorable. L'image de la bombe à hydrogène est très négative. En France, des dizaines de sites revendiquent une compétence territoriale pour l'hydrogène : par exemple, les pôles de compétitivité comprennent souvent une dimension hydrogène. En réalité, en dehors des trois grands acteurs que sont Michelin, Air Liquide et sans doute un peu Total, l'hydrogène n'émerge pas encore. Il faudrait resituer cette réflexion sur l'hydrogène dans l'espace européen, pour savoir si d'autres pays font ce choix, et si ce serait une réponse européenne pour exister entre les États-Unis et la Chine.

Dans l'évaluation d'un tel choix technologique, il faut tenir plus compte de l'environnement international que de nos seules contraintes budgétaires, sociologiques et industrielles françaises. Ces contraintes budgétaires et industrielles, qui ont des conséquences sociales, ne sont pas négligeables, pour une raison très simple : l'industrie automobile, vous le dites très bien dans votre rapport, représente 440 000 salariés en amont de la production et à peu près autant, dans des unités beaucoup plus petites, dans la prestation de services. Je ne vois pas quel gouvernement pourrait, de gaieté de coeur, considérer un problème impactant 800 000 personnes sans leur donner le moindre espoir de s'en sortir. Quand, en tant que ministre chargé de l'industrie, j'ai « fermé » les dernières mines de charbon, elles n'avaient plus que 10 000 salariés, c'était relativement facile. Pourtant, mon ministère a été vandalisé plusieurs fois. Le Conseil régional de Lorraine tout autant. Je pense qu'on ne peut pas dire à 800 000 personnes qu'on est en train de programmer leur disparition, sans certitude de pouvoir les sauver, et sans perspective de nouveaux métiers.

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