Mercredi 14 mars 2019
Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office
La séance est ouverte à 9 heures
– Examen du rapport sur les scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 par M. Stéphane Piednoir, sénateur, et Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteurs
Je me réjouis de l'ordre du jour de ce matin. Ce sujet est à la fois extraordinairement d'actualité, grand public, et d'une vraie complexité sur le plan technologique, industriel, économique, social, et de l'aménagement du territoire. Il rassemble, dans une actualité brûlante, quasiment toute la problématique de la vie collective de notre pays.
Indépendamment de la commande qui nous a été adressée par les présidents Roland Lescure et Barbara Pompili, au nom respectivement de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, l'actualité du sujet n'échappe à personne, tant il est vrai que l'occupation des carrefours giratoires, et, le samedi, de l'avenue des Champs-Élysées, est assez largement liée à l'inquiétude de certains de nos compatriotes sur leur capacité à disposer d'une mobilité individuelle accessible, notamment au plan financier.
Je voudrais d'abord remercier chaleureusement nos collègues, la députée Huguette Tiegna et le sénateur Stéphane Piednoir, pour leur mobilisation. Vous avez été désignés le 12 juillet, et vous nous rendez un rapport aujourd'hui sur un sujet majeur. C'est un défi que vous avez relevé avec brio. Dans ce défi, vous avez été soutenus par un groupement constitué du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), institut pour lequel j'ai une sympathie toute particulière, puisqu'il a été mon premier employeur. Au terme d'un appel à concurrence, et à l'initiative du premier vice-président Cédric Villani, ces deux organismes scientifiques ont été désignés en tant que soutiens techniques, ce qui correspond à une évidente nécessité, même si vous avez fait par vous-même un important travail d'auditions pour donner à chacun la possibilité d'exprimer son point de vue, et vous permettre de les confronter. En définitive, vous faites apparaître des lignes de force qui sont très clairement exprimées dans votre rapport, et dans ses conclusions.
La saisine par les deux commissions est moins simple qu'il n'y paraît de prime abord. La première phrase de leur lettre commune de saisine du 2 juillet 2018 est porteuse, non pas d'ambiguïté, mais d'interrogations sur la signification de la volonté de l'exécutif : « Le Plan Climat annoncé par Monsieur Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire... » – à l'époque, depuis il a fait le choix de ne plus l'être –, « ...ambitionne » – ce terme n'a pas une signification juridique très claire, ambitionner signifiant que l'on va dans une direction, mais pas nécessairement qu'on l'atteint – «… un arrêt des ventes de véhicules à essence et diesel à l'horizon 2040. » L'ambiguïté résulte aussi du fait que l'on ambitionne d'arrêter les ventes de ces véhicules, mais pas d'en interdire la production. Vous l'évoquez d'ailleurs dans votre rapport, en indiquant que le marché mondial restera demandeur de véhicules thermiques.
Cela illustre la complexité du sujet. Le Plan climat est annoncé, mais il n'est pas décidé, parce qu'en tout état de cause, il implique toute une série de mesures législatives. En tant qu'Office parlementaire, il faut examiner les décisions législatives qui ont été prises ou qui devraient l'être, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que l'annonce d'un Plan Climat.
Sur la possibilité de produire, certes on peut ne plus vendre de véhicules à essence et diesel sur le territoire national, mais, le monde étant un village, cela n'empêche pas de les vendre dans d'autres parties du monde. Arrêter de vendre, cela paraît relativement simple. Mais le Plan Climat comporte un objectif très clair, auquel on peut souscrire : la neutralité carbone en 2050. Dix ans auparavant, le Plan Climat « ambitionne » d'arrêter la vente en France de véhicules émettant des gaz à effet de serre. Cela pose un problème, auquel vous allez certainement répondre : d'un côté, on évoque l'arrêt de la vente de véhicules essence et diesel, et de l'autre la vente et la circulation de véhicules émettant des gaz à effet de serre. Qu'en est-il des véhicules qui revendiquent, à tort ou à raison, la neutralité carbone, du fait de la nature de leur carburant ? Nous avons, dans nos assemblées respectives, des partisans enthousiastes des biocarburants, qui vont dire que les conditions de l'arrêt des ventes des véhicules essence et diesel sont en contradiction avec l'objectif, beaucoup plus clair en termes d'environnement, d'un arrêt de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre, ce qui permettrait de vendre ceux dont la neutralité carbone est reconnue.
Ensuite, il découle du deuxième paragraphe de la lettre de saisine, que la commande concerne les véhicules électriques, puisqu'il indique : « relever le défi climatique : les véhicules électriques font partie de la solution ». Vous avez traité ce sujet, en divisant les véhicules électriques en deux grandes catégories : véhicules à batterie et véhicules à pile à combustible (PAC), utilisant l'hydrogène. Vous introduisez également une catégorie intermédiaire, le véhicule hybride, qui existe aujourd'hui, et dont vous pensez qu'il représente certainement un élément du cheminement vers l'objectif évoqué.
Le défi du véhicule électrique, question qui nous est posée en tant qu'Office parlementaire, tient aussi à ce qu'il représente une opportunité industrielle pour notre pays. Vous l'évoquez bien, plutôt comme une contrainte. La dimension positive apparaît moins nette, mais l'importance des enjeux en présence semble mériter un examen approfondi.
Quel est l'objectif : le véhicule électrique, la neutralité carbone, ou le fait d'être compatible avec les contraintes et les enjeux ? Votre rapport le montre bien. Vous y dévoilez un paysage beaucoup plus complexe qu'il n'y paraissait a priori. Le seul risque que vous prenez avec ce rapport, c'est d'être sollicités pour le poursuivre sur les aspects que vous n'avez pas eu le temps de traiter ! Nous avions ainsi, le 29 novembre 2018, évoqué le sujet plus spécifique du déploiement des infrastructures de recharge de véhicules électriques. On peut également se poser la même question sur les infrastructures de recharge de véhicules disposant d'une pile à combustible. Et il y a matière à approfondir encore le sujet, notamment s'agissant du phasage dans le temps des conséquences industrielles, donc aussi sociales, de cette évolution.
J'ajouterais un point qui n'était pas dans la commande que vous aviez reçue : la question de la neutralité carbone sur l'ensemble de la chaîne. Vous évoquez à juste titre le coût d'usage global pour le propriétaire du véhicule, l'acronyme anglais étant TCO (Total Cost of Ownership). La neutralité carbone n'est pas une affaire facile, dès lors que l'on prend en compte la totalité des événements qui entrent dans le bilan carbone global : la construction du véhicule, son entretien, l'infrastructure mise en place, et le traitement du véhicule en fin de vie, avec les batteries ou les piles à combustible.
En premier lieu, je dirais que l'Office a pleinement joué son rôle, avec une saisine formelle émanant de deux commissions permanentes. Le fait de rendre un travail aux commissions permanentes est une première dans cette législature. L'Office joue ainsi pleinement son rôle pour accompagner la réflexion des commissions parlementaires en général.
Je me réjouis que nous ayons confié ce travail à un binôme de rapporteurs illustrant une parité à trois titres : Assemblée et Sénat, majorité et opposition, femme et homme.
Sur le fond, en parcourant le rapport, je me suis tout d'abord dit : enfin un argumentaire développé, et une étude qui permet de se projeter dans la durée, avec des documents, au travers de scénarios. Ces dernières années, les annonces de l'arrêt de la vente des véhicules carbonés, ou thermiques, à un certain horizon – dans certains cas en 2030, dans d'autres en 2040 –, ont fleuri, sans que l'on identifie bien ce qui justifiait le choix de la date. Avant de faire un tel choix, il est raisonnable de se lancer dans une véritable étude approfondie. Nous avons ici un document qui, pour la première fois, permet de discuter sur une base solide, ce qui est d'autant plus pertinent que nous nous inscrivons, avec cette étude, dans le calendrier législatif de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités.
Ajoutons que la présentation de ce rapport est prévue devant les deux commissions compétentes de l'Assemblée nationale mercredi prochain. C'est seulement à l'issue de cette présentation que le rapport sera communiqué aux médias, et donc à l'opinion publique et à l'ensemble de la société.
Il me semble que ces différents aspects font que nous discutons ce matin d'un travail assez exemplaire pour l'Office.
Avec Stéphane Piednoir, nous sommes arrivés au terme de six mois d'un travail acharné, dont nous avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui le résultat.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, ainsi que la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, ont demandé à l'Office, le 2 juillet dernier, « une étude approfondie et prospective qui permettrait d'élaborer des scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif fixé pour l'échéance de 2040 ». L'Office nous a confié cette étude le 12 juillet 2018.
Pour répondre à cette saisine dans un délai compatible avec le calendrier d'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, nous avons mené deux démarches en parallèle.
D'une part, compte tenu de l'expertise nécessaire, nous avons souhaité, après quelques auditions préliminaires, faire appel à un appui extérieur pour nous aider dans l'élaboration des scénarios demandés. Ainsi que cela a été dit, après appel à concurrence, cette mission a été confiée à un groupement constitué du CEA et de l'IFPEN. Cela a permis de mobiliser les compétences scientifiques de ces deux grands établissements de recherche, et de bénéficier de leur maîtrise en matière de scénarios.
D'autre part, nous avons suivi une démarche d'investigation, s'inscrivant dans les pratiques plus classiques de l'Office, en procédant à une large consultation des parties prenantes : chercheurs, associations, acteurs institutionnels, industriels et représentants des différentes filières impliquées, au travers d'auditions individuelles, d'une audition publique consacrée à la question des infrastructures de recharge des véhicules électriques, et de deux déplacements, l'un au Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du CEA de Grenoble, l'autre en Norvège. Nous avons, au total, pu rencontrer près de 150 interlocuteurs impliqués dans ce sujet.
Nous avons concentré nos investigations sur les aspects technologiques propres aux véhicules particuliers, mais en y ajoutant quelques auditions consacrées aux utilitaires et véhicules lourds, en fin de parcours. Le temps disponible ne nous a pas permis d'explorer d'autres formes de mobilité, telles que les mobilités douces, les questions d'intermodalité, ou encore des aspects plus sociologiques de cette problématique.
Nous avons croisé les données et les conclusions des travaux du CEA et de l'IFPEN avec les informations que nous avions nous-mêmes recueillies. Cela nous a permis de bien analyser les scénarios proposés, et nous a conduits à nous approprier la majorité de leurs conclusions et recommandations. Cette démarche nous a également permis d'approfondir un certain nombre de sujets, afin d'identifier des recommandations aussi opérationnelles et précises que possible, susceptibles d'être débattues dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, ou d'autres textes.
Mon corapporteur, Stéphane Piednoir, va maintenant vous présenter les principaux facteurs à l'origine de la transformation en cours de l'industrie automobile mondiale.
Nous nous appuierons sur un court diaporama. Comme cela a été dit, depuis quelques années, on observe une conjonction de changements techniques, réglementaires, et sociétaux, qui ont contribué à accélérer la mutation du secteur des transports, singulièrement celui des véhicules particuliers, vers des solutions plus respectueuses de l'environnement.
Les cinq principaux facteurs de cette mutation sont : la lutte contre le changement climatique, l'amélioration de la qualité de l'air, la diminution de la pollution sonore, la réduction de la dépendance énergétique et la nécessité de s'inscrire dans un marché automobile mondial en pleine mutation.
Pour ne pas être trop long, je vais développer un peu plus ce dernier point. Plusieurs évolutions récentes conduisent à anticiper une transformation rapide du marché au profit des véhicules à faible émission de dioxyde de carbone.
Tout d'abord, les ventes mondiales de véhicules électriques ont connu une croissance soutenue ces dernières années en passant de 47 000 unités en 2011 à plus de 2 millions en 2018. On peut parler de croissance exponentielle !
Ce développement vaut aussi pour la France, malgré une croissance plus modeste, de l'ordre de 25 %, des ventes de véhicules électriques entre 2017 et 2018, et néanmoins une nette accélération en fin d'année dernière, confirmée début 2019 + 60 % pour les deux premiers mois de 2019, par rapport aux mêmes mois de 2018.
En ce qui concerne l'évolution de la part de chaque pays dans les ventes, on observe une proportion très forte en Chine, qui s'est vraiment engagée dans une conversion électrique pour les raisons évoquées dans le rapport, notamment l'impasse qui a été faite sur la production de véhicules à moteur thermique dans ce pays.
Non seulement la part de la Chine est très forte, mais elle semble augmenter. La croissance de la Chine est supérieure à la croissance mondiale.
C'est très net en 2014 et 2015 ; après, il faudrait le mesurer plus précisément.
Il est vrai que pour 2017 et 2018, ce n'est pas si clair. Mais sur les cinq dernières années, c'est manifeste.
Dans le même temps, les annonces d'investissement des constructeurs automobiles dans le domaine des véhicules électriques sont impressionnantes. Début 2018, elles étaient évaluées à 80 milliards d'euros. À présent, elles sont supérieures à 265 milliards d'euros, dont la moitié en Chine.
Les constructeurs français annoncent entre 9 et 10 milliards d'euros d'investissement, ce qui peut paraître faible au regard des montants que je viens de citer, mais reste quand même considérable.
Cet afflux d'investissements en Chine s'explique notamment par la position dominante du marché chinois, qui représente à lui seul plus de la moitié des ventes de voitures électriques en 2018, et par la levée progressive des obstacles aux investissements étrangers dans ce domaine.
Les autorités chinoises considèrent qu'une ou plusieurs entreprises locales pourraient devenir des champions mondiaux de l'automobile, comme le sont déjà les fabricants de batteries chinois. Il existe donc un véritable enjeu pour l'industrie automobile française et européenne. En ce sens, je rejoins les propos introductifs du président Longuet.
Au vu du graphique, l'industrie européenne, c'est surtout l'industrie allemande. Une petite ligne, presque un cheveu, part de la France pour aller vers la Chine, où elle vient rejoindre la grosse rivière des investissements allemands et chinois en Chine.
S'agit-il des investissements annoncés par les constructeurs ou aussi par les équipementiers ? Je pose la question parce que les équipementiers français, essentiellement Faurecia, Valeo, et Plastic Omnium, ont des positions boursières liées à leurs positions commerciales à l'étranger, qui sont assez favorables. Mais j'ai l'impression qu'il s'agit plutôt des investissements des constructeurs.
Il s'agit d'une nuance importante. Les constructeurs français apparaissent aujourd'hui plutôt comme des assembleurs, alors que les constructeurs allemands conservent beaucoup de pièces fabriquées en interne.
Il faut retenir que sur les 39 milliards d'investissements américains, 34 milliards restent aux États-Unis, et que seul le reste va en Chine.
Il s'agit en effet uniquement des constructeurs. Dans ce graphique, à gauche, vous avez l'origine des investissements, et à droite, leur destination. Pour l'Allemagne, les 139 milliards d'euros se répartissent à part égale entre la Chine et l'Allemagne.
Je vais à présent vous présenter une synthèse des scénarios technologiques du CEA et de l'IFPEN. Nous tenons d'abord à saluer la qualité du travail réalisé par leurs équipes dans un délai très court, qui témoigne de l'attachement de ces deux organismes à leur mission de conseil vis-à-vis de la représentation nationale.
Ces scénarios sont basés sur un modèle mathématique qui permet de déduire, à partir des paramètres fournis en entrée, une combinaison optimale de technologies pour répondre à la demande à un coût minimal.
Les objets modélisés dans les différents scénarios technologiques incluent : le système énergétique (mix électrique, carburants liquides, vecteur hydrogène), les composants technologiques (batteries, piles à combustible et réservoirs pour l'hydrogène), et cinq grands types de véhicules, véhicules à combustion interne (ICE), véhicules hybrides non rechargeables (HEV), véhicules hybrides rechargeables (PHEV), véhicules électriques à batterie (BEV), et véhicules électriques à piles à combustible (FCEV).
Ces véhicules sont déclinés par segments, ou catégories : citadine ou segment A, moyenne gamme ou segment B, et haut de gamme ou segment C. Seuls les véhicules à usage privé sont pris en compte dans l'étude, qu'il s'agisse de véhicules particuliers ou d'entreprise, c'est-à-dire achetés par des sociétés, les véhicules de fonction, ou appartenant à des loueurs de longue durée. Les véhicules commerciaux ne sont pas modélisés.
Les trois scénarios envisagés sont intitulés : Médian, Pro-batterie et Pro-hydrogène. Ils se distinguent principalement par les hypothèses formulées en matière de rythme d'évolution des technologies pour les véhicules électriques à batterie, et les véhicules à hydrogène. Les principales hypothèses, convergentes ou divergentes, sont présentées sur cette diapositive. Nous avons pris en compte les conditions de production d'électricité, c'est-à-dire le scénario Ampère de RTE, qui prévoit qu'en 2035, la production d'électricité serait à 46 % nucléaire, à 50 % renouvelable, et à 4 % fossile.
Comme le montrent les graphiques, l'évolution du parc des véhicules thermiques est similaire dans les trois scénarios à terme, avec une disparition totale des véhicules thermiques non hybrides, et un volant résiduel de véhicules hybrides non rechargeables à peu près équivalent.
Le président Gérard Longuet a justement évoqué la complexité de la saisine concernant l'arrêt de la vente et la neutralité carbone. Ces différents scénarios nous montrent qu'en fonction des choix initiaux et des évolutions technologiques qui vont intervenir dans le futur, on arrivera à diminuer drastiquement le pourcentage de CO2 émis, à condition d'investir massivement dans des solutions de plus en plus propres.
Dans ces trois scénarios, ce sont surtout les résultats en 2040 qui sont intéressants, une fois pris en compte les investissements et les conditions technologiques.
Le scénario Pro-batterie, qui correspond à des progrès technologiques plus rapides pour les batteries, conduit à des résultats similaires au scénario de référence (Médian). Les ventes de véhicules électrifiés sont simplement anticipées de quelques années.
Le scénario Pro-hydrogène montre que cette technologie pourrait jouer un rôle important, si deux conditions sont réunies : des progrès techniques beaucoup plus rapides que prévu, permettant une baisse accélérée des prix, et un fort soutien public ; dans le scénario, l'aide à l'achat a été maintenue à 10 000 € jusqu'en 2040.
L'hydrogène ne se développe donc que s'il existe un réel volontarisme ?
Effectivement, dans les scénarios Médian et Pro-batterie l'hydrogène est marginal. En revanche, si l'on axe les investissements sur l'hydrogène, celui-ci prend une part importante en 2040.
Dans le scénario Pro-batterie, la proportion finale de véhicules électriques est atteinte dès 2035. On atteint donc les objectifs plus vite. Dans le scénario Pro-hydrogène, l'hydrogène se développe au détriment de l'électrique.
Il s'agit du résidu des véhicules à combustion interne.
Pour les trois scénarios, les émissions de CO2 baissent fortement, après une hausse en début de période. Dans les scénarios Médian et Pro-batterie, les émissions de CO2 sont divisées par cinq entre aujourd'hui et 2040.
Pour atteindre les objectifs de décarbonation des transports, notamment la neutralité carbone en 2050, le CEA et l'IFPEN indiquent qu'il resterait nécessaire de substituer des biocarburants liquides aux carburants fossiles pour les véhicules hybrides.
Les émissions de CO2 correspondent-elles à l'analyse du cycle de vie ou au fonctionnement du véhicule ?
Dans la mesure où nous sommes partis du scénario Ampère, les sources d'énergie sont bien prises en compte, avec une part prépondérante d'énergies nucléaire et renouvelables qui réduisent nettement les émissions de CO2 sur le cycle de vie. Mais il faut aussi tenir compte des interconnexions entre réseaux électriques au niveau européen.
Dans le rapport, la légende du graphique sur l'évolution du parc mériterait d'être explicitée.
Avez-vous examiné le cycle de vie de la batterie ?
Oui, nous avons mené plusieurs auditions sur ce thème.
Les coûts associés à la transition recherchée sont très élevés, de l'ordre de plusieurs centaines de milliards d'euros, cumulés sur une période de vingt ans.
L'impact le plus important est celui de la disparition progressive de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). En 2019, elle devrait atteindre 37,7 milliards d'euros, dont 45,1 % alimente le budget général de l'État, 32,6 % celui des collectivités territoriales, 20,1 % vont à un compte d'affectation spéciale « transition énergétique », notamment pour soutenir les énergies renouvelables électriques et le biométhane, et 3,2 % reviennent à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).
Les coûts liés à la mise en place de l'infrastructure nécessaire, bornes de recharge et stations hydrogène sont évalués, pour le scénario Médian, entre 30 et 100 milliards d'euros ; pour le scénario Pro-batterie, entre 33 et 108 milliards d'euros, et pour le scénario Pro-hydrogène, entre 42 et 104 milliards d'euros.
La disparition complète de la TICPE semble peu vraisemblable. Autrefois, elle s'appelait taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Pour autant, à l'apparition des biocarburants, à aucun moment le ministère des finances n'a imaginé que ces produits, qui ne sont pas issus du pétrole, en soient exonérés. La disparition progressive de la TICPE doit être évoquée, mais il y aura toujours eu un impôt sur les déplacements.
J'ajouterais que, lors du débat sur les biocarburants, l'absence d'application de la TIPP a été immédiatement présentée comme une dépense fiscale, puisque le budget renonçait à une recette.
La fourchette d'évaluation du coût de mise en place des infrastructures pour le scénario Médian est importante : entre 30 et 100 milliard d'euros. Est-ce lié à des options technologiques différentes ou à des zones d'ombre ? Que pourrait-on faire pour réduire cette fourchette, et parvenir à une évaluation plus fine ?
Il existe des incertitudes sur le coût des infrastructures, car on ne maîtrise pas l'évolution des coûts à vingt ans. On imagine qu'en massifiant le déploiement des bornes de recharge et des stations hydrogène, les coûts vont baisser, sans savoir dans quelles proportions. On donne aussi une fourchette du nombre de bornes. Dans cet intervalle, on obtient une fourchette d'investissement qui passe du simple au triple. Néanmoins, cela nous donne un bon ordre de grandeur.
Lors de l'audition du 29 novembre 2018, il est apparu que le mode d'emploi des systèmes de recharge n'est pas le même, suivant la durée d'utilisation, les implications étant très différentes pour une immobilisation de quatre heures ou d'une demi-heure.
Ces montants peuvent aussi varier en fonction du développement des bornes de recharge au domicile. Si chacun dispose d'une borne de recharge dans son logement individuel, cela va influer sur les bornes de recharge publiques, sachant qu'il restera toujours les grandes voies de circulation à équiper, comme les autoroutes, pour lesquelles il y a vraiment beaucoup d'incertitudes d'ici 2040.
Les ordres de grandeur dans les scénarios proposés, à l'échelle de l'Europe, par The Shift Project ou la Banque européenne d'investissement, sont de l'ordre de mille milliards d'euros. Ces mille milliards pour le budget européen consacré à la transition climatique représentent peut-être cent à deux cents milliards pour la France, pour la transition globale. Quelle est la part dans ces scénarios de la transition pour la mobilité ?
La mobilité représente un peu moins d'un tiers des émissions de gaz à effet de serre, avec l'industrie, la production représentant un très gros tiers, et le bâtiment, un autre tiers.
Dans le coût de la transition, vous avez également retenu les subventions versées par la collectivité aux acheteurs de véhicules.
Les montants évoqués sont-ils mis sur la table pour la première fois, ou circulent-ils déjà ?
Ils circulent déjà et sont aussi cohérents avec les scénarios européens. La fourchette évoquée à l'instant ne concerne que les infrastructures, pour lesquelles il existe beaucoup d'incertitudes. Dans des pays qui ont beaucoup développé la mobilité électrique, on s'aperçoit que, finalement, la recharge publique n'est pas si importante. J'ai le souvenir de ce qu'avait dit le préfet honoraire Vuibert lors de l'audition publique du 29 novembre 2018 : au début de l'automobile, les automobilistes avaient un bidon d'essence dans leur garage. Évidemment, ce n'est pas directement transposable à l'électricité, une prise étant disponible dans la plupart des maisons. Mais dans les pays qui ont beaucoup développé la mobilité électrique, on constate un ralentissement de l'implantation des infrastructures publiques. Il n'existe pas de besoin fort, si ce n'est pour les longues distances pour lesquelles il faut des recharges publiques rapides, par exemple lors des transports pour les congés d'été, le long des autoroutes.
L'échelle européenne représente un autre facteur qui va influer sur la mise en place de l'infrastructure de recharge. Pour partir en vacances dans les pays voisins, il convient d'assurer la compatibilité des infrastructures entre les différents pays.
Concernant la TICPE, on suppose que s'il n'y a plus de véhicules essence et diesel, la taxe va diminuer drastiquement. Peut-être faut-il réfléchir à un dispositif de substitution en effet. Il faudra financer la transition énergétique.
Pourquoi avez-vous évoqué la baisse des émissions de CO2 pour les scénarios Médian et Pro-batterie, mais pas pour le scénario Pro-hydrogène ?
À cette date, nous n'avons pas de données pour le troisième scénario, les émissions de CO2 étant plus difficiles à évaluer. Mais nous avons demandé des précisions au CEA et à l'IFPEN.
Le déploiement de l'hydrogène est aujourd'hui une véritable inconnue, avec beaucoup d'incertitudes.
Pour répondre à la question de l'hydrogène, je me réfère aux auditions en commission des affaires économiques : il faut répondre aussi à la question du fret. En réalité, les constructeurs pensent d'abord à l'hydrogène pour le fret, avant de penser aux particuliers. Pour des voitures particulières, on ne peut pas, à ce stade, disposer d'une visibilité suffisante sur l'hydrogène.
Le groupe PSA a annoncé un véhicule particulier à hydrogène.
Je suis complètement de cet avis, l'hydrogène démarrera avec les véhicules utilitaires, les trains TER (transport express régional), les poids lourds, et aussi les véhicules de livraison pour le dernier kilomètre.
Effectivement, des études portent aussi sur le train à hydrogène. Alstom a des projets avec la SNCF et différentes régions. Lors de leur audition, les représentants d'Alstom ont évoqué la possibilité de créer des stations à hydrogène avec la SNCF, ce qui pourrait permettre, d'ici quelques années, de trouver des solutions pour réaliser des stations à hydrogène pour les particuliers, car les coûts actuels sont extrêmement élevés.
Nous vous proposons de reprendre notre présentation avec les enseignements et nos recommandations. À la suite de leur étude de scénarios, le CEA et l'IFPEN mettent en évidence sept enseignements principaux issus des scénarios technologiques, et une quinzaine de recommandations. Celles-ci rejoignent nos propres constats, et nous les partageons pour l'essentiel, à quelques exceptions près, notamment les recommandations sur les biocarburants liquides de deuxième et troisième génération. La piste du biogaz nous semble, en effet, plus prometteuse dans le contexte actuel, d'autant que pour faire des carburants liquides, il faut bien également de la matière première végétale.
En parallèle de la réalisation des scénarios commandés au CEA et à l'IFPEN, nous avons procédé à de nombreuses auditions, dont l'audition publique du 29 novembre 2018 consacrée aux infrastructures de recharge des véhicules électriques, ainsi qu'à deux déplacements, à Grenoble et en Norvège.
Cette démarche nous a permis d'approfondir certaines des conditions nécessaires au développement des véhicules décarbonés, d'identifier des recommandations pratiques qui concernent directement le projet de loi d'orientation des mobilités, dont l'examen commence mardi en séance au Sénat. Nous pourrons donc nous en emparer rapidement et explorer quelques exemples de recommandations.
La première condition porte sur le rétablissement de la confiance. Plusieurs de nos interlocuteurs ont évoqué le désarroi qui règne, aussi bien chez les particuliers que chez les professionnels, depuis l'affaire Volkswagen, dite du dieselgate.
Pour rassurer sur les intentions des pouvoirs publics, nous pensons qu'il faut réaffirmer une nouvelle fois le principe de neutralité technologique, qui est le garant de la liberté des industriels de trouver les meilleures solutions, et de celle de leurs clients d'adopter les solutions qui répondent le mieux à leurs besoins.
Ainsi, il serait dommageable de condamner par avance le moteur thermique, qui va continuer à jouer un rôle, au côté des véhicules électriques à batterie, par exemple dans les véhicules hybrides rechargeables. Alimenté en biogaz, il peut d'ailleurs être plus vertueux qu'aujourd'hui. La neutralité technologique permet aussi une transition plus progressive, limitant les impacts sur le tissu industriel et les emplois.
Un deuxième exemple de recommandation porte sur la dépendance vis-à-vis des batteries asiatiques. Les batteries lithium-ion représentent aujourd'hui de 35 % à 50 % de la valeur d'un véhicule électrique, ce qui est considérable. Ce marché est très dominé par les pays asiatiques : Japon, Corée du Sud et Chine. La Chine détient à elle seule 60 % du marché mondial. Tous ces constructeurs ont déjà annoncé leur intention de produire des batteries en Europe, si ce n'est déjà fait.
Cette domination des entreprises asiatiques met les constructeurs automobiles européens dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de pays souvent eux-mêmes exportateurs d'automobiles, ou qui aspirent à le devenir.
Consciente des risques, la Commission européenne, l'Allemagne et la France travaillent à constituer un ou plusieurs consortiums industriels européens pour reconquérir la maîtrise de cette filière des batteries. On évoque ainsi un « Airbus des batteries ».
La Chine est un marché national assez fermé d'1,4 milliard d'habitants, confronté à des problèmes majeurs de pollution liés au charbon, avec une société extrêmement urbanisée. Cette économie centralisée dominée par un pouvoir volontariste, peut, en effet, consolider un marché national sur la base duquel les industriels de la batterie chinois pourront créer de telles économies d'échelle que le marché extérieur deviendra pour eux une sorte de déversoir, avec la possibilité de « tuer » toute concurrence émergente. On voit d'ailleurs bien que les asiatiques investissent en Europe en phase finale, pas sur le coeur du métier, mais ces investissements seront suffisants pour prendre des parts de marché. Existerait-il un avantage technologique stratégique permettant de marquer une différence suffisante sur les batteries pour éviter que l'Europe devienne un déversoir des capacités excédentaires de l'industrie chinoise ?
Pour parvenir à cette mutation, il s'agirait de profiter d'un « saut technologique » encore devant nous : le remplacement de l'électrolyte liquide des batteries lithium-ion par un électrolyte solide. Évidemment, les investisseurs asiatiques ne resteront pas inertes, mais je pense qu'il y a une carte à jouer sur le marché européen. Plusieurs de nos interlocuteurs ont dit que nous avions perdu la bataille sur les batteries de première génération, mais qu'il est encore possible de négocier le virage d'une nouvelle technologie de batterie.
Nous proposons, dans le cadre de ce rapport, pour protéger le marché européen d'une concurrence trop intense, une solution qui consisterait à définir des critères de qualité environnementale pour ces batteries, par exemple sur leur empreinte CO2, le recyclage, et l'approvisionnement responsable en matières premières. Mettre des conditions vertueuses sur la production des batteries, serait sans doute un coin mis dans la volonté asiatique de créer un déversoir sur le marché européen, comme le président Gérard Longuet vient de le dire.
Il n'existe pas de terres rares dans la batterie elle-même, le cobalt n'étant pas classé dans cette catégorie, mais c'est bien un métal critique.
Une autre piste de développement industriel résiderait dans le recyclage des batteries lithium-ion. C'est une perspective à moyen terme, car leur montée en puissance sera progressive, et décalée d'une dizaine d'années par rapport à celle des ventes des véhicules. Dix années correspondent à la durée de vie d'une batterie. Mais il faut s'y préparer dès maintenant, d'autant que les batteries recyclées pourraient devenir une source d'approvisionnement en lithium et en cobalt.
Comme pour les batteries neuves, nous pensons qu'il faut définir dès maintenant des critères exigeants, par exemple en termes de performance du recyclage, pour protéger cette industrie naissante. La réglementation européenne, qui date de plus de dix ans, prévoit un seuil par défaut, les batteries lithium-ion n'ayant pas été prises en compte à l'époque, fixé à 50 % de taux de recyclage, alors que les entreprises françaises savent déjà recycler ces batteries à plus de 70 %, voire 75 %.
C'est une vraie question qui figure dans nos préconisations : doit-on relever ce seuil, puisque nos entreprises sont capables de faire mieux ? Faut-il l'imposer pour faire obstacle à des industriels dont le taux de recyclage n'est que de 50 % ? De la même façon, il faudrait préparer un statut spécifique des entreprises de recyclage, avec une réglementation adéquate, ce statut n'existant pas aujourd'hui. C'est une question réglementaire qui dépasse celle des batteries.
Pour que les véhicules électriques se développent, il faut évidemment aussi assurer, sur tout le territoire, un accès aisé à un point de charge, au domicile, sur le lieu de travail, ou dans l'espace public. En France, fin 2018, le nombre total de points de charge s'élevait à près de 240 000, dont environ 26 000 accessibles au public, plus de 85 000 chez les particuliers, et plus de 125 000 en entreprise, avec une progression de près de 40 % en une seule année.
En théorie, 65 % des logements pourraient être équipés d'un point de recharge. C'est assez simple dans les logements individuels, il suffit de passer un câble électrique dans le garage, mais beaucoup plus compliqué dans les bâtiments résidentiels collectifs. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, a créé un « droit à la prise ». Mais en pratique, les délais de mise en oeuvre sont très longs dans les copropriétés et le processus est compliqué pour un propriétaire ou un locataire qui veut installer à ses frais un point de charge individuelle.
Nous pensons néanmoins qu'il est possible d'améliorer l'exercice de ce droit à la prise, en demandant à toutes les copropriétés de décider des modalités de raccordement avant que la question ne soit concrètement posée par un habitant, de façon à avoir déjà une réponse. Ainsi, lorsque la question sera posée, la réponse pourra être beaucoup plus rapide. Nous préconisons un délai maximum de deux mois, au lieu de six mois aujourd'hui, pour favoriser ces conditions.
Les décisions dans les copropriétés sont conflictuelles. Ce ne sera pas facile.
Une autre solution évoquée consiste à prévoir des bornes de recharge payantes, ce qui peut éviter d'en installer sur les emplacements individuels.
Cela poserait d'autres problèmes pratiques, de libération de la place partagée.
Nous avons aussi une proposition pour faciliter la recharge sur le lieu de travail. L'un des freins très concrets apparu lors de l'audition publique du 29 novembre 2018 concerne l'obligation de payer des charges sociales et des impôts, lorsqu'un salarié recharge électriquement son véhicule dans son entreprise. Aujourd'hui, cela est considéré comme un avantage en nature, donc soumis aux cotisations et contributions sociales et pour le salarié à l'impôt sur le revenu. Cela oblige aussi l'employeur à mettre en place un système spécifique de comptage et de facturation, ce qui est très lourd.
Nous proposons de lever cet obstacle : je vais déposer un amendement en ce sens au Sénat la semaine prochaine pour exclure toutes charges sociales et fiscalisation, à condition que la recharge soit fournie à titre gracieux pour l'employé. Cela permettrait aux 35 % de personnes, au minimum, qui ne peuvent pas avoir de point de charge à domicile d'être rassurées sur la possibilité de recharger leur véhicule électrique dans leur entreprise.
Ensuite, il y a la question des bornes de recharge dans l'espace public, pour les personnes dépourvues de place de parking, pour leurs déplacements, ou habitant dans des copropriétés où cela se passe mal. Là aussi, nous avons identifié un obstacle majeur : l'absence de rentabilité, à ce stade, pour les acteurs privés. Le projet de loi d'orientation des mobilités comporte déjà des dispositions destinées à améliorer cette situation. Nous en proposons plusieurs autres, en commençant par une meilleure information des acteurs publics et privés sur les possibilités de raccordement et sur le trafic routier, de manière à poser des bornes là où une rentabilité peut être possible.
Enfin, il y a la question de l'impact de ces points de charge sur le réseau électrique. Après avoir entendu les acteurs du domaine, nous considérons qu'il n'y a pas de risque réel en termes de consommation d'électricité tout au long de l'année. Par contre, le problème existe bel et bien en termes d'appel de puissance, à des moments précis, avec un risque réel d'aggraver les pointes de consommation, en particulier l'hiver.
Sur ce plan, il n'y a pas d'autre solution efficace, à l'heure actuelle, que le pilotage de la recharge. Aussi, pensons-nous qu'il faut étendre l'obligation du pilotage aux points de recharge dans l'habitat collectif, en renforçant les aides.
Ces problèmes d'infrastructure se posent aussi, sous une autre forme, pour le gaz naturel véhicule et l'hydrogène. Ces réseaux se développent déjà pour des utilisateurs professionnels. Il faut donc avant tout inciter les professionnels à utiliser ces nouvelles énergies, moins carbonées et moins polluantes. Aussi pensons-nous qu'il faut poursuivre voire étendre les dispositions relatives au suramortissement des véhicules à hydrogène achetés par les entreprises, tout en veillant à ce que le prix de ce gaz « à la pompe » soit attractif.
Je suggère de communiquer ces recommandations non seulement aux groupes parlementaires, mais aussi à l'intergroupe écologie.
Enfin, concernant les aides à l'achat, le surcoût des véhicules électriques reste un problème majeur pour le développement de ce marché. En Norvège, nous avons pu vérifier que c'est avant tout un prix attractif pour les particuliers qui explique les ventes de véhicules électriques, bien avant les autres avantages, indépendamment du fait que la Norvège n'a pas de constructeur national. Le Danemark en a aussi donné un exemple inverse, lorsqu'il a baissé ses aides à l'achat en 2015, les ventes de véhicules électriques se sont immédiatement effondrées.
En France, un dispositif équivalent à celui de la Norvège est impossible, car celui-ci est basé sur l'exonération de taxes très lourdes qui ne s'appliquent pas ici. Mais nous pensons qu'il faut maintenir les aides existantes, notamment le bonus écologique, tant que les prix n'auront pas baissé.
C'est difficile à dire. Dans les scénarios, l'aide sur les véhicules électriques de 6 000 euros maximum est maintenue jusqu'à 2040.
Sur la parité du prix sans aide publique, les dernières annonces des constructeurs sont encourageantes. Ainsi, la VW ID.3, véhicule électrique à batterie, équivalent en gamme de la GOLF, est annoncée en dessous de 30 000 euros, sans aide.
Qu'est-ce qui explique, à part les économies d'échelle, le surcoût des véhicules électriques, alors même que leur fabrication est plus simple ?
C'est la batterie. Tout dépend de l'évolution du prix de la batterie, qui constitue de 35 % à 50 % de la valeur du véhicule électrique. Pour un véhicule de type Zoé cela représente de l'ordre de 10 000 euros.
La question économique stratégique évoquée par le président Gérard Longuet est clef. S'il n'y a pas de règle particulière, qu'est-ce qui empêchera la Chine de profiter de son immense marché intérieur pour maintenir son industrie à un haut niveau et d'inonder l'Europe de batteries à prix cassé ?
À cet égard, en Chine, les véhicules électriques doivent être dotés de batteries chinoises pour bénéficier des aides. C'est ce qu'on appelle un gouvernement avisé.
Il serait intéressant d'examiner de plus près les investissements allemands en Chine.
Qu'est-ce qui se passerait si l'obligation était faite aux constructeurs européens de s'équiper de batteries européennes ?
Il n'existe pas de préférence communautaire au sein de l'Union européenne.
La plupart des pays européens n'ont pas d'industrie et ne protègent que celles bénéficiant d'un avantage stratégique, ce qui est assez rare, si ce n'est dans quelques pays, notamment en Allemagne et en France. Les petits pays sont consommateurs, ils veulent donc acheter à bon marché, non défendre l'industrie ou l'agriculture de leurs voisins. En caricaturant, les Pays-Bas se sont constitués en instaurant un péage sur le Rhin. Les bateaux arrivent et déchargent. Si les Allemands veulent recevoir les containers, ils doivent payer.
Une autre façon de convaincre les Français consiste à leur montrer que l'achat d'un véhicule électrique peut être intéressant sur le long terme, à la fois en termes financiers et de protection de l'environnement. C'est ce que permettent les calculs de coût total de possession d'un véhicule, et l'analyse de ses émissions tout au long de son cycle de vie, et non plus seulement en utilisation, comme actuellement.
Aussi, préconisons-nous la création, sur le modèle de l'étiquette énergie pour les logements, d'un label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession et ses émissions tout au long de sa vie, sur la base d'une utilisation moyenne, à l'instar de ce qui existe pour l'électroménager.
Ce sont quelques exemples de mesures concrètes, qui pourraient faciliter le déploiement des véhicules à basse émission. Nous en proposons d'autres, dont certaines assez techniques.
Au terme de notre étude, et sur la base des travaux réalisés par le CEA et l'IFPEN, nous pensons que le double objectif d'une très forte réduction des émissions de CO2 et d'une disparition des motorisations purement thermiques est réalisable pour les véhicules particuliers d'ici 2040.
Mais cette transformation sera certainement coûteuse, notamment du fait de la perte des recettes provenant de la TICPE, et aussi des infrastructures à mettre en place. La bonne nouvelle, c'est que pour les particuliers, elle pourrait au contraire s'avérer, à terme, favorable pour leur budget déplacement.
Il s'agira aussi d'une transformation majeure pour toute la filière automobile, industries et services compris. Aussi faut-il agir avec prudence, en préparant ces transformations à l'avance, avec toutes les mesures d'accompagnement qui ont été évoquées, et en laissant à chacun des acteurs la possibilité de jouer entièrement son rôle.
Nous vous remercions de votre écoute. Nous sommes à votre disposition pour vos remarques et questions.
C'est une affaire très importante pour l'Office parlementaire.
Au fond, vous dites que c'est possible, que rien ne s'y oppose, mais que ça va coûter cher, et qu'il faut faire attention aux enjeux industriels. C'est très important, puisque nous sommes un Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. La question qui nous est posée porte sur le choix technologique du véhicule électrique.
La commission du développement durable et la commission des affaires économiques peuvent s'interroger sur la neutralité carbone de la mobilité. Mais ce n'est pas la question qui nous a été posée. La question posée est la suivante : le développement du véhicule électrique peut-il permettre l'interdiction de la vente de véhicules thermiques en 2040 ? Votre réponse est positive, mais le coût sera élevé, pour toute une série de raisons. Je pense qu'il faudrait creuser un peu plus l'argument du coût, et les scénarios industriels, qui sont quand même assez vertigineux, par rapport à l'Europe, à la Chine, et aux États-Unis.
Il faut peut-être introduire un volet sur la vision mondiale. Longtemps, le véhicule automobile a été considéré comme un produit régional, au sens des grandes régions du monde. Aujourd'hui, c'est très clairement un produit mondial, mais, pour des raisons politiques, certaines régions du monde s'exonèrent. C'est le cas des États-Unis, et vraisemblablement, dans son sillage, de l'Amérique latine.
Le problème de l'Afrique est extrêmement délicat. Ce continent aspire au développement. Il en a besoin, compte tenu de sa démographie et du retard actuel. Le passage du thermique à l'électricité est-il possible ? Ce n'est pas la question qui nous est posée, mais on est obligé d'avoir un regard plus mondial. Comme vous le dites très justement, l'industrie automobile traditionnelle continuera à avoir des clients. Mais on ne sait pas très bien s'ils sont assez nombreux, solvables, et ouverts. Dans l'affirmative, il est évident qu'on est obligé de réfléchir à la coexistence d'une industrie automobile de type traditionnel, pour une partie du marché mondial, et d'une industrie automobile complètement décarbonée. Est-ce souhaitable et est-ce possible ? Ne va-t-on pas arriver à une dispersion de moyens et d'investissements, au risque de perdre des deux côtés ? Les États-Unis, pays du thermique, et la Chine, pays de l'électricité, en deviendraient les leaders mondiaux. En restant entre les deux, nous ne serions assis nulle part.
Je pose cette question, que je complète par celles du problème industriel et du problème social sous-jacent. Dans l'évaluation d'un choix national, il faudrait plus tenir compte de l'environnement international dans lequel il s'opère, car cet environnement international va peser. Dans le même esprit, un choix national qui serait découplé des intérêts des grands pays européens, qui sont nos partenaires à l'intérieur de l'ensemble dans lequel nous vivons, paraît un peu dangereux. Il faudrait peut-être analyser plus finement ce que font effectivement les Allemands en Chine. Adhèrent-ils à l'évolution du marché chinois ? Vont-ils devenir chinois en Chine ? Je ne suis pas sûr que les Chinois les acceptent vraiment. Mais si tel est le cas, les Allemands seront assis confortablement dans le véhicule électrique en étant présents sur le marché chinois, tout en ayant suffisamment de tradition dans le thermique pour rester leaders pour une fraction du marché résiduel.
Dans cette affaire, je ne vois pas quelle devrait être la ligne stratégique française, s'il y en a une spécifique. Ce n'est pas à nous de donner la réponse, mais on peut poser la question. Vous l'évoquez à un moment, au détour de la formule de « l'Airbus des batteries », expression qui me navre toujours un peu. Pour Airbus, nous avons heureusement bénéficié d'un concours de circonstances tout à fait favorable. Peut-on le transposer aux batteries ? Je crois qu'il faudrait aller plus loin que vous ne l'avez fait sur la problématique pour dire : oui, c'est tentant, tout le monde y pense, quelles sont les conditions et quelles sont les urgences ? Une ambition nationale française ne devrait-elle pas, après une analyse mondiale, évaluer dans quelles conditions on peut développer une stratégie portant sur les batteries, puisque celles-ci représentent la moitié de la valeur ?
Vous l'esquissez à travers l'idée d'une nouvelle génération de batteries, vous l'esquissez également, avec l'IFPEN et le CEA, à travers l'hydrogène. L'hydrogène apparaît comme l'élément nouveau dans le rapport. Nous sommes familiarisés avec ces questions, mais l'opinion française ne connaît pas l'hydrogène, elle n'en a pas une image très favorable. L'image de la bombe à hydrogène est très négative. En France, des dizaines de sites revendiquent une compétence territoriale pour l'hydrogène : par exemple, les pôles de compétitivité comprennent souvent une dimension hydrogène. En réalité, en dehors des trois grands acteurs que sont Michelin, Air Liquide et sans doute un peu Total, l'hydrogène n'émerge pas encore. Il faudrait resituer cette réflexion sur l'hydrogène dans l'espace européen, pour savoir si d'autres pays font ce choix, et si ce serait une réponse européenne pour exister entre les États-Unis et la Chine.
Dans l'évaluation d'un tel choix technologique, il faut tenir plus compte de l'environnement international que de nos seules contraintes budgétaires, sociologiques et industrielles françaises. Ces contraintes budgétaires et industrielles, qui ont des conséquences sociales, ne sont pas négligeables, pour une raison très simple : l'industrie automobile, vous le dites très bien dans votre rapport, représente 440 000 salariés en amont de la production et à peu près autant, dans des unités beaucoup plus petites, dans la prestation de services. Je ne vois pas quel gouvernement pourrait, de gaieté de coeur, considérer un problème impactant 800 000 personnes sans leur donner le moindre espoir de s'en sortir. Quand, en tant que ministre chargé de l'industrie, j'ai « fermé » les dernières mines de charbon, elles n'avaient plus que 10 000 salariés, c'était relativement facile. Pourtant, mon ministère a été vandalisé plusieurs fois. Le Conseil régional de Lorraine tout autant. Je pense qu'on ne peut pas dire à 800 000 personnes qu'on est en train de programmer leur disparition, sans certitude de pouvoir les sauver, et sans perspective de nouveaux métiers.
En tout cas, je pense qu'on ne peut pas ne pas montrer l'importance de ce choix, et les questions sans réponse à cet instant.
Je suis très sensible à ce que vient de dire Gérard Longuet, en particulier sur la question de l'environnement international. Côté américain, on n'a aucun signe fort de transition.
Il y a certes Tesla, qui, à bien des égards, apparaît comme une aventure extraordinaire, que les Américains regardent d'ailleurs avec un mélange d'enthousiasme et de suspicion, le personnage d'Elon Musk contribuant à rendre les choses très conflictuelles. Mais enfin, ils l'ont fait. Ils ont surtout montré que l'entrée dans l'automobile par le haut de gamme est une meilleure porte que par le bas de gamme. C'est d'ailleurs comme cela que la France a échoué en Chine. J'ai inauguré la première usine Citroën à Wuhan, dans la province du Hubei, en 1993. La voiture construite était celle décidée pour les Chinois par les ingénieurs et les énarques du plan, en oubliant que les acheteurs seraient les premiers Chinois ayant réussi, et qu'ils désireraient de belles voitures pour montrer leur succès.
Le deuxième élément central qui est revenu plusieurs fois est bien sûr la question des batteries. On a évoqué la difficulté de construire un modèle économique face à l'Asie. Pour ce qui concerne les batteries, que conclure sur la question des ressources, de la durabilité, de la faisabilité, sur le long terme, à grande échelle, et aussi sur la question de la place de l'Europe ?
Concernant les batteries, il y a deux façons d'aborder le problème. Le rapport insiste sur l'angle « Airbus » des batteries, c'est-à-dire une production européenne de ces dernières. Renault avait tenté une autre piste, celle de la location de la batterie, l'utilisateur de la voiture n'en étant alors pas propriétaire. Une alternative pourrait consister à aborder le problème sous l'angle des marchands et des banquiers, en créant une « banque européenne de la batterie ». Dans un premier temps, cela permettrait de concentrer et de massifier la demande européenne en un point, pour être en situation de négocier avec les Chinois un peu mieux que si chacun le fait de son côté. Cela permettrait aussi de régler la question de la seconde vie des batteries. En réalité, on fixe un terme à la location et on sait qu'on récupère une batterie qui a encore du potentiel pour éventuellement servir de charge stationnaire, de relais dans les habitations.
L'idée d'un parc européen de batteries est en tout cas une piste intéressante. Vous évoquez dans votre rapport une autre idée, celle du changement rapide de batteries standardisées.
Ma question suivante est dans la continuité : si l'on considère l'objectif de la décarbonation comme un objectif majeur pour l'évolution de la mobilité, si l'on pose les problèmes avec l'électricité, si l'on considère la fluidification du trafic dans les métropoles comme un autre objectif important, la voiture électrique ne sera pas la solution. Il faut globalement aller vers la mobilité partagée, ce qui veut dire un changement des usages, un changement de modèle économique et des réponses aux questions : à qui appartient la batterie ? Et la voiture ? Cela peut aussi se traduire par un passage du B2C (business to customer) au B2B (business to business), ou par le développement de modèles tels que le covoiturage. A-t-on des pistes sérieuses sur la façon dont cela impacte les hypothèses économiques des scénarios ?
Il faut aussi évoquer cette question pour les véhicules militaires, et toutes les filières stratégiques pour notre sécurité. À l'heure où l'on se lance dans un programme ambitieux de renouvellement de nos véhicules militaires, le choix stratégique de supprimer le diesel à terme interpelle beaucoup le service des essences des armées (SEA). Nos véhicules au Sahel roulent tous au diesel, acheminé par le SEA. C'est le seul moyen pour eux de fonctionner. Il s'agit d'un service reconnu dans le monde entier. Ce service unique alimente à la fois nos bateaux, nos avions et nos véhicules militaires. Je m'interroge sur la possibilité d'introduire cette réflexion dans le rapport. Elle n'est pas sans conséquences sur notre sécurité. Est-ce que nous devrons utiliser des véhicules Toyota au Sahel, au Niger, et en Mauritanie ? Ces véhicules sont très lourds, avec des consommations importantes de carburant.
Je rappelle que la guerre est encore bien plus dangereuse à court terme que le réchauffement climatique : elle est faite pour tuer des adversaires. Je pense que les considérations liées à l'environnement ralentiront peu les états-majors qui chercheront toujours les meilleurs équipements. On restera donc sur le diesel, cela me paraît une évidence. Aussi suis-je d'accord pour demander de rappeler dans notre rapport qu'un certain nombre d'usages du thermique, pour des raisons diverses et variées, demeureront, et exigent de garder une compétence et une capacité d'évolution.
J'ai une question technique simple et rapide. Au départ, la lettre de mission parlait aussi de neutralité carbone. Dans votre rapport, ne faudrait-il pas un indicateur synthétique, qui pourrait évaluer l'efficience-carbone des différents scénarios ? Cet indicateur pourrait considérer le gain en émissions de CO2, divisé par le montant en euros qu'il faut investir dans la filière, et ainsi permettre de comparer l'efficience relative. Par ailleurs, ce ratio pourrait être rapporté à un prix du carbone.
C'est d'autant plus vrai que vous indiquez dans votre rapport qu'il faut maintenir la trajectoire carbone, avec au final une hypothèse de prix au litre de 2,50 euros, ce qui est de nature à relancer les contestations sociales actuelles.
Les scénarios présentent la diminution des émissions de CO2 dans le temps, mais ce serait effectivement aussi faisable de cette façon, et peut-être plus lisible.
En réponse à la question sur le périmètre de la mission, les véhicules militaires, les avions et les bateaux ne font pas partie de la saisine, mais nous avons commencé à y réfléchir, notamment sur l'utilisation du carburant pour les poids lourds. Nous allons essayer d'ajouter une partie concernant les poids lourds. Ce sujet mériterait cependant d'être approfondi par la suite.
Vous avez raison de poser la question des véhicules diesel résiduels à horizon 2040, nous avons d'ailleurs aussi interrogé les Norvégiens à ce sujet lors de la mission. En Norvège, la politique est axée sur les véhicules électriques, même si les Norvégiens savent aussi produire de l'hydrogène. Nous avons demandé si le parlement norvégien utilisait des véhicules électriques. Nos interlocuteurs ont répondu que ce n'était pas le cas, pour des raisons de sécurité, si ce n'est à titre individuel. C'est encore plus compliqué pour les ministres et le roi. Il faudra le gérer dans un second temps. Au mieux, ils utiliseront des véhicules hybrides rechargeables !
Concernant l'idée d'une banque européenne des batteries, il faut prendre en compte la difficulté de leur recyclage. Les fabricants de véhicules savent recycler les carcasses des batteries. Pour être performants dans le domaine du recyclage des batteries, il faudrait que les entreprises qui produisent des batteries, ou qui les utilisent dans leur offre de véhicules, puissent se coordonner étroitement avec les acteurs du recyclage. Une banque européenne des batteries devrait aussi prendre en compte cette question, ainsi que celle de la seconde vie des batteries, pour un usage sur les réseaux électriques, en lien avec les énergies renouvelables. C'est probablement au vu de tous ces aspects qu'il faut juger de la pertinence d'une banque européenne de la batterie.
Concernant « l'Airbus de la batterie » et les différents intérêts à l'échelle européenne, le graphique des investissements montre bien la position de la France en regard de celle de l'Allemagne, qui investit beaucoup plus en Chine. L'idée de l'Airbus de la batterie aujourd'hui nous semble pertinente, parce qu'il semblerait qu'avec les batteries lithium-ion à électrolyte liquide, le transport pose problème. « L'Airbus de la batterie » vise une production de proximité. On peut imaginer implanter des usines de production dans différents pays européens, au plus près des constructeurs. Mais pour cela, il faut une organisation entre les constructeurs au niveau européen, sachant que tous les pays n'ont pas de constructeurs automobiles.
Pour le coup, cela recoupe l'idée d'une infrastructure européenne. Savez-vous au-delà de quelle distance le transport de l'électrolyte liquide pose problème ?
Ce sujet a été évoqué lors de notre visite au CEA Grenoble, mais sans qu'il nous ait été précisé de distance. Les composants liquides supportant mal la pression en avion, ils sont transportables uniquement par la mer ou la route. Ces problèmes seraient résolus avec un électrolyte solide.
Ensuite, il faut mesurer la pertinence de l'Airbus de la batterie par rapport aux ambitions de l'Allemagne, sur lesquelles il faut rester vigilant. La plus grande entreprise chinoise projette déjà de fabriquer des batteries en Allemagne. Au regard de l'investissement en Chine, il faudrait creuser, pour savoir quelles sont leurs intentions et leurs ambitions dans cet Airbus de la batterie. Le volet international est effectivement très important.
Vous avez évoqué la complexité de la gestion prévisionnelle des emplois dans l'automobile, et aussi de la transformation des entreprises pour la production de véhicules électriques ou hybrides, à terme. C'est ce qui nous a conduits à retenir comme première mesure le respect de la neutralité technologique.
Vous avez également posé la question de la transition du pétrole vers d'autres énergies. En Norvège, les pétroliers ont beaucoup investi dans la décarbonation des moyens de transport, ce qui a facilité le fort développement du véhicule électrique dans ce pays. En France, nous avons des constructeurs automobiles, des équipementiers, donc un secteur industriel à gérer. Ce n'est pas le cas de la Norvège, qui ne produit pas, mais importe. En France, si l'État doit investir dans le domaine de la batterie sans mettre tout de suite de règles pour supprimer les véhicules thermiques, on risque de bloquer l'industrie.
À propos de la suprématie des États-Unis sur le moteur thermique, un interlocuteur industriel nous a clairement dit que si la France interdit tout de suite les moteurs thermiques, ceux-ci seront fabriqués dans d'autres pays, où le marché existe.
Dans nos recommandations nous préconisons la neutralité technologique pour laisser les constructeurs choisir les solutions les plus propres. Cela implique aussi qu'ils s'engagent à continuer dans la démarche de décarbonation. Sinon, ils conserveraient leurs solutions actuelles.
Dans le cas d'Airbus, il existe une spécificité de l'aéronautique. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l'Allemagne était, en quelque sorte, interdite d'industrie aéronautique. Elle n'a pu la reconstruire, pour le civil, qu'en acceptant de s'inscrire dans une structure européenne, au sein de laquelle la France avait une position de leader, et, pour le militaire, en construisant des appareils américains sous licence. Dans tous les autres secteurs, l'Allemagne est au contraire en position dominante, ce qui est particulièrement vrai dans l'automobile. Les raisons politiques qui ont permis d'obliger les Allemands à entrer dans cette coopération européenne n'existent pas dans tous les secteurs. C'est la raison pour laquelle je suis dubitatif quand on parle d'« Airbus des batteries ». Ce serait formidable, à condition que l'entente politique soit possible.
Ce terme est impropre, comme cela a bien été dit lors des auditions. Mais tout le monde comprend bien de quoi il s'agit. Il vise une alliance européenne pour une industrie de nouvelle génération de batteries.
Vous avez aussi évoqué la question de l'hydrogène. Même si nous ne l'avons peut-être pas écrit de cette façon, nous pensons que les deux domaines où l'Europe peut avoir un certain leadership sont la batterie de deuxième génération et l'hydrogène.
En Norvège, lorsque nous avons visité un centre de production d'hydrogène, il nous a été indiqué que l'État ne s'y intéressait pas. Nous pensons que l'hydrogène fait partie des sujets à creuser en France, même si, comme le montrent les scénarios Médian et Pro-batterie, l'hydrogène ne se développe pas sans un effort particulier. Au niveau international, rien n'indique une ambition particulière en faveur de l'hydrogène. Ce pourrait être un second axe pour la France.
Rappelons aussi que la Norvège a une production d'électricité inépuisable, complètement verte, et peut donc se passer des autres sources d'énergie. Ces différentes questions vont être prises en compte et seront traitées dans le rapport définitif qui sera livré la semaine prochaine. Nous creuserons notamment les questions des investissements à l'étranger et du contexte international, pour donner suite aux remarques du président.
Il me semblerait pertinent que les deux commissions compétentes de l'Assemblée nationale se posent la question de la neutralité carbone en dehors de l'électricité, c'est-à-dire des biocarburants. D'ailleurs, il faudra également mobiliser les commissions du Sénat compétentes,
L'idée des biocarburants, tels que le bio-gazole ou le bio-essence, peut sembler étrange, dans la mesure où notre culture nous pousse à considérer que la terre est faite pour nourrir les hommes, non pour alimenter les machines. Mais certains espaces gagneraient à être organisés pour une culture industrielle. Certes, pour le coton, il y a eu des exagérations, notamment dans l'ancienne Union soviétique. Mais que la terre serve à des produits industriels n'est pas philosophiquement inacceptable, dès lors que tous peuvent être nourris. Cela pose aussi le problème de la performance génétique des plantes. Mais il s'agit d'un autre débat. On ne peut pas tous les ouvrir ce matin.
La question de la place de l'hydrogène est un sujet important, qu'il sera intéressant de suivre, tout comme celui des biocarburants. Dans les deux cas, il faut se poser la question de la souveraineté économique à l'échelle européenne. Je ne crois pas avoir entendu d'éléments de réponse sur la question de la mobilité partagée et de son influence. Mais peut-être est-ce un sujet d'une trop grande complexité ?
C'est d'une grande complexité du fait qu'il s'agit d'analyser des changements de comportement, qu'il n'est pas facile de faire évoluer. Le véhicule partagé implique beaucoup de changements au quotidien, et cela dépasse le cadre de notre étude.
Vous devez présenter ce rapport mercredi matin prochain devant les deux commissions de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire dans moins de six jours. Nous vous faisons confiance pour tenir compte de nos observations dans votre texte, sachant que les points de vue personnels ne seront pas les points de vue de l'Office. En complément, ceux d'entre nous qui souhaiteraient présenter une note personnelle pourraient la faire figurer en annexe au rapport.
Dans ces conditions, je propose que nous autorisions dès aujourd'hui la publication du rapport.
Une fois que la nouvelle version sera prête, le secrétariat de l'Office la transmettra aux membres, les éventuelles remarques étant les bienvenues. Je voulais répondre à la question de Cédric Villani sur les mobilités partagées. Nous avons tenu une audition publique avec différents acteurs, notamment quelques entreprises et associations du Lot et du Maine-et-Loire. Dans les territoires, l'organisation de la mobilité est faite aujourd'hui sur la base de véhicules individuels, propres ou non. Dans le futur, pour augmenter la pénétration des véhicules électriques dans la vie des citoyens, il faut aussi organiser le covoiturage, en faisant par exemple en sorte que les maires puissent aménager des voies spécifiques avantageuses pour ces véhicules, et aussi que les entreprises mettent à disposition des salariés les véhicules électriques de leur parc pour le covoiturage. Le but n'est pas de mettre une seule personne dans chaque véhicule. Le CEA et l'IFPEN l'évoquent aussi dans leur rapport, mais c'est un sujet en débat. Cela fait partie des évolutions qui contribueront à ce que, dans le futur, les émissions de CO2 diminuent.
Cela participera à la fois à la fluidification des transports et à la diminution des émissions carbone. La mise en place constitue effectivement une affaire complexe, avec des modèles économiques à expérimenter, à construire, des aires de covoiturage, des sociétés de covoiturage, etc.
L'Office autorise la publication du rapport sur les scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040.
La séance est levée à 11 h 15
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 14 mars 2019 à 9 heures
Députés
Présents. - M. Philippe Bolo, M. Claude de Ganay, M. Antoine Herth, Mme Huguette Tiegna, M. Cédric Villani
Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Émilie Cariou, M. Jean-Luc Fugit, M. Pierre Henriet
Sénateurs
Présents. - M. Gérard Longuet, M. Stéphane Piednoir
Excusés. - M. Roland Courteau, Mme Laure Darcos, M. Jean-Marie Janssens, Mme Florence Lassarade, M. Rachel Mazuir, M. Bruno Sido