La crise démocratique que traverse notre pays depuis plusieurs mois a fait émerger des aspirations nouvelles, souvent légitimes. Elle illustre aussi les fossés qui se creusent entre les territoires et entre les Français. Elle pose de manière aiguë la question de la décentralisation, de la politique d'aménagement du territoire que nous voulons pour notre pays et de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales. Le Gouvernement et le Parlement font aujourd'hui face à un constat simple et clair, celui d'une action publique dans les territoires sclérosée par la verticalité d'un pouvoir qui ne s'exprime qu'au travers d'une concentration excessive. Le résultat de cette organisation centralisée, de ce jacobinisme ambiant, c'est l'impossibilité pour les territoires de déployer tous leurs potentiels. Cette impuissance ajoute au sentiment de relégation ou d'abandon qui est constaté dans de vastes zones du pays, ce qui suscite la défiance croissante des citoyens et des élus. Infrastructures de transport défaillantes, fermetures des services publics, manque de logements sociaux, désertification médicale galopante, dévitalisation des villes moyennes et des centres bourgs, difficulté à accéder à une couverture mobile convenable ou à une connexion internet de qualité : les griefs sont nombreux. Ils témoignent tous d'un éloignement, d'un délaissement. Ce sentiment est encore renforcé dans les territoires – ruraux, insulaires, de montagne, périurbains ou urbains – confrontés à des fermetures en cascade : de la gendarmerie, de l'hôpital, du tribunal, de la trésorerie, d'une classe, voire d'une école.
Quant à la présence de l'État dans les territoires, force est de constater que, si les acronymes changent – RGPP - « révision générale des politiques publiques » -, plan préfecture nouvelles générations et, désormais, programme « Action publique 2022 » – , les mêmes logiques sont à l'oeuvre. Elles concourent à une réduction continue de l'administration territoriale de l'État, qui s'apparente à une lente dévitalisation.
Nos concitoyens assistent à un véritable déménagement des territoires, tant de la part des acteurs privés que des acteurs publics. Ils ont le sentiment que les élus locaux n'ont plus les moyens d'agir et ne font que gérer la pénurie. Et cela, ils ne le supportent plus. Aussi, regarder la situation avec honnêteté et lucidité nous impose d'admettre que nous devons agir rapidement pour inverser la tendance et redonner toute sa place aux territoires et à ceux qui y vivent.
C'est de l'intensité et de la pertinence de notre réaction que renaîtra l'espoir non seulement pour chaque gilet jaune, mais pour l'ensemble des Français, qui ne croient plus en l'action publique.
Mes chers collègues, le groupe Libertés et territoires s'est constitué autour de trois principes : la responsabilité, la liberté et l'efficacité. Notre responsabilité est d'inciter votre Gouvernement à agir pour plus de déconcentration. Notre liberté est de vous appeler à opérer de nouveaux transferts et une meilleure répartition des compétences entre les collectivités territoriales, par le biais d'un choc de décentralisation. Notre efficacité sera aussi la vôtre, si vous acceptez d'entendre nos propositions pour un État fort dans des territoires mieux considérés et mieux armés pour rayonner et se développer.
Mes chers collègues, la déconcentration que nous vous proposons consiste, dans un premier temps, à décréter un moratoire sur la fermeture des services publics. Il faut arrêter cette hémorragie et repenser la place des services publics dans nos territoires. Ainsi, par exemple, la numérisation de l'administration a permis de libérer certains agents, qu'il convient d'affecter dans les territoires. Le numérique peut être une chance s'il est utilisé pour se rapprocher des usagers. Afin de s'assurer qu'aucun d'eux ne restera sur le bas-côté de la route, il est important de les accompagner. Cela peut se faire dans les maisons de services au public, que j'avais relancées lorsque j'étais au gouvernement. Aujourd'hui, nous devons rendre les MSAP plus efficaces, avec un bouquet de services plus étoffés et des agents d'accueil mieux formés et plus polyvalents. Ces lieux de mutualisation offrent aux usagers une aide, une écoute et un accompagnement dans les démarches de la vie quotidienne, et sont un élément de l'attractivité de nos territoires.
Le choc de décentralisation, auquel le groupe Libertés et territoires appelle le Gouvernement, consisterait, notamment, à articuler les compétences en matière économique entre les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – et les régions. La compétence de la lutte contre le handicap pourrait, quant à elle, être confiée aux départements, et l'État récupérerait celle relative aux mineurs non accompagnés, pour ne citer que quelques exemples.
De cette décentralisation naîtra une politique d'aménagement du territoire respectueuse de nos concitoyens et du formidable potentiel qui ne demande qu'à s'exprimer. Il est à ce titre éclairant de voir les propositions des grandes associations d'élus locaux, réunies sous la bannière « Territoires unis », qui portent sur la refonte des relations entre l'État et les collectivités et sur l'autonomie financière et fiscale, et qui appellent à une nouvelle répartition des compétences entre les collectivités elles-mêmes, et entre les collectivités et l'État.
Mais promouvoir un aménagement du territoire équilibré ne peut se concevoir en dupliquant un modèle figé et unique. Au contraire, il faut mettre les outils les plus adaptés aux contraintes, aux atouts, à l'histoire, à la culture et à l'identité d'un territoire.