Je tiens tout d'abord à remercier l'administratrice qui a travaillé pendant plusieurs semaines à mes côtés sur ce texte important, ainsi que les personnes qui ont accepté d'être auditionnées dans un délai relativement contraint. Ce texte tombe à point nommé puisque l'heure est au grand débat. Nous avons rencontré, sur le terrain, de nombreux chefs d'entreprise, des artisans, des commerçants, des agriculteurs, qui nous ont fait part des difficultés quotidiennes que leur causaient les normes. Ce texte tombe également à point nommé puisque nous sommes en pleine campagne pour les élections européennes et qu'il est ici question de la surtransposition des directives européennes, un sujet brûlant depuis de très nombreuses années, madame la garde des sceaux.
Je commencerai par vous donner deux chiffres : 320 000, c'est le nombre d'articles législatifs et réglementaires en vigueur ; 60 milliards d'euros, c'est le coût de la charge administrative qui pèse chaque année sur les entreprises en France. Ces deux chiffres parlent d'eux-mêmes. Ils montrent que la société dans son ensemble – les entreprises en particulier – étouffe sous l'effet de l'inflation normative. Les acteurs de l'économie productive que je rencontre chaque jour, comme vous, mes chers collègues, me font tous part du même constat : il y a trop de textes qui, empilés les uns sur les autres, conduisent à une complexité inutile et nuisible à l'économie. Cet alourdissement normatif continu a pour conséquence une surcharge administrative et financière pour les entreprises. Il conduit également pour elles à une perte de compétitivité par rapport à leurs concurrentes étrangères. Finalement, il aboutit à un sentiment, très développé chez les chefs d'entreprise, artisans et commerçants, d'exaspération et de découragement.
Face à cette situation, le Premier ministre a certes pris, comme plusieurs de ses prédécesseurs – je pense à Jean-Pierre Raffarin et à Jean-Marc Ayrault – , une circulaire visant à maîtriser le flux des textes réglementaires et leur impact, texte qui interdit les surtranspositions. Si un décret crée une nouvelle norme contraignante, il doit en supprimer deux équivalentes. Toutefois, la portée de cette circulaire est nécessairement limitée, et cela pour quatre raisons. Tout d'abord, une circulaire n'a pas de portée normative. Son champ d'application est restreint aux seuls décrets, à l'exclusion des lois. Les évaluations des charges administratives concernées ne font pas l'objet d'un contrôle par un organisme indépendant. Enfin, pour ce qui concerne plus particulièrement l'interdiction des surtranspositions, des exceptions sont prévues dès lors qu'un dossier est présenté au cabinet du Premier ministre afin de les justifier – et il semble qu'il en soit fait grand usage.
On se souvient que le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises – PACTE – avait été présenté comme le texte de la non-surtransposition ; or il comprend une disposition, en l'occurrence relative au ratio d'équité des rémunérations des dirigeants, visant à surtransposer une directive européenne.
Dans cette même circulaire du 26 juillet 2017, le Premier ministre a indiqué que « la maîtrise du flux des textes réglementaires constitue la première étape d'un exercice de simplification normative plus large, qui a vocation à porter également sur les textes de loi. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République, il reviendra ainsi au Parlement de définir les modalités d'un meilleur encadrement de la production législative ». Or le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, dont l'examen par l'Assemblée nationale a été interrompu le dimanche 22 juillet 2018, comme nous nous en souvenons tous, ne contient pas de dispositions visant à mieux maîtriser l'inflation normative mais comporte plutôt des dispositions visant à rationaliser la procédure parlementaire.
Enfin, le Premier ministre a pris une circulaire par laquelle il écarte les projets de loi de simplification fourre-tout au profit de la prise en compte, dans chaque projet de loi sectoriel, d'un volet de mesures de simplification des normes législatives. Toutefois, l'objectif est, là encore, de simplifier les normes législatives et non d'en réduire ou d'en maîtriser le nombre, comme le montrent la loi de programmation et de réforme pour la justice et le projet de loi PACTE.
On ne peut donc que constater qu'un fossé se creuse entre les discours sur la simplification du droit et la réalité sur le terrain.
La surproduction normative est-elle un mal spécifiquement français ? Il semblerait bien que cela le devienne, au vu du retard pris par la France par rapport aux États comparables. Ainsi, la méthode de la compensation de la création de normes, autrement dénommée « budget de normes », est pratiquée sous des formes diverses chez plusieurs de nos voisins. En Allemagne, en vertu du principe du « un pour un », la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de ceux entraînés par la règle créée. Au Royaume-Uni s'applique le principe du « trois pour un », à savoir la compensation à hauteur de trois livres sterling pour une livre sterling de dépense supplémentaire imposée aux entreprises. De même, le principe de la non-surtransposition est appliqué en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, qui semble d'ailleurs être le seul pays dans lequel le principe du « copie à l'identique », qui consiste à retranscrire le texte de la directive en droit interne sans ajout ni changement, a été érigé en méthode de droit commun. Aussi, compte tenu de ces exemples étrangers, apparaît-il impératif d'aller au-delà des mesures prises jusqu'à présent.
C'est pourquoi je vous propose, avec la présente proposition de loi constitutionnelle, une mesure forte, à même de mettre fin aux comportements de surproduction normative. Il s'agit en effet d'inscrire dans la Constitution deux principes destinés à lutter contre la sur-réglementation, d'une part, et la surtransposition, d'autre part.
S'inspirant des exemples étrangers, l'article 1er propose de donner au dispositif du Premier ministre une portée beaucoup plus large. Il pose en effet le principe selon lequel tout texte de niveau législatif ou réglementaire qui introduit une norme contraignante pour les entreprises doit corrélativement en supprimer une. L'inscription de cette règle au niveau constitutionnel doit permettre son application à l'ensemble des lois et des textes réglementaires.
L'application de cette règle doit s'entendre d'un point de vue qualitatif – des normes de même valeur doivent être concernées – et quantitatif – la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de celle créée. L'application de cette règle doit en outre s'accompagner d'un préalable indispensable : l'amélioration significative de la qualité des études d'impact qui accompagnent les projets de textes. Ainsi, en ayant pour objectif de contraindre les producteurs de normes à mesurer le poids des charges que leur activité impose aux tiers et à ne pas dépasser le plafond qui leur est alloué, cet article propose un dispositif efficace pour lutter contre les effets négatifs de la sur-réglementation sur les entreprises.
Quant à l'article 2, il définit la règle selon laquelle aucune loi ou aucun texte réglementaire ne peut imposer, en droit interne, des exigences allant au-delà de celles définies par le texte européen. Il s'agit ainsi de mieux lutter contre les écarts réglementaires issus de la surtransposition de directives ou, le cas échéant, de règlements européens, qui pénalisent la compétitivité des entreprises françaises.
Voilà, rapidement exposés, deux articles révolutionnaires, si vous me passez l'expression, madame la garde des sceaux. Reste, au vu de ce que nous disent sur le terrain les chefs d'entreprise, les créateurs et les investisseurs, qu'il nous faut prendre cette question à bras-le-corps.