Cette volonté politique, exprimée au plus haut niveau, a eu des premiers résultats positifs que M. Cordier a salués dans son rapport. Cela est possible uniquement parce qu'au-delà des circulaires évoquées, une mécanique efficace a été mise en place, sous le contrôle particulièrement vigilant du secrétaire général du Gouvernement. Le secrétariat général du Gouvernement a toujours été la vigie de la qualité du droit, mais je crois que son rôle est plus actif encore depuis la circulaire de 2017. Tous les projets de décret passent bien sûr par lui. C'est une exigence. Dès leur réception, sont identifiés les textes qui comportent une contrainte nouvelle. Des échanges nombreux ont alors lieu avec le ministère concerné pour chiffrer la contrainte, puis valider les compensations proposées simultanément. L'appréciation se fait au cas par cas, au prix d'un travail extrêmement précis.
Les résultats sont là, puisqu'après dix-huit mois, les ministères ont transmis à Matignon seulement trente-deux projets de décrets autonomes comportant des contraintes nouvelles. Quatre projets de décrets ont été abandonnés, dont celui relatif au contrôle technique des véhicules utilitaires légers, dont vous vous souvenez certainement – il prévoyait d'avancer la date du premier contrôle technique de plus de 6 millions de véhicules en circulation. Six décrets ont été expurgés des contraintes envisagées, et vingt décrets ont donné lieu à quarante-huit compensations. Enfin, deux projets ont été bloqués faute de compensations proposées. Ces chiffres sont à comparer avec les 150 décrets qui auraient été pris en dix-huit mois dans le passé. La compensation imposée a permis aux entreprises d'économiser 20 millions d'euros.
Concernant les surtranspositions, tout ministère souhaitant aller plus loin que les obligations imposées par une directive européenne doit le justifier par la production d'une note d'analyse extrêmement circonstanciée, soumise au cabinet du Premier ministre. J'ai moi-même vécu cette expérience lors de la rédaction du projet de loi relatif à la protection des données personnelles. Comme vous vous en souvenez sans doute, le droit européen retenait un principe qui consistait à ne plus imposer d'autorisation préalable par la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – pour la création de certains traitements de données, mais à mettre en place un système de déclaration responsabilisant les acteurs. Lorsque j'ai souhaité maintenir un régime de formalités préalables pour les traitements pénaux mis en oeuvre pour le compte de l'État, il a fallu produire une analyse très argumentée pour obtenir le feu vert de Matignon.
Mais s'il est question de tarir le flux des surtranspositions, il est aussi nécessaire de s'attaquer au stock qui continue à peser sur les entreprises. C'est le travail qu'a mené la mission d'inspection demandée par le Premier ministre dans la circulaire de juillet 2017.
Cette mission a montré que le phénomène de surtransposition est difficile à quantifier, car il résulte du contenu même de la norme. Ainsi, sur quatre-vingt-dix écarts de transposition identifiés au niveau législatif, un tiers ne comportait pas de réelles surtranspositions parce que le droit interne intervenait en dehors du champ du droit de l'Union européenne ; un autre tiers parce que le droit européen lui-même était en train d'évoluer dans un sens conforme au droit interne ; un dernier tiers, enfin, parce que ces surtranspositions étaient justifiées par des objectifs de politique publique assumés par le Gouvernement, que ce soit en faveur de la protection de l'environnement, de la promotion d'une politique sociale… Par exemple, on peut difficilement considérer que l'obligation du paquet de cigarettes neutre soit une simple surtransposition.
Il n'en demeure pas moins que le Gouvernement a déposé, en octobre dernier, un projet de loi s'attaquant au stock de surtranspositions réelles identifiées par la mission d'inspection. Ce texte a été examiné par le Sénat et transmis à l'Assemblée nationale.
Vous le voyez, le Gouvernement entend réellement s'attaquer à la prolifération normative par une volonté nettement affirmée du Premier ministre, et au moyen de directives claires ainsi que de méthodes robustes adossées à des acteurs vigilants.
Venons-en maintenant à la proposition de loi constitutionnelle qui vous est soumise aujourd'hui. Est-il réellement nécessaire de modifier notre loi fondamentale pour atteindre les objectifs que vous avez dessinés et qui nous sont communs ? Telle est bien la question que vous nous posez aujourd'hui.
Je ne m'étendrai pas sur le paradoxe qui consiste à proposer d'introduire une nouvelle norme – et en plus, de valeur constitutionnelle ! – pour combattre la prolifération des normes.