Intervention de Nicolas Roche

Réunion du mercredi 20 mars 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Nicolas Roche, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

En tout état de cause, nous nous trouvons dans une situation tout à fait particulière par rapport à tous nos partenaires européens. Le président de la République, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et la ministre des Armées cherchent aujourd'hui à reconstruire du consensus et de l'unité européenne autour de quelques questions, à savoir quel agenda positif du désarmement nucléaire peut faire sens au regard de nos intérêts en matière de sécurité, comment mettre en oeuvre de façon responsable une politique de dissuasion nucléaire qui reste aujourd'hui nécessaire, et comment relancer des tentatives de mise en place d'une régulation de la compétition militaire – en d'autres termes, comment gérer la maîtrise des armements.

Notre effort aujourd'hui en Europe consiste donc à essayer de recréer de l'unité là où, sur les questions nucléaires – dissuasion, traité d'interdiction des armements –, nous devons faire face à de fortes tentations de division. M. Lainé m'a interrogé au sujet du traité New Start. Sur ce point, je dirai que l'extension simple de New Start n'est pas garantie.

Du côté de la Fédération de Russie, il y a eu l'expression d'une volonté d'étendre le traité New Start et de le compléter en traitant toute une série de sujets situés en dehors du champ nucléaire (défense antimissile, question des frappes conventionnelles à très longue distance).

Du côté de l'administration américaine, la question porte sur la valeur même de la maîtrise des armements nucléaires pour la sécurité des États-Unis d'Amérique. Il y a aujourd'hui un débat interne à l'administration américaine pour savoir laquelle des options possibles sert les intérêts de sécurité. Il existe une option d'extension simple, une option de remplacement du traité par un autre traité qui couvrirait tous les sujets pour les Américains – y compris ceux des armes nucléaires non stratégiques et des missiles de portée intermédiaire – et, enfin, une option consistant à ne plus avoir de traité, ce qui signifierait le retour à la compétition pure et parfaite.

Cette dernière option fait qu'il n'est pas totalement impossible que nous, Européens, nous retrouvions en 2021 dans une situation stratégique où il n'y aurait plus aucune forme de régulation de la compétition stratégique entre les États-Unis et la Russie, c'est-à-dire dans une situation comparable à celle des années 1960. Face à cela, nous affirmons que le moment est venu de réinvestir les questions de sécurité, de dissuasion et de maîtrise des armements.

M. Gouttefarde m'a interrogé au sujet de l'alerte avancée. En tant que représentant du ministère des Affaires étrangères, j'aurais du mal à entrer dans les détails des programmes, en particulier de ce qui est prévu ou pas par la loi de programmation militaire (LPM). Quand on parle d'autonomie stratégique, en particulier européenne, le fait de ne disposer d'aucun système d'alerte avancée – qu'il soit terrestre ou spatial, et qu'il repose sur la technologie infrarouge ou radar – constitue un problème particulier. Du point de vue du Quai d'Orsay, nous serions ravis de disposer de meilleures capacités de détection.

Enfin, M. Lachaud m'a interrogé sur l'articulation de la dissuasion « classique » avec le cyber et le spatial. Ce qui nous différencie, dans notre conception de la dissuasion, des Américains ou des Britanniques, mais aussi des Australiens ou des Néerlandais, c'est que nous n'appliquons pas le concept de dissuasion aux domaines cyber et spatial. Ainsi, alors que ces États évoquent fréquemment les concepts de cyber deterrence et de space deterrence, c'est-à-dire de la capacité à dissuader, par des moyens cyber et spatiaux, des attaques contre les domaines cyber et spatiaux, nous considérons pour notre part – c'est un vieux débat stratégique et historique – que ces termes sont peu appropriés, et qu'il existe divers moyens de décourager les attaques cyber ainsi que les attaques contre des systèmes spatiaux français. Pour ce qui est de savoir si la dissuasion nucléaire en fait partie, je vous renvoie au fondement même de notre doctrine de dissuasion nucléaire, selon laquelle la dissuasion nucléaire s'adresse à tout adversaire étatique qui voudrait s'en prendre à nos intérêts vitaux, d'où qu'ils viennent et quelle qu'en soit la forme – cette dernière expression montrant bien que ce qui compte est avant tout la capacité d'une menace donnée à mettre en jeu la survie de la Nation.

M. Lachaud a entièrement raison s'agissant de la difficulté de l'attribution : la difficulté à détecter, mais aussi à qualifier et à attribuer certaines attaques, complique la tâche consistant à décourager ces attaques ; c'est pourquoi, grâce à la dernière LPM, un certain nombre d'efforts ont été faits, notamment dans le domaine cyber, en matière de capacités de renseignement, de caractérisation et de qualification des attaques cyber. En effet, si la mission est ardue, elle n'est pas impossible : en matière d'attribution, nous finissons souvent par aboutir, à un faisceau d'éléments de nature technique à partir duquel nos services de renseignement construisent une évaluation de l'attaque et de son origine, qu'ils présentent de façon technique et objective au pouvoir politique. Je précise que, si l'attribution n'est pas impossible, elle requiert cependant un investissement essentiel en termes techniques et capacitaires, à la fois dans le domaine spatial et dans le domaine cyber.

Vous m'avez également demandé, Monsieur Lachaud, si les évolutions, en particulier dans le domaine cyber, mettent potentiellement à mal la crédibilité et la sûreté de notre dissuasion nucléaire : les autorités françaises – tout particulièrement les responsables de la question de la sûreté des systèmes d'information de notre dissuasion nucléaire - estiment clairement que ce n'est pas le cas.

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