Intervention de Christian Charrière-Bournazel

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 11h35
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Christian Charrière-Bournazel, avocat, ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris :

Je ne connais pas cette loi en détail. Je sais qu'elle existe et ce à quoi elle veut tendre. Je sais aussi que la proposition de loi française s'en inspire, ce qui est une bonne idée. Ma seule réserve concerne l'indépendance et l'objectivité du médiateur qui vient des GAFA. Pour le reste, je suis tout à fait conscient de l'importance de légiférer en la matière.

Avant 2004 et l'adoption de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, mon confrère Marc Lévy et moi-même avions poursuivi Yahoo au nom de la LICRA, car un site internet vendait des croix gammées et des insignes nazis sans aucun complexe. Comme nous n'avions pas réussi à obtenir que Yahoo supprime ce site spontanément, nous avions fait un procès. Dans cette affaire qui remonte à près de vingt ans, les responsables de Yahoo prétendaient qu'ils ne pouvaient pas contrôler ce qu'il y avait sur les sites. Le président du tribunal, qui était un sage, avait ordonné une expertise. L'expert avait constaté que les fournisseurs d'accès et d'hébergement pouvaient parfaitement, quand on les prévient, faire ce qu'il faut pour supprimer un site. Au vu de l'expertise, le juge avait ordonné la suppression.

Comme c'était une société américaine, il ne s'était rien passé. Nous avions essayé d'obtenir l'exequatur de la décision française aux États-Unis. Yahoo a alors fait un procès à la LICRA aux États-Unis, estimant que nous lui portions un préjudice en essayant de faire exécuter une décision française qui ordonnait la suppression de la vente d'objets nazis sur internet. À l'instigation de l'un de ses juges, la huitième section de la cour de Californie a jugé qu'il n'y avait pas de raison que la LICRA verse des dommages et intérêts, puisque l'exécution de la décision de justice n'avait pas eu lieu et qu'il n'y avait donc pas eu de préjudice. C'était assez contraire à la jurisprudence américaine qui est très favorable aux médias.

Lors d'un colloque que j'animais à la chambre franco-britannique avec des confrères, j'ai raconté cette histoire. Dans la salle, un homme s'est levé et il a dit : « Je suis le juge dissident de la huitième section de la cour de Californie. » Ce juge américain avait passé une partie de sa jeunesse à Marseille où il était né, et il parlait le français avec un accent marseillais mâtiné d'américain. C'est grâce à lui et à son ouverture d'esprit que nous n'avions pas été condamnés. Je le découvrais, par le plus grand hasard, des années plus tard.

Cette petite anecdote montre qu'il faut faire attention. Nous sommes dans la mouvance des États-Unis pour le meilleur et pour le pire. Quand je parle de ces questions, j'ai l'impression d'être le grand inquisiteur qui essaie d'annihiler la liberté d'expression. Cela n'a rien à voir. Je ne vais pas me répéter, mais il faut absolument que nos esprits français – et en même temps universels – réalisent que des délits sont commis par des mots qui ne sont pas seulement les atteintes racistes et antisémites : chantage, harcèlement, menaces et autres. Nous sommes dans le même registre.

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