Je suis heureux de vous présenter l'avis que j'ai rendu la semaine dernière devant la commission des affaires économiques. Je remercie le rapporteur général de m'avoir associé à ses auditions qui m'ont permis d'enrichir ma réflexion pour vous proposer un bref éclairage économique sur ce texte.
L'article 1er du projet de loi nous permet de franchir une étape décisive en faveur d'une réforme très attendue par nos concitoyens et par l'immense majorité des entreprises. Le constat est sans appel : le système actuel ne permet pas d'assurer la contribution efficace des entreprises du numérique à l'impôt. J'y vois deux raisons principales : tout d'abord, l'utilisateur joue désormais un rôle essentiel dans la création de valeur. Cette spécificité bouleverse l'appréhension de la base taxable puisque la création de valeur ne nécessite plus la présence physique de l'entreprise. Seconde raison, qu'il faut dénoncer avec force : nombreux sont les géants du numérique qui mettent en place des stratégies agressives de planification fiscale pour échapper à l'impôt, ce qui complique l'identification de la base taxable.
Cette insuffisante contribution à l'impôt présente d'importantes difficultés en termes budgétaires, économiques et d'équité fiscale. Elle se solde par un manque à gagner conséquent qui fragilise le consentement à l'impôt et le pacte social dans son ensemble. Les grandes entreprises du numérique profitent pleinement des services publics français : elles emploient des ingénieurs formés dans nos universités et nos grandes écoles, mobilisent nos réseaux routiers et nos réseaux de télécommunications. Leur trop faible contribution à l'impôt conduit à reporter mécaniquement le manque à gagner sur les autres catégories de redevables, dont les travailleurs et les plus petites entreprises. Comment ne pas comprendre le sentiment d'injustice que ressentent les Français, les PME et les TPE lorsqu'un petit commerçant est susceptible de s'acquitter d'un montant d'imposition supérieur à celui d'un géant du numérique ?
Sur le plan strictement économique, la trop faible taxation des géants du numérique conforte leur position monopolistique sur les marchés et accentue les risques de concurrence déloyale. Ces positions monopolistiques rendent de nombreux petits commerces captifs de certains « GAFA » (Google, Amazon, Facebook, Apple), ce qui pèse considérablement sur leurs conditions de développement ; j'y suis particulièrement sensible. Pensons à l'hôtellerie ou au transport individuel de personnes, dont l'activité a été bouleversée par l'arrivée de nouveaux acteurs proportionnellement moins imposés. Pensons également aux pépites françaises et européennes du numérique : comment leur offrir un environnement favorable dès lors qu'elles doivent s'acquitter d'impôts bien plus élevés que des entreprises déjà leaders sur leur marché ?
La taxe prévue par le présent projet de loi répond à ces défis. L'assiette cible les activités pour lesquelles les utilisateurs sont mis à contribution afin de créer de la valeur. Je me félicite des seuils prévus : nous visons bien les très grandes entreprises et il n'est question de freiner ni le développement d'ETI ni la numérisation des TPE et des PME. Je me félicite également du mécanisme de déductibilité à l'assiette de l'impôt sur les sociétés qui permet d'accorder une juste compensation aux entreprises vertueuses.
Enfin, soulignons un point essentiel : à terme, la solution doit être internationale. Il ne s'agit pas de faire cavalier seul mais d'agir au plus vite pour accélérer les négociations. C'est pourquoi cette taxe a vocation à être temporaire. En ce sens, la France fait preuve d'une détermination qui ne faiblit pas et nous mesurons toute votre implication, monsieur le ministre.
En termes d'incidences économiques, la taxe doit permettre d'atténuer les effets anticoncurrentiels. Il est difficile de prédire ce que sera le comportement des agents économiques et, par conséquent, d'anticiper qui supportera concrètement le coût de la taxe. Permettez-moi toutefois de rassurer ceux qui craignent qu'elle ne manque sa cible : d'une part, la plupart des services qu'offrent les entreprises taxées aux consommateurs finaux sont gratuits – ce qui, par définition, en empêche toute augmentation du prix. D'autre part, en ce qui concerne les PME et les TPE qui ont recours aux services de publicité ciblée et d'intermédiation, l'augmentation des montants facturés semble peu probable car les entreprises taxées évoluent dans des environnements où les acteurs du marché se livrent à une guerre des prix.
Je conclurai par quelques mots sur l'article 2 du projet de loi. L'infléchissement de la trajectoire de l'impôt sur les sociétés est une mesure que nous n'avions pas prévue et qui vise à répondre à une situation elle-même imprévisible. L'article 2 est donc nécessaire en ce qu'il permettra de financer les mesures d'urgence économiques et sociales que nous avons adoptées en décembre en faveur du pouvoir d'achat des ménages. La baisse de l'impôt sur les sociétés demeure une priorité de la législature. Les entreprises françaises pâtissent encore trop des charges administratives et fiscales. En ce qui concerne la trajectoire de l'impôt sur les sociétés, nous conservons le cap – j'y tiens – de 25 % en 2022, mais il est juste que les très grandes entreprises soient mises à contribution de façon conjoncturelle afin que le législateur réponde, sans mettre en danger l'équilibre des comptes publics, aux fortes attentes des citoyens en matière de pouvoir d'achat.