Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2019 à 16h00
Taxe sur les services numériques — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Ce projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés est important à plusieurs titres. Il constitue un nouveau pas vers la modernisation de nos règles fiscales et un renforcement de l'équité devant l'impôt. Il permet en outre de dégager des ressources afin de financer les mesures en faveur du pouvoir d'achat, prises en décembre dernier.

L'article 2 du texte maintient, en 2019, pour les grandes entreprises, le taux normal de l'impôt sur les sociétés à 33,33 %. Si cet article a suscité moins de passion que l'article 1er, il n'en revêt pas moins une grande importance puisqu'il augmentera les recettes fiscales en 2019 de l'ordre de 1,7 milliard d'euros, mesure nécessaire dans un contexte budgétaire qui s'améliore très significativement depuis le début de la législature, mais qui reste relativement contraint.

Certains veulent supprimer cet article, invoquant le respect de la trajectoire prévue par la loi de finances pour 2018, mais il ne remet pas en cause cette trajectoire. D'une part, il ne porte que sur 2019, ne concernant ni les années suivantes ni la cible, fixée à 25 %, pour 2022. D'autre part, il ne touche que les 765 plus grandes entreprises, celles dont le chiffre d'affaires est d'au moins 250 millions d'euros. Toutes les autres, soit plus de 1,4 million d'entreprises, bénéficieront du taux prévu de 31 %. Enfin, il ne remet pas non plus en cause l'application, pour toutes les entreprises, du taux de 28 % sur les premiers 500 000 euros de bénéfice.

J'ajoute que le contexte fiscal en 2019 est plutôt favorable aux entreprises, puisqu'elles bénéficieront d'un niveau de soutien public inégalé grâce au cumul du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – et des allégements de charges pour un total d'environ 40 milliards d'euros. Même les entreprises concernées comprennent la nécessité de l'article 2. Leurs organisations professionnelles ont déclaré en prendre acte, sans s'y opposer. Je vous invite donc, mes chers collègues, à suivre la position de la commission des finances qui a adopté cet article sous réserve de deux modifications rédactionnelles.

L'article 1er fait couler beaucoup d'encre, et provoque de nombreux clics : de multiples études fleurissent depuis quelques jours, le plus souvent commanditées par les futurs redevables de la taxe... Je ne reviens pas sur son fonctionnement : le ministre l'a présenté et je vous renvoie à mon rapport pour d'autres précisions.

La nouvelle taxe sur les services numériques, la TSN, part du constat partagé que la numérisation de l'économie a rendu une grande partie des règles fiscales internationales obsolètes et inadaptées à une économie dématérialisée qui accentue la dissociation entre le lieu où la valeur est créée et celui où elle est imposée.

Pour répondre à ce défi fiscal, les pays se sont accordés, au sein de l'OCDE, à la fin du mois de janvier dernier, pour qu'une solution soit trouvée d'ici à la fin de l'année 2020. Tel est bien l'objectif du Gouvernement : une modernisation des règles internationales sur l'imposition des bénéfices, notamment par création d'un taux plancher.

En attendant, nous ne pouvons pas rester les bras ballants. Or, la marge de manoeuvre nationale est limitée par les conventions fiscales, qui neutraliseraient tout dispositif portant sur l'imposition des bénéfices. Taxer le chiffre d'affaires n'est jamais satisfaisant : le Gouvernement le reconnaît, tout comme moi, mais c'est bien parce qu'une approche par les bénéfices ne serait pas opérante que le chiffre d'affaires est la seule assiette envisageable à l'échelle nationale, assiette qui sera en outre moins propice aux manipulations.

Le fait que l'assiette ne soit pas idéale doit toutefois être très largement nuancé par un élément décisif, qui tempère également l'ensemble des autres critiques soulevées sur lesquelles je reviendrai : la TSN n'a qu'une vocation provisoire. L'objectif du Gouvernement, soutenu par sa majorité, étant que la solution internationale concertée puisse s'y substituer dès que possible.

Comment la TSN marche-t-elle ? Elle s'inspire directement d'une proposition de directive européenne de mars 2018 qui n'avait pu recueillir un accord unanime, malgré le soutien d'une large majorité d'États membres.

Son économie générale repose sur un principe simple : elle porte sur les services pour lesquels les utilisateurs, du fait de leur « travail gratuit », sont essentiels à la création de valeur. Sont ainsi concernés les services d'intermédiation, comme les sites de rencontre ou les places de marché, et les services de publicité ciblée qui se servent des données des internautes. Voilà pourquoi sont exclus l'e-commerce, le ministre en parlait, et les services de communication ou de paiement. Pour ce qui les concerne, le service lui-même, l'inventaire ou le stock de l'entreprise crée la valeur : elle ne provient pas uniquement de la participation des utilisateurs.

C'est aussi pour cela que l'assiette est déterminée en appliquant aux recettes mondiales un coefficient représentatif de la part des utilisateurs français, comme le prévoyait la proposition de directive. C'est également pourquoi seules les plus grandes entreprises numériques seront taxées, car elles bénéficient d'effets de réseau massifs. Elles sont ainsi dans une situation objectivement différente de celle d'entreprises plus petites. La TSN devrait concerner une trentaine de groupes américains, européens et asiatiques. Son produit pour 2019 est estimé à 400 millions d'euros.

La TSN a fait l'objet de nombreuses critiques et attaques, essentiellement de la part de certains redevables potentiels, directement ou à travers leurs organisations professionnelles. Beaucoup de choses ont été dites, mais toutes ne sont pas exactes. Certains brandissent la menace de mesures de rétorsion américaines, de saisine de l'Organisation mondiale du commerce – OMC – par les États-Unis, de limitation d'investissements, et s'appuient sur les déclarations d'officiels américains, la dernière en date étant celle de M. Mike Pompeo, le secrétaire d'État américain.

Pour ma part, ces arguments me laissent sceptique. En premier lieu, la France est un pays souverain qui mène sa politique fiscale nationale comme elle l'entend, dans le cadre européen auquel elle a librement consenti.

En deuxième lieu, je vois mal une guerre commerciale s'engager pour une taxe de 400 millions d'euros alors que, pour ne prendre qu'un seul exemple, Google s'est vu infliger par la Commission européenne des amendes pour plus de 8 milliards d'euros ces deux dernières années. Ces amendes doivent certainement plus retenir l'attention de Google et des États-Unis que la taxe française, et, à ma connaissance elles n'ont pas déclenché l'apocalypse.

En troisième lieu, la France ne fait pas cavalier seul : l'Italie a dans son droit une taxe similaire, le Royaume-Uni l'envisage, l'Autriche également, et l'Espagne aurait une TSN si son budget 2019 n'avait pas été rejeté, provoquant des élections anticipées. L'Inde applique un dispositif voisin depuis plusieurs années, et la Nouvelle-Zélande y songe également.

Enfin, la TSN sera temporaire : dès qu'une solution internationale plus efficace sera disponible, elle s'y substituera. En attendant, l'existence de la TSN permet de maintenir la pression sur les négociations. J'ajoute que si nos partenaires trouvaient la TSN imparfaite, le meilleur moyen de s'en débarrasser serait d'aboutir le plus vite possible à une solution internationale.

Les autres critiques ne reposent pas non plus sur des arguments solides. Ainsi, qu'en est-il de l'incompatibilité avec le droit européen ? Le fait même de coller à une proposition de la Commission européenne est un élément de sécurité juridique, …

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