Nous allons débuter l'examen de ce projet de loi qui prévoit la création d'une taxe sur les services numériques ainsi qu'une remise en cause de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés. Il comporte deux articles qui relèvent donc d'ordres d'idées assez différents.
Cela a été dit, une grande partie de la valeur créée chaque jour en France par les services numériques, essentiellement à partir de nos données personnelles, nous échappe. La numérisation de l'économie a rendu notre système fiscal perméable et créé des inégalités insupportables non seulement entre les entreprises mais aussi entre les États. Ce détournement de profits reposant sur des schémas d'optimisation fiscale, voire d'évasion fiscale, que réalisent principalement les géants du numérique, se fait au détriment de l'État, des services publics, des entreprises locales concurrentes et des citoyens.
Cette nouvelle économie nous force à adopter une nouvelle fiscalité. Avec ce texte, le Gouvernement propose une solution provisoire visant à taxer le chiffre d'affaires des entreprises du numérique. Bien qu'elle ne soit pas parfaite, elle a le mérite de donner, sur ce sujet, le leadership à la France en attendant qu'une solution pérenne soit élaborée au niveau des pays de l'OCDE.
Monsieur le ministre, pourquoi avoir attendu deux ans avant vous saisir de cet enjeu ? Dès octobre 2017, nous vous avions proposé de consacrer dans le droit français la définition de l'établissement stable numérique. Vous nous aviez alors répondu que notre proposition venait trop tôt et qu'il fallait d'abord tenter de parvenir à un accord européen.
Durant ces deux années, les choses n'ont pas avancé comme vous l'espériez. Quelles sont les raisons de cet échec ? Nous sommes convaincus que la France peut et doit s'engager de manière unilatérale, et qu'elle peut jouer un rôle moteur au sein de l'Europe. Si une accélération des discussions s'est produite ces dernières années, nous sommes encore loin de la signature d'un accord pérenne et, à cause de la règle de l'unanimité en matière fiscale, la solution passera certainement par l'OCDE et non par l'Europe.
Monsieur le ministre, j'ai plusieurs questions à vous poser au sujet du dispositif que vous avez retenu. Selon certaines études, l'écart de taux en matière d'impôt sur les sociétés ne serait pas de 14 %, comme vous l'affirmez, mais de 24 %. Même si personne n'est dupe du manque d'indépendance de ces études, il importe de savoir si cette différence tient à un problème de calcul, de base ou d'assiette, et s'il s'agit de chiffres mondiaux ou français. Si nous voulons bâtir une autre fiscalité, nous devons en effet connaître précisément à combien s'élève l'écart de la fiscalité qui pèse sur les uns et les autres.
Avec le dispositif proposé se pose par ailleurs le problème de la double imposition. Certaine entreprises qui paieront la nouvelle taxe, en particulier les entreprises françaises, sont déjà imposées pour les mêmes activités au titre de l'impôt sur les sociétés. La taxe sur les services numériques ne sera que partiellement déductible de l'IS, au niveau de la base, à hauteur d'un tiers. Il existe donc de toute évidence un risque de double imposition, sujet clé des règles de fiscalité internationale. Comment appréciez-vous ce risque ?
Au-delà de cet enjeu, ce texte, ainsi que vous l'avez dit, doit répondre à un problème plus large, celui de l'injustice fiscale entre les commerces physiques et les commerces en ligne, notamment lorsque ceux-ci sont le fait d'acteurs transnationaux.
À ce titre, je soutiens la demande de rapport de Gilles Carrez, adoptée me semble-t-il à l'unanimité par notre commission, afin que s'engage une vraie réflexion sur les solutions capables de sauvegarder le commerce physique, notamment dans les centres-villes et les zones rurales.
Aujourd'hui, les taxes reposent surtout sur le foncier, donc les surfaces de vente ou la valeur des magasins. Or les pure players, pour user d'un terme anglo-saxon, passent à travers ce filet. Il faut donc trouver une assiette fiscale qui corresponde à la réalité de l'activité.
Nous devons également profiter de l'examen de ce texte pour nous interroger sur la refonte des règles de la fiscalité internationale à laquelle l'OCDE travaille depuis janvier dernier : au-delà des entreprises du numérique, ce sont les règles de répartition de l'IS entre pays qui doivent être revues. Les règles traditionnelles de prix de transfert et de résidence pourraient être abandonnées au profit de nouvelles règles favorisant les pays où sont consommés les biens et les services que produisent ces entreprises.
Concernant les effets que pourraient avoir ces nouvelles règles, les discours sont contradictoires. Seront-elles avantageuses pour la France, qui est plus un pays de production et de résidence qu'un pays de consommation ? La question de se pose en effet et il nous faudra parvenir à une réponse nette. Sur ce sujet, nous devrons bien sûr progresser avec l'OCDE, tout en faisant preuve de vigilance et de prudence.
Enfin, je souhaite dire un mot de l'article 2 du projet, qui revient sur la promesse qu'avait faite le Gouvernement de baisser en 2019 le taux de l'IS à 28 %. Par rapport à ce qui était prévu, cette pause constitue en fait une augmentation importante de ce taux, et les explications que vous avancez à ce sujet sont assez ahurissantes.
En effet, vous dites vouloir respecter l'engagement que vous avez pris de parvenir en 2022 à un taux 25 % et, pour preuve de ce que vous avancez, vous vous empressez de ne pas tenir ceux pour 2019 ! Alors que vous prétendez vouloir baisser les impôts, la première décision que vous prenez est d'augmenter l'IS ! Vous êtes doublement en contradiction avec vous-même et, en agissant ainsi, non seulement vous portez atteinte à la compétitivité des entreprises, mais vous détruisez la confiance qu'elles accordaient à vos engagements.