Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2019 à 16h00
Taxe sur les services numériques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Cela fait maintenant plusieurs mois que le groupe La France insoumise prône une action unilatérale pour mettre fin au racket fiscal qu'organisent les multinationales dites GAFA. Lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, nous vous avions ainsi déjà proposé des mesures en ce sens ; à l'époque, monsieur le ministre, vous nous aviez dit, en substance : « C'est encore trop tôt, mais vous allez voir ce que vous allez voir ! » On a beau regarder, on ne voit pas grand-chose, à vrai dire. Nous préférons l'affirmer d'emblée : le présent texte ne nous paraît pas à la hauteur du vol en bande organisée que pratiquent ces entreprises, de ce capitalisme agressif que vous dénoncez par ailleurs.

Car, au lieu de faire en sorte que ces entreprises paient leur juste part d'impôt – comme tout le monde – , vous proposez qu'elles acquittent une taxe sur le chiffre d'affaires qu'elles réalisent sur certaines opérations de fourniture de services. Il s'agit donc moins d'une taxe que d'une forme de transaction à l'amiable dans laquelle le Gouvernement français, convenant qu'il ne peut rien contre l'optimisation fiscale dans l'Union européenne, finit par accepter les pratiques des GAFA moyennant une somme indolore pour elles.

De quoi parlons-nous, en effet ? D'une taxe de 3 % assise sur le chiffre d'affaires tiré, je le répète, de certaines activités du numérique. Des multinationales comme McDonald's en sont d'office exemptées. Quant aux activités concernées, il s'agit de la publicité ciblée en ligne – ce qui pourrait toucher un peu Facebook et Google, mais beaucoup moins Apple, Amazon ou encore Microsoft, dont les activités sont majoritairement extérieures au numérique – et des activités numériques de mise en relation de type Airbnb.

Votre taxe est une raquette trouée. D'après les calculs de l'association Attac, 64 % du chiffre d'affaires cumulé des GAFAM lui échapperait : 74 % du chiffre d'affaires des cinq principales entreprises du numérique – Google, Apple, Facebook, Microsoft et Amazon – est dissimulé à l'étranger et le montant du chiffre d'affaires français délocalisé dans les paradis fiscaux ou dans les pays dits agressifs fiscalement serait de plus de 9,4 milliards d'euros. Attac ajoute que le montant de l'impôt sur les sociétés qu'auraient dû payer les GAFAM en 2017 si la totalité de leurs bénéfices avait été déclarée en France atteint plus de 600 millions d'euros, soit plus de six fois le montant que la taxe que vous nous proposez vous aurait permis de récupérer.

Enfin, taxer le chiffre d'affaires ne correspond à aucune logique économique : il faudrait plutôt taxer le bénéfice réellement réalisé en France, en obligeant les entreprises à déclarer les bénéfices de leurs filiales pays par pays. Nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens, inspirés de l'économiste Gabriel Zucman. Si vous ne faites pas cela, vous condamnez la France à courir derrière les multinationales et leurs lobbys. Par cette taxe, vous faites mine de défendre les PME face aux grosses entreprises alors que vous ne faites qu'égratigner les GAFA, laissant de côté beaucoup de grandes entreprises. Au fond, vous faites un peu semblant de vous opposer aux GAFA.

Il y a une chose que je ne comprends pas, ou plutôt que je crains de trop bien comprendre : si la France décide de s'attaquer unilatéralement à l'optimisation et à l'évasion fiscales des GAFA – une démarche dans laquelle je ne peux que vous soutenir – , pourquoi le faire au rabais ? Puisque nous n'attendons pas le reste de l'Union européenne, pourquoi ne pas lui ouvrir la voie de manière beaucoup plus volontaire ?

La réponse dépend sans doute de l'Union européenne dans son état actuel : pour agir, il faudrait régler la question des paradis fiscaux une bonne fois pour toutes, en commençant par les plus efficaces, c'est-à-dire ceux qu'abrite l'Union – Malte, Chypre, les Pays-Bas, la Belgique et l'Irlande.

Pourquoi ces entreprises du numérique ne déclarent-elles qu'un quart de leur activité réelle sur le territoire français ? Parce qu'elles vont se domicilier dans des pays fiscalement plus favorables, notamment en Irlande, tout en profitant du traité de libre-échange auquel équivalent les traités européens, qui autorisent et favorisent même le dumping fiscal et, par là même, les politiques de moins-disant fiscal.

Voilà pourquoi nous disons que si l'on veut vraiment mettre fin au dumping fiscal et s'attaquer au fléau que représente la possibilité pour les entreprises de jouer aux dominos d'un pays à l'autre, il faut sortir des traités qui permettent le dumping fiscal, le facilitent, se fondent sur lui. On retrouve d'ailleurs ce moins-disant fiscal dans les paroles du Premier ministre ce matin : quand les Français disent « justice fiscale », il fait mine d'entendre « baisse des impôts ».

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