Au nom du groupe La République en marche, je dis notre soutien à ce projet de loi et à ses deux articles.
Quelques mots, d'abord, sur l'article 2. Nous avons tracé une trajectoire de baisse des taux faciaux d'impôt sur les sociétés dès le projet de loi de finances pour 2018, et nous maintenons cette tendance. Nous conservons la baisse du taux pour l'immense majorité des entreprises françaises, notamment pour les PME, dont certaines bénéficient déjà d'un taux réduit tandis que les autres bénéficieront pleinement de la baisse du taux de droit commun. L'article 2 a pour objet de différer de quelques mois la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises. Nous demandons à ces dernières de contribuer au financement des mesures sociales et de pouvoir d'achat que le Président de la République a annoncées en décembre dernier. Les représentants des grandes entreprises françaises ont pris acte de cette mesure pour l'année 2019, au cours de laquelle se conjugueront baisse de cotisations et bénéfice du CICE. Par cette mesure temporaire, nous maintenons donc notre ligne budgétaire responsable, tout en accentuant certains mécanismes de redistribution.
J'en viens maintenant à l'article 1er, qui institue la taxe sur les services numériques. Cette taxe, issue des propositions françaises discutées dans les instances internationales, vise à établir une fiscalité basée sur les nouveaux modèles de création de valeur ou sur les nouveaux modèles économiques dits « bifaces » ou « multifaces », théorisés par le prix Nobel d'économie Jean Tirole, avec lequel j'ai autrefois eu l'occasion de travailler précisément sur ce thème.
Permettez-moi de faire quelques rappels historiques pour préciser l'origine de cette taxe. L'imposition des bénéfices des sociétés a subi une forte érosion au cours des années 2000. Les États ont assisté à la fuite des bases taxables par la délocalisation des profits dans des pays permissifs ou à faible fiscalité. L'économie numérique naissante a profité pleinement de ces possibilités d'optimisation, grâce à la dématérialisation des nouvelles prestations fournies. Notre système fiscal international, fondé sur une économie industrielle classique et des modèles de conventions fiscales issus de l'après-guerre, s'est avéré insuffisant à l'heure de la mondialisation des échanges, de la dérégulation financière et bancaire, ainsi que de la numérisation de l'économie.
Cette situation et ses effets désastreux pour les finances publiques des États ont poussé l'OCDE à dresser un constat afin de proposer un plan d'attaque au G20. La France a apporté son soutien massif au plan de l'OCDE à compter de 2012. Le projet BEPS, comprenant quinze actions, a été formalisé en 2013. Je tiens à saluer tout particulièrement le rôle de Pascal Saint-Amans, qui a travaillé d'arrache-pied, avec ses équipes, pour identifier les mécanismes d'optimisation et trouver de nouvelles régulations.
La première action du projet BEPS s'intitule précisément « relever les défis fiscaux posés par l'économie numérique ». L'économie numérique est bien loin d'être la seule à pratiquer l'optimisation fiscale, mais la transformation de l'économie et la force de frappe de ces nouveaux géants nécessitaient des mesures d'urgence.
La taxe sur les services numériques est un outil pour amorcer enfin une taxation spécifique de ce secteur et de ses grands acteurs. Cette taxe va peser sur les grands acteurs du numérique, ceux dont le chiffre d'affaires dégagé par les services numériques taxables dépasse 25 millions en France et 750 millions dans le monde. L'État français prend donc ses responsabilités et assume ses prérogatives souveraines pour lever l'impôt sur de grands acteurs – une trentaine, majoritairement non européens, selon les projections de Bercy. Les services taxables seront la publicité ciblée et les services d'intermédiation.
En commission, nous avons consolidé le droit de reprise et précisé le fait générateur ainsi que la prescription. Nous avons clarifié l'assiette afin de ne pas obérer les recettes du CNC – Centre national du cinéma et de l'image animée – , qui perçoit une taxe sur les plateformes vidéo gratuites. Nous avons précisé le traitement des ad-exchange, comme on appelle les plateformes automatisées de vente et d'achat d'espaces publicitaires sur internet.
Le projet BEPS suit son cours dans le domaine numérique. Je tiens ici à rassurer mes collègues de gauche comme de droite : cette taxe ne résout évidemment pas tout ! Il sera d'ailleurs question de nouvelles règles globales de territorialité, notamment à Fukuoka en juin 2019. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté un amendement prévoyant un suivi renforcé de cette taxe au fil de l'eau, se traduisant par la présentation d'un rapport annuel par le Gouvernement. Nous pourrons ainsi tirer les conséquences des futures avancées multilatérales.
La TSN ne peut, en 2019, résoudre tous les problèmes liés à la fiscalité des grands groupes du numérique. Mais nous reconstituons les différents morceaux du puzzle de la fiscalité immatérielle pour éviter d'y laisser des trous.
Après les travaux du commissaire français Pierre Moscovici en soutien de cette taxation, la commissaire européenne Margrethe Vestager, qui a vaillamment et durablement lutté, pendant tout son mandat, contre les distorsions de concurrence dont bénéficient les géants du net, s'exprimait ce matin sur les ondes pour saluer l'initiative de la France.
La majorité votera donc en faveur de cette taxe, qui contribue à renforcer la souveraineté de la France, et à terme, nous l'espérons, l'Union européenne.