Le projet de loi que nous examinons représente une avancée majeure vers un système fiscal plus juste. Il vise à rétablir l'égalité devant l'impôt et à rendre à l'État le plein exercice d'une de ses fonctions régaliennes. C'est aussi, il faut le souligner, le premier texte législatif qui esquisse une adaptation de notre droit aux réalités d'une nouvelle économie, celle du numérique. Cette économie profite de l'obsolescence de nos règles pour s'affranchir de ses devoirs envers les pays où elle développe ses activités.
Avec ce texte, nous franchissons donc un premier pas. Le respect de la loi – des règles fiscales, en l'occurrence – n'est plus attaché à la présence physique de l'activité sur le territoire, mais à l'activité et à la valeur créée sur ce même territoire. C'est un petit pas dans la loi, mais un grand pas pour notre souveraineté ! En effet, l'impôt est l'instrument privilégié de la souveraineté, mais il n'est pas le seul. L'inadaptation de notre droit à l'économie numérique menace bien d'autres missions régaliennes. Si l'État se trouve dans l'impossibilité de lever l'impôt, il échouera à remplir ses missions de sécurité, de maintien de l'ordre public, de justice, de protection des données des utilisateurs, et à exercer ses droits de régulation. À l'échelle internationale, des réflexions sur la taxation des services numériques ont été engagées dans de nombreux pays, notamment en Espagne, en Belgique, en Autriche, en Inde, en Australie et en Israël, sans parler des travaux de l'OCDE, qui connaissent une accélération. Ces avancées traduisent une prise de conscience, par les États, des menaces qui pèsent sur leur souveraineté, voire sur nos modèles de société démocratique.
L'adaptation du droit est évidemment la première réponse. De nombreuses perspectives de travail s'ouvrent à nous, législateurs français, et à nos homologues européens, ce sujet devant également occuper nos représentants au sein des instances internationales. Dans cette assemblée, la proposition de loi de notre collègue Laetitia Avia contre la haine en ligne et le volet du projet de loi sur l'audiovisuel consacré à la régulation vont dans ce sens.
Le levier législatif est indispensable, mais est-il suffisant ? Non, certes non, car en même temps qu'il nous faudra rétablir le droit, nous aurons l'obligation, si nous voulons protéger nos modèles de société, de nous affranchir de notre dépendance à ces acteurs mondiaux qui ont envahi notre vie. Force est de constater que les alternatives françaises ou européennes ont encore du mal à émerger, car elles sont doublement entravées par leur arrivée tardive sur le marché et par les distorsions de concurrence que ces entreprises, qui respectent les règles du jeu, doivent affronter face à des rivaux qui les enfreignent.
Beaucoup a été fait, depuis deux ans, pour faire émerger des champions européens du numérique. Plusieurs actions peuvent être citées en matière de financement. Je veux d'abord parler des 400 millions d'euros dont a été doté Bpifrance pour soutenir les fonds français de capital-risque. Vous avez confié, monsieur le ministre, une mission à Philippe Tibi afin de favoriser les introductions en bourse d'entreprises technologiques. Citons également le scale-up tour organisé chaque année par le Président de la République pour inciter des investisseurs étrangers à financer nos start-up, les assouplissements du French tech visa pour faciliter le recrutement de talents étrangers par les start-up, ou encore le plan pour le développement des start-up portant des innovations technologiques de rupture, dites « deep tech », qui prévoit le fléchage de 70 millions d'euros par an issus des revenus du fonds pour l'innovation et l'industrie. Le fonds French tech seed, doté de 400 millions, permet également de financer les fonds propres de ces start-up. Citons le tour des start-up, destiné à réduire les frictions réglementaires, les nombreuses mesures d'ordre général et sectoriel, ainsi que la mise en avant des meilleures start-up par la création d'un indice Next 40.
Si beaucoup de choses ont été faites, il reste encore beaucoup à accomplir, notamment à l'échelle européenne. Les directives antitrust doivent être assouplies pour permettre la réalisation de concentrations, qui offriront à ces champions la possibilité d'atteindre une taille critique.
Les citoyens, qui ont réclamé les mesures de justice fiscale que nous examinons aujourd'hui, ont aussi un grand rôle à jouer dans la régulation de ces acteurs. Ils doivent savoir qu'ils disposent d'un pouvoir qui pèse autant, si ce n'est plus, que celui du législateur. Ils détiennent le pouvoir du consommateur, du marché, et doivent s'abstenir d'acheter ou d'utiliser les services d'acteurs dont ils condamnent les pratiques. Nous leur devons à ce titre un travail d'information et de pédagogie.