Nous sommes réunis aujourd'hui pour l'examen de deux textes importants.
Ils sont importants pour l'ensemble de la nation, montrant la voie d'une nouvelle dynamique entre la République et ses territoires. Nous sommes dans une vision qui respecte et prend en compte les singularités et amène le législateur à adapter les prescriptions de la loi aux réalités locales. Nous concrétisons ici l'ambition du Président de la République en légiférant dans le respect de l'objectif de différenciation territoriale.
Ils sont importants aussi pour les Polynésiens, puisque les dispositions que nous allons, j'espère, approuver au cours des heures qui viennent redessineront la vie institutionnelle de ce territoire français du Pacifique, en donnant aux Polynésiens les moyens d'exercer pleinement et plus efficacement leurs compétences.
Après plusieurs années de récession économique et financière sévère, la Polynésie a connu le retour au niveau d'avant crise et à la stabilité politique. La consolidation de l'autonomie statutaire doit permettre d'encourager et d'accompagner le territoire dans un développement économique durable. Elle doit permettre aussi la reconnaissance de la responsabilité des élus par une clarification, une simplification et un assouplissement de leurs champs d'intervention.
Le régime des « lois du pays » atteste d'ores et déjà, et il faut le souligner, de la réalité et de l'importance de l'autonomie du territoire polynésien. L'apaisement et la stabilisation du territoire permettent aujourd'hui une réécriture sereine. Je ne crois pas exagérer en disant que ces deux textes sont attendus et que nous sommes scrutés.
Ces deux projets de loi sont les fruits d'un travail considérable de co-construction, d'une part au sein même de la société polynésienne, et d'autre part entre le gouvernement territorial et le gouvernement de la République. Ce travail préalable a préparé la rénovation du statut organique de 2004 pendant plusieurs années et nourri un nombre considérable de propositions. Je me dois de reconnaître la maturité du débat public polynésien, ce qui est lié au travail des groupes, majoritaire et minoritaires, de l'assemblée de Polynésie. Ce travail, porteur de sens, a nourri efficacement le débat dans sa diversité.
Je tiens à saluer le travail de Mme la ministre des outre-mer et de ses équipes, qui ont discuté et amodié les demandes polynésiennes jusqu'à parvenir à un consensus. Elle n'est pas présente au banc, mais je tiens à saluer aussi Mme la garde des sceaux pour la qualité des articles relatifs au foncier.
Je salue les sénateurs et mon homologue rapporteur Mathieu Darnaud, qui ont su consolider l'ensemble des contributions pour construire un texte cohérent. Je ne suis pas sûr que nous parvenions à la même performance, un vote à l'unanimité, mais nous allons tenter l'exercice ! J'adresse également un salut amical à Lana Tetuanui, en reconnaissant son travail.
Le projet de loi organique modifie le statut d'autonomie de la Polynésie française. Je retiens volontiers l'expression de notre collègue Maina Sage, qui m'a accompagné, ainsi que Nicole Sanquer, dans une grande partie de mes auditions : c'est un peu la « petite Constitution du territoire ».
Je distinguerai trois éléments dans ce texte.
En premier lieu, il comporte un aspect symbolique et fédérateur : la reconnaissance du fait nucléaire. Jusqu'en 1996, les essais nucléaires ont « contribué », et je reprends ici le terme contenu dans l'accord de l'Élysée, à la capacité de dissuasion nucléaire française. Il est important que la République en reconnaisse les conséquences à long terme sur le plan sanitaire et social et sur le plan du développement du territoire.
Cet article a suscité de nombreuses discussions. Un nombre important d'acteurs a participé à sa rédaction. L'existence même de cet article est un fait majeur. Je crois pouvoir dire que sa rédaction est le résultat d'une forme d'équilibre dans les débats. Je vous demanderai donc de le préserver.
Ce que je remarque, c'est que les différentes réformes du statut témoignent d'une maturité toujours plus forte des institutions du territoire, mais aussi d'une écriture de notre histoire partagée, enrichie au fil du temps, et qui continuera à s'enrichir à l'avenir. Cette histoire doit être digérée et assumée. Nous pouvons dire que ce sur quoi nous votons aujourd'hui est l'une des étapes de cette construction de l'écriture de l'histoire.
L'inscription de cette reconnaissance doit être accompagnée maintenant d'un suivi de la question nucléaire en Polynésie. Comme l'a rappelé Mme la ministre, de forts engagements ont été pris : augmentation du budget consacré à l'indemnisation des victimes, ouverture du centre de mémoire sur les essais nucléaires, attribution de moyens à la dépollution des atolls.
En second lieu, ce texte traduit une ambition au niveau local, afin de faciliter la coopération entre le pays, les communes et les autres partenaires publics. Il s'agit de clarifier les compétences communales, de sécuriser l'existence des syndicats mixtes ouverts comprenant la Polynésie française ou encore d'améliorer le fonctionnement du Fonds intercommunal de péréquation.
En troisième lieu, nous procéderons à des aménagements techniques et corrigerons quelques malfaçons concernant le fonctionnement des institutions et de l'administration qui ne font pas débat.
Même si ce texte rencontre un assentiment commun, il peut pécher par ce qui n'y est pas, en particulier un sujet que nous avons abordé en commission, celui de la limitation du nombre de collaborateurs du gouvernement de la Polynésie.
Dans les années 2000, les cabinets du gouvernement territorial de la Polynésie française pouvaient compter jusqu'à 700 collaborateurs. Cette réalité extravagante a provoqué la réaction du législateur. Ainsi, l'article 86 de la loi organique de la Polynésie française a été modifié pour limiter le nombre de collaborateurs de cabinet à 150, avec une enveloppe des crédits destinés à leur rémunération assise sur un pourcentage de la masse salariale de l'administration de la Polynésie française fixé à 5 % en 2012, ramené ensuite à 3 %.
Cette modification est liée à une période d'instabilité politique aujourd'hui révolue, comme en témoigne le redressement de la Polynésie tant au niveau budgétaire que de sa gouvernance. Nous devons prendre acte, encore une fois, de la maturité des institutions.
Cette disposition en tant que telle pose déjà question. D'aucuns, j'en suis, considèrent qu'elle ternit la confiance sincère et affirmée du Gouvernement dans les institutions polynésiennes. Par ailleurs, elle freine leur fonctionnement. Le gouvernement polynésien exerce des compétences complètes, exigeantes, dont les conséquences sont importantes pour le pays. Il s'appuie sur une administration de qualité, mais qui ne représente pas le même volume qu'en métropole. Le cabinet des ministres est fortement sollicité et les limites instaurées posent de réelles difficultés.
Je crois que la barre des 3 % de crédits consacrés à leur administration devrait être levée, parce qu'elle ne s'accorde pas avec l'autonomie et la responsabilité que revêt l'action du gouvernement. De surcroît, nos travaux m'amènent à considérer que les effets drastiques de cette disposition excèdent les volontés du législateur organique de 2011.
L'article 40 ne permet pas de déposer un amendement dans ce sens mais je considère qu'il serait temps de revenir au droit commun de l'article 74 de la Constitution. Madame la ministre, j'espère que le Gouvernement pourra intégrer cette réflexion et envisager une évolution à moyen terme.
Pour ce qui est des autres articles, la commission s'est montrée satisfaite de la rédaction présentée. Mes chers collègues, je recommanderai à l'Assemblée nationale de mêler son vote à ce consensus.
Le projet de loi ordinaire, quant à lui, a nécessité quelques améliorations.
Le Sénat a introduit un article 1er A transformant la dotation globale d'autonomie en prélèvement sur recettes, afin d'en sanctuariser l'évolution. Bien que le Gouvernement ait considéré que cette disposition avait, par nature, davantage sa place en loi de finances, il s'était montré favorable, sur le fond, à cette transformation. D'autres prélèvements sur recettes ayant déjà été institués, par le passé, par une loi ordinaire, la commission a avalisé cette orientation.
S'agissant du volet communal et intercommunal, le Sénat, bénéficiant de l'initiative des autorités polynésiennes, a réalisé un important travail pour redéfinir les compétences des communautés de communes et d'agglomération, qui semble satisfaire le plus grand nombre. La commission n'a apporté que des précisions rédactionnelles.
En ce qui concerne les dispositions relatives au foncier, les élus polynésiens et la chancellerie ont présenté au Sénat un travail de grande qualité, largement inspiré par les propositions que Maina Sage avait pu avancer lors de la proposition de loi Letchimy que nous avons votée il y a quelques mois. Nous nous sommes bornés à préciser que le droit de retour intégral des biens d'un défunt sans postérité à ses collatéraux qui le détiennent en indivision ne valait que pour les biens immobiliers.
Enfin, le texte issu du Sénat prévoyait deux demandes de rapport au Gouvernement. S'en tenant à sa pratique constante et à sa définition du travail parlementaire, la commission les a supprimées. Les députés doivent contrôler le Gouvernement par eux-mêmes. L'aménagement du principe d'unicité de trésorerie, qui concerne les finances publiques, nous semble ainsi devoir être discuté par les commissions des finances.
Je tiens à saluer l'esprit qui anime ces travaux. Le Gouvernement, par les actions qu'il mène en outre-mer et les textes qu'il nous propose, s'engage avec constance à faire émerger un droit à la différenciation au sein de la République, conjuguant ainsi sa diversité et son universalité. La proposition de loi Letchimy a témoigné que les travaux du parlement peuvent aller dans le même sens. C'est une évolution qui se produit souvent de manière discrète, une évolution à bas bruit – mais cette discrétion ne doit pas en masquer l'importance.
Mes chers collègues, c'est un cycle long de plusieurs années qui s'achèvera avec nos travaux. Je souhaite que nos débats se déroulent ici comme en commission des lois, empreints de respect mutuel et d'une volonté commune d'aboutir au meilleur équilibre pour ce territoire qui fait rayonner la France au sein du Pacifique.