Je salue madame la ministre des outre-mer, monsieur le rapporteur, que je prie de recevoir mes voeux amicaux de prompt rétablissement, mes chers collègues, et je salue aussi bien sûr très chaleureusement l'ensemble des Polynésiens qui nous écouteront peut-être avec un peu de décalage.
C'est une longue histoire qui lie dans un destin commun la France et la Polynésie, pays d'outre-mer « au sein de la République », pour reprendre les termes de l'article 74 de la Constitution. Avec ses 118 îlots, ses 280 000 habitants – ils sont même un peu plus nombreux – , la Polynésie française occupe un espace stratégique au sein du Pacifique. Cette zone économique exclusive représente près de 50 % de la zone économique exclusive française, deuxième espace maritime au monde. Au coeur du Pacifique, cette zone stratégique est aujourd'hui convoitée par un certain nombre de pays. La Chine, autant être clair d'emblée, déplace son influence de façon plus ou moins marquée, mais, de fait, de plus en plus marquée.
Il importe d'avoir ces éléments en tête au moment où nous abordons l'examen de textes qui visent à toiletter – ils vont même au-delà – un statut qui a déjà une quinzaine d'années. Avant d'y revenir, je veux donner une perspective historique à nos débats. Parce qu'un statut, c'est froid, parce qu'un statut, par définition, c'est juridique, je souhaite, en retraçant une histoire parfois tumultueuse et compliquée, faite de heurts et de malheurs, replacer au centre de nos débats les hommes et les femmes qui ont vécu et construit cette aventure, et qui sont aujourd'hui au fondement d'un destin commun.
Ce destin commun doit le rester. Je m'inscris immédiatement en faux contre la résolution de l'ONU du 17 mai 2013, au risque de froisser certains d'entre vous que je respecte par ailleurs, ils le savent. La Polynésie et l'Hexagone partagent une histoire de plusieurs siècles, qui ne peut s'effacer d'un revers de main.
Cette histoire commence au XVIIIe siècle, avec des oppositions entre les Britanniques et les Français, mais les événements de 1842, évoqués ce matin, marquent un tournant. Un protectorat permettra d'inscrire les îles du Vent, une partie des îles Tuamotu et des îles Australes dans un ensemble plus grand. Après les accords avec la reine Pomare IV, puis ceux passés avec le roi Pomare V, l'ensemble des archipels constituera les Établissements français de l'Océanie.
Je n'oublie pas l'apport des Polynésiens pendant la guerre de 1914-1918. Je n'oublie pas non plus, et peut-être faut-il s'en souvenir avec encore plus de force, que le territoire sera l'un des premiers à se rallier à la France libre, pendant la Seconde Guerre mondiale : il enverra les volontaires du bataillon du Pacifique. J'en profite pour saluer le dernier ancien combattant de ce conflit venant de Polynésie. Il a aujourd'hui un âge bien avancé, et il mérite les égards et le respect de la Nation – j'espère qu'il nous écoute ou qu'on lui transmettra notre message. Oui, la Polynésie, c'est aussi cela !
La Constitution de 1946 reconnaîtra cette première dette – je dis bien « première dette » car nous en avons une seconde dont je vous parlerai dans un instant – en mettant fin au statut particulier colonial de l'indigénat, statut d'un autre temps. Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme avec force : « La France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion. » Bien sûr cela vaut dans le respect des institutions, et il faut insister sur l'égalité des droits et des devoirs.
Les Établissements français de l'Océanie avaient vécu. Ces vestiges de l'empire français devenaient un territoire d'outre-mer à part entière, déjà reconnu avec des spécificités en matière législative, et doté d'un statut particulier tenant compte de ses intérêts propres dans le cadre de la République. Il s'agit des bases de l'autonomie, de la singularité, et aussi de l'unité dans la diversité.
Je passe rapidement sur des étapes importantes de l'histoire polynésienne, de la loi du 23 juin 1956 dite « loi-cadre Defferre » jusqu'à celle du 12 juillet 1977 qui dote pour la première fois l'archipel d'un statut d'autonomie. La Polynésie bénéficie depuis d'une autonomie croissante avec le statut de 1984, celui de 1996, puis la loi organique du 27 février 2004 qui fonde le statut d'une large autonomie dont résulte le statut actuel – même si la loi de 2004 a déjà connu quelques modifications visant à tenir compte de la réalité.
La Polynésie française c'est bien la France, mais il est tentant, pour certains, de considérer que tout cela est bien lointain et mérite peu d'intérêt. C'est évidemment à tort qu'ils pensent cela. Ce territoire, qui se situe à plus d'une journée d'avion de l'Hexagone, ne peut être géré administré ou même envisagé comme n'importe quel autre territoire. C'est cela l'unité dans la diversité, et cela vaut pour la Polynésie peut-être plus qu'ailleurs.
Évidemment, la géographie a son importance. J'évoquais ces millions de kilomètres carrés, les 118 îlots, mais que dire du désenclavement aérien et numérique du tourisme et de l'économie en général ? Il faut aussi saluer la culture polynésienne, son apport à la Nation et à notre diversité, car elle nourrit la pluralité française.
Le statut de 2004 semble à bien des égards incomplet et rigide. Les difficultés d'application se sont fait jour, et des relations parfois particulières dans les années relativement récentes ont pu susciter des interrogations, inutile de le nier. Quoi qu'il en soit, en débattant aujourd'hui dans notre hémicycle, après que le débat a eu lieu au Sénat, il y a deux mois, la République remplit un engagement de continuité.
Cet engagement de continuité, la République l'a pris lors de la signature de l'accord de l'Élysée, il y a presque deux ans jour pour jour, le 17 mars 2017. Cet engagement lie la République aux élus et au territoire de la Polynésie. J'en profite pour saluer le travail de M. Édouard Fritch, président de la collectivité, et de Gaston Tong Sang, président de l'Assemblée de la Polynésie française.
Ces travaux, nous conduisent à revoir aujourd'hui un certain nombre de dispositions, qu'elles soient institutionnelles ou plus ordinaires. Elles concernent le fonctionnement au quotidien des institutions et aussi quelques difficultés particulières liés à la propriété foncière, à la reconnaissance d'autorités administratives indépendantes… Tout cela forme un ensemble cohérent, mais ne serait rien sans une question centrale sur laquelle nous débattrons. En effet, il importe de rappeler l'apport indiscutable de la Polynésie et de ses habitants au succès du nucléaire français, que le texte soit normatif ou non, puisque notre collègue Moetai Brotherson en parlait ce matin.
Je ne cherche pas à glorifier le feu nucléaire, mais, sans la Polynésie, la France n'aurait pas acquis la souveraineté, la puissance, et l'indépendance qui sont les siennes et qui confortent notre place au sein du système onusien. Elles justifient aussi grandement notre position de membre permanent avec droit de veto. Nous avons donc une seconde dette à l'égard de la Polynésie. La France a bien une seconde dette à l'égard de l'une de ses filles, de l'un de ses fils, car nous pouvons nous exprimer comme au sein d'une famille élargie dont les membres ont besoin de la reconnaissance les uns des autres.
Madame la ministre, nous vous demandons de consentir un effort rédactionnel supplémentaire et de donner plus de force aux mots et aux symboles, au-delà même de la reconnaissance financière, des indemnisations, et de l'engagement de la responsabilité, éléments évidemment non négligeables. Les mots employés pourraient être encore plus forts, afin que la dette soit réellement reconnue et totalement soldée. La population et les élus de Polynésie vous demandent, un peu comme dans une publicité que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : encore un petit plus ! C'est ce qu'il faudrait pour parvenir à un texte parfaitement équilibré. Je crois me faire l'interprète de nombre d'entre nous pour le dire avec force.
Ainsi, les textes qui nous sont soumis réaffirment la place de la Polynésie dans la République. Les outre-mer sont une chance extraordinaire pour la France, des atouts économiques, géographiques, culturelles et stratégiques, mais des atouts aussi en termes de biodiversité. La population de Polynésie a besoin que l'on s'intéresse à elle. Elle a besoin d'institutions qui permettent d'avancer dans un cadre connu. C'est l'objet des deux textes que nous examinons
Il est important de définir des compétences précises, de disposer des modes d'action respectifs de l'État et de la collectivité, de déterminer les conditions d'application des lois et des règlements en Polynésie, de régir le mode de désignation et le fonctionnement des institutions locales, et d'éviter l'éventualité d'un « gouvernement à secousses », pour reprendre l'expression utilisée par Edgar Faure en 1953 pour qualifier les crises ministérielles de la IVe République. Évitons les secousses et remplissons les engagements de l'accord de l'Élysée de mars 2017 ! Attachons nous aussi, au-delà du cadre institutionnel de ce qui figure dans le projet de loi organique, à préciser un certain nombre d'éléments sur l'identification des navires, les questions d'indivision – les problèmes fonciers empoisonnent bien souvent la vie dans les outre-mer – , ou sur les questions de partage judiciaire ! Nous nous retrouvons donc pour ce qui n'est pas un simple toilettage, mais un vaste chantier.
Pour conclure, je souhaite que, dans le moyen et le long terme, nous puissions réviser plus globalement le statut de la Polynésie. Plus que de toilettages successifs, en effet, nous avons besoin de fonder un nouveau pacte avec le territoire et avec sa population autour de la notion de destin commun que j'évoquais tout à l'heure, parce que, bien évidemment, la Polynésie, c'est la République, et la République ne peut pas être pleine et entière sans la Polynésie.