Je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin que je vous présente les principales conclusions de notre avis sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.
Je suis accompagné aujourd'hui de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, de Vianney Bourquard et Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, ainsi que de Cyprien Canivenc, rapporteur.
C'est la septième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité. Avant de détailler devant vous le contenu de ce nouvel avis, j'aimerais formuler deux remarques préalables.
La première porte sur le calendrier. Conformément au droit de l'Union, le programme de stabilité a été établi, comme chaque année, au début du mois d'avril et sera transmis à la Commission européenne d'ici la fin de ce mois. Cette contrainte calendaire pèse particulièrement cette année, puisque le texte a été bâti indépendamment des suites qui seront données au Grand débat national. Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre du Brexit, dont l'échéance initiale était fixée au 29 mars 2019, continuent de représenter un aléa majeur pour les perspectives de croissance européenne et française. Notre avis est donc formulé sous ces réserves.
Ma seconde remarque concerne le mandat du Haut Conseil des finances publiques. L'examen du programme de stabilité qu'il réalise chaque année porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques, et non sur la trajectoire de finances publiques elle-même. Le Haut Conseil tient toutefois compte de l'impact des finances publiques sur la macroéconomie et, inversement, des conséquences de la macroéconomie sur les finances publiques.
Dans ce cadre, nous nous sommes appuyés sur des prévisions émanant de multiples institutions, telles que la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que sur les travaux d'autres organismes comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Rexecode) et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Avant de vous présenter les observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement dont nous avons été saisis mercredi 3 avril dernier, je souhaite revenir brièvement sur le contexte macroéconomique dans lequel le programme de stabilité français a été établi. Je vous présenterai ensuite notre appréciation sur les prévisions du Gouvernement portant sur l'année 2019, puis nos observations relatives au scénario macroéconomique établi pour les années 2020 à 2022.
S'agissant du contexte macroéconomique actuel, le Haut Conseil constate d'abord le caractère moins porteur de l'environnement économique mondial et européen dans lequel paraît le programme de stabilité de notre pays.
Nous observons en effet un fort ralentissement de la croissance du commerce international depuis la fin de l'année 2018. Ce repli est notamment dû à l'escalade des droits de douanes, initiée par les États-Unis, au ralentissement de la croissance des pays émergents – en particulier de la Chine – et aux difficultés affectant le secteur automobile dans plusieurs pays. Ainsi, malgré un rebond attendu en cours d'année 2019, la croissance du commerce mondial en moyenne annuelle se situerait cette année à un niveau plus faible qu'en 2017 et 2018.
La zone euro connaît, pour sa part, un fléchissement très prononcé de sa croissance. Le ralentissement de l'activité observé au second semestre de l'année 2018 reflète celui du commerce mondial que je viens de mentionner et a été amplifié, notamment en Allemagne, par les difficultés d'adaptation du secteur automobile lors de la mise en oeuvre de nouvelles normes d'homologation au 1er septembre 2018. Aussi, si la zone euro peut retrouver au premier semestre 2019 une croissance modérée, tirée par la consommation, les prévisions pour l'ensemble de l'année ont été sensiblement révisées à la baisse.
En 2019, les prévisions de croissance pour la zone euro sont en effet comprises entre 1,3 %, selon la Commission européenne et le Gouvernement français, 1,2 % selon l'OCDE, et 1,1 % selon la BCE, ce qui correspond, quelle que soit l'estimation retenue, à une progression sensiblement inférieure à celles observées en 2017 et en 2018, qui s'établissaient respectivement à 2,5 % et 1,8 %.
J'en viens à la situation de la France. Depuis la mi-2018, notre pays connaît une croissance un peu plus soutenue que celle de ses principaux partenaires européens. Par rapport à la zone euro, la France a en effet bénéficié au second semestre 2018 d'un investissement des entreprises plus élevé et d'une contribution des échanges extérieurs un peu plus favorable.
En revanche, l'investissement des ménages français a été moins dynamique que chez nos voisins européens. De même, la consommation a été atone au quatrième trimestre de l'année 2018, sous l'effet notamment des mouvements sociaux intervenus en fin d'année.
L'écart de croissance de la France par rapport à la zone euro devrait toutefois se maintenir au premier semestre 2019. Le climat des affaires s'est en effet légèrement redressé aux mois de février et mars, et se situe actuellement à un niveau un peu supérieur à sa moyenne de longue période. Enfin, la demande intérieure pourrait se trouver renforcée par un rebond de la consommation, soutenu par des gains significatifs de pouvoir d'achat au quatrième trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.
Le Haut Conseil estime toutefois que ce contexte macroéconomique présente plusieurs facteurs d'incertitude, susceptibles d'affecter l'activité mondiale et européenne et, en conséquence, d'affecter la trajectoire de croissance française.
J'en citerai trois. D'abord, je l'ai déjà dit, les conditions de mise en oeuvre du Brexit constituent un aléa majeur pour notre dynamique de croissance ; ensuite, nous devons intégrer le risque d'une reprise plus lente que prévu du commerce mondial, sous l'effet d'un possible durcissement des tensions protectionnistes ou d'un ralentissement accru de l'activité en Chine ou aux États-Unis ; enfin, l'activité française pourrait être freinée si le ralentissement observé ces derniers mois en Italie et en Allemagne était amené à se poursuivre.
À l'inverse, d'autres facteurs pourraient affecter positivement notre trajectoire. Certains pays européens pourraient ainsi utiliser les marges de manoeuvre budgétaires dont ils disposent pour soutenir davantage l'activité – je pense, bien sûr à l'Allemagne. Je pense également aux politiques monétaires plus accommodantes qui résultent des décisions prises par la Réserve fédérale américaine et la BCE au cours des derniers mois et qui atténuent le risque d'une remontée rapide des taux d'intérêt.
J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement pour l'année 2019.
S'agissant de la prévision de croissance formulée dans le programme de stabilité pour 2019 par le Gouvernement, elle s'élève à 1,4 %. Elle est donc en baisse par rapport à la prévision associée à la loi de finances pour 2019, qui s'établissait à 1,7 %. Cette prévision de croissance est en ligne avec celles formulées par plusieurs organisations internationales, telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne – qui l'estiment à 1,3 % pour 2019 –, ainsi qu'avec celles établies par d'autres organismes, qui oscillent entre 1,5 % selon l'OFCE, 1,4 % selon la Banque de France et 1,3 % selon Rexecode.
Dans le détail, la consommation des ménages français devrait être soutenue par d'importants gains de pouvoir d'achat, résultant de la poursuite de la croissance des revenus d'activité, par le ralentissement de l'inflation et par les différentes mesures fiscales et sociales prises à la fin de 2018.
Ces gains de pouvoir d'achat, concentrés sur le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, ont été jusqu'ici absorbés en grande partie par la hausse du taux d'épargne, qui a atteint un niveau singulièrement élevé. La consommation française dépendra donc, au cours des prochains trimestres, de la perception qu'auront les ménages de l'évolution de leur pouvoir d'achat et de leur confiance dans l'avenir.
Enfin, la hausse de l'investissement des entreprises devrait également se poursuivre, ce qui est cohérent avec les niveaux élevés de taux d'utilisation des capacités de production.
En résumé, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance pour 2019 formulée dans le programme de stabilité est réaliste. Il en est de même pour les prévisions d'emploi et de masse salariale établies par le Gouvernement pour 2019.
S'agissant, enfin, de l'inflation, le Haut Conseil estime que la prévision du Gouvernement, à 1,3 % pour 2019, est plausible. Il relève toutefois que les premières estimations de l'indice d'inflation du mois de mars laissent penser que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente – c'est-à-dire permettant de dégager une tendance de fond de l'évolution des prix – pourrait être plus lente que prévu par le Gouvernement.
Je voudrais, pour finir, vous présenter les observations du Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2020 à 2022.
Il convient d'abord d'examiner les hypothèses de croissance du produit intérieur brut potentiel, c'est-à-dire la production, dite soutenable, qui peut être réalisée sans engendrer de tensions dans l'économie.
Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2018 et 2020. Elle augmenterait cependant très légèrement en fin de période, pour tenir compte de l'impact de réformes structurelles, et s'établirait ainsi à 1,35 % en 2022.
Nous renouvelons donc l'avis que nous avions déjà exprimé lors de l'examen de la loi de programmation, en considérant que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour cette période, qui se situent dans la fourchette des estimations disponibles, sont raisonnables.
Il convient ensuite d'évaluer la position de l'économie française dans le cycle en 2019 et 2020. Elle est estimée grâce à l'écart de production, également appelé output gap. Cet écart constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond d'un pays, quand il est négatif, ou d'une perspective de ralentissement, quand il est positif.
Les estimations du Gouvernement établissent un écart de production très légèrement négatif pour 2018 et 2019, qui se situe dans la fourchette des estimations disponibles. Nous les considérons donc également comme raisonnables.
Nous relevons cependant que l'incertitude portant sur l'écart de production est importante. En effet, cet écart ne correspond pas à une donnée observable ou comptable et ses estimations sont régulièrement sujettes à des révisions significatives.
Comme en avril 2018, nous notons que la fragilité des évaluations de l'écart de production est mise en lumière par les messages divergents délivrés par les indicateurs d'inflation et de tension. Ainsi, l'inflation sous-jacente fluctue faiblement et reste à un bas niveau, ce qui ne témoigne pas de signes de tension. En revanche, les taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie manufacturière et les difficultés de recrutement s'établissent, début 2019, au-dessus de leur moyenne de long terme.
J'en viens au scénario de croissance établi par le Gouvernement pour la période 2020-2022.
L'an dernier, dans son avis sur le programme de stabilité d'avril 2018, le Haut Conseil avait considéré que le scénario d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 était optimiste. Le nouveau scénario présenté cette année se prête moins à cette critique. Le Gouvernement a en effet révisé à la baisse son scénario de croissance par rapport au programme de stabilité transmis en 2018. Les prévisions de croissance s'établissent ainsi à 1,4 % par an. Ce niveau est proche de la croissance potentielle jusqu'en 2022, quoique légèrement supérieur. En conséquence, l'écart de production serait durablement proche de zéro.
Le Haut Conseil considère que ce nouveau scénario constitue une base raisonnable et, en tout état de cause, plus raisonnable, pour établir une trajectoire pluriannuelle de finances publiques.
Je voudrais évoquer pour conclure l'impact du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement sur les finances publiques.
Dans l'ensemble, le Haut Conseil note que le Gouvernement a souhaité rendre plus crédible le scénario macroéconomique de moyen terme. La comparaison des trajectoires de finances publiques prévues dans le programme de stabilité transmis en avril 2018 et dans celui-ci montre qu'un scénario optimiste de croissance, tel que celui présenté l'an dernier, tend, à l'inverse, à minorer le déficit et à afficher une trajectoire favorable de dette publique.
Tandis que le solde public effectif devait être positif à hauteur de 0,3 point de produit intérieur brut en 2022, selon le programme de stabilité établi l'an dernier, celui de cette année prévoit désormais un déficit public de 1,2 point au même horizon. Le programme de stabilité établi en avril 2019 inscrit donc pour l'année 2022 une dégradation du déficit de 1,5 point de produit intérieur brut (PIB) par rapport à celui de l'an passé.
Dans l'ensemble, cette évolution s'explique, pour un peu plus de la moitié, par la révision de la trajectoire de croissance économique sur la période 2018 à 2022 et, pour un peu moins de la moitié, par les choix faits en matière de finances publiques, essentiellement celui d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, qui ne s'accompagne pas pour autant d'une maîtrise plus forte des dépenses publiques.
En conséquence, dans le nouveau scénario, en 2022, le solde structurel, restera éloigné de l'objectif de moyen terme, fixé à – 0,4 point de PIB. Il serait encore de – 1,3 point de PIB en 2022, contre – 0,6 point dans le programme de stabilité établi en avril 2018.
La révision du scénario de croissance et, dans une moindre mesure, de celui de finances publiques se traduirait aussi par une modification significative de la trajectoire de diminution du ratio de dette par rapport au PIB. D'après le programme de stabilité transmis par le Gouvernement, il ne diminuerait, sur l'ensemble de la période 2018-2022, que de 1,6 point dans le programme de stabilité d'avril 2019, contre 7,2 points initialement anticipés dans le programme de stabilité établi l'année dernière. La baisse du ratio de dette ne serait donc amorcée qu'à compter de 2021, alors qu'elle était attendue dès 2018 dans le programme de stabilité d'avril 2018.
Le Haut Conseil relève donc que, pour des raisons tenant à la fois aux perspectives de croissance et au choix fait d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, le nouveau programme de stabilité conduit, par rapport au précédent, à une réduction sensiblement moindre des déficits effectifs et structurels à l'horizon 2022 et, en conséquence, de notre dette. Cette évolution rend d'autant plus nécessaire un strict respect des objectifs de dépense publique affichés dans ce programme de stabilité.