Présidence
La commission entend M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.
Nous entendons ce matin M. Didier Migaud, au titre de ses fonctions de président du Haut Conseil des finances publiques, comme nous le faisons toujours avant de débuter nos travaux sur la loi de programmation, les lois de finances de l'année et les programmes de stabilité.
En application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil est saisi par le gouvernement des prévisions macroéconomiques – et uniquement des prévisions macroéconomiques – sur lesquelles repose le programme de stabilité.
Son avis est joint au programme de stabilité, lorsque celui-ci est transmis au Parlement. Nous entendrons, après le Conseil des ministres, les ministres Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Par ailleurs, comme vous le savez, le mardi 30 avril, à l'issue des questions aux Gouvernement, le Gouvernement fera sur ce programme de stabilité, en application de l'article 50-1 de la Constitution, une déclaration en séance publique qui sera suivie d'un débat et d'un vote.
Je précise enfin qu'au vu du peu d'informations dont il disposait jusqu'à ce matin, notre rapporteur général Joël Giraud ne sera pas à même de nous présenter aujourd'hui son rapport d'information. Compte tenu de l'interruption des travaux parlementaires durant la seconde quinzaine d'avril, je suis certain que la commission acceptera de s'en remettre pleinement à notre rapporteur général pour qu'il finalise ce document d'ici la séance publique.
Je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin que je vous présente les principales conclusions de notre avis sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.
Je suis accompagné aujourd'hui de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, de Vianney Bourquard et Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, ainsi que de Cyprien Canivenc, rapporteur.
C'est la septième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité. Avant de détailler devant vous le contenu de ce nouvel avis, j'aimerais formuler deux remarques préalables.
La première porte sur le calendrier. Conformément au droit de l'Union, le programme de stabilité a été établi, comme chaque année, au début du mois d'avril et sera transmis à la Commission européenne d'ici la fin de ce mois. Cette contrainte calendaire pèse particulièrement cette année, puisque le texte a été bâti indépendamment des suites qui seront données au Grand débat national. Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre du Brexit, dont l'échéance initiale était fixée au 29 mars 2019, continuent de représenter un aléa majeur pour les perspectives de croissance européenne et française. Notre avis est donc formulé sous ces réserves.
Ma seconde remarque concerne le mandat du Haut Conseil des finances publiques. L'examen du programme de stabilité qu'il réalise chaque année porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques, et non sur la trajectoire de finances publiques elle-même. Le Haut Conseil tient toutefois compte de l'impact des finances publiques sur la macroéconomie et, inversement, des conséquences de la macroéconomie sur les finances publiques.
Dans ce cadre, nous nous sommes appuyés sur des prévisions émanant de multiples institutions, telles que la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que sur les travaux d'autres organismes comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Rexecode) et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Avant de vous présenter les observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement dont nous avons été saisis mercredi 3 avril dernier, je souhaite revenir brièvement sur le contexte macroéconomique dans lequel le programme de stabilité français a été établi. Je vous présenterai ensuite notre appréciation sur les prévisions du Gouvernement portant sur l'année 2019, puis nos observations relatives au scénario macroéconomique établi pour les années 2020 à 2022.
S'agissant du contexte macroéconomique actuel, le Haut Conseil constate d'abord le caractère moins porteur de l'environnement économique mondial et européen dans lequel paraît le programme de stabilité de notre pays.
Nous observons en effet un fort ralentissement de la croissance du commerce international depuis la fin de l'année 2018. Ce repli est notamment dû à l'escalade des droits de douanes, initiée par les États-Unis, au ralentissement de la croissance des pays émergents – en particulier de la Chine – et aux difficultés affectant le secteur automobile dans plusieurs pays. Ainsi, malgré un rebond attendu en cours d'année 2019, la croissance du commerce mondial en moyenne annuelle se situerait cette année à un niveau plus faible qu'en 2017 et 2018.
La zone euro connaît, pour sa part, un fléchissement très prononcé de sa croissance. Le ralentissement de l'activité observé au second semestre de l'année 2018 reflète celui du commerce mondial que je viens de mentionner et a été amplifié, notamment en Allemagne, par les difficultés d'adaptation du secteur automobile lors de la mise en oeuvre de nouvelles normes d'homologation au 1er septembre 2018. Aussi, si la zone euro peut retrouver au premier semestre 2019 une croissance modérée, tirée par la consommation, les prévisions pour l'ensemble de l'année ont été sensiblement révisées à la baisse.
En 2019, les prévisions de croissance pour la zone euro sont en effet comprises entre 1,3 %, selon la Commission européenne et le Gouvernement français, 1,2 % selon l'OCDE, et 1,1 % selon la BCE, ce qui correspond, quelle que soit l'estimation retenue, à une progression sensiblement inférieure à celles observées en 2017 et en 2018, qui s'établissaient respectivement à 2,5 % et 1,8 %.
J'en viens à la situation de la France. Depuis la mi-2018, notre pays connaît une croissance un peu plus soutenue que celle de ses principaux partenaires européens. Par rapport à la zone euro, la France a en effet bénéficié au second semestre 2018 d'un investissement des entreprises plus élevé et d'une contribution des échanges extérieurs un peu plus favorable.
En revanche, l'investissement des ménages français a été moins dynamique que chez nos voisins européens. De même, la consommation a été atone au quatrième trimestre de l'année 2018, sous l'effet notamment des mouvements sociaux intervenus en fin d'année.
L'écart de croissance de la France par rapport à la zone euro devrait toutefois se maintenir au premier semestre 2019. Le climat des affaires s'est en effet légèrement redressé aux mois de février et mars, et se situe actuellement à un niveau un peu supérieur à sa moyenne de longue période. Enfin, la demande intérieure pourrait se trouver renforcée par un rebond de la consommation, soutenu par des gains significatifs de pouvoir d'achat au quatrième trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.
Le Haut Conseil estime toutefois que ce contexte macroéconomique présente plusieurs facteurs d'incertitude, susceptibles d'affecter l'activité mondiale et européenne et, en conséquence, d'affecter la trajectoire de croissance française.
J'en citerai trois. D'abord, je l'ai déjà dit, les conditions de mise en oeuvre du Brexit constituent un aléa majeur pour notre dynamique de croissance ; ensuite, nous devons intégrer le risque d'une reprise plus lente que prévu du commerce mondial, sous l'effet d'un possible durcissement des tensions protectionnistes ou d'un ralentissement accru de l'activité en Chine ou aux États-Unis ; enfin, l'activité française pourrait être freinée si le ralentissement observé ces derniers mois en Italie et en Allemagne était amené à se poursuivre.
À l'inverse, d'autres facteurs pourraient affecter positivement notre trajectoire. Certains pays européens pourraient ainsi utiliser les marges de manoeuvre budgétaires dont ils disposent pour soutenir davantage l'activité – je pense, bien sûr à l'Allemagne. Je pense également aux politiques monétaires plus accommodantes qui résultent des décisions prises par la Réserve fédérale américaine et la BCE au cours des derniers mois et qui atténuent le risque d'une remontée rapide des taux d'intérêt.
J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement pour l'année 2019.
S'agissant de la prévision de croissance formulée dans le programme de stabilité pour 2019 par le Gouvernement, elle s'élève à 1,4 %. Elle est donc en baisse par rapport à la prévision associée à la loi de finances pour 2019, qui s'établissait à 1,7 %. Cette prévision de croissance est en ligne avec celles formulées par plusieurs organisations internationales, telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne – qui l'estiment à 1,3 % pour 2019 –, ainsi qu'avec celles établies par d'autres organismes, qui oscillent entre 1,5 % selon l'OFCE, 1,4 % selon la Banque de France et 1,3 % selon Rexecode.
Dans le détail, la consommation des ménages français devrait être soutenue par d'importants gains de pouvoir d'achat, résultant de la poursuite de la croissance des revenus d'activité, par le ralentissement de l'inflation et par les différentes mesures fiscales et sociales prises à la fin de 2018.
Ces gains de pouvoir d'achat, concentrés sur le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, ont été jusqu'ici absorbés en grande partie par la hausse du taux d'épargne, qui a atteint un niveau singulièrement élevé. La consommation française dépendra donc, au cours des prochains trimestres, de la perception qu'auront les ménages de l'évolution de leur pouvoir d'achat et de leur confiance dans l'avenir.
Enfin, la hausse de l'investissement des entreprises devrait également se poursuivre, ce qui est cohérent avec les niveaux élevés de taux d'utilisation des capacités de production.
En résumé, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance pour 2019 formulée dans le programme de stabilité est réaliste. Il en est de même pour les prévisions d'emploi et de masse salariale établies par le Gouvernement pour 2019.
S'agissant, enfin, de l'inflation, le Haut Conseil estime que la prévision du Gouvernement, à 1,3 % pour 2019, est plausible. Il relève toutefois que les premières estimations de l'indice d'inflation du mois de mars laissent penser que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente – c'est-à-dire permettant de dégager une tendance de fond de l'évolution des prix – pourrait être plus lente que prévu par le Gouvernement.
Je voudrais, pour finir, vous présenter les observations du Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2020 à 2022.
Il convient d'abord d'examiner les hypothèses de croissance du produit intérieur brut potentiel, c'est-à-dire la production, dite soutenable, qui peut être réalisée sans engendrer de tensions dans l'économie.
Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2018 et 2020. Elle augmenterait cependant très légèrement en fin de période, pour tenir compte de l'impact de réformes structurelles, et s'établirait ainsi à 1,35 % en 2022.
Nous renouvelons donc l'avis que nous avions déjà exprimé lors de l'examen de la loi de programmation, en considérant que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour cette période, qui se situent dans la fourchette des estimations disponibles, sont raisonnables.
Il convient ensuite d'évaluer la position de l'économie française dans le cycle en 2019 et 2020. Elle est estimée grâce à l'écart de production, également appelé output gap. Cet écart constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond d'un pays, quand il est négatif, ou d'une perspective de ralentissement, quand il est positif.
Les estimations du Gouvernement établissent un écart de production très légèrement négatif pour 2018 et 2019, qui se situe dans la fourchette des estimations disponibles. Nous les considérons donc également comme raisonnables.
Nous relevons cependant que l'incertitude portant sur l'écart de production est importante. En effet, cet écart ne correspond pas à une donnée observable ou comptable et ses estimations sont régulièrement sujettes à des révisions significatives.
Comme en avril 2018, nous notons que la fragilité des évaluations de l'écart de production est mise en lumière par les messages divergents délivrés par les indicateurs d'inflation et de tension. Ainsi, l'inflation sous-jacente fluctue faiblement et reste à un bas niveau, ce qui ne témoigne pas de signes de tension. En revanche, les taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie manufacturière et les difficultés de recrutement s'établissent, début 2019, au-dessus de leur moyenne de long terme.
J'en viens au scénario de croissance établi par le Gouvernement pour la période 2020-2022.
L'an dernier, dans son avis sur le programme de stabilité d'avril 2018, le Haut Conseil avait considéré que le scénario d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 était optimiste. Le nouveau scénario présenté cette année se prête moins à cette critique. Le Gouvernement a en effet révisé à la baisse son scénario de croissance par rapport au programme de stabilité transmis en 2018. Les prévisions de croissance s'établissent ainsi à 1,4 % par an. Ce niveau est proche de la croissance potentielle jusqu'en 2022, quoique légèrement supérieur. En conséquence, l'écart de production serait durablement proche de zéro.
Le Haut Conseil considère que ce nouveau scénario constitue une base raisonnable et, en tout état de cause, plus raisonnable, pour établir une trajectoire pluriannuelle de finances publiques.
Je voudrais évoquer pour conclure l'impact du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement sur les finances publiques.
Dans l'ensemble, le Haut Conseil note que le Gouvernement a souhaité rendre plus crédible le scénario macroéconomique de moyen terme. La comparaison des trajectoires de finances publiques prévues dans le programme de stabilité transmis en avril 2018 et dans celui-ci montre qu'un scénario optimiste de croissance, tel que celui présenté l'an dernier, tend, à l'inverse, à minorer le déficit et à afficher une trajectoire favorable de dette publique.
Tandis que le solde public effectif devait être positif à hauteur de 0,3 point de produit intérieur brut en 2022, selon le programme de stabilité établi l'an dernier, celui de cette année prévoit désormais un déficit public de 1,2 point au même horizon. Le programme de stabilité établi en avril 2019 inscrit donc pour l'année 2022 une dégradation du déficit de 1,5 point de produit intérieur brut (PIB) par rapport à celui de l'an passé.
Dans l'ensemble, cette évolution s'explique, pour un peu plus de la moitié, par la révision de la trajectoire de croissance économique sur la période 2018 à 2022 et, pour un peu moins de la moitié, par les choix faits en matière de finances publiques, essentiellement celui d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, qui ne s'accompagne pas pour autant d'une maîtrise plus forte des dépenses publiques.
En conséquence, dans le nouveau scénario, en 2022, le solde structurel, restera éloigné de l'objectif de moyen terme, fixé à – 0,4 point de PIB. Il serait encore de – 1,3 point de PIB en 2022, contre – 0,6 point dans le programme de stabilité établi en avril 2018.
La révision du scénario de croissance et, dans une moindre mesure, de celui de finances publiques se traduirait aussi par une modification significative de la trajectoire de diminution du ratio de dette par rapport au PIB. D'après le programme de stabilité transmis par le Gouvernement, il ne diminuerait, sur l'ensemble de la période 2018-2022, que de 1,6 point dans le programme de stabilité d'avril 2019, contre 7,2 points initialement anticipés dans le programme de stabilité établi l'année dernière. La baisse du ratio de dette ne serait donc amorcée qu'à compter de 2021, alors qu'elle était attendue dès 2018 dans le programme de stabilité d'avril 2018.
Le Haut Conseil relève donc que, pour des raisons tenant à la fois aux perspectives de croissance et au choix fait d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, le nouveau programme de stabilité conduit, par rapport au précédent, à une réduction sensiblement moindre des déficits effectifs et structurels à l'horizon 2022 et, en conséquence, de notre dette. Cette évolution rend d'autant plus nécessaire un strict respect des objectifs de dépense publique affichés dans ce programme de stabilité.
Monsieur le président, en premier lieu, permettez-moi de vous remercier pour la qualité coutumière de votre avis, que je qualifierai cette année de « globalement positif » sur les hypothèses retenues, ce qui prouve l'effort de sincérité qui marque notre action depuis le début du quinquennat, qu'il s'agisse du budget ou des programmations pluriannuelles.
Vous soulignez que les objectifs retenus sont moins ambitieux que ceux énoncés dans le précédent programme de stabilité, tout en rappelant que, dans l'intervalle, le contexte économique a évolué.
En ce qui concerne les hypothèses du Gouvernement, vous nous aviez avertis l'an dernier que le scénario macroéconomique du Gouvernement reposait sur une croissance effective supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022, ce qui vous semblait « optimiste », pour reprendre vos propres termes. Considérez-vous cette année que le Gouvernement a tenu compte de vos observations en révisant à la baisse les hypothèses de croissance sur la période 2019-2022 ? Peut-on considérer que cette programmation pluriannuelle est débarrassée des biais optimistes qui prévalaient jusqu'alors, et est-ce à mettre au crédit du Haut Conseil ? Mon avis en effet est que vous n'y êtes pas pour rien.
Dans la logique de ce qui précède, estimez-vous que les nouveaux objectifs du Gouvernement sont crédibles ? Pour le dire autrement, est-il crédible que les déficits diminuent et que la dette se stabilise, puis reflue d'ici la fin du quinquennat ?
Contrairement à l'année dernière où votre avis faisait état du dynamisme de l'environnement économique européen et mondial et d'une reprise dans la zone euro, le contexte de cette année, vous l'avez rappelé, est un peu plus compliqué – et c'est une litote. L'économie mondiale marque en effet un ralentissement auquel n'échappe pas la France, malgré une certaine résistance de notre économie, que vous avez soulignée.
Sans être candide et croire que tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, on peut néanmoins avancer que cette relativement bonne tenue de notre économie est due aux réformes que nous avons menées pour renforcer le pouvoir d'achat des travailleurs et des ménages modestes, pour soutenir l'activité économique, au travers du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (« PACTE ») et de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (« ESSOC »), ce à quoi s'ajoute un effort soutenu de maîtrise du déficit.
Plusieurs organisations, comme la Commission européenne ou, très récemment, l'OCDE, ont souligné le rôle des réformes structurelles menées par le Gouvernement dans l'amélioration des résultats de notre économie. Qu'en pense le Haut Conseil, et de quelle manière a-t-il intégré ces données dans ses projections de croissance potentielle ?
Enfin, vous avez évoqué la perception qu'ont les Français de l'évolution de leur pouvoir d'achat et la façon dont cette perception peut jouer sur le niveau de la consommation en 2019 : le Haut Conseil envisage-t-il à cet égard deux scénarios possibles, l'un positif, l'autre plus négatif ?
Vous faites observer que le scénario retenu par le Gouvernement est plus raisonnable, moins optimiste et plus crédible que le précédent. Cela s'explique par le fait que, plus nous nous rapprochons des échéances, plus le Gouvernement est contraint de tenir compte de la situation environnante.
Mais ses renoncements conduisent à dégrader fortement la situation du pays, puisqu'ils se traduisent, en termes de ratio de dette sur PIB, par un différentiel de 5,6 points supplémentaires à l'horizon 2022, ce qui est énorme.
Les hypothèses de croissance du Gouvernement reposent en partie sur la consommation des ménages. Dans la mesure où vous notez que, au quatrième trimestre 2018, les Français ont privilégié l'épargne, qu'est-ce qui permet de penser que, dans les années à venir, la consommation sera susceptible de tirer la croissance ?
Le Gouvernement table ensuite sur une inflation de 1,3 % pour 2019. Vous indiquez cependant que la hausse pourrait être plus lente : quelles sont les raisons qui vous conduisent à le penser ?
Vous n'avez rien dit, enfin, des risques que comporterait une hausse des taux d'intérêt d'ici à 2022. Est-ce un scénario que vous avez envisagé ?
L'an dernier, la Cour a recommandé l'extension du périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale à l'ensemble de la protection sociale, ainsi que la création d'une loi de financement des collectivités territoriales déclinant les objectifs des lois de programmation. Maintenez-vous ces préconisations ? Avez-vous mesuré l'impact de la crise des « gilets jaunes » sur les prévisions de croissance de 1,4 %, soit une valeur proche de notre potentiel de croissance ?
La Cour s'inquiétait également, l'an dernier, de la non-prise en compte de la suppression intégrale annoncée de la taxe d'habitation pour évaluer la trajectoire des prélèvements obligatoires. Avez-vous ajusté votre diagnostic par rapport aux mesures votées le 24 décembre 2018 et avez-vous intégré le rendement de la future « taxe GAFA » et l'objectif du Gouvernement de réduire les prélèvements obligatoires d'un point de PIB ?
Malgré deux années en dessous du seuil de 3 % de déficit, la France le dépasse à nouveau en 2019. Pensez-vous que, compte tenu des mesures issues du Grand débat national, il sera possible de revenir en dessous du seuil l'année prochaine, en tenant l'objectif de limitation de la dépense publique à 0,2 %, en volume, en moyenne, sur le quinquennat, contre plus 0,9 % sur la période 2013 à 2017 ? Cet objectif est-il encore atteignable, selon vous ?
Enfin, avez-vous mesuré l'impact du prélèvement à la source sur la consommation des ménages ? Peut-on déjà dessiner quelques perspectives à ce sujet ?
Je ne formulerai que deux remarques.
Les mesures prises au mois de décembre en réponse au mouvement des « gilets jaunes » ont contribué au maintien d'une croissance à peu près stable. Par rapport aux réformes prochainement envisagées et par rapport au climat de défiance qui marque la période actuelle, comment voyez-vous l'évolution du comportement des ménages en fonction d'éventuels gains de pouvoir d'achat ? Ces ressources supplémentaires vont-elles aller vers l'épargne, ou se porter sur des produits d'importation ? Ces tendances s'apprécient surtout sur un plan qualitatif, mais posent question, car elles ne relancent pas forcément la production française.
Avez-vous envisagé d'autres scenarii en cas de Brexit dur ou de sortie particulière du Grand débat ? Ces deux éventualités peuvent faire diverger fortement les prévisions, me semble-t-il.
Je ne vais pas intervenir sur l'avis du Haut Conseil des finances publiques – que nous n'avons reçu que ce matin, ce que je regrette – mais plutôt sur le programme de stabilité 2019-2022, que nous avons pu consulter et sur lequel porte l'avis du Haut Conseil.
Hier, j'ai écouté le premier ministre en séance publique. Il poussait une sorte de cocorico, très enthousiaste, sur les chiffres de l'OCDE pour les dix ans à venir. Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que les chiffres du programme de stabilité contredisent un peu cet enthousiasme...
Premièrement, si on regarde la croissance prévue par le programme de stabilité de l'an dernier, on s'aperçoit qu'elle s'écroule cette année par rapport à ce qui était alors prévu : 2 % prévus en 2018, pour 1,6 % réalisé ; de la même manière, pour 2019, on est passé de 1,9 % à 1,4 %. Et encore cette dernière valeur a-t-elle été sauvegardée parce que des mesures ont été prises suite au mouvement des « gilets jaunes » ! Pour la période allant de 2020 à 2022, on voit que l'estimation passe de 1,7 % à 1,4 %. Vraiment, je ne vois pas sur quoi se base l'enthousiasme du Premier ministre, qui me semble bien optimiste.
J'en viens, deuxièmement, à la hausse du pouvoir d'achat. Il a augmenté cette année en raison des mesures prises en réponse au mouvement des « gilets jaunes ». Même si notre groupe les trouve largement insatisfaisantes et en partie biaisées, elles ont tout de même eu un petit peu d'impact. Mais on s'aperçoit que, dès 2020, l'augmentation du pouvoir d'achat n'est plus que de 1 % : manifestement, le Gouvernement n'entend pas continuer sur la voie d'une politique de relance.
Troisièmement, la décision a été prise de baisser les impôts. Selon le Premier ministre, c'est la conclusion à tirer du Grand débat. Mais cela signifie que toutes les améliorations attendues devront venir de la baisse des dépenses publiques, si l'on veut réduire les déficits de 3 % à 1,2 %. De ce point de vue-là, je trouve dommage que la seule ambition d'un gouvernement puisse être la baisse de la dette, notamment quand on a tant besoin d'investissements par rapport à la seule dette qui tienne : la dette écologique.
On nous annonce une baisse de l'impôt sur les sociétés : en tout, elle se chiffrera à 30 milliards d'euros sur le quinquennat Macron. Je pense que c'est un problème, car on n'en voit pas vraiment les effets sur l'emploi. En revanche, je m'inscris en faux contre la prétendue baisse de 14 milliards d'euros au profit des ménages, baisse annoncée hier dans Les Échos. D'abord, c'est confondre baisses d'impôts, dont une certaine partie recouvre d'ailleurs des mesures déjà prises, et baisse des cotisations sociales. Or ces dernières sont, je vous le rappelle, du salaire différé ! Ensuite, non seulement vous additionnez la baisse des impôts et la baisse des cotisations, mais vous ne tenez pas du tout compte de la baisse des prestations sociales qui découle de la baisse des cotisations. Autrement dit, vous prétendez abaisser de 14 milliards d'euros la pression globale des impôts et cotisations, mais vous ne comptez pas ce que cela va coûter aux Français !
J'en viens à mon dernier point, à savoir l'emploi. Si j'en crois Bruno Le Maire, le taux de chômage serait ramené de 8,6 % à 8,3 % d'ici à la fin du quinquennat. Cette baisse viendrait des transformations économiques, sociales et financières engagées par le Gouvernement, qui s'accorde là encore un satisfecit. Or, quand on lit le rapport, on voit qu'en réalité la hausse des décisions d'investissements en France est due à 26 entreprises seulement. La création d'emplois due aux investissements étrangers chute ainsi de 9 %, soit 1 000 emplois. Dans le secteur productif, la baisse est même de 30 %. Ces chiffres permettent de réfuter l'idée que la baisse de la fiscalité du capital et l'investissement de l'étranger auraient un effet mécanique sur l'emploi. Je pense qu'en réalité, ce serait plutôt une relance de l'activité, notamment une relance massive de la consommation populaire, qui pourrait produire un effet mécanique sur l'emploi.
J'ai deux questions.
Premièrement, je soulève depuis des années le problème de l'écart de production : la croissance affichée par le Gouvernement ne peut être durablement supérieure à la croissance potentielle... Comme vous l'expliquez dans votre avis, le Gouvernement a ramené son estimation de 1,7 % à 1,4 %. Cette dernière valeur reste cependant supérieure à la croissance potentielle, estimée aux alentours de 1,25 %. Il me semble que nous devrions nous aligner sur cette dernière, au maximum, et sous réserve de notre position dans le cycle économique, car, comme vous le montrez, l'écart de production ne peut être durablement négatif ou positif. C'est impossible. Vu notre position dans le cycle, il me semble que la croissance devrait plutôt être estimée à 1,1 % ou 1,2 %.
Deuxièmement, j'en viens à la dégradation du déficit public. On nous avait annoncé triomphalement l'année dernière que nous serions en excédent budgétaire en 2022. Selon les prévisions révisées, le solde ne serait plus, à cette date, positif de 0,3 %, mais négatif de 1,2 %. Or près de la moitié de l'écart de 1,5 point constaté s'explique par la gestion des finances publiques, le reste, soit 0,8 point, s'expliquant par la révision de la croissance à la baisse. Comment expliquez-vous cette mauvaise gestion des finances publiques, dont je chiffre la dégradation à 15 milliards d'euros ?
Monsieur le président, vous nous dites que la prévision de croissance du Gouvernement est « réaliste ». Vous employez même les adjectifs « raisonnable » et « plausible ». Il faut souligner ce fait, car il recouvre vraiment notre vision politique et la volonté du Gouvernement et de la majorité de livrer un budget sincère, ce qui n'a peut-être pas toujours été le cas sous les gouvernements précédents.
Les plus grandes incertitudes sont plutôt d'ordre macroéconomique. Je ne reviendrai pas sur le Brexit, la guerre commerciale entre les États-Unis d'Amérique et la Chine, ou encore la situation de l'Amérique du Sud. Mais j'ai lu que le FMI avait revu l'endettement global des 190 pays dont il s'occupe. Il prévoit une augmentation qui frôle les 190 000 milliards de dollars d'endettement, soit 125 % du PIB mondial. Un ancien responsable de la Bourse de New York trouvait quant à lui que cet endettement était vraiment un facteur de risque très important et que nous allions vers une crise certaine, plus importante que celle de 2008. Or il me semble, monsieur le président, que vous ne mentionnez guère cette situation-là et que ce n'est pas un élément que vous prenez en compte. Est-ce, pour vous, que le risque est trop éloigné pour que vous en teniez compte ? Ou bien l'avez-vous fait dans votre évaluation ?
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, pour ces présentations extrêmement claires.
Vous avez indiqué qu'il y avait deux aléas majeurs sur lesquels il vous est difficile de vous prononcer : les mesures qui seraient issues du Grand débat national ; les incidences liées au Brexit. Je voudrais revenir sur ce second point, même si je sais que ce sont des aléas difficiles à mesurer. Quels sont, à votre avis, les points majeurs sur lesquels la commission des finances devra être particulièrement vigilante dans les mois à venir, au sujet de ces risques possibles liés au Brexit ?
Le programme de stabilité constitue la feuille de route du prochain exercice budgétaire. Il souligne, de fait, des points relativement positifs, à l'instar de la croissance, qui demeure à 1,4 %, alors que, chez nos voisins, elle chute à 1 %. Comme on le sait, ces estimations demeurent toujours hypothétiques et variables selon la conjoncture. Quelles seront-elles après les annonces faites à l'issue du Grand débat ? Surtout, quelles seront-elles plus tard encore, lorsque nous aurons essuyé l'impact des conditions de mise en oeuvre du Brexit qui, comme vous le soulignez, d'ailleurs, dans votre avis, constitue un aléa majeur sur les perspectives de croissance ?
En ce qui concerne le déficit public, on observe également que les anticipations faites par les organismes macroéconomiques sont toujours évolutives. C'est dans ce contexte que la presse internationale, notamment le Wall Street Journal, soulevait un certain étonnement quant au calcul des prévisions macroéconomiques faites par la Commission, affirmant qu'elle réalisait toujours des estimations élevées du déficit structurel, ce qui a pour conséquence d'exiger un plus grand effort des États membres.
Ma question est donc la suivante : comment établissez-vous, à la Cour des comptes et au Haut Conseil des finances publiques, des prévisions qui ne soient pas excessivement rigoureuses à l'égard des finances publiques des États membres et laissent une certaine marge à une politique contracyclique en période basse du cycle ?
Ma question sera simple : j'ai constaté que, si on fait le bilan de l'Agence France Trésor l'an dernier, entre le total des achats et des ventes des émissions d'obligations, on constate que le solde est de 195 milliards d'euros, c'est-à-dire de l'ordre de 530 millions d'euros par jour, pour couvrir les besoins de trésorerie de l'État. Est-ce que cette trajectoire, qui tend d'ailleurs à s'aggraver, est tenable ou non, vu les niveaux de croissance annoncés et la remontée prévisible des taux ? Je voudrais simplement savoir si trajectoire actuelle est « jouable » ou non.
Je voudrais vous interroger sur les facteurs pouvant engendrer une modification de notre trajectoire économique. Avez-vous déjà mesuré l'écart entre un Brexit dur et un Brexit plus négocié ?
Je voudrais ensuite vous interroger sur les facteurs de transformation de notre économie, qui évolue fortement du fait de la numérisation. Est-ce qu'il est possible que nous dégagions des gains de productivité suffisamment forts pour que notre trajectoire puisse en être modifiée, demain ?
Je vous remercie, monsieur le président, pour cet exposé très éclairant. Je voudrais vous interroger sur la question de la croissance potentielle. Comment se fait-il que le FMI ait une appréciation vraiment différente de celle de la Commission européenne concernant l'impact des réformes structurelles sur la croissance potentielle ? D'une façon plus générale, est-ce qu'il ne faudrait pas s'interroger sur le calcul même de cette croissance potentielle ? Pour ma part, je mets au défi quiconque, ici, de nous expliquer simplement comment la croissance potentielle est calculée dans les modèles économétriques ! Autour de cette question de la croissance potentielle, il y aurait vraiment une recherche à conduire, pour arriver à un modèle plus simple et plus proche de la réalité. C'est d'autant plus important que le calcul de la croissance potentielle détermine le calcul du solde structurel : si on se trompe dans la croissance potentielle, on se trompe aussi dans le déficit structurel. Il y a là, vraiment, un enjeu intellectuel de calcul. Il convient donc de se mettre d'accord sur cette évaluation de la croissance potentielle.
Ensuite, je voudrais vous interroger sur le commerce extérieur. Pensez-vous que, comme l'année, nous puissions constater une contribution positive de l'évolution du commerce extérieur à la croissance de notre économie ?
Les collectivités territoriales participent pleinement à l'amélioration des comptes publics en 2018. On voit que leurs finances continuent à s'améliorer : les dépenses de fonctionnement n'ont crû que de 0,7 % l'année dernière, et même, en particulier, de 0,3 % seulement pour celles qui avaient contractualisé avec l'État. Les collectivités territoriales ont dégagé un excédent de 700 millions d'euros l'année dernière. On voit donc leur poids dans le rétablissement des comptes.
Je ne poserai que deux questions. Pensez-vous que les marges dégagées vont plutôt vers l'investissement ou vers le désendettement de ces collectivités, modifiant la photographie globale des finances publiques ? Quelle trajectoire des finances des collectivités territoriales envisagez-vous dans les projections que vous avez faites jusqu'en 2022 ?
Monsieur le président, vous avez dessiné une évolution des finances publiques, mais avez-vous tenu compte de la modification de la structuration de l'appareil fiscal français ? En d'autres termes, à partir du moment où une partie des recettes majeures est désormais indexée sur la croissance de l'année, du fait notamment de la réforme de l'impôt sur le revenu, force est de constater qu'en cas de retournement de cycle, contrairement à ce qui pouvait se passer auparavant, l'impôt sur les sociétés, la TVA et l'impôt sur le revenu joueront dans le même sens... Il n'y aura plus ce décalage de l'impôt sur le revenu qui opérait de manière contracyclique. De même, l'impôt sur les sociétés porte aussi sur l'année en cours. Tout cela modifie de facto l'élasticité de l'impôt à la croissance.
Cet effet d'architecture fiscale a-t-il été pris en compte pour évaluer les conséquences en matière de recettes fiscales, en cas de retournement de cycle ?
Je ne poserai que trois petites questions.
Dans sa synthèse de 2018, la Cour des comptes jugeait le taux de croissance prévu « optimiste », tandis qu'elle le juge « réaliste » cette année. Ma question est très simple. J'ai relu les recommandations faites à la France en 2018 et 2019 par la Commission européenne ; elles intègrent justement un raisonnement fondé sur une prévision de 1,4 %. Faut-il comprendre que Bruxelles est passé par là pour le « reconditionnement » du taux ?
Comme président du Haut Conseil des finances publiques, vous considériez en 2018 que la base des évaluations à moyen terme était raisonnable en 2018, tandis que vous la trouvez crédible en 2019. Est-on vraiment en capacité, aujourd'hui, d'analyser des évolutions à moyen terme ?
Troisièmement, les dernières phrases des deux synthèses 2018 et 2019 sont quasiment identiques : « La réalisation de ce scénario de finances publiques nécessite un strict respect des engagements de maîtrise de la dépense publique », pour 2018 ; pour 2019, « cette évolution rend d'autant plus nécessaire un strict respect des objectifs de dépenses publiques ». Pouvez-vous m'expliquer la différence entre les deux ?
Je poserai les mêmes questions à Gérald Darmanin tout à l'heure.
Nous venons de recevoir le programme de stabilité, d'ailleurs déjà publié dans la presse. Nous le mettons donc en distribution immédiatement dans la salle.
Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions posées, mais les ministres pourront répondre cet après-midi à celles qui s'adressent plus précisément à eux – je pense notamment aux observations de M. Coquerel.
Je rappelle que la mission du Haut Conseil est, en raison du choix fait par le Gouvernement de l'époque, une mission étroite, définie elle-même à partir d'une interprétation étroite des textes européens. Nous délivrons un avis sur les hypothèses macroéconomiques. Certes, à partir de l'avis demandé au Haut Conseil sur la cohérence entre les différents scénarios macroéconomiques et le scénario de finances publiques, nous en arrivons à formuler quelques observations sur les finances publiques, mais, s'il devait y avoir des modifications de la loi organique, peut-être faudrait-il préciser davantage le mandat du Haut Conseil au cas où vous souhaiteriez qu'il puisse exprimer très clairement un avis sur le scénario de finances publiques.
Je pense que cela pourrait être utile et clarifierait un certain nombre de choses. Mais encore faut-il que nous ayons, ensuite, le temps et les moyens de vous délivrer des avis les plus pertinents possibles. Vous avez pris connaissance de notre avis ce matin ? Nous l'avons transmis hier soir, car nous-mêmes n'avons été saisis que mercredi dernier – à 23 heures 27 ! Nous avions cependant anticipé, à travers quelques auditions que nous avions programmées le mercredi, de sorte que nous avons pu nous réunir le jeudi, le vendredi, le lundi et finaliser hier notre avis. Ce sont des conditions que nous qualifierons de sportives, lorsqu'il s'agit d'exprimer un avis le plus pertinent possible, et ce d'autant plus qu'un certain nombre de sujets, comme la croissance potentielle ou le déficit structurel, sont des notions ou des concepts quelque peu instables... En ce domaine, il n'y a pas de vérité, de la même façon que nous nous sentons plus assurés pour commenter 2019 que pour commenter 2021 ou 2022. On peut toujours se tromper lorsqu'il s'agit de prévisions à moyen terme et, dans le passé, un certain nombre d'erreurs d'appréciation ont pu être commises, du simple fait que l'environnement international bouge.
Pour en revenir aux quelques questions qui m'ont été posées, nous considérons bien que les objectifs tels qu'ils sont affichés sont crédibles au regard des informations dont nous pouvons disposer. Nous n'avons donc pas repris le terme de l'année dernière : « optimistes » ; nous les considérons plutôt « raisonnables ». Cette évolution est-elle due à l'existence du Haut Conseil ? Il pourrait paraître immodeste de l'affirmer. En réalité, tout le monde révise à la baisse ses prévisions. Le Gouvernement révise à la baisse ses hypothèses de croissance, comme tous les organismes et que tous les autres pays sont contraints de le faire, compte tenu d'un contexte et d'un environnement international moins porteur.
Cela dit, nous pouvons constater que, depuis que le Haut Conseil des finances publiques existe, il peut contribuer à rendre les gouvernements, quels qu'ils soient, plus raisonnables dans leurs prévisions. Comme il l'a démontré dans le passé, le Haut Conseil s'exprime en toute indépendance et n'hésite pas à dire clairement les choses, quand il estime improbables certains scénarios.
Reste que l'environnement actuel pèse beaucoup. Maintenir les hypothèses de croissance à 1,7 % n'aurait pas été seulement « optimiste », mais vraisemblablement « peu crédible », « irréaliste », « invraisemblable ». Le chiffre finalement retenu paraît plus réaliste, même si les choses, d'ici 2022, peuvent évoluer, y compris positivement.
L'un d'entre vous a évoqué la possibilité, envisagée par certains économistes, d'une crise financière nouvelle. Ce scénario n'est pas intégré dans le programme de stabilité présenté par le Gouvernement. Il y a toujours des risques possibles, mais il ne nous est pas apparu aujourd'hui que ce soit le scénario le plus probable. Le fait qu'il n'ait pas été retenu dans les hypothèses présentées par le Gouvernement peut donc tout à fait se concevoir, même s'il faut naturellement rester vigilant sur la croissance potentielle.
Dans nos avis précédents, nous avions déjà déclaré que la prévision de croissance potentielle, telle qu'elle était formulée par le Gouvernement, constituait une base raisonnable pour asseoir la programmation des finances publiques. Il est vrai que l'OCDE et le FMI intègrent des effets plus importants des réformes structurelles annoncées que ne le fait le Gouvernement lui-même, qui prévoit un passage de la croissance potentielle de 1,25 % à 1,35 % en fin de période, tandis que le FMI va un petit peu plus loin, tout comme l'OCDE. Il faut peut-être en tirer la conclusion que le Gouvernement demeure prudent sur l'impact possible de ses propres réformes structurelles...
La différence d'estimation avec la Commission européenne s'explique par le fait que cette dernière n'intègre pas l'impact des réformes structurelles dans ses prévisions, ou le fait à partir de bases forfaitaires qui ne sont pas du tout les mêmes que celles du FMI ou de l'OCDE. À la page 9 de notre avis, vous trouverez un graphique faisant apparaître une divergence très significative entre les prévisions de la Commission européenne et celles du FMI et de l'OCDE : la courbe des premières descend tandis que celle des secondes monte, ce qui fait qu'elles se croisent. Je dois vous avouer qu'une divergence d'une telle ampleur est inexplicable – à ce sujet, la Commission européenne elle-même se borne à indiquer que cela provient peut-être du fait qu'elle n'intègre pas un certain nombre de données dans son raisonnement.
La Commission établit ses prévisions à politique inchangée – ce qu'elle assume et revendique – et n'intègre dans ses prévisions pour les années à venir que ce qui a été voté ou ce qui est suffisamment spécifié. Or, comme on le sait et comme la Cour des comptes le fait souvent remarquer, les données et les faits ne sont pas toujours aussi documentés qu'il le faudrait – je crois qu'il arrive également à votre rapporteur général de le déplorer...
Par exemple, la Commission européenne ne prend pas forcément en compte les annonces portant sur des économies en dépenses qui n'auraient pas encore été votées par le Parlement. Cela explique que certaines prévisions de la Commission puissent apparaître un peu plus dégradées que celles provenant d'autres sources, qui prennent en compte un certain nombre d'engagements pouvant être considérés comme pris.
Pour ce qui est du scénario de finances publiques, je ne reprendrai pas l'expression « mauvaise gestion » employée par M. de Courson et je n'ai pas vraiment de commentaires à faire sur ce point, si ce n'est que la dégradation du déficit et de la dette est la conséquence du choix politique consistant à augmenter l'effort de réduction des prélèvements obligatoires sans avoir une action supplémentaire sur la maîtrise de la dépense. Ce choix politique ayant été fait, dès que vous avez une croissance un peu moins élevée que prévu, cela se traduit par une augmentation du déficit effectif.
Cela a conduit le Gouvernement à apporter, dans le cadre du programme de stabilité 2019-2022, des corrections portant sur le déficit effectif réel en 2022, qui s'éloigne, évidemment, des objectifs affichés par le précédent programme de stabilité ainsi que des objectifs à moyen terme de la loi de programmation. Ce constat paraît assumé dans le programme de stabilité, puisque le Gouvernement privilégie les baisses d'impôts et tient compte d'une croissance qui sera moindre, ce qui a obligatoirement des conséquences.
L'inflation sous-jacente a été en moyenne de 0,8 % en 2018 et le Gouvernement estime qu'elle sera de 1,1 % en 2019, en fondant sa prévision sur l'augmentation des salaires, ainsi que du prix de certaines matières premières alimentaires. Pour notre part, nous constatons que cette légère accélération annoncée par le Gouvernement n'était toujours pas apparente en mars 2019 – l'indice du mois de mars a même été inférieur à la prévision –, ce qui nous conduit à estimer que la remontée de l'inflation sous-jacente sera peut-être plus lente que ne l'avait prévu le Gouvernement. Il est d'ailleurs à noter que les prévisions d'une accélération de l'inflation sous-jacente que la BCE et la Banque de France nous font depuis des années sont régulièrement démenties, ce qui doit nous inciter à la prudence en la matière. Cela dit, la prévision du Gouvernement reste réaliste – tout au plus demandera-t-elle de légers réajustements en cours d'année.
En ce qui concerne la consommation et l'épargne, je dirai que, pour bien appréhender la dynamique du taux d'épargne, il convient de rappeler que les ménages ont pour habitude de lisser leur consommation, c'est-à-dire que la croissance de leurs dépenses est souvent plus régulière que la progression de leur revenu disponible : en d'autres termes, une augmentation du pouvoir d'achat ne se traduit pas immédiatement par une augmentation de la consommation. Le quatrième trimestre 2018 est l'illustration de ce comportement, puisque les gains de pouvoir d'achat concentrés sur ce trimestre et sur le premier trimestre 2019 ont été absorbés en grande partie par une augmentation du taux d'épargne qui, sans battre de record, a néanmoins atteint un niveau singulièrement élevé, comme le montrent les données de l'INSEE.
Le Gouvernement prévoit pour 2019 une augmentation du pouvoir d'achat de 2 % et une augmentation de la consommation de 1,6 %, ce qui nous semble prudent, puisqu'il ne prévoit pas que l'augmentation du pouvoir d'achat se répercutera aussitôt sur la consommation, estimant que l'on assistera plutôt au maintien d'un niveau d'épargne relativement élevé. Bien évidemment, la vitesse et l'ampleur de la baisse du taux d'épargne, donc de la capacité des Français à consommer, dépendront du niveau de confiance que ceux-ci peuvent avoir dans les annonces faites et dans l'avenir.
J'en viens aux échanges extérieurs de la France qui, en 2018, ont soutenu la croissance dans une ampleur inédite depuis 2012, confirmant d'une certaine façon une dynamique qu'on avait déjà pu observer en 2017. En 2018, les exportations de produits manufacturés ont été dynamiques, ce qui s'est expliqué notamment par la forte croissance de celle des matériels de transport – on pense évidemment à Airbus – et par la livraison de contrats exceptionnels, portant notamment sur des paquebots.
Le moindre dynamisme de la demande mondiale, joint au ralentissement constaté chez nos partenaires commerciaux et à l'appréciation de l'euro, a pesé, bien sûr, sur les exportations. Cependant, à rebours de ce qui est observé dans les autres pays européens, les performances à l'exportation se sont stabilisées en 2018 après plusieurs années de baisse. Selon le scénario du Gouvernement, on devrait voir en 2019 la contribution du commerce extérieur à la croissance rester neutre, tandis que les importations accéléreraient du fait de la légère progression de la demande finale, tirée par la consommation dynamique des ménages, et que les exportations, au contraire, ralentiraient en raison d'une demande mondiale moins importante.
Pour 2020, il est prévu dans le programme de stabilité que la contribution du commerce extérieur au PIB redevienne légèrement positive – de 0,1 point –, ce qui pourrait s'expliquer par une accélération de la demande mondiale, tandis que la demande intérieure, elle, pourrait ralentir par rapport à 2019. Toujours dans le scénario du Gouvernement, les performances à l'exportation de la France seraient stables en 2019 et en 2020. Ces prévisions peuvent étonner dans la mesure où nous commencions à avoir l'habitude de performances à l'exportation dégradées, mais il convient de rappeler que la tendance à la dégradation a été enrayée à partir de 2017, sans que l'on puisse identifier avec certitude la cause de cette rupture : les livraisons de paquebots, ainsi que celles effectuées par Airbus, peuvent constituer quelques éléments de réponse, mais les choses méritent d'être précisées et confirmées.
Je crois avoir répondu à toutes les questions, monsieur le président.
Merci beaucoup, monsieur le président, pour l'avis très clair du Haut Conseil que vous nous avez exposé et pour la qualité de vos réponses.
Puis la commission procède à un point d'étape sur l'organisation du printemps de l'évaluation.
Le compte rendu audiovisuel de la réunion peut être consulté sur le site de l'Assemblée nationale.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 10 avril à 9 heures 30
Présents. - M. Damien Abad, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Francis Chouat, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, Mme Sarah El Haïry, Mme Sophie Errante, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-François Parigi, Mme Valérie Petit, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Sylvia Pinel, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, Mme Sabine Rubin, M. Jacques Savatier, M. Olivier Serva, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth
Excusés. - M. François André, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Marie-Christine Dalloz, M. M'jid El Guerrab, M. Nicolas Forissier, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas
Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, Mme Constance Le Grip
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