Pour mesurer l'audience, nous disposons de données telles que le nombre de visites, de reprises, de retweets ; nous procédons aux analyses avec des instituts spécialisés ou des associations.
Nous travaillons actuellement, en espérant avancer rapidement, à la création d'un observatoire de la cyber-haine avec le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation – CIPDR – et sa secrétaire générale, Muriel Domenach, ainsi qu'avec des chercheurs, notamment de Sciences-Po. Je crois qu'un tel organisme manque beaucoup. Nous n'avons pas les moyens, seuls, de gérer un tel observatoire ; d'ailleurs, je pense qu'il faut le faire avec une perspective associative et institutionnelle. En tout cas, nous sommes très favorables à la création d'un tel organisme et c'est un projet sur lequel nous souhaitons avancer assez rapidement dans les prochains mois.
Il est vrai que le CIPDR a d'abord vocation à traiter les cas de radicalisation liée au djihadisme ou à l'islamisme radical. Mais Muriel Domenach et ses collègues réfléchissent eux-même à une extension de leur mission à la radicalisation au sens large. A titre personnel, j'y serais assez favorable, car ce que nous avons à combattre, ce sont les extrémismes identitaires. Ces extrémismes identitaires, qui peuvent être religieux, géographiques ou sociaux, se renforcent les uns les autres. L'un des objectifs de l'attentat de Christchurch était de provoquer des attaques en retour, des réactions en chaîne, des effets boomerang. Il serait donc utile de regarder les deux côtés et de ne pas se focaliser sur l'islamisme radical, mais de porter aussi une grande attention aux groupuscules d'extrême droite, qui, sans être alliés de fait avec les djihadistes, en sont des alliés objectifs dans cette stratégie d'instauration de tensions et d'un climat de guerre civile.
Nous travaillons beaucoup, avec la police nationale et la gendarmerie nationale, à la politique d'accueil des victimes. Les agents doivent d'abord être capables de bien détecter les circonstances aggravantes, quand les victimes subissent une agression pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles ont. Un effort de formation a été engagé dans les écoles de police et de gendarmerie. Un jeune gendarme originaire de Bretagne ou un policier originaire, comme moi, du Sud-Ouest ne connaît pas forcément tous les codes culturels, tous les signes religieux ou vestimentaires, pas plus que toutes les dates des différentes fêtes religieuses. Or cela est primordial, car sans la présence de ces éléments au procès-verbal, les magistrats auront beaucoup de mal à pouvoir retenir la circonstance aggravante. Le cas échéant, la peine encourue sera amoindrie ce qui peut blesser la victime et créer chez elle un sentiment d'incompréhension.
Cet effort de formation en direction des policiers et des gendarmes est important. Il concerne aussi la haine anti-LGBT et l'homophobie. Même si nous avons fait beaucoup de progrès ces derniers temps, il nous en reste encore beaucoup à faire. Nous avons bien intégré le flux, c'est-à-dire les nouveaux gendarmes, policiers et magistrats, mais ce qui est plus long à couvrir, c'est le stock, les personnels qui sont en fonction depuis quinze ou vingt ans, qui n'ont pas bénéficié d'une telle formation au cours de leur scolarité. Nous engageons cet effort de formation in situ, dans les commissariats et les gendarmeries. Nous avons commencé par la préfecture de police et comptons développer cette formation dans les départements les plus concernés par ces questions, en particulier en région parisienne.
Pour ce qui est des recommandations, nous devons allouer des moyens conséquents à la surveillance des groupuscules d'extrême droite. Pour répondre aux attaques terroristes et à la montée de l'islamisme radical, beaucoup des ressources et des meilleurs éléments sont partis suivre ces questions. La lutte contre les groupuscules d'extrême gauche et d'extrême droite a peut-être été un peu délaissée. Je ne cible bien sûr personne, mais vous livre une tendance à l'oeuvre ces dix dernières années, qui s'explique d'ailleurs très bien. À nous focaliser sur le terrorisme islamiste, il ne faudrait pas risquer de passer à côté de la violence identitaire et suprémaciste. Il me semble également que nous devrions mieux associer la recherche universitaire, les chercheurs ayant une très bonne connaissance des codes culturels et du fonctionnement de ces groupes. C'est ce que nous essayons de faire à la DILCRAH avec notre conseil scientifique. Il faudrait que les services opérationnels collaborent aussi plus étroitement avec les chercheurs.