La France de 2019 n'est plus la France de 1945. Les circonstances qui ont conduit à l'avènement de notre modèle social ont bien changé. La transition de notre société soulève des questions multiples ; en particulier, les évolutions sur le marché du travail remettent en question le cadre salarial classique et plus largement le modèle social, français auquel nous sommes tous tant attachés.
À son arrivée au pouvoir, le président Emmanuel Macron semblait avoir saisi la nécessité de prendre en considération ces évolutions et d'actualiser ce modèle. Avec le Gouvernement, et avec vous en premier lieu, madame la ministre, il s'était attelé à un chantier majeur : celui de la réforme de notre code du travail.
Dans un cadre social où les corps intermédiaires ne cessent de s'affaiblir et où la figure de l'individu monte en puissance, nous nous devons de revoir notre façon de dialoguer et de négocier. Le Gouvernement l'avait bien compris en faisant du renforcement du dialogue social l'une de ses priorités.
Mais quelle ironie alors que de procéder par ordonnances sur un tel sujet ! La concertation parlementaire a été bridée, il faut le reconnaître. Choisir les ordonnances, au prétexte de l'urgence, n'était pas le choix le plus judicieux – et nous ne savions pas encore à l'époque qu'il deviendrait malheureusement une mauvaise habitude.
Nous ne pouvons certes pas revenir sur la forme, mais l'opportunité nous est donnée aujourd'hui de dresser un bilan de ces ordonnances pour le renforcement du dialogue social. En cette veille du 1er mai, fête du travail, l'occasion me semble bien trouvée.
Certaines de ces mesures étaient nécessaires pour les entreprises, qui les attendaient. Pour répondre au chômage persistant, notre marché du travail avait grand besoin de plus de flexibilité – sans pour autant que soit menacée la sécurité. Il était également nécessaire que notre code du travail accompagne les évolutions de l'emploi, encadre et sécurise les nouvelles pratiques.
Certaines avancées doivent donc être saluées. Je pense par exemple à l'instauration de nouveaux droits pour les salariés correspondant à certaines aspirations : c'est le cas du télétravail.
La hausse de l'indemnité légale de licenciement, de 25 % jusqu'à dix ans d'ancienneté, était également nécessaire.
Concernant le dialogue social visant à inciter entreprises et salariés à négocier, qui figure au coeur du projet de loi d'habilitation, le bilan est en demi-teinte.
Ces ordonnances devaient en théorie profiter à chacun des acteurs, en particulier aux TPE et PME. Rappelons que dans 96 % des TPE, il n'y a pas de syndicats. Il était donc urgent de doter nos petites entreprises de moyens pour favoriser le dialogue en leur sein. Pour autant, force est de constater que les entreprises peinent à se saisir des opportunités rendues possibles par les ordonnances.
Je songe entre autres à la fusion des instances représentatives du personnel en une instance unique, le comité social et économique – CSE. Cette mesure était intéressante, ne serait-ce que parce que cela supprimait les effets de seuil. En effet, certaines entreprises préféraient ne pas embaucher plutôt que de dépasser un seuil leur imposant la création d'instances. Pourtant, à la fin de 2018, seules 10 500 entreprises ont mis en place un CSE. Si elles ont certes jusqu'au 31 décembre 2019 pour ce faire, elles ne semblent pas pressées de le faire.
Peut-être pouvons-nous être plus optimistes sur la signature d'accords de performance collective. Fin 2018, 20 accords ont été signés dans des entreprises de plus de 250 salariés, 23 dans des PME et 4 dans des entreprises de moins de 11 salariés. Un peu plus de 400 textes ont par ailleurs été validés par référendum dans des entreprises de moins de 10 salariés. Mais les thèmes sont limités : il est presque exclusivement question du temps de travail.
Le temps me manque pour aborder toutes les mesures des ordonnances travail, mais puisqu'il était avant tout question de renforcer le dialogue social, je conclurai sur la nécessité que les entreprises comme les salariés se saisissent de leurs nouveaux droits. Un an après la mise en oeuvre de cette réforme, madame la ministre, que proposez-vous pour que chacun puisse en tirer profit ? Car, au-delà des chiffres, c'est bien un changement culturel au sein des entreprises qu'il faut accompagner.