Intervention de Brigitte Bourguignon

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 21h30
Jeunes majeurs vulnérables — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Bourguignon, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Il est un constat que nous ne pouvons que partager sur l'ensemble de ces bancs : la situation des jeunes s'est dégradée au cours des dernières années. Aujourd'hui, la moitié des personnes pauvres a moins de 30 ans. Quant au taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans, il est deux fois plus élevé que la moyenne nationale.

Les difficultés que rencontrent les jeunes dans leur ensemble sont accrues pour ceux qui sortent du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, dès l'âge de 18 ans et qui ne disposent ni de ressources propres, ni de soutien familial. Souvent moins diplômés que les autres, ils peinent à trouver un emploi et un logement stables – en témoigne ce chiffre alarmant : une personne sans-abri sur quatre est un ancien enfant placé.

Afin d'éviter que ces jeunes en difficulté ne se retrouvent à la rue et sans ressources, leur prise en charge par l'aide sociale à l'enfance peut se poursuivre après l'âge de 18 ans sous la forme d'un contrat jeune majeur conclu avec le département. Ainsi, près de 21 000 jeunes âgés de 18 à 21 ans en bénéficient-ils actuellement.

Ces contrats jeunes majeurs présentent néanmoins plusieurs lacunes.

Tout d'abord, le recours à ces contrats tend à diminuer dans un contexte budgétaire contraint pour les départements. Ainsi, entre 2013 et 2016, les placements de jeunes âgés de 16 à 17 ans ont augmenté de 20 % en France métropolitaine. Au cours de cette même période, les mesures en faveur des jeunes majeurs, qui auraient dû évoluer dans le même sens, ont baissé de 1 %, de façon très inégalitaire selon les départements. Plus précisément, un tiers des départements a réduit le nombre, voire, ne signe plus de contrats jeunes majeurs.

Par ailleurs, la diminution du nombre de contrats s'accompagne d'un raccourcissement de leur durée – six mois en moyenne – et, encore, de fortes disparités entre les départements.

Nous sommes ici confrontés à un véritable paradoxe de la politique d'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables : alors que l'aide apportée par les parents ou la famille tend à s'accentuer et à se prolonger jusqu'à l'âge de 25 ans en moyenne, les mesures de prise en charge des jeunes suivis par les services de l'aide sociale à l'enfance cessent brutalement et de plus en plus tôt, entre 18 et 21 ans, c'est-à-dire à un âge inférieur à celui auquel la plupart des jeunes sont complètement autonomes dans la société actuelle. Autrement dit, il est demandé plus, plus de maturité, plus d'autonomie à ceux qui ont moins, moins de ressources, moins de soutiens familiaux.

Dans ce contexte, la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui, adoptée en commission en juillet dernier, vise à améliorer l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables. Cet accompagnement renforcé répond à une logique d'investissement social dans la mesure où il permet d'éviter à la société des coûts importants à long terme : de nombreuses études montrent que les jeunes de l'aide sociale à l'enfance qui bénéficient d'un accompagnement au-delà de l'âge de 18 ans sortent mieux armés pour aborder les différentes étapes du passage à l'autonomie.

La proposition de loi agit sur plusieurs volets.

L'aide apportée doit tout d'abord reposer sur des critères fiables et identiques quel que soit le territoire. L'accompagnement des majeurs de moins de 21 ans par les services de l'aide sociale à l'enfance est rendu obligatoire lorsque ces jeunes remplissent un certain nombre de critères qui les rendent particulièrement vulnérables. C'est l'objet de l'article 1er.

L'accompagnement proposé doit également permettre aux jeunes de se projeter et de construire leur avenir, sans que celui-ci soit compromis par des ruptures brutales de parcours. Aussi, l'article 2 étend-il cet accompagnement au-delà du terme de la mesure de prise en charge afin de permettre aux jeunes qui le souhaitent de terminer le cycle scolaire ou universitaire engagé.

L'article 3 inscrit dans la loi la possibilité, pour les départements, de prolonger la prise en charge des jeunes majeurs par les services de la protection de l'enfance jusqu'à l'âge de 25 ans.

L'article 4 prévoit quant à lui que le jeune mineur peut être accompagné dans son parcours vers l'autonomie par une personne de confiance qu'il aura lui-même choisie. La reconnaissance de cette personne de confiance permettrait au jeune d'établir des liens de confiance avec un adulte alors qu'il peut rejeter une aide plus « institutionnelle », perçue comme obligatoire et imposée par les services de la protection de l'enfance. Elle constitue en ce sens un facteur d'émancipation et de responsabilisation du jeune.

Afin de permettre un suivi du jeune après sa sortie du dispositif de l'aide sociale à 1'enfance, 1'article 5 met en place un entretien entre le jeune et son ancien réfèrent six mois après sa sortie du dispositif pour faire le bilan de ses premiers mois d'autonomie.

La proposition de loi se devait également de réduire les difficultés d'accès au logement que rencontrent les jeunes sortant du dispositif et d'éviter qu'ils ne se retrouvent à la rue. À cet effet, l'article 8 permet notamment aux jeunes majeurs de bénéficier d'un logement social de manière prioritaire.

Le contenu de la proposition de loi a été enrichi lors de son examen par la commission des affaires sociales. Ont ainsi été adoptés un amendement permettant de faciliter l'accès à une crèche pour les enfants dont l'un des parents est ou a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance – c'est article 5 bis ; un amendement consacrant les contrats de parrainage entre le département, un jeune de l'ASE et des entreprises de droit privé – c'est article 5 quater ; un amendement permettant aux établissements accueillant des jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance de prescrire directement des périodes de mise en situation en milieu professionnel.

Vous le voyez, la proposition de loi agit sur plusieurs plans afin d'améliorer l'accompagnement des jeunes les plus vulnérables.

Depuis l'examen du texte en commission, j'ai été chargée par le Premier ministre d'une mission portant sur l'accompagnement vers l'autonomie des jeunes majeurs. Les travaux que j'ai menés dans ce cadre m'ont permis d'approfondir ce sujet qui me tient à coeur. Ils m'ont en particulier amenée à proposer plusieurs modifications au texte adopté par la commission de manière à améliorer encore l'accompagnement dont doivent bénéficier les jeunes sortis du dispositif de protection de l'enfance.

Parmi ces modifications, le principal amendement réécrit l'article 1er, qui consacre désormais un contrat d'accès à l'autonomie. Ce contrat ne se substitue pas à l'actuel contrat jeune majeur mais le complète. Il répond de manière identique à l'objectif d'éviter les sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance puisque ce contrat d'accès à l'autonomie crée une prise en charge obligatoire – j'insiste sur ce point : il crée « une prise en charge obligatoire » ! – jusqu'à 21 ans des jeunes majeurs en difficultés dès lors qu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance pendant au minimum 18 mois entre 16 et 18 ans.

Cet amendement répond également à une aspiration profonde de votre rapporteure mais, aussi, de beaucoup de jeunes relevant de l'aide sociale à l'enfance : en sortir. Le but de cette dernière n'est pas de perdurer et l'objectif des jeunes n'est pas d'y rester. La logique du dispositif proposé est, à travers ce nouveau contrat, de leur donner les moyens de l'autonomie.

L'État accompagnera financièrement les départements à travers la contractualisation prévue dans le cadre de la stratégie pauvreté. L'effort financier prévu initialement – 12 millions d'euros – n'était pas à la hauteur de l'enjeu. Nous avons obtenu, avec le secrétaire d'État, qu'il soit multiplié par cinq et, ainsi, porté à 60 millions par an.

Je me réjouis de voir que, depuis l'examen de cette proposition de loi en commission, la politique en faveur des jeunes les plus défavorisés constitue une priorité. En témoignent la nomination, en avril dernier, de notre ancien collègue Adrien Taquet, en qualité de secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, ainsi que les propositions formulées par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes.

Je tiens aussi à saluer l'action des nombreux collectifs d'anciens enfants placés et des acteurs de la protection de l'enfance, qui ont largement contribué à mettre en lumière cet angle mort de nos politiques publiques.

Je me réjouis, enfin, du lancement par l'Assemblée nationale d'une mission d'information consacrée à l'aide sociale à l'enfance, dont notre collègue Perrine Goulet a été nommée rapporteure et Alain Ramadier président.

Certains qualifieront les dispositions de la présente proposition de loi d'insuffisantes, affirmeront que nous n'allons pas assez loin dans cette prise en charge. Je les entends mais je ne céderai rien, ni à l'immobilisme, ni aux postures politiciennes. Oui, mes chers collègues, cette proposition de loi constitue une réelle avancée sociale en offrant un socle minimal d'accompagnement pour mettre fin aux ruptures de parcours à 18 ans. Elle contribue à ce que la protection de l'enfance devienne un véritable tremplin vers l'autonomie et ne soit plus ce « sécateur à rêves » auquel elle s'assimile trop souvent.

La République ne peut sacrifier l'avenir d'aucun de ses enfants. Il y a urgence à agir : c'est pourquoi je vous invite à adopter cette proposition de loi.

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