« Un gâchis économique et social et un non-sens éducatif ». C'est ainsi que le rapport du Conseil économique, social et environnemental, publié l'été dernier, qualifie la politique de l'aide sociale à l'enfance, tout particulièrement lorsqu'il s'agit des jeunes majeurs.
S'il est difficile de mesurer exactement le nombre de jeunes en situation de rupture, sans ressource ni accompagnement, nous savons qu'environ 21 000 jeunes majeurs de moins de 21 ans bénéficient chaque année d'une mesure de suivi par les départements, ce qui ne représente qu'un tiers des personnes potentiellement concernées, selon Antoine Dulin, auteur du rapport que je viens d'évoquer.
Un autre chiffre doit nous alerter : environ 30 % des personnes nées en France ou arrivées avant leurs 18 ans ayant déjà dormi dans un centre d'hébergement temporaire ou pris un repas dans un service de restauration gratuite, sortent de l'Aide sociale à l'enfance.
Ce chiffre est d'autant plus frappant que, rapporté à la population générale, il ne représente que 2 % à 3 % de la population.
Malheureusement, parvenus à l'âge adulte, les jeunes issus de l'ASE sont surreprésentés dans les populations précaires. Ils peuvent rarement compter sur leur entourage et leurs parcours parfois chaotiques comportent des risques encore plus forts de rupture. Comment pouvons-nous alors leur demander d'être autonomes, de s'insérer dans la vie professionnelle de manière stable et durable, de s'intégrer socialement, alors qu'ils doivent se débrouiller seuls et, dans la plupart des cas, sans ressources, pour trouver leur place dans la société ?
Il est difficile de rester impassibles devant ce que nous pouvons qualifier d'échec des politiques de l'aide sociale à l'enfance. Malgré les sommes engagées et le travail réalisé par les travailleurs sociaux, les juges et les associations, le système français souffre de lourdes carences. Tout cet investissement budgétaire, social et humain reste vain si nous ne prenons pas ces jeunes en considération après leurs 18 ans.
Pourtant, malgré la situation alarmante, ils sont bien souvent invisibles. Les sorties sèches sont un véritable angle mort de nos politiques publiques.
Dès lors, notre groupe Libertés et Territoires ne peut que saluer l'initiative de Mme la rapporteure, Brigitte Bourguignon. Il aura fallu presque un an pour que sa proposition de loi revienne à l'ordre du jour parlementaire. Nous devons donc la remercier pour son engagement et sa persévérance à mettre en lumière ce sujet rarement abordé.
Aujourd'hui, le dispositif des contrats jeune majeur, conclus entre les jeunes et les départements, rencontre trop de limites. Ces contrats ont été instaurés en 1974, après l'abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans. Ils étaient nécessaires car il est irréaliste de penser qu'un jeune de 18 ans puisse être totalement autonome, notamment financièrement.
Les contrats jeune majeur ont par ailleurs prouvé leur efficacité. Selon l'Institut national d'études démographiques, les jeunes adultes ayant bénéficié d'un tel contrat connaissent de meilleurs taux d'emploi. Plus le contrat est long, meilleur est le taux d'emploi.
Malheureusement, les contrats jeune majeur sont conclus pour une durée allant de trois à six mois, ce qui est bien trop court pour mûrir et construire un projet éducatif ou professionnel.
Surtout, l'application de ce dispositif est marquée par une grande disparité entre les départements : certains conseils départementaux ne le proposent pas, le considérant comme facultatif, d'autres ne le proposent que pour un temps trop restreint, tandis que certains prévoient un accompagnement jusqu'à l'âge de 25 ans.
Cette proposition de loi vise donc à mettre un terme à ces inégalités territoriales qui s'ajoutent aux inégalités sociales déjà subies par ces jeunes vulnérables, en systématisant le recours aux dispositifs de suivi par les départements. L'absence d'obligation associée aux contrats jeune majeur était en effet l'une des principales causes de disparités.
À ce propos, notre groupe s'étonne de la modification significative de l'article premier par un amendement.