La proposition de loi qui est soumise aujourd'hui à notre examen vise à renforcer l'accompagnement des jeunes majeurs de 18 à 21 ans, dits vulnérables, vers l'autonomie. Nous abordons là un sujet important, un enjeu majeur de société, alors même que la République, à travers l'action des départements, prend en charge le destin de 300 000 mineurs – l'équivalent de la population de la ville de Nantes – , qui bénéficient d'au moins une mesure relevant du dispositif de protection de l'enfance. Nous ne pouvons donc pas détourner notre regard.
Or, à 18 ans, les jeunes doivent quitter leur foyer ou leur famille d'accueil, ce qui les livre à eux-mêmes, avec le risque, que l'on sait particulièrement élevé, de finir à la rue. En France, on estime en effet qu'un SDF sur quatre est passé par l'aide sociale à l'enfance – ce chiffre fait froid dans le dos ! C'est pourquoi il est légitime de poser la question d'un renforcement de l'accompagnement de ces jeunes après leur accès à la majorité.
À ce jour, les jeunes de moins de 21 ans peuvent déjà faire l'objet de mesures de protection, qui prennent la forme de contrats jeune majeur de court terme, allant de trois à six mois et proposés par les départements. Or ceux-ci ont été montrés du doigt en raison des disparités territoriales qui résulteraient d'une mise en oeuvre très différenciée de ces contrats. Certains conseils départementaux les auraient même supprimés pour des raisons budgétaires. Je présume que ce n'est pas de gaieté de coeur.
N'oublions pas que, si les départements ont rencontré des difficultés financières, c'est bien parce que l'État n'a jamais honoré la compensation financière, pourtant promise, que ce soit pour le RSA – revenu de solidarité active – ou l'APA – allocation personnalisée d'autonomie : je ne suis pas exhaustif. La manière avec laquelle l'Assemblée des départements de France a dû se battre pour obtenir une compensation des coûts d'accueil et d'hébergement des mineurs non accompagnés invite les conseils départementaux à la prudence.
C'est pourquoi, nous ne pourrions admettre ici, ce soir, que l'on affecte de nouvelles obligations aux départements sans la garantie très forte que ces nouvelles dépenses seront compensées à l'euro près, et tous les ans.
La proposition de loi prévoit l'obligation, pour les conseils départementaux, de conclure des contrats avec les jeunes majeurs sortant de l'ASE qui en feraient la demande, sans toutefois avoir leur mot à dire sur le contenu de ces droits et sur les différents volets du contrat, l'accès à la santé ou le droit à l'hébergement étant obligatoires dans tous les contrats. Ce texte ouvrirait donc plus un nouveau droit qu'il ne constituerait une compétence liée pour les départements.
L'exposé des motifs, madame la rapporteure, pose le principe d'une politique publique, assumée et financée par l'État, qui s'engagerait de manière pérenne. J'ai entendu les propos de M. le secrétaire d'État : il va de soi que les décisions que nous pourrions être amenés à prendre collectivement, dans le cadre de ce texte, ne doivent pas, in fine, aboutir à un transfert de charges aux départements.
Par-delà les propos qui ont pu déjà être tenus et les amendements qui ont été déposés, à ce jour, les jeunes de 16 à 25 ans peuvent bénéficier de la garantie jeune, qui permet un accompagnement intensif, des immersions en entreprise et une aide financière. Nous pouvons saluer la proposition consistant à mieux articuler ce dispositif aux mesures proposées par les départements : toutefois, en l'absence de chef de file et de repositionnement plus global de l'offre d'insertion des jeunes, nous pouvons craindre que, dans les faits, les bonnes intentions n'entraînent pas de changements probants. Une garantie devra être apportée au cours des débats et dans les dispositions qui seront adoptées, si ce texte venait à être voté – ce que je présume.
Nous le savons, la gouvernance en matière de protection de l'enfance est un sujet complexe. En effet, deux autorités sont compétentes – le département et le juge des enfants – et une multitude d'acteurs sont engagés : l'État, avec le ministère de la justice, la DGCS – direction générale de la cohésion sociale – , l'éducation nationale, le milieu sanitaire, le département, bien sûr, l'Agence française de l'adoption, des groupements d'intérêt public ou le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge – la liste n'est pas achevée. Il est donc parfois difficile de s'y retrouver dans ce paysage, ce qui peut se traduire par de la lenteur dans la prise de décision et l'apparition d'autres types de disparités, préjudiciables aux publics fragiles, dont il s'agit d'assurer une meilleure prise en charge.
Dans ce contexte, les associations et les collectivités s'accordent à dire que l'accès aux droits des jeunes issus de l'ASE reste compliqué, qu'il s'agisse des études, du logement, des soins ou de l'inclusion en général. Les sorties sèches restent aussi massives que destructrices : votre texte, madame Bourguignon, permet de mettre ce sujet sur la table.
Le changement de trajectoire de ces jeunes reste rare. Nous devons y remédier, alors que, par ailleurs, il nous faut constater une augmentation récente et importante du nombre de mineurs non accompagnés – près de 15 000 nouveaux arrivants en France en 2017, à un âge souvent proche de 18 ans. C'est à l'honneur de la République de se soucier de l'avenir de ces jeunes qui arrivent sur notre sol et qui méritent d'être accompagnés.
Avant de poursuivre, je ferai une remarque de méthode sur l'examen de ce texte : il a été déposé il y a un an et nous l'avions examiné en commission en juillet 2018. Je m'étais alors interrogé sur le calendrier. Depuis, Adrien Taquet, qui a été nommé secrétaire d'État à la protection de l'enfance, a lancé des initiatives auxquelles nous sommes attentifs et qui vont dans la bonne direction.
Puisque nous nous apprécions, permettez-moi de regretter le sort qui est trop souvent fait aux propositions de loi émanant des groupes d'opposition : elles sont écartées, au motif que le Gouvernement travaille sur le sujet ou que certaines dispositions manquent de clarté. C'est aussi le sort qui avait été réservé, il y a quelques mois, au texte de Mme Bourguignon. Ce texte n'en est pas moins examiné aujourd'hui : je formule le voeu que ce débat serve de jurisprudence et que l'ère des rejets préalables ou des renvois en commission soit enfin terminée. Nous devons passer à une autre façon de travailler.