Il aura fallu dix mois d'attente, sans explication, pour que soit inscrite à l'ordre du jour la proposition de loi visant à renforcer 1'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l'autonomie, adoptée en juillet 2018 en commission. Dix mois de blocage et de tergiversations du Gouvernement difficilement compréhensibles sur un sujet pourtant qualifié par Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, de « carnage social ». Ce délai est d'autant plus regrettable que cette proposition de loi est la première du groupe majoritaire à contenir enfin quelques mesures sociales.
Les chiffres sont suffisamment éloquents et alarmants pour décréter une urgence sociale envers les enfants placés : environ 21 000 jeunes de 18 à 21 ans bénéficient d'une mesure de prise en charge, soit seulement un tiers de ceux qui peuvent y prétendre ; 70 % des jeunes de l'ASE sortent sans diplôme ; enfin, un sans domicile fixe sur quatre de moins de 25 ans est passé par l'ASE.
Cet examen en séance très tardif s'inscrit dans un agenda politique illisible puisque, en même temps, une mission – en cours – a été confiée par le Gouvernement à la rapporteure sur ce même sujet, une mission parlementaire sur l'ASE a été constituée à l'Assemblée, enfin, un pacte national pour la protection de l'enfance est annoncé pour le mois de juillet.
Il est vrai que le pilotage national de la protection de l'enfance a été tardif de la part du Gouvernement, la dynamique enclenchée lors du précédent quinquennat ayant été interrompue en 2017. Il aura fallu attendre jusqu'à début 2019 pour qu'un secrétariat d'État à la protection de l'enfance soit enfin restauré.
Il n'en reste pas moins que le sujet mérite d'être examiné avec toute l'attention que préconise le défenseur des droits dès lors que l'on traite de la protection de l'enfance. Je tiens d'ailleurs à saluer le combat mené par les associations d'anciens enfants placés – les collectifs Cause Majeure et #LaRueÀ18Ans – qui rendent visibles, avec ténacité, ces situations humaines dramatiques afin d'éviter à d'autres qu'eux, futurs jeunes majeurs, de se retrouver à la rue. Il nous appartient, à nous législateurs, de prendre le relais.
Les lois de 2007 et de 2016 ont permis de nombreuses avancées. La première consacrait les départements dans leur rôle de chef de file de la protection de l'enfance, la seconde renouvelait la philosophie de la protection de l'enfance, centrée sur la prise en compte des besoins l'enfant. Il reste des marges de progrès, notamment en ce qui concerne l'accompagnement des sorties sèches de l'ASE – avez-vous réellement la volonté, avec ce texte, de l'inscrire dans le prolongement des initiatives de l'ancien monde ?
La présente proposition de loi semble y tendre, notamment avec la généralisation des contrats jeunes majeurs et avec l'obligation faite aux départements d'accompagner ces jeunes de 18 à 21 ans en assurant désormais un financement par l'État. Depuis des années, la prise en charge de ces enfants est marquée par une grande disparité territoriale que nous connaissons sans avoir de données complètes sur la question. On constate un certain dévoiement de l'esprit de la loi du 14 mars 2016. Les raisons de ces disparités sont multiples : manque de moyens de certains départements qui ont du mal à assumer leurs missions alors que d'autres font des choix politiques comme se servir de ces contrats jeunes majeurs comme variable d'ajustement budgétaire en jouant sur le nombre de contrats attribués ou en les refusant aux mineurs non accompagnés, les oubliés de cette proposition de loi.
Nous sommes donc tout à fait favorables à l'introduction du caractère obligatoire pour assurer une égalité de traitement sur notre territoire. Nous souhaitions même aller plus loin en levant les conditions cumulatives nécessaires pour que la prise en charge soit obligatoire mais notre amendement a été déclaré irrecevable. Les difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial nous semblent suffisantes à l'obligation. Or la contractualisation sur la base d'un référentiel proposé par le Gouvernement ne permettra pas d'atteindre cet objectif. C'est dans cet esprit et pour éviter une prise en charge aléatoire que les députés socialistes ont approuvé la proposition de loi en commission. Certes, le texte propose, à travers ses différents articles, des mesures intéressantes mais, concernant l'accès au logement social, la solvabilité des jeunes n'est pas abordée.
Nous avons par ailleurs déposé plusieurs amendements afin, par exemple, de permettre à tous les jeunes suivis de bénéficier d'un accompagnement jusqu'à la fin de leur cursus, des amendements sur l'insertion professionnelle ou pour réintroduire dans le dispositif proposé les jeunes en centre de formation d'apprentis – CFA – ou les jeunes majeurs en enseignement agricole qui sont de fait, pour l'instant, exclus des mesures prévues par le texte.
Pour que l'ambition de ce texte se réalise, il est nécessaire que l'État investisse davantage dans les politiques sociales afin de ne pas laisser les départements porter seuls la charge financière. En effet, le financement reste le grand point d'interrogation. Le texte pèche par un manque de données – et nous ne disposons d'aucune étude d'impact – qui permettraient de mesurer efficacement et sérieusement la portée financière des dispositions qu'il contient. Pour l'heure, les montants annoncés ne sont pas à la hauteur des enjeux. Après les 12 millions budgétés dans le cadre du référentiel de contractualisation avec les départements, présenté en février, on parle désormais de 60 millions annoncés par le Gouvernement. Or, selon les quelques données dont nous disposons, ce financement de 60 millions reste bien éloigné des prévisions nécessaires à la généralisation de l'obligation, estimée à 300 millions. Ainsi, la Seine-Saint-Denis, qui accompagne déjà près de mille jeunes en contrat jeunes majeurs, y consacre 20 millions chaque année.
Seulement, depuis quelques jours, nous entendons une petite musique selon laquelle le Gouvernement s'apprêterait, par amendement, à récrire l'article 1er ou à en restreindre la portée. Nous espérons qu'il n'en est rien. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez à plusieurs reprises, par le biais d'organes de presse ou à l'occasion de réunions, exprimé votre opposition à cette proposition de loi, préférant vous appuyer sur le référentiel signé avec les départements en février dernier qui privilégie l'incitation plutôt que l'obligation légale. L'obligation n'est pas suffisante s'il y a restriction des droits. Si tel devait être le cas, votre décision serait lourde de sens et l'objectif de la proposition de loi s'en trouverait dénaturé.
Les personnes les plus fragiles et les plus vulnérables ont déjà été les grandes oubliées des annonces d'Emmanuel Macron à l'issue du grand débat.
Laurence Rossignol, alors ministre chargée de la protection de l'enfance, avait déclaré au cours des débats législatifs de la loi de 2016 que la situation des enfants de l'ASE était « suffisamment douloureuse pour que ne vienne s'y ajouter une forme de maltraitance institutionnelle ». Réécrire l'article 1er serait prolonger cette maltraitance, dès lors qu'il est clairement identifié que la seule incitation ne changera en rien la situation : elle ne fera qu'encourager les départements déjà les plus vertueux. En revanche, l'égalité de traitement et l'universalité de la prise en charge des enfants de manière identique sur l'ensemble de notre territoire ne seront pas assurées.
Un long chemin a été entrepris, depuis la loi de 2007, pour améliorer la situation des enfants placés. Beaucoup reste encore à faire, mais nous espérons que ce texte pourra être voté en consacrant le caractère obligatoire des contrats jeunes majeurs, et sera une contribution à la réponse que la République doit à ses enfants malmenés par la vie.