C'est un bel aboutissement que de vous présenter enfin, ce lundi, cette proposition de loi permettant la création d'un centre national de la musique. Il aura fallu bien de la persévérance pour y aboutir, mais nous y sommes, grâce au volontarisme et au courage politique de la majorité.
J'ai une pensée chaleureuse pour Françoise Nyssen, ministre de la culture, qui a relancé le sujet en 2017, avec une première mission confiée à Roch-Olivier Maistre, puis la mission de préfiguration confiée conjointement à votre serviteur et à notre collègue Émilie Cariou. En avril 2018, il y a tout juste un an, la ministre annonçait, lors du Printemps de Bourges, la création de ce centre, et cette mise en perspective montre que nous savons passer des paroles aux actes. Je n'oublie pas non plus l'intérêt que porte à ce projet notre actuel ministre de la culture Franck Riester, lui qui fut également rapporteur d'une mission sur le même sujet en 2011 : nous avons un ministre acquis à notre cause, qui a farouchement milité pour la création de ce centre.
Mais pour en revenir au sujet qui nous réunit cet après-midi, et avant d'entamer la présentation des enjeux et du contenu de cette proposition de loi, je ferai le constat suivant : la musique constitue – aussi bien dans l'exercice que dans l'écoute – la première pratique culturelle des Français, et demeure un puissant levier d'émancipation aussi bien pour les virtuoses que pour les néophytes. Elle nous apporte des émotions, nous apaise, nous fait découvrir d'autres cultures et d'autres langues. Elle accompagne nos moments festifs, ponctue aussi nos temps de commémoration, et nous vibrons de manière collective aux paroles et à la musique de notre hymne national… seule oeuvre musicale – je dirai même artistique – à être constitutionnalisée ! En définitive, composée il y a des siècles ou issue des dernières tendances contemporaines, la musique est un art vivant par excellence.
Son poids économique est considérable : 8,7 milliards d'euros – dont 10 % seulement provenant de la vente de musique enregistrée – et près de 240 000 emplois ; cela en fait la deuxième industrie culturelle de notre pays, au rayonnement international duquel elle contribue.
Toutefois, son potentiel n'est pas nécessairement estimé à sa juste valeur, et c'est le dernier art vivant qui ne dispose toujours pas d'un centre national, contrairement à la danse, au livre, au théâtre, aux arts de la rue et au cirque, au cinéma enfin – le Centre national du cinéma (CNC) ayant été créé dès 1946 !
La filière en outre est morcelée – certaines instances étant dotées d'une gouvernance hypertrophiée mais inefficiente – et ne dispose pas des outils d'analyse lui permettant d'objectiver auprès de l'administration l'impact des concours financiers, comme en témoignent les menaces ou les coups de rabot effectifs que ces derniers ont pu subir au gré des discussions budgétaires.
Enfin, son « écosystème » a été lourdement et successivement touché par le piratage de masse – faut-il rappeler que le chiffre d'affaires de la musique enregistrée s'est effondré de 60 % en quinze ans ? –, puis par l'évolution des pratiques – grâce aux smartphones, l'écoute est désormais sans limite, à tous moments et en tous lieux –, enfin par la révolution numérique et l'apparition de la lecture en flux ou streaming.
Si l'essor du streaming permet à la filière de renouer avec la croissance, il est aussi porteur de menaces pour la diversité culturelle, puisque les plateformes de streaming, essentiellement étrangères, ne font l'objet d'aucune régulation en matière de diffusion ou d'approvisionnement. De plus, les algorithmes de recommandation auxquels elles ont recours amplifient la concentration autour des artistes déjà connus et des genres les plus populaires au détriment des révélations.
Les enjeux liés à la création du Centre national de la musique sont donc multiples. Il s'agit avant tout de créer les conditions d'un partenariat ambitieux entre les pouvoirs publics et une filière musicale structurée, afin de soutenir la création et le rayonnement de nos artistes, d'accompagner les professionnels de la production, de l'édition, de la promotion, de la distribution et de la diffusion, et de garantir la diversité des modes d'expression du « spectacle vivant » et des variétés. Ce partenariat ambitieux doit permettre au Gouvernement – seul à même de défendre l'intérêt général – de doter d'une stratégie de long terme ses politiques publiques en faveur de la musique, conformément à ce qui est l'une des missions fondamentales du ministère chargé de la culture.
Il s'agit de rassembler les artistes et les acteurs de la filière – directions régionales des affaires culturelles (DRAC), collectivités territoriales et organismes de gestion collective –, pour qu'ils s'unissent autour d'enjeux communs. Il s'agit également de doter la filière et l'État d'un observatoire, véritable outil d'intelligence économique et sociale, lui permettant d'acquérir des données et des études susceptibles d'orienter les politiques publiques, notamment pour ce qui concerne les dispositifs de soutien financier. Enfin, le Centre national de la musique doit permettre de garantir la création et la diversité, en coordonnant les actions d'information, de formation et d'éducation artistique et culturelle, notamment dans les territoires, en partenariat avec les services déconcentrés de l'État ; d'accompagner le développement de la production de la musique live ou enregistrée, en anticipant les mutations technologiques et les contraintes sécuritaires ; de promouvoir l'innovation dans une perspective offensive face à la révolution numérique et au streaming qui ouvrent les portes d'un marché international dont la France ne peut s'exclure.
C'est la somme de ces enjeux et de ces objectifs qui m'a conduit au dépôt et à la défense de cette proposition de loi portant création d'un Centre national de la musique. Elle s'inscrit dans le droit fil des conclusions des missions et des rapports successifs sur le sujet. Elle est surtout la traduction législative du voeu quasi unanimement formulé par l'ensemble des acteurs de la filière musicale que j'ai pu rencontrer et auditionner.
C'est un texte qui se veut efficace et concis, car la plupart des dispositions relatives au fonctionnement d'un établissement public relèvent en fait du domaine réglementaire, et non du domaine de la loi.
La proposition de loi fixe en revanche les grands principes qui devront présider à l'action du Centre national de la musique.
Premièrement, placé sous la tutelle du ministre de la culture, le Centre national de la musique (CNM), comme l'actuel Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), sera un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC).
Deuxièmement, ses missions de soutien à l'ensemble du secteur, dans toute sa diversité artistique et économique, porteront tant sur le spectacle vivant musical que sur la musique enregistrée et seront complémentaires de celles du ministère, dont les services centraux et déconcentrés continueront à soutenir la filière. À ce titre, il assumera la gestion des crédits d'impôt phonographique et du spectacle vivant musical. La connaissance du tissu créatif et économique lui permettra ainsi d'agir avec cohérence et efficacité.
Troisièmement, ce soutien se déclinera aussi bien à l'échelon territorial, national, qu'international, avec une attention particulière portée à l'exportation de la musique française ainsi qu'à l'innovation, qui constituent deux axes d'avenir essentiels pour la filière. À cette mission première de soutien, s'ajouteront également d'importantes missions d'observation, d'information et de formation.
S'agissant de sa gouvernance, la proposition de loi dispose simplement que le CNM doit être administré par un conseil d'administration et dirigé par un président nommé sur proposition du ministre de la culture.
J'ajoute que, parallèlement à la discussion parlementaire de cette proposition de loi, se tiennent, sous la présidence de Mme Catherine Ruggeri, des réunions de préfiguration du CNM, qui doivent aboutir à la rédaction des décrets relatifs à son fonctionnement et permettre au futur centre d'entrer en vigueur et d'être opérationnel le 1er janvier 2020, conformément à l'annonce du Premier ministre.
Concernant son périmètre, le nouvel établissement regroupera de nombreux leviers d'action publique aujourd'hui assurés par différentes structures expérimentées au bénéfice des artistes et de la filière. Je propose ainsi le regroupement du CNV, du Fonds pour la création musicale (FCM) et du Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA). Nous pourrions également y intégrer le Bureau export (Burex), chargé du soutien des productions françaises à l'international, compte tenu d'une évolution sensible de nos partenaires à ce sujet. Cette idée, que nous avions émise en septembre avec Émilie Cariou, est aujourd'hui suffisamment mûre pour être envisagée.
Une telle opération nécessite que l'on accorde une attention toute particulière à la question du transfert des personnels. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, avec Catherine Ruggeri, la mise en place d'une mission d'accompagnement.
En ce qui concerne son financement, le texte permet au CNM de bénéficier de la taxe sur les spectacles, aujourd'hui affectée au CNV. Par ailleurs, au-delà des ressources actuelles des structures qui auront été fusionnées et des deux crédits d'impôt, le texte n'exclut aucune autre possibilité de ressources. Nous aurons tout loisir d'enrichir la prochaine loi de finances de nos propositions.
Pour conclure, je suis fermement convaincu que la création d'un tel centre national, qui incarne la filière dans son ensemble et regroupe tous les artistes et les professionnels de la musique et des variétés, s'impose. Plus que jamais nous avons besoin d'une telle structure pour assurer le rayonnement de nos artistes et le développement d'un environnement garant d'une création riche et diversifiée, symbole de notre exception culturelle.