Aurore Bergé m'a interrogé sur les modalités de calcul de la rémunération du droit voisin : un amendement – très largement cosigné par les commissaires – sera présenté sur la transparence. Il est à mettre en relation avec un autre amendement concernant la définition des recettes – directes et indirectes – des GAFA. Ce n'est pas à vous que je vais apprendre que ces derniers gagnent de l'argent grâce à la publicité mais également à partir des données qu'ils collectent – soit en les vendant, soit en proposant un meilleur ciblage de la publicité grâce au profilage des consommateurs. Il faudra donc disposer d'une vision large des recettes.
Quant à la répartition, l'audience doit naturellement être prise en compte – c'est ce qu'évoque Elsa Faucillon quand elle parle de paiement « au clic ». Mais je tiens à la rassurer : au-delà de l'audience, la participation au débat public est tout aussi importante. Nous en rediscuterons à l'occasion de la réforme de la loi du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dites loi Bichet. L'investissement des éditeurs et les agences de presse d'information politique et générale (IPG) et de toutes celles et ceux capables de faire vivre le débat public et de renforcer la démocratie doit également être pris en compte. Le législateur doit l'avoir à l'esprit et le réaffirmer dans l'hémicycle. Comme l'ont souligné Frédérique Dumas ou Constance Le Grip, l'investissement de ces entreprises est tout autant numérique, financier, technique, qu'humain. À mon sens, il est d'abord humain. Cela doit être intégré dans les modalités de répartition de la rémunération que l'organisme de gestion collective définira.
Madame Anthoine, vous m'avez interrogé sur les très courts extraits. Ce sujet est fondamental : nous devons être vigilants et travailler ensemble afin de ne pas voter un droit voisin limité – voire très abusivement limité. Un très court extrait ne doit pas pouvoir se substituer à la lecture de l'article lui-même. Le groupe Socialistes a déposé des amendements sur ce sujet. La directive exclut les hyperliens, les mots isolés et les très courts extraits du paiement d'un droit voisin. Cette discussion a duré six ou sept ans en Allemagne et près de deux ans au sein de l'Union européenne… S'agissant de droits économiques, il va de soi que la négociation doit primer. Si tel n'est pas le cas, la jurisprudence apportera une définition. Pour autant, comme nous en avons discuté ce matin même avec M. David Assouline et le ministre de la culture, le législateur pourrait peut-être donner des précisions sur ce qu'est un très court extrait d'ici à la séance du 9 mai, afin qu'aucune interprétation extensive ne vienne transformer un droit théorique en un droit inapplicable. Nous pourrions très concrètement partir du nombre de mots ou interdire la substituabilité du très court extrait à l'article. Nous devons préciser – sans doute dans l'exposé des motifs car il sera plus complexe de l'inclure dans le dispositif de la loi – qu'un très court extrait ne peut avoir fait l'objet d'un travail journalistique préalable. Nous devons explorer ces deux ou trois pistes pour rendre ce droit réel.
Plusieurs collègues m'ont interrogé sur la durée de protection – deux ou cinq ans. Nous ferons une proposition dont l'objectif est de ne pas fragiliser la négociation entre les GAFA et les éditeurs, agences de presse et, par conséquent, les journalistes : si nous nous éloignons de la directive européenne, nous risquons de prolonger indéfiniment la négociation. Ceux qui doivent enfin payer des droits voisins à la presse pourraient parfaitement attaquer une telle disposition – tant en France qu'au niveau européen – au motif que nous aurions surtransposé… Nous le savons tous, cette durée de deux ans a été négociée. La matière numérique, comme la matière juridique liée au numérique, a vocation à évoluer. C'est pourquoi je me permets de nous recommander de rester à deux ans. En nous en éloignant – à cinq, vingt, voire cinquante ans, comme certains amendements le proposent – nous prenons un risque… Bien sûr, nous préférerions un droit perpétuel, mais ce n'est pas ce que le législateur européen a décidé.
Mme Cazarian m'a interrogé sur les modalités de mise en oeuvre. Il faut laisser les acteurs économiques libres, mais le législateur peut leur donner certains conseils. Un organisme de gestion collective doit avoir la possibilité de conduire la négociation, puis de conduire la répartition. Dans les jours qui viennent, nous allons inciter tous les ayants droit à travailler ensemble : tous les éditeurs – afin de ne pas opposer presses nationale et régionale, quotidienne et hebdomadaire –, mais également les agences de presse et les journalistes, et même les élus de toutes sensibilités doivent travailler de concert et mettre la pression pour que ce droit et la rémunération juste et équitable qui en découle deviennent une réalité.
Cela peut se faire dans le cadre d'un organisme de gestion collective – ce n'est évidemment pas au législateur de l'imposer, les acteurs étant libres de se déterminer dans le cadre de la négociation. Mais c'est déjà une réalité de gestion pour la musique – dont les droits sont gérés par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) – ou pour les droits télévisés du football – gérés par la Ligue nationale de football. Même si certains présidents de clubs s'écharpent pour obtenir une amélioration de la répartition, ils disposent d'un lieu pour se retrouver à intervalles réguliers. Il existe des organismes de gestion collective dans notre pays ; nous avons la possibilité de les solliciter ou, à défaut, d'en créer un nouveau.
Madame Bazin-Malgras, votre question sur les publieurs de fake news est extrêmement importante et recoupe la réponse que je viens de faire sur l'organisme de gestion collective. L'Allemagne, puis l'Espagne et la Belgique, en ont fait l'amère expérience au cours des dernières années : la négociation individuelle est vouée à l'échec. Je veux croire que Google et Facebook – pour ne citer qu'eux – ne sont pas animés par la volonté de diffuser de fausses nouvelles. En outre, même s'ils l'ont fait trop tard, ils ont pris des initiatives pour lutter contre les fausses nouvelles. Je vois donc difficilement un opérateur négocier individuellement des droits voisins avec un site qui aurait, de notoriété publique, commis des erreurs ponctuelles ou récurrentes, d'autant plus que nous mettons en place une gestion collective de ces droits. Les éditeurs et agences, qui sont responsables, n'intégreront pas au sein d'un organisme de gestion collective des publieurs de fake news – cela leur serait préjudiciable. La gestion collective devrait donc nous préserver du risque, tout à fait réel, qu'un publieur de fake news soit financé par le droit voisin. Nous devons tous soutenir la création d'un organisme de gestion collective, qui fonctionnerait sur la base de la cooptation et d'une charte de valeurs. Cela contribuera par ailleurs à une meilleure application de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, dite loi anti-fake news, que nous avons adoptée.
Madame Colboc, j'ai partiellement répondu à votre question. S'agissant du délai d'application et du montant de la rémunération, ce n'est pas à nous de trancher. Nous pouvons simplement souhaiter que cela soit rapide. La proposition de loi ne prévoit pour le moment rien concernant les voies de recours si la négociation n'aboutit pas entre les GAFA et les ayants droit. Je suis ouvert, et le Gouvernement l'est également, afin que nous y réfléchissions d'ici au passage en séance. La proposition de loi de David Assouline en 2016, et la mienne en 2018, prévoyaient une commission paritaire ad hoc, présidée par un représentant de l'État. Il faudrait évidemment éviter cette extrémité, mais elle est de nature à renforcer les ayants droit dans leur négociation avec les GAFA.
Pour ce qui est de l'état d'esprit de ces derniers, il a considérablement et positivement évolué depuis un an. La semaine dernière, nous étions quelques-uns à assister aux auditions – Fannette Charvier, Frédérique Dumas, etc. – et les représentants de Facebook et Google nous ont donné le sentiment qu'ils entendaient bien appliquer la loi. Énoncer à l'Assemblée nationale le fait qu'un acteur économique décide d'appliquer la loi peut sembler choquant, voire appparaître comme une tautologie. Mais, en 2013, lorsque l'Allemagne et l'Espagne ont adopté des dispositions de même nature, alors que la directive européenne n'était pas encore votée, Google et Facebook ont veillé à contourner la loi. En Espagne, Google News a déréférencé tout le monde et menacé de fermer le service. En Allemagne, ils ont multiplié les contentieux, dont certains sont toujours en cours.
Pourquoi leur état d'esprit a-t-il évolué ? Je l'ai souligné dans mon propos liminaire : vous avez eu raison de renvoyer ce texte en commission, dans l'attente de l'adoption de la directive européenne. Ce n'était pas mon souhait à l'époque, mais l'adoption de cette directive renforce notre position : il est difficile pour les GAFA de s'opposer ou de déréférencer toute la presse d'un pays comme la France, mais il serait totalement insensé de déréférencer toute la presse en Europe ! Nous ne sommes pas tout à fait le phare de l'humanité, mais ces deux sociétés cotées en bourse n'iraient pas prendre le risque de mettre au défi l'ensemble des pays de l'Union européenne. Leur image mondiale pourrait en pâtir et leur cours de bourse chuter.
Monsieur Claireaux, vous avez raison, le jeune public se nourrit d'informations sur les réseaux sociaux. Votre question rejoint mes observations concernant les très courts extraits. La différence entre un moteur de recherche et un réseau social, c'est que le réseau social peut publier un chapeau. Nous devons donc exclure les très courts extraits, mais en les définissant. En effet, un très court extrait d'un document d'une dizaine de pages peut être un chapitre. Le très court extrait doit donc être un extrait qui ne peut se substituer à la lecture de l'article. Cela permettra au réseau social qui met des articles en ligne d'inviter le lecteur à aller sur le site de l'éditeur, plutôt que de le conduire à considérer que la lecture du titre et du chapeau est suffisante pour son information.
Notre travail est sur ce point fondamental : le très court extrait ne doit pas se substituer à la lecture de l'article. Ce serait d'ailleurs une erreur de transposition car telle n'est pas la volonté des colégislateurs européens.
Madame Calvez, vous avez raison, la distinction entre moteurs de recherche et réseaux sociaux est plus complexe aujourd'hui pour les raisons que je viens d'énoncer concernant les très courts extraits. Mais cela pourrait aussi être plus complexe demain parce que des hyperliens pourraient ne pas être de simples mises en relation – de type localisateur uniforme de ressource ou, en anglais, uniform resource locator (URL) – mais faire l'objet d'une rédaction. En conséquence, le législateur doit définir l'hyperlien comme un URL et veiller à ce que le très court extrait reste vraiment très court.
Madame Faucillon, je le redis, cela ne marche pas qu'au clic ! Nous avons déjà eu cette discussion l'année dernière. L'audience n'est pas seule à l'origine de la négociation des droits voisins. Le volume financier des revenus publicitaires et des recettes directes ou indirectes générées par l'utilisation des articles de presse sur internet est de 2,8 milliards d'euros. Si l'on conduit la négociation de façon technique, arithmétique – au clic –, ce droit ne sera jamais appliqué, car Google et Facebook nous expliqueront que seuls des robots peuvent analyser d'où viennent les articles, mais que peu de robots sont capables de rémunérer au clic… Il ne peut donc s'agir que d'une négociation forfaitaire. Dans la mesure où elle est forfaitaire, cela évitera que des journalistes produisent à la chaîne deux mille signes, comme vous le craignez. La directive européenne et la proposition de loi évitent cet écueil.
Nous devons également être attentifs à un deuxième écueil, vous avez bien fait d'y revenir. Ce matin encore, j'étais avec le président du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL). Les petits éditeurs, et en particulier les éditeurs en ligne, n'ont rien à perdre car ils ne perçoivent pas de droit voisin en l'état actuel du droit. Pire, cette ressource est intégralement captée par les GAFA. Demain, ces ressources supplémentaires pour la presse – qu'elle soit traditionnelle, traditionnelle et en partie numérisée ou uniquement numérique – pourront être réparties sur le même modèle que la redevance pour copie privée, les traditionnels droits d'auteur ou les droits du football auxquels je faisais référence : l'AJ Auxerre a toujours intérêt à toucher une ressource supplémentaire ! Certes, quand on est petit, elle est moins importante, et quand on est important, elle est moins petite… Mais le droit voisin n'a pas vocation à réduire les écarts entre les différents acteurs : il a vocation à partager équitablement entre chacun des acteurs une ressource supplémentaire. C'est l'objectif qui doit nous animer.