Comme vous tous, c'est avec tristesse et émotion que j'ai regardé les images de Notre-Dame ravagée par les flammes. En un tel moment, on se dit qu'on se rappellera toujours où on était et ce qu'on faisait au moment où on a appris ce drame, qui s'est inscrit pour toujours dans la vie de chacun.
Les Françaises et les Français n'ont pas été les seuls à ressentir cette grande émotion, qui s'est propagée dans le monde entier. Ce qui s'est passé le 15 avril dernier a donné lieu à une magnifique mobilisation – celle des pompiers, bien sûr, mais aussi celle d'autres serviteurs de l'État et de très nombreuses citoyennes et citoyens, qui l'ont manifestée à travers leurs dons.
La cathédrale Notre-Dame est un lieu de culte, mais aussi l'oeuvre des compagnons qui l'ont construite durant des décennies. Source d'inspiration pour Victor Hugo et tant d'autres poètes ou écrivains, elle a accompagné l'histoire du peuple de Paris dans tous ses aspects, dans tous ses combats. Nous avons besoin d'une grande loi, car l'enjeu est énorme. Mais je dois vous avouer que, tout comme les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je reste très dubitative à la lecture du projet de loi qui nous est soumis ce matin.
Les professionnels de la conservation et de la rénovation du patrimoine ont alerté le Gouvernement et sa majorité sur le contenu de ce projet de loi, en particulier au sujet des habilitations prévues par les articles 8 et 9. L'article 8 autorise le Gouvernement à créer un établissement public ad hoc, chargé de conduire les travaux. Est-il bien pertinent de créer un nouvel établissement alors qu'il existe déjà deux établissements publics à caractère administratif chargés de la conservation, de la rénovation et de la valorisation des monuments historiques ? Quant à l'argument portant sur la limite d'âge applicable à la fonction publique, il n'est pas sérieux, ou alors, je ne sais pas ce qu'il y a derrière ! Le flou le plus total entoure la composition du nouvel établissement public puisque le Gouvernement agit par voie d'ordonnance, ce qui n'est pas non plus tolérable : nous devons être en mesure de savoir, avant la création de cet établissement, quelles seront sa composition et ses méthodes de travail.
On nous dit que le diocèse et la Mairie de Paris y seront associés ; à ce sujet, je veux souligner qu'il serait particulièrement choquant que la Mairie de Paris recoure à l'article 9 pour s'exonérer des obligations liée à l'archéologie préventive dans le cadre de travaux qu'elle pourrait effectuer à proximité de la cathédrale – nous devons faire en sorte que cela ne puisse se produire. Par ailleurs, j'aimerais savoir quelle est la place du ministère de la culture au sein de cet établissement et quel sera réellement son rôle en termes de pilotage.
Pour ce qui est de l'article 9, ouvrir la possibilité de déroger à toute une série de lois et de règles va créer un précédent qui risque de faire jurisprudence. Demain, il sera difficile d'expliquer aux élus qu'ils doivent respecter la loi de 2016 relatives à l'architecture et au patrimoine sans aucune dérogation, alors que le Gouvernement y aura eu recours… La loi de 2016 n'est pas une loi qui crée des barrages : elle a vocation à protéger notre patrimoine, et la compétence des commissions et des architectes des Bâtiments de France sont des atouts pour la conservation de ce patrimoine.
Pour conclure, je souhaite vous citer les propos de Patrick Bouchain, maître d'oeuvre et scénographe, dans une tribune publiée ce matin dans L'Humanité :
« On parle aujourd'hui de presser la reconstruction, de faire au plus vite. C'est ignorer crânement la source de cette beauté que l'on veut restaurer. C'est méconnaître le sens de cette oeuvre que les siècles de travail, anonyme le plus souvent mais portant toujours la marque du soin, du génie et de l'entraide, ont donné en partage à l'humanité. Sauf à devenir l'instrument d'une politique de l'instant, Notre-Dame sera l'un des grands chantiers du XXIe siècle. Avec son lot de contraintes, certes. Mais voilà surtout une formidable chance de former tant d'apprentis, de partager tant de gestes, d'en inventer tant de nouveaux. Ce chantier pourra alors devenir une fête : une longue fête collective par laquelle notre époque apportera sa part de beauté et de sens à l'édifice. »
En ce sens, j'espère que notre débat permettra de donner à cette loi toute sa force.