Intervention de Didier Lallement

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Didier Lallement, préfet de police :

Vous avez sans doute noté que j'ai indiqué devant le Sénat. que je ne pensais pas que les difficultés que nous avons rencontrées étaient dues à un manque de moyens. Je crois même avoir dit le contraire et je le redis devant votre commission : nous avons largement suffisamment de moyens en matière de maintien de l'ordre. En revanche, nous avons connu, et cela a été dit par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, des carences en matière d'organisation. Ce n'est pas un simple problème de management mais un véritable problème d'organisation. C'est pour cela que, dès mon arrivée, j'ai pris des mesures.

Avant de les évoquer, je reviens sur la notion de dépit. Les fonctionnaires et militaires sont évidemment dépités du résultat que nous avons tous constaté, des images de destructions et de violences. Notre objectif est de parvenir à l'effet inverse. Il est normal qu'un tel dépit, qui est un dépit administratif. Les fonctionnaires et les militaires qui sont sous mes ordres sont certes fatigués physiquement mais ils ne le sont pas moralement. Ils sont très déterminés et ont l'intention de montrer leur détermination lors des prochaines semaines car ils ont la certitude d'agir pour protéger la République. Ce sont, en effet, les principes républicains eux-mêmes qui sont en cause. Or leur engagement, qui fait leur vie puisqu'ils exercent ce métier, comme moi, c'est avant tout la défense des principes républicains. Et cet engagement ne fait de leur part l'objet d'aucun doute ni d'aucune fatigue.

Puisque vous souhaitez que je revienne sur les sujets d'ordre public, je commencerai en soulignant qu'il était nécessaire d'unifier la chaîne de commandement. C'est une chose simple à dire mais plus compliquée à réaliser. Il y a deux grands systèmes : la DSPAP et la DOPC. C'est une spécificité parisienne que l'on ne retrouve pas en province. À Bordeaux, où j'étais en fonction, il n'y a qu'une seule salle d'information et de commandement et elle sert à la fois pour la sécurité publique et l'ordre public, mais, du fait de sa taille, dans l'agglomération parisienne il y a plusieurs chaînes de commandement. Par exemple, il y a plusieurs salles de commandement à la préfecture de police. On retrouve cela dans d'autres grandes organisations, comme le ministère de la défense.

Ce qu'il faut, c'est que les choses soient parfaitement claires pour les fonctionnaires de terrain. L'instruction que j'ai donnée et qui est suivie depuis quinze jours est que, dès lors qu'un fonctionnaire agit en matière d'ordre public, il passe sous la chaîne de commandement dite DOPC. C'est une chaîne car le commandement, c'est moi : que je sois en commandement « sécurité publique » ou en commandement « ordre public », c'est toujours le même préfet de police. J'ai d'ailleurs décidé d'être présent du début à la fin des manifestations en salle de commandement DOPC. Pendant une manifestation, nous avons plusieurs types d'action. Nous avons par exemple des actions d'anticipation des manifestations, qui sont des actions de contrôle. Nous contrôlons aux péages, en gare d'arrivée…, avec des réquisitions des procureurs de la République qui permettent d'ouvrir les sacs de certaines personnes dont nous pensons qu'elles peuvent être des manifestants, pour nous assurer qu'elles viennent sans armes offensives. Les fonctionnaires de la DSPAP qui agissent dans ce cadre sont à ce moment-là sous commandement DSPAP puisqu'ils mènent des actions de sécurité publique. On leur a expliqué que, quand il était fait appel à eux pour agir en matière d'ordre public, par exemple parce que l'on assistait à des regroupements, ils basculaient alors dans la chaîne de commandement DOPC. C'était une chose importante à faire. Je le vérifie moi-même par ma présence dans la salle de commandement DOPC.

Ce n'est pas la seule action que j'ai mise en place. J'ai également revu assez profondément le dispositif d'intervention en matière d'ordre public, en l'axant sur la mobilité. Nous sommes en effet confrontés à des manifestants beaucoup plus mobiles qu'auparavant. J'ai connu un temps où les manifestations avaient lieu dans des endroits très précis – souvent dans l'est parisien – étaient assez structurées, avec des services d'ordre conséquents qui intervenaient tant à l'intérieur de la manifestation qu'en périphérie. La tradition de la préfecture de police en matière de maintien de l'ordre était donc, comme en province, de se placer au niveau d'un certain nombre de points de protection, les grandes institutions gouvernementales, l'Assemblée nationale, les centres républicains. Nous savions que la manifestation suivrait tel trajet, dont nous connaissions les points à risque. Nous sommes depuis quelques années confrontés à un bouleversement des pratiques, d'abord du fait de l'émergence du phénomène black bloc, apparu au moment où s'affaiblissaient ces grands cortèges parce que les grandes organisations qui les sous-tendaient ont moins d'influence dans le débat public. Nous sommes aujourd'hui confrontés à ces logiques de mobilité ; cela a été particulièrement explicite le 1er mai de l'année dernière à Paris.

Les « gilets jaunes » ont accéléré la décomposition des grands cortèges. Des manifestants pacifiques, et d'autres qui ne le sont pas, défilent ainsi la plupart du temps sans déclaration et, quand bien même y a-t-il eu déclaration, avec des tentatives de certains de changer le trajet du cortège par rapport au trajet déposé.

Comme chaque administration, nous devons nous adapter à ce qu'est la réalité de la société, et donc être beaucoup plus mobiles car le cortège est devenu imprévisible, à la fois dans son comportement et dans son cheminement. D'où l'absolue mobilité, à quoi nous avons travaillé depuis une quinzaine de jours. Cette rapidité repose sur le concept de l'autonomie tactique des unités engagées. Cela signifie que j'assigne aux unités engagées une zone d'intervention à l'intérieur de laquelle s'applique un cadrage d'instruction : être actif, réactif, dissoudre les groupes de casseurs, empêcher les dégradations. Les fonctionnaires et militaires interviennent désormais sans attendre les instructions de la salle de commandement. J'ai inversé la logique : ils agissent à présent dans le cadre de ces secteurs prédéfinis pour faire cesser les troubles.

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