Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Présidence

La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend, M. Didier Lallement, préfet de police de Paris, accompagné de M. Thibaut Sartre, secrétaire général pour l'administration, M. Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation, et M. Sébastien Durand, conseiller technique en charge des affaires de police

L'audition commence à neuf heures.

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Monsieur le préfet, vous avez été entendu hier par la commission des lois du Sénat sur le dispositif du maintien de l'ordre à Paris pendant les manifestations, à la fois celle du 16 mars, avant votre nomination puisque vous êtes entré en fonction le 21 mars, et sur le dispositif que vous avez mis en place depuis cette date, et en particulier sur les conséquences que vous en avez tirées en matière d'organisation du commandement. Nous reviendrons sur ces questions mais aussi sur d'autres sujets, sur lesquels mes collègues ne manqueront pas de vous interroger.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Didier Lallement ainsi que MM. Thibaut Sartre, Jérôme Foucaud et Sébastien Durand prêtent serment.

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Didier Lallement, préfet de police

Mesdames et messieurs les députés, je m'exprime devant vous avec une ancienneté relative puisque, comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, je ne suis à la préfecture de police de Paris que depuis quinze jours. Je ne parlerai évidemment que de ce que je fais depuis le 21, au moins en matière d'ordre public, et pas de ce qui s'est passé avant ma prise de fonctions.

Puisque votre commission a un objet beaucoup plus large que celui de l'ordre public, je donnerai quelques éléments de contexte sur le fonctionnement budgétaire de la préfecture de police, avec un préambule sur sa spécificité.

La préfecture de police est en effet un objet particulier, sui generis, dans le paysage administratif français : ni administration centrale ni totalement service déconcentré, elle date de 1800, c'est-à-dire avant la création de la police nationale. Le préfet de police est une autorité déconcentrée mais a en même temps des compétences municipales en matière de police générale. Même si des évolutions législatives récentes avec la loi du 28 février 2017 sur, entre autres, les compétences du maire en matière de circulation et de stationnement, il n'en reste pas moins que j'exerce l'autorité de police générale de droit commun qui est dans les autres communes exercée par le maire. Cela remonte au Premier Empire et à la nécessité pour un gouvernement d'avoir dans une autorité de police auprès de lui l'ensemble des fonctions permettant de maîtriser l'ordre public dans toutes ses facettes. Cela explique la structure administrative de la préfecture de police ainsi que sa structure budgétaire.

Les compétences du préfet de police ne se limitent pas seulement à Paris : elle s'étend également aux trois départements de la petite couronne, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine et Val-de-Marne, ainsi qu'aux deux aéroports de Roissy et d'Orly. Des modifications récentes, à partir de 2009, sont intervenues en ce sens.

Je dispose d'un ensemble de services assez large puisque, au-delà des compétences de police que j'évoque, je suis également le préfet de zone d'Île-de-France, ce qui inclut la grande couronne. J'ai à ce titre les mêmes compétences que tout autre préfet de zone. Il faut toujours avoir en mémoire cette approche spécifique de la préfecture de police pour en comprendre véritablement l'organisation et le fonctionnement.

Ces activités sont à l'image de la zone d'intervention de mes compétences. La préfecture de police, c'est chaque année près de 2,3 millions d'appels « police-secours », 515 000 interventions des services de police, 450 000 interventions pour la seule brigade des sapeurs-pompiers, qui est également une spécificité puisqu'elle est militaire et financée sur un budget spécial de la ville de Paris, comme, d'ailleurs, les autres compétences de police générale du préfet de police. Nous devons chaque année assurer la sécurité de 7 500 événements organisés sur la voie publique, qui rassemblent à peu près dix millions de personnes. Par exemple, s'ouvre aujourd'hui la foire du Trône, un événement que nous devons sécuriser.

La préfecture de police, c'est environ 21 % des effectifs de la police nationale et 26 % des faits de délinquance constatés chaque année en zone de police. La préfecture délivre également 100 000 titres de séjour. Nous avons instruit l'année dernière 9 500 demandes de naturalisation. C'est également la police des transports. C'est ainsi une administration qui doit faire face à des défis lourds et à des sollicitations qui ne sont pas uniquement celles de l'ordre public, j'y insiste particulièrement. Il est bien naturel que l'ordre public focalise les interrogations, voire, dans un certain nombre de cas, les inquiétudes, mais ce n'est pas la seule facette de notre activité.

La préfecture de police se compose de cinq directions dites actives, pour reprendre la terminologie policière de « services actifs de la police » : la police judiciaire, 2 200 fonctionnaires, la direction du renseignement, 1 800 fonctionnaires, la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), 20 000 effectifs, qu'on peut comparer, en termes d'activité, aux directions départementales de la sécurité publique (DDSP) en province, la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), dont le directeur est ici présent, 5 500 effectifs, qui, comme son nom l'indique, vise à intervenir en matière d'ordre public dès lors qu'on sort de l'activité de police traditionnelle qu'exerce la DSPAP, enfin la direction opérationnelle des services techniques et logistiques, qui assure les supports.

Nous avons également deux directions plus administratives, la police générale, 950 personnes, et la direction des transports et de la protection des populations, 600 personnes, ainsi que des organisations plus anciennes, l'Institut médico-légal bien connu et l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, son laboratoire central, ou encore sa brigade de sapeurs-pompiers que j'évoquais à l'instant : 8 000 militaires qui interviennent sur Paris et la petite couronne.

Tout cela forme un ensemble assez important puisque la préfecture de police regroupe 43 000 agents. C'est ce qui explique les montants budgétaires afférents au bon fonctionnement de ce dispositif.

Deux budgets distincts financent la préfecture de police : le budget de l'État, pour les actions relatives à la sécurité et à l'ordre public, et le budget spécial, qui fait partie du budget de la ville de Paris mais qui n'est pas alimenté seulement par cette dernière puisqu'il l'est également par l'État et d'autres contributeurs. Ce budget spécial finance la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et les directions administratives générales que j'ai citées. Au total, les ressources de la préfecture de police s'élèvent à 4 milliards d'euros, dont quelque 3 milliards financés par l'État et 630 millions au titre du budget spécial, pour lequel la ville de Paris contribue à hauteur de 230 millions et l'État à hauteur de 130 millions, la différence étant comblée par les contributions d'autres collectivités locales – conseils généraux de la petite couronne, intercommunalités. C'est ce qui fait la particularité de ce budget spécial.

Au titre de mes compétences État, donc pour la partie d'un peu plus de 3 milliards, je suis, comme tous les préfets de zone, le responsable du budget opérationnel de programme (RBOP) à la fois du programme 176 « Police nationale » et du programme 152 « Gendarmerie nationale ». C'est là un mode de fonctionnement qu'on retrouve sur l'ensemble des zones de défense de France.

Voilà très rapidement, mesdames et messieurs les députés, les spécificités de la préfecture de police dans son fonctionnement, ses compétences et son mode de financement.

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Considérez-vous qu'il faille repenser la préfecture de police, sinon totalement, au moins en partie, pour plus d'efficacité et parce que c'est une institution qui mérite d'évoluer ? Avez-vous d'ores et déjà des pistes de réflexion ou des axes de travail ?

S'agissant de questions plus précises, dans ses deux avis sur les budgets police et gendarmerie 2018 et 2019, Jean-Michel Fauvergue préconisait un rattachement de certains services de la préfecture de police de Paris à la direction générale de la police nationale (DGPN), à savoir, premièrement la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), deuxièmement la direction du renseignement (DR-PP) à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), troisièmement la sous-direction de l'immigration clandestine à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF). Ces rattachements sont-ils prévus dans votre feuille de route ?

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Didier Lallement, préfet de police

Le Gouvernement m'a en effet mandaté pour réfléchir à une réforme. Celle-ci n'est pas prédéfinie ; les pistes que vous évoquez sont des pistes parmi d'autres. Le cadrage qui m'est donné par le Gouvernement est de mieux articuler la préfecture de police avec les administrations centrales. Je précise toutefois que j'ai une compétence opérationnelle que n'a pas le directeur général de la police nationale. À quelques exceptions près, ce dernier est une autorité organique, tandis que je suis une autorité opérationnelle mais qui, du fait de l'histoire, a en même temps des compétences organiques, c'est-à-dire que je dispose de services en support de mes compétences opérationnelles. Ce qui est discuté en ce moment, c'est l'efficacité opérationnelle de ces compétences. La réflexion sur la meilleure articulation des autorités organiques doit venir après que sera confirmée la réussite de la maîtrise du maintien de l'ordre.

Les pistes que vous évoquez relèvent du cadrage qui m'a été fixé par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, à savoir cette meilleure articulation, mais je ne peux pas dire si elles seront reprises ou non. Je pense que l'important c'est qu'à tout moment entre la DGPN et la préfecture de police, mais aussi entre la préfecture de police et les autres grandes directions d'administration centrale, je pense à la direction générale des étrangers en France (DGEF) ou à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), il n'y ait pas de contradiction dans la doctrine, à la fois opérationnelle et organique. Ce que je proposerai sera d'abord sous cette égide-là.

En tout état de cause, il ne s'agit pas d'un simple jeu de go où l'on déplace des pions. C'est avant tout une démarche de management qui permet une intégration et une réussite du dispositif. L'ambition n'est pas simplement de réformer la préfecture de police mais de parvenir à une réforme globale de l'ensemble des forces de sécurité intérieure qui permette à chaque échelon d'être totalement pertinent.

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En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que le rapport de cette commission d'enquête ne porte pas principalement sur les manifestations qui ont lieu depuis maintenant trois mois à Paris. Ces manifestations ont néanmoins contribué à pointer plusieurs choses, à commencer par le très clair manque de moyens de nos forces de sécurité, principalement dans le cadre du maintien de l'ordre, ainsi que des lacunes en termes de communication entre les différents services et d'organisation.

Le directeur de l'ordre public et de la circulation m'a indiqué que l'organisation de la préfecture de police de Paris était un véritable atout car elle évoluait en permanence. Pouvez-vous nous expliquer en quoi la préfecture de police évolue « mieux » que les autres ?

Lors de votre audition par le Sénat, vous avez indiqué avoir constaté le dépit de l'ensemble des fonctionnaires et militaires. Ne pensez-vous pas que ce dépit est dû aux problèmes d'articulation entre vos services, non spécialisés dans le maintien de l'ordre, et des unités spécialisées, chacun étant prévenu à la dernière minute, avec une articulation nécessairement compliquée entre unités qui n'ont ni les mêmes chefs ni les mêmes habitudes de travail ? La spécificité parisienne ne pose-t-elle pas, dans ce cas précis, de vrais problèmes ?

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Didier Lallement, préfet de police

Vous avez sans doute noté que j'ai indiqué devant le Sénat. que je ne pensais pas que les difficultés que nous avons rencontrées étaient dues à un manque de moyens. Je crois même avoir dit le contraire et je le redis devant votre commission : nous avons largement suffisamment de moyens en matière de maintien de l'ordre. En revanche, nous avons connu, et cela a été dit par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, des carences en matière d'organisation. Ce n'est pas un simple problème de management mais un véritable problème d'organisation. C'est pour cela que, dès mon arrivée, j'ai pris des mesures.

Avant de les évoquer, je reviens sur la notion de dépit. Les fonctionnaires et militaires sont évidemment dépités du résultat que nous avons tous constaté, des images de destructions et de violences. Notre objectif est de parvenir à l'effet inverse. Il est normal qu'un tel dépit, qui est un dépit administratif. Les fonctionnaires et les militaires qui sont sous mes ordres sont certes fatigués physiquement mais ils ne le sont pas moralement. Ils sont très déterminés et ont l'intention de montrer leur détermination lors des prochaines semaines car ils ont la certitude d'agir pour protéger la République. Ce sont, en effet, les principes républicains eux-mêmes qui sont en cause. Or leur engagement, qui fait leur vie puisqu'ils exercent ce métier, comme moi, c'est avant tout la défense des principes républicains. Et cet engagement ne fait de leur part l'objet d'aucun doute ni d'aucune fatigue.

Puisque vous souhaitez que je revienne sur les sujets d'ordre public, je commencerai en soulignant qu'il était nécessaire d'unifier la chaîne de commandement. C'est une chose simple à dire mais plus compliquée à réaliser. Il y a deux grands systèmes : la DSPAP et la DOPC. C'est une spécificité parisienne que l'on ne retrouve pas en province. À Bordeaux, où j'étais en fonction, il n'y a qu'une seule salle d'information et de commandement et elle sert à la fois pour la sécurité publique et l'ordre public, mais, du fait de sa taille, dans l'agglomération parisienne il y a plusieurs chaînes de commandement. Par exemple, il y a plusieurs salles de commandement à la préfecture de police. On retrouve cela dans d'autres grandes organisations, comme le ministère de la défense.

Ce qu'il faut, c'est que les choses soient parfaitement claires pour les fonctionnaires de terrain. L'instruction que j'ai donnée et qui est suivie depuis quinze jours est que, dès lors qu'un fonctionnaire agit en matière d'ordre public, il passe sous la chaîne de commandement dite DOPC. C'est une chaîne car le commandement, c'est moi : que je sois en commandement « sécurité publique » ou en commandement « ordre public », c'est toujours le même préfet de police. J'ai d'ailleurs décidé d'être présent du début à la fin des manifestations en salle de commandement DOPC. Pendant une manifestation, nous avons plusieurs types d'action. Nous avons par exemple des actions d'anticipation des manifestations, qui sont des actions de contrôle. Nous contrôlons aux péages, en gare d'arrivée…, avec des réquisitions des procureurs de la République qui permettent d'ouvrir les sacs de certaines personnes dont nous pensons qu'elles peuvent être des manifestants, pour nous assurer qu'elles viennent sans armes offensives. Les fonctionnaires de la DSPAP qui agissent dans ce cadre sont à ce moment-là sous commandement DSPAP puisqu'ils mènent des actions de sécurité publique. On leur a expliqué que, quand il était fait appel à eux pour agir en matière d'ordre public, par exemple parce que l'on assistait à des regroupements, ils basculaient alors dans la chaîne de commandement DOPC. C'était une chose importante à faire. Je le vérifie moi-même par ma présence dans la salle de commandement DOPC.

Ce n'est pas la seule action que j'ai mise en place. J'ai également revu assez profondément le dispositif d'intervention en matière d'ordre public, en l'axant sur la mobilité. Nous sommes en effet confrontés à des manifestants beaucoup plus mobiles qu'auparavant. J'ai connu un temps où les manifestations avaient lieu dans des endroits très précis – souvent dans l'est parisien – étaient assez structurées, avec des services d'ordre conséquents qui intervenaient tant à l'intérieur de la manifestation qu'en périphérie. La tradition de la préfecture de police en matière de maintien de l'ordre était donc, comme en province, de se placer au niveau d'un certain nombre de points de protection, les grandes institutions gouvernementales, l'Assemblée nationale, les centres républicains. Nous savions que la manifestation suivrait tel trajet, dont nous connaissions les points à risque. Nous sommes depuis quelques années confrontés à un bouleversement des pratiques, d'abord du fait de l'émergence du phénomène black bloc, apparu au moment où s'affaiblissaient ces grands cortèges parce que les grandes organisations qui les sous-tendaient ont moins d'influence dans le débat public. Nous sommes aujourd'hui confrontés à ces logiques de mobilité ; cela a été particulièrement explicite le 1er mai de l'année dernière à Paris.

Les « gilets jaunes » ont accéléré la décomposition des grands cortèges. Des manifestants pacifiques, et d'autres qui ne le sont pas, défilent ainsi la plupart du temps sans déclaration et, quand bien même y a-t-il eu déclaration, avec des tentatives de certains de changer le trajet du cortège par rapport au trajet déposé.

Comme chaque administration, nous devons nous adapter à ce qu'est la réalité de la société, et donc être beaucoup plus mobiles car le cortège est devenu imprévisible, à la fois dans son comportement et dans son cheminement. D'où l'absolue mobilité, à quoi nous avons travaillé depuis une quinzaine de jours. Cette rapidité repose sur le concept de l'autonomie tactique des unités engagées. Cela signifie que j'assigne aux unités engagées une zone d'intervention à l'intérieur de laquelle s'applique un cadrage d'instruction : être actif, réactif, dissoudre les groupes de casseurs, empêcher les dégradations. Les fonctionnaires et militaires interviennent désormais sans attendre les instructions de la salle de commandement. J'ai inversé la logique : ils agissent à présent dans le cadre de ces secteurs prédéfinis pour faire cesser les troubles.

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Vous avez bien dit, monsieur le préfet de police, que l'ordre public n'était pas la seule facette de votre activité. Je vous interrogerai donc plutôt sur le souhait exprimé par Mme la maire de Paris Anne Hidalgo de créer une police municipale sous son autorité. Votre prédécesseur Michel Delpuech y semblait plutôt défavorable. Quelle est votre position ? La création d'une police municipale à Paris est-elle de nature à faciliter le travail des forces de l'ordre et de la préfecture de police, notamment en matière d'enquêtes et de maintien de l'ordre ?

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Monsieur le préfet de police, comment les effectifs ont-ils pris le changement de stratégie face aux manifestations que nous connaissons depuis trois mois ? Sa mise en oeuvre a-t-elle posé des difficultés particulières ?

Par ailleurs, vous avez dit avoir rencontré en prenant vos nouvelles fonctions non des problèmes de moyens mais un problème d'organisation. Pensez-vous qu'il en aille de même dans l'administration pénitentiaire, dont vous avez été le directeur ? Le malaise y est réel.

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Vous avez parlé de la nécessité de disposer de forces plus moins statiques mais il semblerait aussi que les forces mobiles n'étaient pas assez nombreuses pour protéger le Fouquet's, pour pouvoir se déployer tout en se protégeant. Avez-vous le moyen de faire en sorte que les forces qui vous sont allouées soient suffisamment nombreuses pour se déployer de manière mieux organisée ?

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Monsieur le Préfet vous avez créé les équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS) pour renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires. Cela fonctionne très bien, je tiens à le dire.

Il y a quelques semaines, le Gouvernement a décidé de déployer différemment le dispositif Sentinelle, les militaires – également mobiles – qui participent à la lutte contre le terrorisme. Comment cela s'est-il passé ? Est-ce positif de redéployer Sentinelle les jours de manifestation pour garder certains édifices emblématiques de la République habituellement gardés par des policiers ?

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En amont des opérations de maintien de l'ordre, il y a le renseignement. La préfecture de police dispose de sa propre direction du renseignement (DR-PP), mais il existe au niveau national un service central du renseignement territorial (SCRT). Qu'en est-il de leurs relations ? La circulation de l'information est-elle fluide entre ces deux services ? Faut-il mieux les coordonner ? Et quid de la dimension transfrontalière des black blocs ? Je suppose que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est aussi « dans la boucle ». Par ailleurs, les moyens du renseignement sont-ils suffisants ?

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Didier Lallement, préfet de police

Les changements qui concernent la police municipale sont intervenus en application de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, et je n'ai pas à commenter un choix législatif.

L'application de cette loi a entraîné le transfert à la ville de Paris de 1 800 agents de sécurité de Paris, jusqu'alors rattachés à la préfecture de police tout en étant agents municipaux. Il semble que la maire de Paris souhaite changer l'appellation de ce regroupement en « police municipale ». Cela n'appelle pas de commentaire de ma part.

Ce qui me paraît essentiel, c'est qu'il y ait une très bonne coordination entre ces effectifs municipaux et la préfecture de police. Ces agents étaient des agents municipaux, ils le sont toujours mais sous une hiérarchie municipale. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait une pertinence dans l'action, et une coordination qui fasse que la mise en oeuvre par l'État des mesures de sécurité puisse s'harmoniser à tout moment, quels que soient les acteurs qui interviennent. J'en ai parlé avec la maire de Paris, et j'ai noté que c'était plutôt un état d'esprit partagé.

Quant au changement de stratégie, je m'emploie à aller voir les effectifs de police et de gendarmerie sur le terrain pour le leur expliquer. Mon sentiment – mais peut-être ne suis-je pas le mieux placé – est qu'il est plutôt favorablement accueilli. Ce qui est mis en place sur instruction du Gouvernement avait aussi été réclamé par les organisations syndicales ou les organisations représentatives. Avec ce que j'appelle l'autonomie tactique, je redonne aux uns et aux autres la capacité d'agir, ce qu'ils souhaitent.

Sachant qu'il y a toujours de petits problèmes de susceptibilité, je veille à un strict équilibre entre police et gendarmerie. Par exemple, je veille à ce qu'il y ait autant de policiers et de gendarmes dans les dispositifs que je déploie depuis quinze jours sur les Champs-Élysées, et que des tâches plus statiques, par exemple la protection des institutions, la protection du palais de l'Élysée, ne soient pas réservées aux uns ou aux autres, de manière que chacun puisse être dans le mouvement. Je pèse cela au trébuchet. J'alterne ainsi un escadron, une compagnie, etc., et je pense que chacun s'y retrouve.

Je suis assez d'accord pour considérer qu'il faut que les fonctionnaires et les militaires se retrouvent dans cette stratégie. J'ai veillé à faire un certain nombre de débriefings, je suis allé aux entraînements des nouveaux dispositifs, pour discuter avec les fonctionnaires de choses très prosaïques qui font le quotidien, par exemple les moyens de transmission et leur amélioration. Nous avons ainsi discuté d'un sujet qui, jusqu'à présent, m'avait échappé : les mégaphones, ces porte-voix employés au moment de la dispersion des manifestations. On m'a fait observer son utilisation reposait sur une autorité civile, un commissaire de police, arborant son écharpe tricolore. Ce n'est pas forcément très parlant. Les gens pensent spontanément que c'est un élu – ou pas, d'ailleurs, car je ne sais pas ce qu'ils pensent. Or le voici qui annonce avec son petit porte-voix la première sommation. Il faut y réfléchir. Aujourd'hui, tout le monde est sur son smartphone, et ce que dit un individu muni d'un porte-voix et portant une écharpe tricolore n'est pas forcément compris. Je ne dis pas que les sommations seront faites par voie de smartphone, mais il y a un décalage culturel complet entre des manifestants ancrés dans cette ère du numérique et nous-mêmes, bardés de nos certitudes sur l'autorité de l'État. La première mesure que nous avons prise, par exemple, c'est de changer la puissance des mégaphones, parce que les manifestants ne nous entendaient pas forcément ! Il y a toute une série de choses qui partent du terrain et sur lesquelles il nous faut travailler, qui font partie de ce changement de stratégie.

Je n'ai pas d'avis sur les agents pénitentiaires. Le remarquable directeur de l'administration pénitentiaire, M. Stéphane Bredin, à mon avis un des meilleurs directeurs de l'administration pénitentiaire que notre pays ait pu connaître, est, à mon avis, tout à fait en mesure de vous répondre.

Quant à la mobilité, je répète ce que je disais : les forces sont assez nombreuses, c'est la conception tactique que nous devons améliorer. Peut-être n'ai-je pas été assez précis mais, jusqu'à présent, le mode d'intervention reposait, outre les forces mobiles, sur des dispositifs légers, les détachements d'action rapide (DAR). J'ai changé la nature des forces légères qui interviennent. Aujourd'hui, ce sont des brigades de répression de l'action violente (BRAV), à la composition différente – ce n'est pas qu'un changement de nom ou d'acronyme. Les DAR se déplaçaient par petits groupes d'une vingtaine de fonctionnaires. Or, nous l'avons observé, des fonctionnaires en petit nombre peuvent aujourd'hui être attaqués. C'est assez nouveau car jusqu'à présent, lorsque des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie avançaient, les manifestants s'en prenaient assez rarement à eux. Maintenant, la propre sécurité de ces groupes mobiles n'est pas assurée s'ils ne comptent qu'une vingtaine de fonctionnaires. Nous en avons donc changé la taille de ce dispositif pour qu'il compte soixante personnes, dont les deux tiers viennent des compagnies d'intervention de la préfecture de police ; le tiers restant est celui des anciens DAR, la plupart du temps des fonctionnaires des brigades anti-criminalité (BAC). Les groupes conservent donc leur mobilité tout en étant adossés à une structure d'ordre public plus classique. Ce sera, à mon avis, beaucoup plus pertinent : les unités conservent leur mobilité, tout en ayant une taille critique et une structure professionnelle appuyée sur des moyens éprouvés en matière d'ordre public. C'est un véritable changement de conception de la mobilité du dispositif.

La mobilité est un sujet extrêmement important : oui, elle passe par le transport d'une partie des fonctionnaires de ces BRAV sur des motos. Je sais que l'on craint le rétablissement des voltigeurs. J'ai expliqué au Sénat pourquoi ce n'était pas possible techniquement ou matériellement – en tout état de cause, nous n'avons pas l'intention de les rétablir. La moto est utilisée comme un vecteur de transport. Nous faisons comme des milliers de Parisiens, nous nous déplaçons sur deux roues – le samedi après-midi, nos cars mettent en effet un certain temps pour aller de la place de l'Étoile à la place de la République, même si la maire de Paris m'a autorisé à emprunter les voies réservées aux bus. Les deux-roues ne sont donc pas utilisés comme moyens de maintien de l'ordre ; les fonctionnaires se déplacent en moto et, ensuite, sont débarqués et remplissent leur mission à pied.

M. Pueyo m'a interrogé sur Sentinelle, mais j'en profite pour le remercier de son appréciation sur les ERIS – il se souvient également qu'il y est pour quelque chose. Je veux être parfaitement clair : la doctrine de Sentinelle n'a pas changé par rapport à ce qu'elle est depuis 2015. Il est totalement exclu que les militaires de Sentinelle s'occupent de l'ordre public. Cela n'a jamais été envisagé, cela ne l'est pas et cela ne le sera pas.

Cependant, certaines personnes particulièrement mal intentionnées peuvent avoir l'idée de commettre des actes terroristes lors des manifestations, parce que cela crée du désordre. Notre vigilance antiterroriste est donc renforcée lors des manifestations, en augmentant le nombre de sections Sentinelle, ce qui permet de redéployer des effectifs de police et de gendarmerie, mais dans le cadre de missions de lutte contre le terrorisme. Je le dis d'autant plus facilement qu'en tant que préfet de zone c'est moi qui réquisitionne les forces militaires. J'augmente donc, lors des manifestations, le volume de réquisition pour que notre niveau de protection antiterroriste soit suffisant, mais en m'en tenant exactement à la doctrine arrêtée par le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) depuis 2015 en matière d'intervention des forces armées : les patrouilles Sentinelle ne doivent en aucun moment être confrontées à des manifestants, elles en sont éloignées. Par exemple, la semaine dernière, deux manifestations ont convergé au Trocadéro ; j'avais demandé à l'autorité militaire de retirer la patrouille Sentinelle habituellement sous la tour Eiffel, de manière qu'effectivement, conformément à la doctrine du SGDSN, aucun militaire de Sentinelle ne se trouve le long du parcours des manifestations. Je souhaite être parfaitement clair avec la représentation nationale. Cela n'a jamais été et ce n'est pas envisagé.

Cependant, notre premier métier – on l'oublie quelquefois, car l'ordre public focalise l'attention – est la lutte contre le terrorisme, car ce combat n'est pas gagné. Je ne voudrais pas que nous baissions la garde pendant des manifestations et donnions ainsi des idées. Nous faisons donc précisément le contraire.

En matière de renseignement, je considère effectivement qu'entre la DR-PP, la DGSI et le SCRT, qui dépend de la direction centrale de la sécurité publique, c'est assez fluide, et assez efficace. Le renseignement qui avait un peu perdu cette pratique des mouvements sociaux, que ce soit la DR-PP à Paris ou même en province – je l'ai observé en poste en Nouvelle-Aquitaine –, s'est effectivement intéressé à ce mouvement des « gilets jaunes », de manière tout à fait régulière dans le cadre de ses missions. Nous assistons à une très utile réappropriation de ce qu'est l'observation de la contestation sociale, et cela se passe de manière assez fluide entre les différents niveaux de renseignements, chacun dans son métier.

La spécificité de la DR-PP ne tient pas à son seul caractère territorial, elle tient aussi à son articulation avec la DGSI sur les objectifs de haut niveau, la DGSI étant toujours chef de file. La spécificité de la DR-PP tient à ses deux « casquettes » en quelque sorte. En ce qui concerne la casquette du renseignement territorial, c'est efficace, dans les limites de ce qui est envisageable face à un tel mouvement : quelle que soit l'efficacité du dispositif de renseignement, un mouvement qui s'organise la veille des manifestations nous contraindra toujours à nous organiser nous-mêmes quelques heures avant son déroulement. Nous ne sommes plus dans les schémas anciens, où tout était connu trois mois à l'avance. Par exemple, aujourd'hui, j'ai encore des incertitudes quant au cheminement exact des manifestations de samedi et aux déclarations envisagées – ou pas. Sans doute le saurai-je dans la journée de demain.

Cela renvoie à une autre question qui m'a été posée. La préparation opérationnelle est très importante. C'est pourquoi je fais moi-même le briefing des forces le vendredi après-midi. Je réunis l'ensemble des commandants de compagnie, l'ensemble des autorités civiles, les commissaires de police, tous ceux qui vont concourir à l'action le samedi pour faire un briefing qui se fonde sur les dernières informations portées à notre connaissance par le renseignement ou par les acteurs eux-mêmes. Des phénomènes sont aujourd'hui difficiles à comprendre, avec une concurrence entre les manifestants, entre ceux qui déclarent leur manifestation et ceux qui ne le font pas ou entre déclarants, certains voulant attirer plus de monde que les autres. Ce sont des choses qui se formulent au dernier moment.

Je me réjouis d'observer, depuis quinze jours, un premier début d'organisation dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes », qui commence à se structurer, avec des déclarations ce qui nous permet quelques dialogues avec les uns et avec les autres. Cela n'empêche pas que certains veuillent manifester sans faire de déclaration. Il ne faut pas oublier que, le samedi, à Paris, il n'y a pas que des manifestations de « gilets jaunes ». Ainsi, samedi dernier, une manifestation des enseignants a attiré plus de monde que celle des « gilets jaunes ». Se sont également déroulées deux manifestations pro-palestiniennes, dont l'une se dirigeait vers la place de l'Opéra. Toute une série d'événements sont concomitants.

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Monsieur le préfet de police, ma circonscription de Courbevoie, Bois-Colombes et La Garenne-Colombes est située sur le territoire dont la préfecture de police a la responsabilité en matière de sécurité intérieure.

Vous nous avez indiqué qu'il n'y avait pas de manque de moyens. Tant mieux, mais n'est-il pas nécessaire de repenser le déploiement de ces moyens en fonction des évolutions technologiques ? On a parlé de drones, de marquage des manifestants à la peinture. Quant aux fichiers et aux données, les textes me donnent l'impression que c'est assez confus. Se pose aussi la question des moyens téléphoniques et du numérique. Ne faudrait-il pas une réflexion de fond sur ces sujets pour être, dans le respect des libertés individuelles, plus opérationnel dans notre monde qui évolue ?

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Monsieur le préfet, nous sommes rassurés de vous entendre dire que les moyens sont suffisants mais, si le mouvement devait, hélas ! perdurer, il faudrait assurer une rotation plus soutenue pour permettre aux effectifs des forces de sécurité de prendre un peu de repos. Je ne vous cache pas que, lors de nos différentes auditions, ceux-ci ont exprimé une véritable inquiétude à ce sujet. Par ailleurs, nous avons perçu leur incompréhension face à ce que certains pourraient appeler un désarmement. Celui-ci n'est pas très bien vécu dès lors que les forces de sécurité rencontrent des difficultés pour assurer leur propre sécurité. Enfin, je souhaiterais connaître votre réaction à la polémique suscitée par l'usage du Lanceur de balles de défense (LBD).

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Monsieur le préfet, vous avez indiqué que vous affectiez à chaque escadron des zones d'intervention bien définies dans lesquelles celui-ci est « libre » d'agir, dans le respect des instructions. Serait-il, selon vous, opportun de doter ces escadrons et ces pelotons de drones qui leur permettraient d'anticiper leurs mouvements ? Enfin, faut-il équiper chaque chef d'escadron ou de peloton d'une caméra-piéton pour filmer l'intervention ?

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Je souhaiterais compléter l'intervention de M. Delatte. Il est vrai que, face à des manifestants, notamment des casseurs, beaucoup plus armés qu'auparavant, les forces de sécurité se sentent démunies et vulnérables non seulement parce qu'elles ont été privées de certaines armes mais aussi et surtout parce qu'elles manquent de matériels pour se protéger physiquement.

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Tout d'abord, le directeur de l'ordre public pourrait-il répondre à la question que j'ai posée sur la spécificité parisienne ? Quelles sont les différences entre une organisation traditionnelle et celle de la préfecture de police de Paris ?

Ensuite, monsieur le préfet, je suis un peu étonné, voire choqué, lorsque je vous entends dire qu'il n'y a pas de manque de moyens. En effet, les CRS, les escadrons de gendarmerie mobile sont mis en danger du fait d'une carence d'effectifs qui fragilise le dispositif. Nous avons rencontré des personnes extrêmement fatiguées d'être mobilisées chaque week-end depuis de nombreux mois. Le fait d'affirmer que les moyens humains sont suffisants suscite de véritables interrogations quant à la connaissance des hommes qui, tous les jours, assurent notre sécurité. En outre, les forces de sécurité, qui sont régulièrement la cible d'armes par destination – boules de pétanque, pavés… –, ne sont même pas équipées de chaussures de sécurité, pourtant obligatoires dans certaines entreprises privées. Regardons les choses en face : il existe un véritable problème de moyens, qu'il convient de souligner et auquel il faudra remédier rapidement.

Enfin, vous évoquez un changement de nature et de taille des Détachements d'action rapide (DAR), mais qu'en est-il de la formation des hommes et des femmes qui les composent ? Sont-ils formés au maintien de l'ordre ou leur mission consiste-t-elle uniquement à procéder à des interpellations ? Comment sont-ils équipés ?

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Didier Lallement, préfet de police

En ce qui concerne le rehaussement des dispositifs technologiques, nous utilisons, le Premier ministre l'a indiqué le 18 mars dernier, des drones et des moyens de marquage pour mieux voir et mieux identifier. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit sur la nécessité de déployer les drones dans les unités, car je ne crois pas qu'ils soient utiles à la salle de commandement : à Paris, par exemple, nous disposons de caméras en nombre suffisant. Certes, une vision supplémentaire peut être utile à certains endroits, dans des angles morts, mais le drone est surtout précieux dans le cadre d'une utilisation tactique, lorsqu'il permet à une unité de voir ce qu'il y a au bout ou au coin de la rue. En effet, on ne peut pas avoir d'autonomie tactique sans bénéficier d'une vision de proximité. Or, le dispositif de caméras actuel, qui nécessite que la salle de commandement relaie l'information auprès de l'unité, n'est pas adapté à la souplesse et à la mobilité souhaitées. C'est pourquoi l'utilisation tactique du drone me paraît assez essentielle. Des escadrons de gendarmerie l'utilisent d'ores et déjà de cette manière, et c'est une pratique que je souhaiterais généraliser, même si, pour le moment, notre organisation ne s'y prête pas encore tout à fait.

Par ailleurs, oui, nous utilisons certains moyens de marquage. Pour d'autres une brève phase de test est nécessaire, afin que nous puissions étudier la manière dont ils peuvent être pertinents et véritablement efficaces. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons.

Monsieur le rapporteur, je ne veux pas vous choquer mais, je vous le redis, nous n'avons pas de problème de moyens au sens où le nombre de fonctionnaires et de militaires présents lors des manifestations nous permet d'assurer un rapport de force tout à fait suffisant face à 5 000, 10 000 ou 15 000 manifestants. Ces manifestations ne présentent pas une spécificité telle que nous serions submergés par le nombre des participants. Si nous sommes submergés, c'est à cause de pratiques et de difficultés de mouvement. C'est pourquoi nous devons faire évoluer notre conception tactique du dispositif et moderniser nos moyens autres qu'humains. Il nous faut, en effet, bien entendu, du matériel plus pertinent, plus efficace, plus moderne mais j'évoquais, tout à l'heure, les moyens humains, c'est-à-dire le nombre de fonctionnaires et de militaires déployés. Leur utilisation doit assez profondément changer ; c'est ce à quoi a appelé le Gouvernement mais lorsqu'on compte un fonctionnaire pour deux manifestants, la situation, en matière de maintien de l'ordre, n'est pas particulièrement difficile. C'est lorsque le rapport est de un à quinze qu'il y a un problème, mais, à ma connaissance, ce n'est jamais arrivé. En revanche, encore une fois, nous devons être plus mobiles, plus réactifs, plus imprévisibles, si vous me permettez l'expression. De fait, nous sommes encore trop prévisibles, trop statiques et nos conceptions tactiques sont, hélas ! trop datées.

Cela me conduit à évoquer la question de l'armement non létal. Sur ce point, l'expression du Gouvernement et les instructions que j'ai reçues, et que j'ai appliquées, ont été très claires. S'agissant du LBD, j'ai rétabli, pour peu qu'elle n'ait pas été utilisée, pour l'ensemble des unités agissant dans le cadre du maintien de l'ordre, qu'elles proviennent de la DOPC ou de la DSPAP – peu importe, dès lors qu'elles sont intégrées dans la chaîne de commandement DOPC –, la munition dite CTS (Combined tactical systems), c'est-à-dire la munition de maintien de l'ordre des LBD 40, de préférence à une autre munition, qualifiée parfois, je crois, par les syndicats, de « munition Chamallow ». Il est en effet nécessaire que la même munition soit utilisée, car chaque fonctionnaire ou chaque militaire susceptible d'utiliser le LBD doit savoir très précisément quelle est la portée de l'arme qu'il utilise, de manière à éviter les accidents, et quelle zone est couverte par chacun. L'unification des moyens de LBD est donc absolument nécessaire.

Ce disant, je réponds à la question qui m'a été posée à ce sujet : oui, les LBD sont, bien évidemment, absolument nécessaires. Cette arme, dont je vois bien qu'elle est très contestée, a une vocation extrêmement simple : elle vise à éviter l'utilisation des armes de service. Rien ne serait pire, en effet, que de se retrouver avec des fonctionnaires qui feraient usage de leur arme de service parce qu'ils penseraient que leur vie est menacée et qu'ils se trouveraient en situation de légitime défense. Mon rôle est d'éviter ce type de situation en recourant à des moyens non létaux qui visent à protéger non seulement les fonctionnaires mais aussi, et c'est tout aussi important pour moi, les manifestants des situations d'extrême violence que vous avez vues. On parle, hélas ! des blessés, et il y en a tant parmi les forces de police que parmi les manifestants. Il faut tout faire pour éviter qu'il y en ait davantage, et c'est vraiment l'option que je prends, mais il faut diminuer la vulnérabilité des uns et des autres.

Sans doute peut-on également équiper les fonctionnaires – sur ce point, je vous rejoins, monsieur le rapporteur – de moyens de protection passifs plus pertinents. Il y a sans doute des améliorations à apporter dans ce domaine – les drones en font partie. Mais ce que l'on observe dans les manifestations auxquelles on est confronté depuis vingt semaines, c'est, plus qu'un manque de matériel, une usure plus rapide de celui-ci. C'est tout à fait normal, dès lors que l'intensité est plus forte. Nous sommes confrontés, depuis peu, à des modes d'action assez nouveaux : on nous projette désormais toute une série de choses sur la figure – je n'entrerai pas dans le détail, car cela deviendrait scatologique. Or, lorsque les fonctionnaires ou les militaires sont couverts de peinture, par exemple, il n'est pas toujours possible de nettoyer les matériels et il faut donc en changer. Leur taux de rotation et leur taux d'usure sont donc bien supérieurs à ce qu'ils étaient précédemment.

En ce qui concerne les repos, là encore, la fatigue physique existe ; je ne la nie pas. Moi-même, je suis mobilisé depuis vingt semaines, à Paris et, auparavant, à Bordeaux – où, qui plus est, le premier de l'an a été également un peu agité. Je ne dis donc pas que nous ne sommes pas fatigués mais il ne s'agit pas d'une fatigue morale, de désespoir. Les fonctionnaires et les militaires ont l'absolue certitude de faire leur devoir, et ils le font avec enthousiasme et l'envie de défendre la République et ses institutions. La difficulté pratique que nous rencontrons, vous avez raison de le souligner, est liée aux repos. Non pas parce qu'ils ne sont pas accordés – ils le sont, j'y veille –, mais parce qu'ils sont pris en semaine, et non plus le samedi. Lorsque, chaque samedi, vous avez manifestation, vous n'êtes pas avec votre famille, et le mardi ou le mercredi, ce n'est pas la même chose – je n'ai jamais dit le contraire. Les repos sont respectés au plan réglementaire, mais je sais très bien que cela ne suffit pas.

Il y a quinze jours, un fonctionnaire de la 31e compagnie d'intervention de la DOPC a été victime d'un accident cardiaque sur la place de la République. Je suis heureux de savoir qu'il va mieux même s'il n'est pas sorti d'affaire. J'espère qu'il va continuer de se rétablir ; j'en forme le souhait publiquement, devant vous. Le lendemain de cet accident, le dimanche, le ministre de l'intérieur et moi-même avons rendu visite à son épouse, qui était à son chevet. Cette femme nous a raconté la vie de cet homme, dans laquelle je me suis retrouvée : une présence permanente pour le service public, un engagement sans faille. On y retourne tous les samedis parce que c'est notre métier, notre honneur de fonctionnaire et de militaire et parce qu'on fait passer cela avant tout. J'utilise peut-être des termes grandiloquents, mais c'est notre devoir, et nous l'accomplissons pour ce pays, pour vous aussi, mesdames, messieurs les représentants de la nation, et pour le Gouvernement. Nous faisons notre métier, comme d'autres font le leur en dehors des frontières, pour la République et pour défendre ce pays.

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Monsieur le préfet, vous me parlez de tactique alors que je vous parle de gestion des ressources humaines. Le vase clos de l'organisation parisienne ne vous occulte-t-il pas la problématique nationale ? Peut-être méconnaissez-vous l'état de fatigue des unités que vous réquisitionnez et qui ne dépendent pas de la préfecture de police. Au demeurant, vous ne pouvez pas veiller vous-même à l'attribution de jours de congé à ces effectifs.

Par ailleurs, la majorité des tirs problématiques de LBD ont été le fait d'unités non spécialisées dans le maintien de l'ordre, notamment de DAR. Dans le cadre du changement de nature des unités, avez-vous revu l'utilisation des LBD et la formation à leur utilisation ?

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Didier Lallement, préfet de police

Monsieur le rapporteur, le préfet de police n'est pas dans une situation fondamentalement différente de celle d'un préfet de zone en province. Lorsque j'étais préfet de la zone de défense sud-ouest, les Unités de forces mobiles (UFM) qui m'étaient attribuées par le ministère de l'intérieur ne composaient qu'une partie des effectifs de maintien de l'ordre que je déployais. De même, dans le cadre de mes responsabilités de préfet de police, les unités de forces mobiles qui me sont attribuées par l'administration centrale représentent à peu près la moitié des effectifs engagés ; elles ne forment donc pas l'essentiel du dispositif. Ainsi, vous avez parfaitement raison, je ne veille à l'attribution des congés que de la moitié des effectifs engagés. Mais je suis convaincu que le Directeur général de la police nationale et le Directeur général de la gendarmerie nationale veillent au repos des unités de force mobile qu'ils mettent à ma disposition. Je suis absolument certain de ce que je vous dis, pour en avoir discuté avec les fonctionnaires et les militaires. Encore une fois, ce n'est pas le nombre des jours de repos qui pose problème, c'est le moment où ils sont pris. C'est, du reste, une difficulté que rencontrent également, toutes choses égales par ailleurs, les militaires en OPEX : dans les moments difficiles, la situation familiale n'est pas très agréable. À cet égard, je suis comme les autres. Je veux vraiment insister sur ce point : les UFM sont un élément fondamental, mais elles ne forment pas l'essentiel du dispositif.

S'agissant de la formation à l'utilisation du LBD, il faut être très clair : la qualification est la même pour les forces mobiles et pour les fonctionnaires de la sécurité publique. Les uns et les autres doivent suivre une formation de six heures. Soit ils obtiennent la qualification, et ils ont le droit d'utiliser un LBD, soit ils ne l'obtiennent pas et ils n'en ont pas le droit.

Ensuite, vous avez raison – c'est pourquoi j'ai transformé les DAR en BRAV –, la qualification doit s'intégrer dans une utilisation opérationnelle davantage maîtrisée dans le cadre du maintien de l'ordre. C'est pourquoi j'ai souhaité que les fonctionnaires venant des BAC soient moins autonomes qu'ils n'étaient dans le dispositif des DAR. La création des BRAV a un double objectif : avoir des groupes plus puissants et assurer une articulation entre les personnels spécialisés dans le maintien de l'ordre et ceux qui le sont moins, afin que l'ensemble des gestes professionnels soient mieux maîtrisés. C'est ainsi, je l'espère, que nous obtiendrons des résultats. Les situations doivent être correctement appréciées, or, s'il y a une chose que la qualification LBD ne confère pas, c'est l'expérience. Vous avez parfaitement raison, à cet égard : le métier du maintien de l'ordre n'est pas le même que celui d'une BAC. Mais la question s'est posée de la même façon ailleurs ; elle n'est pas propre à la préfecture de police. Lorsqu'il y a une manifestation, l'ensemble des fonctionnaires de la sécurité publique, voire de la Police judiciaire (PJ), participe au maintien de l'ordre. À Bordeaux – pour prendre l'exemple que je connais le mieux –, je faisais ainsi intervenir la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) dans le cadre du contrôle judiciaire des interpellés. Tous les fonctionnaires sont équipés d'un casque et d'un bouclier, ils ont suivi des formations, mais, effectivement, ils n'ont pas le même niveau d'expérience. La responsabilité du commandement est de les utiliser en fonction de leur expérience. Mais, je tiens à vous rassurer, la formation à l'utilisation des LBD est sérieuse et identique pour tous les fonctionnaires.

L'audition s'achève à dix heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 9 heures

Présents. - M. Xavier Batut, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, Mme Christine Hennion, Mme Sandrine Josso, M. Denis Masséglia, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Alice Thourot, Mme Nicole Trisse

Excusé. - M. Jean-Michel Fauvergue