Intervention de Didier Lallement

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Didier Lallement, préfet de police :

En ce qui concerne le rehaussement des dispositifs technologiques, nous utilisons, le Premier ministre l'a indiqué le 18 mars dernier, des drones et des moyens de marquage pour mieux voir et mieux identifier. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit sur la nécessité de déployer les drones dans les unités, car je ne crois pas qu'ils soient utiles à la salle de commandement : à Paris, par exemple, nous disposons de caméras en nombre suffisant. Certes, une vision supplémentaire peut être utile à certains endroits, dans des angles morts, mais le drone est surtout précieux dans le cadre d'une utilisation tactique, lorsqu'il permet à une unité de voir ce qu'il y a au bout ou au coin de la rue. En effet, on ne peut pas avoir d'autonomie tactique sans bénéficier d'une vision de proximité. Or, le dispositif de caméras actuel, qui nécessite que la salle de commandement relaie l'information auprès de l'unité, n'est pas adapté à la souplesse et à la mobilité souhaitées. C'est pourquoi l'utilisation tactique du drone me paraît assez essentielle. Des escadrons de gendarmerie l'utilisent d'ores et déjà de cette manière, et c'est une pratique que je souhaiterais généraliser, même si, pour le moment, notre organisation ne s'y prête pas encore tout à fait.

Par ailleurs, oui, nous utilisons certains moyens de marquage. Pour d'autres une brève phase de test est nécessaire, afin que nous puissions étudier la manière dont ils peuvent être pertinents et véritablement efficaces. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons.

Monsieur le rapporteur, je ne veux pas vous choquer mais, je vous le redis, nous n'avons pas de problème de moyens au sens où le nombre de fonctionnaires et de militaires présents lors des manifestations nous permet d'assurer un rapport de force tout à fait suffisant face à 5 000, 10 000 ou 15 000 manifestants. Ces manifestations ne présentent pas une spécificité telle que nous serions submergés par le nombre des participants. Si nous sommes submergés, c'est à cause de pratiques et de difficultés de mouvement. C'est pourquoi nous devons faire évoluer notre conception tactique du dispositif et moderniser nos moyens autres qu'humains. Il nous faut, en effet, bien entendu, du matériel plus pertinent, plus efficace, plus moderne mais j'évoquais, tout à l'heure, les moyens humains, c'est-à-dire le nombre de fonctionnaires et de militaires déployés. Leur utilisation doit assez profondément changer ; c'est ce à quoi a appelé le Gouvernement mais lorsqu'on compte un fonctionnaire pour deux manifestants, la situation, en matière de maintien de l'ordre, n'est pas particulièrement difficile. C'est lorsque le rapport est de un à quinze qu'il y a un problème, mais, à ma connaissance, ce n'est jamais arrivé. En revanche, encore une fois, nous devons être plus mobiles, plus réactifs, plus imprévisibles, si vous me permettez l'expression. De fait, nous sommes encore trop prévisibles, trop statiques et nos conceptions tactiques sont, hélas ! trop datées.

Cela me conduit à évoquer la question de l'armement non létal. Sur ce point, l'expression du Gouvernement et les instructions que j'ai reçues, et que j'ai appliquées, ont été très claires. S'agissant du LBD, j'ai rétabli, pour peu qu'elle n'ait pas été utilisée, pour l'ensemble des unités agissant dans le cadre du maintien de l'ordre, qu'elles proviennent de la DOPC ou de la DSPAP – peu importe, dès lors qu'elles sont intégrées dans la chaîne de commandement DOPC –, la munition dite CTS (Combined tactical systems), c'est-à-dire la munition de maintien de l'ordre des LBD 40, de préférence à une autre munition, qualifiée parfois, je crois, par les syndicats, de « munition Chamallow ». Il est en effet nécessaire que la même munition soit utilisée, car chaque fonctionnaire ou chaque militaire susceptible d'utiliser le LBD doit savoir très précisément quelle est la portée de l'arme qu'il utilise, de manière à éviter les accidents, et quelle zone est couverte par chacun. L'unification des moyens de LBD est donc absolument nécessaire.

Ce disant, je réponds à la question qui m'a été posée à ce sujet : oui, les LBD sont, bien évidemment, absolument nécessaires. Cette arme, dont je vois bien qu'elle est très contestée, a une vocation extrêmement simple : elle vise à éviter l'utilisation des armes de service. Rien ne serait pire, en effet, que de se retrouver avec des fonctionnaires qui feraient usage de leur arme de service parce qu'ils penseraient que leur vie est menacée et qu'ils se trouveraient en situation de légitime défense. Mon rôle est d'éviter ce type de situation en recourant à des moyens non létaux qui visent à protéger non seulement les fonctionnaires mais aussi, et c'est tout aussi important pour moi, les manifestants des situations d'extrême violence que vous avez vues. On parle, hélas ! des blessés, et il y en a tant parmi les forces de police que parmi les manifestants. Il faut tout faire pour éviter qu'il y en ait davantage, et c'est vraiment l'option que je prends, mais il faut diminuer la vulnérabilité des uns et des autres.

Sans doute peut-on également équiper les fonctionnaires – sur ce point, je vous rejoins, monsieur le rapporteur – de moyens de protection passifs plus pertinents. Il y a sans doute des améliorations à apporter dans ce domaine – les drones en font partie. Mais ce que l'on observe dans les manifestations auxquelles on est confronté depuis vingt semaines, c'est, plus qu'un manque de matériel, une usure plus rapide de celui-ci. C'est tout à fait normal, dès lors que l'intensité est plus forte. Nous sommes confrontés, depuis peu, à des modes d'action assez nouveaux : on nous projette désormais toute une série de choses sur la figure – je n'entrerai pas dans le détail, car cela deviendrait scatologique. Or, lorsque les fonctionnaires ou les militaires sont couverts de peinture, par exemple, il n'est pas toujours possible de nettoyer les matériels et il faut donc en changer. Leur taux de rotation et leur taux d'usure sont donc bien supérieurs à ce qu'ils étaient précédemment.

En ce qui concerne les repos, là encore, la fatigue physique existe ; je ne la nie pas. Moi-même, je suis mobilisé depuis vingt semaines, à Paris et, auparavant, à Bordeaux – où, qui plus est, le premier de l'an a été également un peu agité. Je ne dis donc pas que nous ne sommes pas fatigués mais il ne s'agit pas d'une fatigue morale, de désespoir. Les fonctionnaires et les militaires ont l'absolue certitude de faire leur devoir, et ils le font avec enthousiasme et l'envie de défendre la République et ses institutions. La difficulté pratique que nous rencontrons, vous avez raison de le souligner, est liée aux repos. Non pas parce qu'ils ne sont pas accordés – ils le sont, j'y veille –, mais parce qu'ils sont pris en semaine, et non plus le samedi. Lorsque, chaque samedi, vous avez manifestation, vous n'êtes pas avec votre famille, et le mardi ou le mercredi, ce n'est pas la même chose – je n'ai jamais dit le contraire. Les repos sont respectés au plan réglementaire, mais je sais très bien que cela ne suffit pas.

Il y a quinze jours, un fonctionnaire de la 31e compagnie d'intervention de la DOPC a été victime d'un accident cardiaque sur la place de la République. Je suis heureux de savoir qu'il va mieux même s'il n'est pas sorti d'affaire. J'espère qu'il va continuer de se rétablir ; j'en forme le souhait publiquement, devant vous. Le lendemain de cet accident, le dimanche, le ministre de l'intérieur et moi-même avons rendu visite à son épouse, qui était à son chevet. Cette femme nous a raconté la vie de cet homme, dans laquelle je me suis retrouvée : une présence permanente pour le service public, un engagement sans faille. On y retourne tous les samedis parce que c'est notre métier, notre honneur de fonctionnaire et de militaire et parce qu'on fait passer cela avant tout. J'utilise peut-être des termes grandiloquents, mais c'est notre devoir, et nous l'accomplissons pour ce pays, pour vous aussi, mesdames, messieurs les représentants de la nation, et pour le Gouvernement. Nous faisons notre métier, comme d'autres font le leur en dehors des frontières, pour la République et pour défendre ce pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.