Les changements qui concernent la police municipale sont intervenus en application de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, et je n'ai pas à commenter un choix législatif.
L'application de cette loi a entraîné le transfert à la ville de Paris de 1 800 agents de sécurité de Paris, jusqu'alors rattachés à la préfecture de police tout en étant agents municipaux. Il semble que la maire de Paris souhaite changer l'appellation de ce regroupement en « police municipale ». Cela n'appelle pas de commentaire de ma part.
Ce qui me paraît essentiel, c'est qu'il y ait une très bonne coordination entre ces effectifs municipaux et la préfecture de police. Ces agents étaient des agents municipaux, ils le sont toujours mais sous une hiérarchie municipale. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait une pertinence dans l'action, et une coordination qui fasse que la mise en oeuvre par l'État des mesures de sécurité puisse s'harmoniser à tout moment, quels que soient les acteurs qui interviennent. J'en ai parlé avec la maire de Paris, et j'ai noté que c'était plutôt un état d'esprit partagé.
Quant au changement de stratégie, je m'emploie à aller voir les effectifs de police et de gendarmerie sur le terrain pour le leur expliquer. Mon sentiment – mais peut-être ne suis-je pas le mieux placé – est qu'il est plutôt favorablement accueilli. Ce qui est mis en place sur instruction du Gouvernement avait aussi été réclamé par les organisations syndicales ou les organisations représentatives. Avec ce que j'appelle l'autonomie tactique, je redonne aux uns et aux autres la capacité d'agir, ce qu'ils souhaitent.
Sachant qu'il y a toujours de petits problèmes de susceptibilité, je veille à un strict équilibre entre police et gendarmerie. Par exemple, je veille à ce qu'il y ait autant de policiers et de gendarmes dans les dispositifs que je déploie depuis quinze jours sur les Champs-Élysées, et que des tâches plus statiques, par exemple la protection des institutions, la protection du palais de l'Élysée, ne soient pas réservées aux uns ou aux autres, de manière que chacun puisse être dans le mouvement. Je pèse cela au trébuchet. J'alterne ainsi un escadron, une compagnie, etc., et je pense que chacun s'y retrouve.
Je suis assez d'accord pour considérer qu'il faut que les fonctionnaires et les militaires se retrouvent dans cette stratégie. J'ai veillé à faire un certain nombre de débriefings, je suis allé aux entraînements des nouveaux dispositifs, pour discuter avec les fonctionnaires de choses très prosaïques qui font le quotidien, par exemple les moyens de transmission et leur amélioration. Nous avons ainsi discuté d'un sujet qui, jusqu'à présent, m'avait échappé : les mégaphones, ces porte-voix employés au moment de la dispersion des manifestations. On m'a fait observer son utilisation reposait sur une autorité civile, un commissaire de police, arborant son écharpe tricolore. Ce n'est pas forcément très parlant. Les gens pensent spontanément que c'est un élu – ou pas, d'ailleurs, car je ne sais pas ce qu'ils pensent. Or le voici qui annonce avec son petit porte-voix la première sommation. Il faut y réfléchir. Aujourd'hui, tout le monde est sur son smartphone, et ce que dit un individu muni d'un porte-voix et portant une écharpe tricolore n'est pas forcément compris. Je ne dis pas que les sommations seront faites par voie de smartphone, mais il y a un décalage culturel complet entre des manifestants ancrés dans cette ère du numérique et nous-mêmes, bardés de nos certitudes sur l'autorité de l'État. La première mesure que nous avons prise, par exemple, c'est de changer la puissance des mégaphones, parce que les manifestants ne nous entendaient pas forcément ! Il y a toute une série de choses qui partent du terrain et sur lesquelles il nous faut travailler, qui font partie de ce changement de stratégie.
Je n'ai pas d'avis sur les agents pénitentiaires. Le remarquable directeur de l'administration pénitentiaire, M. Stéphane Bredin, à mon avis un des meilleurs directeurs de l'administration pénitentiaire que notre pays ait pu connaître, est, à mon avis, tout à fait en mesure de vous répondre.
Quant à la mobilité, je répète ce que je disais : les forces sont assez nombreuses, c'est la conception tactique que nous devons améliorer. Peut-être n'ai-je pas été assez précis mais, jusqu'à présent, le mode d'intervention reposait, outre les forces mobiles, sur des dispositifs légers, les détachements d'action rapide (DAR). J'ai changé la nature des forces légères qui interviennent. Aujourd'hui, ce sont des brigades de répression de l'action violente (BRAV), à la composition différente – ce n'est pas qu'un changement de nom ou d'acronyme. Les DAR se déplaçaient par petits groupes d'une vingtaine de fonctionnaires. Or, nous l'avons observé, des fonctionnaires en petit nombre peuvent aujourd'hui être attaqués. C'est assez nouveau car jusqu'à présent, lorsque des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie avançaient, les manifestants s'en prenaient assez rarement à eux. Maintenant, la propre sécurité de ces groupes mobiles n'est pas assurée s'ils ne comptent qu'une vingtaine de fonctionnaires. Nous en avons donc changé la taille de ce dispositif pour qu'il compte soixante personnes, dont les deux tiers viennent des compagnies d'intervention de la préfecture de police ; le tiers restant est celui des anciens DAR, la plupart du temps des fonctionnaires des brigades anti-criminalité (BAC). Les groupes conservent donc leur mobilité tout en étant adossés à une structure d'ordre public plus classique. Ce sera, à mon avis, beaucoup plus pertinent : les unités conservent leur mobilité, tout en ayant une taille critique et une structure professionnelle appuyée sur des moyens éprouvés en matière d'ordre public. C'est un véritable changement de conception de la mobilité du dispositif.
La mobilité est un sujet extrêmement important : oui, elle passe par le transport d'une partie des fonctionnaires de ces BRAV sur des motos. Je sais que l'on craint le rétablissement des voltigeurs. J'ai expliqué au Sénat pourquoi ce n'était pas possible techniquement ou matériellement – en tout état de cause, nous n'avons pas l'intention de les rétablir. La moto est utilisée comme un vecteur de transport. Nous faisons comme des milliers de Parisiens, nous nous déplaçons sur deux roues – le samedi après-midi, nos cars mettent en effet un certain temps pour aller de la place de l'Étoile à la place de la République, même si la maire de Paris m'a autorisé à emprunter les voies réservées aux bus. Les deux-roues ne sont donc pas utilisés comme moyens de maintien de l'ordre ; les fonctionnaires se déplacent en moto et, ensuite, sont débarqués et remplissent leur mission à pied.
M. Pueyo m'a interrogé sur Sentinelle, mais j'en profite pour le remercier de son appréciation sur les ERIS – il se souvient également qu'il y est pour quelque chose. Je veux être parfaitement clair : la doctrine de Sentinelle n'a pas changé par rapport à ce qu'elle est depuis 2015. Il est totalement exclu que les militaires de Sentinelle s'occupent de l'ordre public. Cela n'a jamais été envisagé, cela ne l'est pas et cela ne le sera pas.
Cependant, certaines personnes particulièrement mal intentionnées peuvent avoir l'idée de commettre des actes terroristes lors des manifestations, parce que cela crée du désordre. Notre vigilance antiterroriste est donc renforcée lors des manifestations, en augmentant le nombre de sections Sentinelle, ce qui permet de redéployer des effectifs de police et de gendarmerie, mais dans le cadre de missions de lutte contre le terrorisme. Je le dis d'autant plus facilement qu'en tant que préfet de zone c'est moi qui réquisitionne les forces militaires. J'augmente donc, lors des manifestations, le volume de réquisition pour que notre niveau de protection antiterroriste soit suffisant, mais en m'en tenant exactement à la doctrine arrêtée par le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) depuis 2015 en matière d'intervention des forces armées : les patrouilles Sentinelle ne doivent en aucun moment être confrontées à des manifestants, elles en sont éloignées. Par exemple, la semaine dernière, deux manifestations ont convergé au Trocadéro ; j'avais demandé à l'autorité militaire de retirer la patrouille Sentinelle habituellement sous la tour Eiffel, de manière qu'effectivement, conformément à la doctrine du SGDSN, aucun militaire de Sentinelle ne se trouve le long du parcours des manifestations. Je souhaite être parfaitement clair avec la représentation nationale. Cela n'a jamais été et ce n'est pas envisagé.
Cependant, notre premier métier – on l'oublie quelquefois, car l'ordre public focalise l'attention – est la lutte contre le terrorisme, car ce combat n'est pas gagné. Je ne voudrais pas que nous baissions la garde pendant des manifestations et donnions ainsi des idées. Nous faisons donc précisément le contraire.
En matière de renseignement, je considère effectivement qu'entre la DR-PP, la DGSI et le SCRT, qui dépend de la direction centrale de la sécurité publique, c'est assez fluide, et assez efficace. Le renseignement qui avait un peu perdu cette pratique des mouvements sociaux, que ce soit la DR-PP à Paris ou même en province – je l'ai observé en poste en Nouvelle-Aquitaine –, s'est effectivement intéressé à ce mouvement des « gilets jaunes », de manière tout à fait régulière dans le cadre de ses missions. Nous assistons à une très utile réappropriation de ce qu'est l'observation de la contestation sociale, et cela se passe de manière assez fluide entre les différents niveaux de renseignements, chacun dans son métier.
La spécificité de la DR-PP ne tient pas à son seul caractère territorial, elle tient aussi à son articulation avec la DGSI sur les objectifs de haut niveau, la DGSI étant toujours chef de file. La spécificité de la DR-PP tient à ses deux « casquettes » en quelque sorte. En ce qui concerne la casquette du renseignement territorial, c'est efficace, dans les limites de ce qui est envisageable face à un tel mouvement : quelle que soit l'efficacité du dispositif de renseignement, un mouvement qui s'organise la veille des manifestations nous contraindra toujours à nous organiser nous-mêmes quelques heures avant son déroulement. Nous ne sommes plus dans les schémas anciens, où tout était connu trois mois à l'avance. Par exemple, aujourd'hui, j'ai encore des incertitudes quant au cheminement exact des manifestations de samedi et aux déclarations envisagées – ou pas. Sans doute le saurai-je dans la journée de demain.
Cela renvoie à une autre question qui m'a été posée. La préparation opérationnelle est très importante. C'est pourquoi je fais moi-même le briefing des forces le vendredi après-midi. Je réunis l'ensemble des commandants de compagnie, l'ensemble des autorités civiles, les commissaires de police, tous ceux qui vont concourir à l'action le samedi pour faire un briefing qui se fonde sur les dernières informations portées à notre connaissance par le renseignement ou par les acteurs eux-mêmes. Des phénomènes sont aujourd'hui difficiles à comprendre, avec une concurrence entre les manifestants, entre ceux qui déclarent leur manifestation et ceux qui ne le font pas ou entre déclarants, certains voulant attirer plus de monde que les autres. Ce sont des choses qui se formulent au dernier moment.
Je me réjouis d'observer, depuis quinze jours, un premier début d'organisation dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes », qui commence à se structurer, avec des déclarations ce qui nous permet quelques dialogues avec les uns et avec les autres. Cela n'empêche pas que certains veuillent manifester sans faire de déclaration. Il ne faut pas oublier que, le samedi, à Paris, il n'y a pas que des manifestations de « gilets jaunes ». Ainsi, samedi dernier, une manifestation des enseignants a attiré plus de monde que celle des « gilets jaunes ». Se sont également déroulées deux manifestations pro-palestiniennes, dont l'une se dirigeait vers la place de l'Opéra. Toute une série d'événements sont concomitants.