Intervention de éric Morvan

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

éric Morvan, directeur général de la police nationale :

Les effectifs des forces de sécurité ont diminué, de manière assumée, entre 2007 et le début de l'année 2014, qui a représenté le point d'étiage. Il existe toujours, après la prise d'une décision, une part d'inertie dans les phénomènes en matière de ressources humaines, et la traduction concrète des décisions politiques prend du temps. Recruter un policier, c'est organiser un concours et le corriger, ce qui prend déjà neuf mois ; la scolarité d'un gardien de la paix dure une année. La traduction sur le terrain d'une décision prend au moins plusieurs mois. Des sorties d'école importantes sont prévues cette année : 500 gardiens de la paix au mois de juin, le reste entre septembre et décembre. À la fin de l'année, nous aurons retrouvé nos effectifs de 2007.

Néanmoins, il faut bien comprendre que la cartographie des effectifs ne sera pas la même, pour des raisons assumées qui ne sont pas critiquables. Le recrutement a d'abord été mis au service du renseignement ou de certains services spécialisés – groupes de soutien et d'intervention (GSI), service central du renseignement territorial (SCRT), police judiciaire et police aux frontières. Deux directions sont en effectifs très tendus : la direction centrale de la sécurité publique, hors SCRT, qui ne retrouvera pas ses effectifs de 2007, et la direction centrale des CRS, qui a perdu près de 2 000 effectifs, ce qui a conduit à restreindre le format des compagnies. Gendarmerie et police nationales n'ont pas eu la même stratégie : la gendarmerie a supprimé des escadrons, alors que la police a gardé le même nombre de compagnies – à une et demie près, soit soixante –, dont elle a réduit le volume, ce qui pose plusieurs problèmes.

Les compagnies sont passées, dans leur écrasante majorité, de quatre à trois sections, ce qui les rend moins manoeuvrables en matière d'ordre public. À quatre sections, les compagnies peuvent travailler avec deux sections de chaque côté, l'une étant appuyée par l'autre ; à trois, ce mode opératoire est risqué. Autre problème : ayant été peu renforcée ou peu renouvelée, la direction centrale des CRS est la direction dont la moyenne d'âge est parmi les plus élevées, ce qui est un peu contre-intuitif, au regard de ses missions. Nos camarades de la gendarmerie ont engagé une stratégie différente de la nôtre, puisqu'une très grande partie des sous-officiers qui sortent des écoles de gendarmerie sont affectés dans les escadrons de gendarmerie mobile pour une période déterminée, avant de rejoindre la gendarmerie départementale. Ce n'est pas la manière de gérer de la police nationale, qui fidélisait et spécialisait ses personnels. Mais, dans le contexte actuel, cette pratique a conduit aux tensions que je viens de décrire, aussi bien en matière d'effectifs que d'âge. Une part significative des sorties d'école, qui seront massives cette année, comme elles l'ont été l'année dernière, à la suite du plan des 10 000 lancé par le Président de la République, bénéficiera donc aux compagnies républicaines de sécurité.

Au-delà de cette décision conjoncturelle, nous pensons également affecter une part de plus en plus importante des sorties d'école aux compagnies républicaines de sécurité pour une période déterminée, avant qu'elles ne rejoignent d'autres services de la police nationale, en particulier celui de la sécurité publique. Deux vertus à cela : la possibilité de faire rapidement baisser la moyenne d'âge des CRS ; un aspect pédagogique puisque passer par ces compagnies peut parfaire la formation en école en matière de discipline, de gestes techniques et, bien évidemment, de service d'ordre, puisque c'est leur premier métier – mais elles s'occupent aussi de lutte contre l'immigration clandestine, aux côtés de la police de l'air et des frontières, ou de sécurisation dans les quartiers.

En moyenne, chaque jour, quarante-deux compagnies républicaines de sécurité sur soixante sont mobilisées. Ce chiffre s'explique par des raisons liées à l'opérationnel, à la nécessité de mettre des unités au repos, à celle d'en former, d'en évaluer ou d'en habiliter, mais aussi pour des raisons budgétaires. Nous ne respectons plus ce taux depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, le 17 novembre 2018. Lors des pics d'emploi, qui ont été atteints le 8 décembre 2018 et le 12 janvier 2019, cinquante-sept compagnies étaient mobilisées. Chez nos camarades de la gendarmerie, le taux d'emploi est également extrêmement élevé. Il est donc arrivé à des CRS d'être mobilisés dix week-ends de suite, particulièrement ceux qui sont responsables des lanceurs d'eau. La pression opérationnelle qui pèse sur les compagnies républicaines de sécurité est très intense.

Je voudrais compléter mon propos. Certes, les CRS sont extrêmement mobilisés, mais il ne faut surtout pas oublier le reste des personnels de la police nationale, en particulier celui de la sécurité publique. Les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile sont mobilisés sur les points de cristallisation de la contestation sociale mais cette contestation s'exprime un peu partout en France, y compris dans les petites et moyennes villes, même si elle n'y prend évidemment pas les mêmes proportions qu'à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Rennes, Nantes ou Paris. Nous ne pouvons pas envoyer de forces mobiles partout : nous n'en aurions pas assez, et cela n'aurait pas beaucoup de sens. Ce sont donc les personnels de la sécurité publique qui sont en première ligne, parfois renforcés par nos camarades de la gendarmerie, des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) en particulier. Tout le monde a en tête les images du Puy-en-Velay. Ces forces sont elles aussi mobilisées week-end après week-end, comme les CRS et les escadrons de gendarmerie mobiles, notamment dans les petites et moyennes circonscriptions où les effectifs ne sont pas très nombreux. De ce fait, ce sont toujours un peu les mêmes en première ligne.

Les cycles horaires, dans la police nationale, ont été arrêtés en 2016 et sont tous conformes à la directive européenne de 2003 relative à la santé et la sécurité au travail. La question a été de monter différents cycles et de voir dans quelle mesure ils pouvaient être appliqués dans les différents services de la police nationale. La direction qui utilise le plus les cycles horaires est évidemment celle de la sécurité publique, en raison de ses effectifs : avec 67 000 personnes à elle seule, c'est, de ce point de vue, le vaisseau amiral de la police nationale. Il faut tout d'abord souligner que le travail cyclique est, par définition, pénible.

Parmi les cycles proposés, il y a la « vacation forte », cycle auquel les organisations syndicales sont assez naturellement attachées, car il permet de passer chez soi un nombre de week-ends, en proportion, beaucoup plus important que les autres. C'est important pour la vie sociale et familiale des fonctionnaires, pour leur vie tout court, mais il présente l'inconvénient majeur d'être extrêmement consommateur d'effectifs. Nous cherchons une solution qui assure un équilibre entre le bien-être des policiers, évidemment d'importance majeure, et cette politique publique essentielle dont nous sommes chargés, ce pour quoi nous sommes faits : assurer la sécurité de nos compatriotes. Il est nécessaire, à cet égard, d'occuper le terrain.

L'un des inconvénients majeurs de la vacation forte est que sa généralisation à l'ensemble des services qui pourraient y prétendre requerrait l'injection de 3 000 à 4 000 équivalents temps plein – je peux en parler de manière un peu plus précise car l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) vient de rendre un rapport très complet sur la question, après avoir fait une évaluation de ces cycles tout au long de l'année 2018 sur une année opérationnelle. Ce ne seraient pas 3 000 ou 4 000 personnes supplémentaires sur le terrain – ce que les gendarmes appellent « l'empreinte au sol » –, ce serait une injection pour faire tourner le système. Je ne dis pas que ce cycle n'a pas de vertus, il est moins pénible que d'autres, mais il présente l'inconvénient majeur de mobiliser une ressource humaine et donc budgétaire très importante sans bénéfice opérationnel immédiat. Il faut donc regarder cela.

J'ai partagé avec l'ensemble des organisations syndicales de la police nationale l'entièreté du rapport que l'IGPN m'a rendu il y a à peu près une dizaine de jours – j'ai d'ailleurs ce soir une nouvelle réunion sur ce sujet. Je veux pouvoir discuter avec elles, au cours des prochaines semaines, de ce que nous ferons de ces conclusions pour parvenir ensemble à cet équilibre entre bien-être au travail et exigences opérationnelles. Je ne doute pas que nous puissions y parvenir mais ce sera un point délicat de notre feuille de route sociale au cours des prochaines semaines.

Dans ce dossier des cycles horaires, le travail de nuit requiert une attention particulière. Il ajoute aux cycles pénibles une dose supplémentaire de pénibilité. En nous remettant ce rapport, l'IGPN a souligné à quel point il était nécessaire d'accorder une attention toute particulière aux cycles nocturnes. C'est l'un des points majeurs des conclusions et des recommandations qui nous sont faites, auxquelles j'accorderai la plus grande importance, comme le font naturellement les organisations syndicales. Si les cycles horaires de la police nationale devaient évoluer, les cycles de nuit devraient être l'objet d'un traitement tout particulier.

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