Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • compagnie
  • effectifs
  • gendarmerie
  • opérationnelle
  • quartier

La réunion

Source

Présidence

La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, accompagné de M. Gérard Clerissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale, et de M. Antoine Salmon, contrôleur général des services actifs de la police nationale, chef d'état-major du cabinet du directeur général de la police nationale.

L'audition commence à quatorze heures cinq.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur général, vous êtes en charge, depuis le 28 août 2017, du commandement de la police nationale. La direction générale de la police nationale comporte plusieurs directions, qui remplissent des missions spécifiques. Notre commission entendra également les directeurs de la sécurité publique, de la police judiciaire, des compagnies républicaines de sécurité, ainsi que de la police aux frontières.

Nous avons de multiples sujets à aborder avec vous, sur les effectifs et les moyens des forces de police, sur leur organisation et leurs modes d'intervention, en particulier en matière de maintien de l'ordre, mais aussi bien d'autres sur lesquels le rapporteur de notre commission et nos collègues ne manqueront pas de vous interroger.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête, M. Éric Morvan, M. Gérard Clerissi et M. Antoine Salmon prêtent successivement serment.

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

Je suis accompagné par M. Gérard Clerissi, l'homme des ressources et des compétences de la police nationale – son « Monsieur finances, effectifs et social » – et de M. Antoine Salmon, mon chef d'état-major, qui représente la sphère opérationnelle de la police nationale. Nous espérons que, sous cette forme, nous pourrons contribuer à vos travaux.

En guise de propos liminaire, je préciserai de quelle façon les réflexions que nous menons sur notre environnement et ses évolutions nous conduisent à imaginer les axes d'une réforme opérationnelle structurante de la police nationale.

Plusieurs évolutions très importantes sont en cours, qui nous paraissent déterminantes pour mener notre réflexion stratégique. La population, qui est en pleine croissance, se concentre de plus en plus dans les agglomérations et leurs banlieues – ce phénomène démographique n'est pas spécifiquement français mais mondial.

Par ailleurs, notre société est marquée par les violences contre les personnes, qui sont en augmentation, comme nous pouvons tristement le voir à l'occasion des manifestations sur la voie publique.

Autre évolution : la mutation de la grande criminalité, fortement marquée par le trafic des produits stupéfiants à une échelle internationale, laquelle irrigue la criminalité et la délinquance locales, marquées par le deal de proximité et l'économie souterraine associée, qui déstabilisent profondément des quartiers déjà touchés par une fracture sociale, enracinée de longue date, et suscitent une concurrence territoriale sanglante. J'ai coutume de dire que, sur une période de moyen terme, le trafic de stupéfiants a plus tué que le terrorisme. Aussi surprenants qu'ils paraissent, ces chiffres doivent nous rappeler qu'il faut lutter avec la plus grande énergie contre ce phénomène ravageur. Une criminalité économique et financière rémunératrice se développe également, à l'échelle internationale, tandis que l'opinion et les instances internationales s'élèvent de plus en plus contre la corruption.

Nous faisons aussi face à une pression migratoire irrégulière inédite, qui soulève des difficultés d'intégration et d'acceptation sociale, et tend au développement des phénomènes de communautarisation d'ores et déjà existants, pouvant, à terme, déstabiliser les valeurs fondatrices de la République – il n'est que de voir ce qui se passe dans un certain nombre de pays qui nous entourent.

La menace terroriste islamique est prégnante, dotée désormais d'une forte composante endogène et généralisée à l'ensemble du territoire. Les actes de terrorisme ne sont pas réservés à Paris ni à l'agglomération parisienne.

Le développement exponentiel du numérique offre un nouveau terrain lucratif aux faits criminels de toute intensité et impose aux forces de sécurité une adaptation permanente de leurs outils et de leur pratique.

Cette mondialisation de la criminalité exige que l'analyse des faits, comme la réponse opérationnelle, relèvent d'une stratégie définie au niveau national, en étroite association avec nos partenaires européens et internationaux.

Par ailleurs, la judiciarisation croissante de la société et la construction d'un cadre juridique de plus en plus contraignant, fruit de la conjugaison des règles nationales et européennes, complexifient l'investigation et embolisent les services. Le droit pénal européen, d'inspiration anglo-saxonne, est assez radicalement différent du nôtre, ce qui ne fait qu'ajouter à la complexité.

Nous assistons également à une évolution des rapports sociaux au sein de la société tout entière et, partant, de la police nationale, qui appelle une modernisation des organisations, des méthodes et du management des équipes : les policiers d'il y a trente ans ne sont pas ceux que nous recrutons aujourd'hui.

Autre changement : la défiance d'une fraction de la population vis-à-vis des forces de sécurité en général, et de la police en particulier. Elle ne doit pas masquer la confiance que lui accordent régulièrement plus des trois quarts de la population, lorsqu'elle est sondée. Cette opinion très largement favorable et cette confiance largement accordée à la police nationale et à la gendarmerie nationale ne doivent cependant pas nous faire oublier les critiques émises par ceux qui ne nous aiment pas, mais aussi par ceux qui apprécient notre travail : une qualité d'accueil perfectible ; une disponibilité aléatoire ; une connaissance imparfaite du terrain et de ses habitants en raison de mutations trop rapides ; une agressivité ou encore des contrôles parfois jugés discriminatoires.

Face à ces défis, la police nationale doit s'adapter, réformer ses structures et ses méthodes. L'utilisation et la mise en oeuvre de ses ressources dans un cadre budgétaire par définition contraint doivent nous conduire à rechercher non seulement plus d'efficacité, qui fait l'objet de notre quête de chaque jour, mais aussi une plus grande efficience dans l'utilisation des moyens à notre disposition – la logique du toujours plus ne saurait en effet constituer un motif de satisfaction, encore moins une demande récurrente, sans que nous ne nous interrogions sur la manière dont ces moyens sont utilisés.

Nous devons nous rendre plus disponibles pour la population ; mieux adapter la couverture géographique du territoire à la démographie ; repenser l'organisation de la police nationale, en valorisant ses missions opérationnelles. Telles sont les grandes lignes de notre réflexion. Quand vous rencontrerez les directeurs centraux de la police nationale, vous aurez l'occasion de vous faire préciser, pour chacune des spécialités, les éléments qui vous sont nécessaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les effectifs de police ont retrouvé en 2017 leurs niveaux de 2009. Dans quels métiers les baisses et les créations de postes ont-elles été les plus importantes ? Combien de compagnies républicaines de sécurité (CRS) et d'unités ont disparu et ont été créées depuis 2009 ?

Étant donné la sollicitation opérationnelle des unités, est-il possible d'accorder tous les repos réglementaires aux personnels ? Pendant combien de week-ends chaque membre des CRS a-t-il été mobilisé depuis le 17 novembre ?

Quelles difficultés rencontrez-vous dans l'application de la réforme du temps de travail ? Peut-on estimer la part de l'effort de recrutement mené depuis 2015, qui sera absorbée par cette réforme ?

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

Les effectifs des forces de sécurité ont diminué, de manière assumée, entre 2007 et le début de l'année 2014, qui a représenté le point d'étiage. Il existe toujours, après la prise d'une décision, une part d'inertie dans les phénomènes en matière de ressources humaines, et la traduction concrète des décisions politiques prend du temps. Recruter un policier, c'est organiser un concours et le corriger, ce qui prend déjà neuf mois ; la scolarité d'un gardien de la paix dure une année. La traduction sur le terrain d'une décision prend au moins plusieurs mois. Des sorties d'école importantes sont prévues cette année : 500 gardiens de la paix au mois de juin, le reste entre septembre et décembre. À la fin de l'année, nous aurons retrouvé nos effectifs de 2007.

Néanmoins, il faut bien comprendre que la cartographie des effectifs ne sera pas la même, pour des raisons assumées qui ne sont pas critiquables. Le recrutement a d'abord été mis au service du renseignement ou de certains services spécialisés – groupes de soutien et d'intervention (GSI), service central du renseignement territorial (SCRT), police judiciaire et police aux frontières. Deux directions sont en effectifs très tendus : la direction centrale de la sécurité publique, hors SCRT, qui ne retrouvera pas ses effectifs de 2007, et la direction centrale des CRS, qui a perdu près de 2 000 effectifs, ce qui a conduit à restreindre le format des compagnies. Gendarmerie et police nationales n'ont pas eu la même stratégie : la gendarmerie a supprimé des escadrons, alors que la police a gardé le même nombre de compagnies – à une et demie près, soit soixante –, dont elle a réduit le volume, ce qui pose plusieurs problèmes.

Les compagnies sont passées, dans leur écrasante majorité, de quatre à trois sections, ce qui les rend moins manoeuvrables en matière d'ordre public. À quatre sections, les compagnies peuvent travailler avec deux sections de chaque côté, l'une étant appuyée par l'autre ; à trois, ce mode opératoire est risqué. Autre problème : ayant été peu renforcée ou peu renouvelée, la direction centrale des CRS est la direction dont la moyenne d'âge est parmi les plus élevées, ce qui est un peu contre-intuitif, au regard de ses missions. Nos camarades de la gendarmerie ont engagé une stratégie différente de la nôtre, puisqu'une très grande partie des sous-officiers qui sortent des écoles de gendarmerie sont affectés dans les escadrons de gendarmerie mobile pour une période déterminée, avant de rejoindre la gendarmerie départementale. Ce n'est pas la manière de gérer de la police nationale, qui fidélisait et spécialisait ses personnels. Mais, dans le contexte actuel, cette pratique a conduit aux tensions que je viens de décrire, aussi bien en matière d'effectifs que d'âge. Une part significative des sorties d'école, qui seront massives cette année, comme elles l'ont été l'année dernière, à la suite du plan des 10 000 lancé par le Président de la République, bénéficiera donc aux compagnies républicaines de sécurité.

Au-delà de cette décision conjoncturelle, nous pensons également affecter une part de plus en plus importante des sorties d'école aux compagnies républicaines de sécurité pour une période déterminée, avant qu'elles ne rejoignent d'autres services de la police nationale, en particulier celui de la sécurité publique. Deux vertus à cela : la possibilité de faire rapidement baisser la moyenne d'âge des CRS ; un aspect pédagogique puisque passer par ces compagnies peut parfaire la formation en école en matière de discipline, de gestes techniques et, bien évidemment, de service d'ordre, puisque c'est leur premier métier – mais elles s'occupent aussi de lutte contre l'immigration clandestine, aux côtés de la police de l'air et des frontières, ou de sécurisation dans les quartiers.

En moyenne, chaque jour, quarante-deux compagnies républicaines de sécurité sur soixante sont mobilisées. Ce chiffre s'explique par des raisons liées à l'opérationnel, à la nécessité de mettre des unités au repos, à celle d'en former, d'en évaluer ou d'en habiliter, mais aussi pour des raisons budgétaires. Nous ne respectons plus ce taux depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, le 17 novembre 2018. Lors des pics d'emploi, qui ont été atteints le 8 décembre 2018 et le 12 janvier 2019, cinquante-sept compagnies étaient mobilisées. Chez nos camarades de la gendarmerie, le taux d'emploi est également extrêmement élevé. Il est donc arrivé à des CRS d'être mobilisés dix week-ends de suite, particulièrement ceux qui sont responsables des lanceurs d'eau. La pression opérationnelle qui pèse sur les compagnies républicaines de sécurité est très intense.

Je voudrais compléter mon propos. Certes, les CRS sont extrêmement mobilisés, mais il ne faut surtout pas oublier le reste des personnels de la police nationale, en particulier celui de la sécurité publique. Les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile sont mobilisés sur les points de cristallisation de la contestation sociale mais cette contestation s'exprime un peu partout en France, y compris dans les petites et moyennes villes, même si elle n'y prend évidemment pas les mêmes proportions qu'à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Rennes, Nantes ou Paris. Nous ne pouvons pas envoyer de forces mobiles partout : nous n'en aurions pas assez, et cela n'aurait pas beaucoup de sens. Ce sont donc les personnels de la sécurité publique qui sont en première ligne, parfois renforcés par nos camarades de la gendarmerie, des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) en particulier. Tout le monde a en tête les images du Puy-en-Velay. Ces forces sont elles aussi mobilisées week-end après week-end, comme les CRS et les escadrons de gendarmerie mobiles, notamment dans les petites et moyennes circonscriptions où les effectifs ne sont pas très nombreux. De ce fait, ce sont toujours un peu les mêmes en première ligne.

Les cycles horaires, dans la police nationale, ont été arrêtés en 2016 et sont tous conformes à la directive européenne de 2003 relative à la santé et la sécurité au travail. La question a été de monter différents cycles et de voir dans quelle mesure ils pouvaient être appliqués dans les différents services de la police nationale. La direction qui utilise le plus les cycles horaires est évidemment celle de la sécurité publique, en raison de ses effectifs : avec 67 000 personnes à elle seule, c'est, de ce point de vue, le vaisseau amiral de la police nationale. Il faut tout d'abord souligner que le travail cyclique est, par définition, pénible.

Parmi les cycles proposés, il y a la « vacation forte », cycle auquel les organisations syndicales sont assez naturellement attachées, car il permet de passer chez soi un nombre de week-ends, en proportion, beaucoup plus important que les autres. C'est important pour la vie sociale et familiale des fonctionnaires, pour leur vie tout court, mais il présente l'inconvénient majeur d'être extrêmement consommateur d'effectifs. Nous cherchons une solution qui assure un équilibre entre le bien-être des policiers, évidemment d'importance majeure, et cette politique publique essentielle dont nous sommes chargés, ce pour quoi nous sommes faits : assurer la sécurité de nos compatriotes. Il est nécessaire, à cet égard, d'occuper le terrain.

L'un des inconvénients majeurs de la vacation forte est que sa généralisation à l'ensemble des services qui pourraient y prétendre requerrait l'injection de 3 000 à 4 000 équivalents temps plein – je peux en parler de manière un peu plus précise car l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) vient de rendre un rapport très complet sur la question, après avoir fait une évaluation de ces cycles tout au long de l'année 2018 sur une année opérationnelle. Ce ne seraient pas 3 000 ou 4 000 personnes supplémentaires sur le terrain – ce que les gendarmes appellent « l'empreinte au sol » –, ce serait une injection pour faire tourner le système. Je ne dis pas que ce cycle n'a pas de vertus, il est moins pénible que d'autres, mais il présente l'inconvénient majeur de mobiliser une ressource humaine et donc budgétaire très importante sans bénéfice opérationnel immédiat. Il faut donc regarder cela.

J'ai partagé avec l'ensemble des organisations syndicales de la police nationale l'entièreté du rapport que l'IGPN m'a rendu il y a à peu près une dizaine de jours – j'ai d'ailleurs ce soir une nouvelle réunion sur ce sujet. Je veux pouvoir discuter avec elles, au cours des prochaines semaines, de ce que nous ferons de ces conclusions pour parvenir ensemble à cet équilibre entre bien-être au travail et exigences opérationnelles. Je ne doute pas que nous puissions y parvenir mais ce sera un point délicat de notre feuille de route sociale au cours des prochaines semaines.

Dans ce dossier des cycles horaires, le travail de nuit requiert une attention particulière. Il ajoute aux cycles pénibles une dose supplémentaire de pénibilité. En nous remettant ce rapport, l'IGPN a souligné à quel point il était nécessaire d'accorder une attention toute particulière aux cycles nocturnes. C'est l'un des points majeurs des conclusions et des recommandations qui nous sont faites, auxquelles j'accorderai la plus grande importance, comme le font naturellement les organisations syndicales. Si les cycles horaires de la police nationale devaient évoluer, les cycles de nuit devraient être l'objet d'un traitement tout particulier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avant d'en venir à mes questions, j'aurai une pensée, monsieur le directeur général, pour les vingt-cinq fonctionnaires de police qui se sont donné la mort depuis le début d'année, les deux derniers ce week-end, et je vous présente, pour ces hommes et ces femmes, toutes mes condoléances.

Il me paraît possible, après un certain nombre d'auditions, d'établir un parallèle entre la police nationale et notre politique nationale, notamment du point de vue de la centralisation des décisions. Les personnels, notamment ceux de la sécurité publique, dans les commissariats, décident de très peu de chose, particulièrement en termes budgétaires. Vous évoquiez tout à l'heure la nécessité de repenser l'organisation de la police nationale. Ne pensez-vous pas qu'il faille laisser plus d'autonomie au niveau des départements, voire celui des commissariats ? J'aime à dire que l'intelligence est locale, et il est vrai que ce sont souvent ces fonctionnaires de police et ces agents qui sont au plus près du terrain qui savent le mieux ce dont ils auraient besoin, ce qui mérite un effort d'investissement. Tout ne doit pas forcément être décidé au niveau central.

Par ailleurs, nous connaissons l'engorgement des tribunaux et la longueur des délais de jugement. Nous savons quelle est, dans ces conditions, la difficulté de la réponse pénale. Pensez-vous qu'il faudrait que plus de délits soient forfaitisés, de manière à permettre une réponse pénale beaucoup plus rapide et beaucoup plus claire et à désengorger un peu les tribunaux ?

Enfin, si les effectifs étaient restés les mêmes qu'en 2010 – 61,5 compagnies de quatre sections, soit 61 sections supplémentaires –, la même pression se serait-elle exercée sur les CRS ? Ou auriez-vous pu vous organiser différemment et apporter une réponse plus cohérente, tant du point de vue du maintien de l'ordre que du bien-être de ces fonctionnaires ?

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

J'ai quelques années d'administration derrière moi, et je remarque que, tout au long de ma vie administrative, le pendule aura oscillé entre décentralisation, reconcentration, déconcentration… De réforme en réforme, on glorifie les vertus d'une certaine forme intelligente ou éclairée de centralisation, pour redécouvrir ensuite que l'intelligence est locale. Si vous me le permettez, je préfère penser qu'elle est partout, mais peut-être suis-je un peu naïf.

Lorsqu'elle est décidée, la centralisation ne procède pas d'une volonté de confisquer des responsabilités exercées au plan local. Je suppose que vous-même avez entendu ce que j'entends souvent quand je rencontre les fonctionnaires de police, que ce soit à Paris ou dans leurs propres locaux.

Quel que soit le niveau où elle est organisée – ce peut être le niveau national mais aussi le niveau zonal, un certain nombre de dépenses importantes étant exécutées au niveau des zones de défense –, la centralisation a des vertus évidentes pour les dépenses sur lesquelles l'échelon local ne peut avoir une marge de manoeuvre. Lorsqu'il s'agit de loyers ou de marchés de fluides, la négociation risque d'être plus efficace à l'échelon zonal, voire national. Décentraliser cela au niveau d'une direction départementale de la sécurité publique, voire d'une circonscription de sécurité publique, non seulement n'aurait aucun intérêt d'un point de vue économique en termes de gains achats, mais aurait un coût, car cela obligerait les services de police à organiser des échelons gestionnaires au plus près du territoire. Il s'agit plutôt de raisonner en termes de subsidiarité et de se demander quel est le bon niveau pour éviter de multiplier des cellules de gestion sources de coûts qui rapporteraient peu en termes d'efficience de l'exécution de la dépense publique ou d'efficience de la commande publique. Et il faut réserver au niveau local la possibilité de faire de « menus achats », « menus » mais tout à fait importants – il peut être un peu pénible, dans une circonscription à l'autre bout du département, de devoir demander à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de bien vouloir procéder au remplacement d'un fauteuil de bureau ou d'une ampoule électrique… Nous avons des systèmes, comme la carte achat – une sorte de carte bleue –, qui permettent de déconcentrer des actes de gestions mais gardons-nous de penser que l'hyper-déconcentration soit un mode de gestion à la fois rigoureux et efficient. C'est bien sûr efficace : quand on dispose d'une caisse pour acheter tout ce dont on a besoin au supermarché le plus proche, c'est efficace et rapide, mais ce n'est pas efficient, et c'est parfois contraire aux règles de la commande publique et des marchés publics. Il ne s'agit pas de centraliser ou de déconcentrer, il s'agit d'appliquer un principe intelligent de subsidiarité, pour que la dépense soit exécutée au niveau pertinent en visant un double objectif d'efficacité opérationnelle et d'utilisation efficiente des fonds publics, que ce soit grâce à une massification des achats ou à la limitation des équipes nécessaires.

La loi de réforme de la justice, qui vient d'être promulguée, prévoit la forfaitisation d'un certain nombre de délits. Je suis favorable à cette forfaitisation pour les mêmes raisons que vous, monsieur le rapporteur : efficacité, rapidité, désengorgement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour être pragmatique, pouvez-vous nous dire quels délits devraient être forfaitisés ?

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

Précisément par pragmatisme, je serais plutôt partisan de ne pas étendre le champ des délits forfaitisés tant que nous n'aurons pas démontré ce que nous sommes capables de faire avec les outils aujourd'hui à notre disposition. La forfaitisation, cela ne veut pas dire la possibilité de manier nous-mêmes de l'argent sur la voie publique. Cela implique un certain nombre de procédures, même très allégées. Je voudrais être complètement persuadé que nous saurons gérer avec toute l'efficience requise la forfaitisation des délits telle que la loi la permet aujourd'hui avant d'étendre le champ d'application de cette forfaitisation.

Avec les effectifs de 2010, la face de l'ordre public aurait-elle été changée ? La réponse est affirmative en ce qui concerne la fatigue et la capacité de mieux utiliser les forces. La diminution des effectifs des CRS a conduit non pas à diminuer le nombre de compagnies mais à en réduire le format interne. Cela a conduit à abaisser de quatre à trois le nombre de sections qui composent une compagnie – qui ne sont donc pas sécables.

Dans ces conditions, pour obtenir un résultat comparable, un préfet confronté à un problème d'ordre public n'hésitera pas aujourd'hui, compte tenu de la configuration des lieux, des cortèges déclarés qu'il devra gérer, à demander deux compagnies quand une compagnie de quatre sections comme antérieurement aurait suffi. Nous perdons donc en agilité opérationnelle sur le terrain, et cela entraîne une sorte de surconsommation en nombre de compagnies. La baisse des effectifs, en ce qu'elle a diminué le nombre de sections par compagnie, n'est donc pas neutre. Cela étant, compte tenu de ce que nous avons vu, entre déferlement de violences et « instantanéité » des manifestations, le taux d'emploi aurait de toute manière été très élevé – sans doute avec une agilité opérationnelle plus importante.

Je me permets une petite parenthèse. Le Premier ministre a annoncé, dès le début du mois de janvier, un schéma national de maintien de l'ordre, et nous y travaillons d'arrache-pied avec nos camarades de la gendarmerie, avec la préfecture de police et, évidemment, avec le cabinet du ministre. J'insiste bien : nous travaillons sur un « schéma national ».

Il y a parfois des confusions de vocabulaire, et j'entends souvent que nous allons faire changer ou évoluer la doctrine du maintien de l'ordre à la française, mais, à ce stade, il n'est pas question de la changer. Le principe cardinal, arrêté depuis longtemps, d'une distanciation entre les manifestants et les forces de l'ordre ne me paraît pas remis en cause. D'ailleurs, beaucoup de polices étrangères sont intéressées par la position qui est la nôtre, par rapport à d'autres techniques de maintien de l'ordre. Certains ne répugnent pas du tout à pratiquer le contact direct, y compris dans des pays très proches, et – puisque tout passe par les images – cela ne fait pas de belles images. Les images du maintien de l'ordre sont rarement belles, mais je peux vous dire que les images de maintien de l'ordre avec du contact systématique et direct sont vraiment pénibles.

Se poser la question en termes de schéma national par rapport à l'évolution des troubles à l'ordre public tels qu'on les connaît en France et ailleurs présente une vertu. En France, notre tactique se fonde très largement sur le fait que les manifestations sont déclarées – par des organismes, syndicats, partis politiques, associations de droit ou de fait qui ont pignon sur rue et dont les responsables sont connus. Il est de tradition, dans certaines villes, de ne pas déclarer les manifestations – je parle non pas de Paris, où la tradition est au contraire de déclarer, mais de Marseille –. C'est ainsi, et l'absence de déclaration formelle ne signifie pas qu'il n'y a pas de contacts informels entre les autorités et les organisateurs. Nous avions donc en quelque sorte des organisateurs identifiés, des services d'ordre interne constitués, une temporalité et un calendrier qui nous permettaient d'anticiper, notamment d'anticiper le positionnement de forces mobiles au bon endroit au bon moment. Tout cela vole en éclats aujourd'hui puisque n'importe quel personnage dont la popularité peut-être « boostée » par des émissions de télévision avides de sensationnel est capable, désormais, grâce aux réseaux sociaux, de convoquer 3 000, 4 000, 5 000 personnes en tout point du territoire, et, pire, de convoquer des manifestations de manière virale sur l'ensemble du territoire. C'est notre difficulté actuelle. Nous avons des manifestations au même moment, au même endroit, sur l'ensemble du territoire. L'instantanéité des réseaux sociaux met à mal notre modèle, notamment en termes d'anticipation.

Le schéma national du maintien de l'ordre aura donc une immense vertu car il prendra en compte la mutation que constituent ces faits pouvant causer des troubles graves à l'ordre public.

Nous ne nous situons plus du tout dans les schémas traditionnels dont je parlais tout à l'heure, mais dans des chemins nouveaux qu'il faut prendre en compte. À cette fin, on ne va certainement pas décider de multiplier par deux le nombre de compagnies républicaines de sécurité et d'escadrons de gendarmerie mobile ; cela n'aurait aucun sens.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Précisément, selon vous, vaudrait-il mieux revenir à quatre sections ou augmenter le nombre de compagnies ?

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

Il faudrait revenir à quatre sections, c'est clair, et nous nous y travaillons, mais cela prendra évidemment du temps. En tout état de cause, je pense qu'il va falloir – et il peut y avoir là une petite divergence non pas d'analyse, mais de tradition, de doctrine, entre police nationale et gendarmerie nationale – réfléchir au fait que les forces territoriales, c'est-à-dire les forces de police et de gendarmerie installées sur le territoire à titre principal, donc hors force mobiles, devront prendre une part de la problématique de l'ordre public.

C'est complètement le cas dans la police nationale. N'importe quel policier de sécurité publique sait que l'ordre public entre dans le champ de ses missions, qu'il aura, à un moment ou à un autre de sa carrière, à faire de l'ordre public dans son commissariat. C'est moins vrai pour les gendarmes, mais je peux le comprendre, car nous n'avons pas le même terrain d'action, et il est normal que les postures opérationnelles ne soient pas les mêmes. Ils considèrent pour leur part que l'ordre public relève d'une grande spécialisation, et que ces missions reviennent à la gendarmerie mobile ou, pour nous policiers, aux CRS, et que les forces territoriales n'ont pas vocation à faire de l'ordre public.

Je pense que ce que nous vivons aujourd'hui va sans doute nous obliger à faire bouger les lignes et à faire en sorte que la puissance publique – je ne parle pas de police et de gendarmerie, mais de l'autorité publique – puisse s'exprimer sur l'ensemble du territoire, le temps que des forces plus puissantes ou plus constituées arrivent. Mais il nous faut prendre en compte le fait que désormais nous ne disposerons peut-être pas toujours du temps des trois jours de la déclaration qui permettent de programmer un déplacement de gendarmes mobiles ou de CRS, et qu'il faudra répondre vite et de manière évidemment proportionnée, au moins pour figer une situation avant que des renforts arrivent.

C'est là, à mon sens, un élément fondamental que le schéma national du maintien de l'ordre devra aborder. Ce sont des travaux que nous menons actuellement au sein du ministère de l'intérieur, au-delà de la question de l'armement, des lanceurs d'eau, de la manière de mieux faire comprendre les sommations, etc.

Tout cela relève du schéma national du maintien de l'ordre, de la même façon que nous avons établi un schéma national d'intervention (SNI) en cas d'attaques terroristes ou de périples meurtriers, qui là aussi déterminent le rôle de chacun depuis le plus haut du spectre, c'est-à-dire le RAID ou le GIGN, jusqu'aux policiers et aux gendarmes de terrain, en passant par des unités dont ce n'est pas complètement le métier mais qui peuvent se spécialiser, comme les CRS, les BRI, les PSIG, etc.

Chacun a un rôle, et chacun peut avoir dans la chaîne une partie de la compétence pour mettre un terme à un fait terroriste ou à un périple meurtrier. Je considère que cette façon de concevoir les choses doit être adaptée à l'ordre public ; en tout cas ce que nous voyons aujourd'hui nous contraint à raisonner ainsi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis en désaccord avec vous sur un point : les personnels de la sécurité publique et les gendarmes départementaux ont tous conscience que le maintien de l'ordre peut entrer dans leurs missions. Ils sont toutefois tous confrontés au même problème ; ils ne disposent pas des moyens ni de l'équipement pour le faire.

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

Vous avez parfaitement raison, monsieur le rapporteur.

Ce que j'ai posé comme principe implique effectivement de concevoir un plan d'équipement et un plan de formation adaptés. Il est évident qu'il ne suffira pas de décréter que les personnels territoriaux feront du maintien de l'ordre. Ce que je dis, c'est qu'ils seront amenés à en faire de plus en plus, compte tenu de ce que sont aujourd'hui les réseaux sociaux, les chaînes d'information en continu, etc., et que cela suppose effectivement de notre part une vision différente en termes d'équipement et de formation de ces personnels, à la fois pour la protection des manifestants et pour leur propre protection. C'est clair, vous avez raison.

Le directeur central de la sécurité publique (DCSP), que vous allez recevoir prochainement, vous indiquera le plan qu'il a d'ores et déjà mis en oeuvre sur l'année 2018 pour équiper et former des personnels dans les départements dépourvus de compagnies départementales d'intervention. Il s'agit de faire en sorte que des départements voisins puissent travailler ensemble autour d'une compagnie d'intervention, et de faire manoeuvrer ensemble des effectifs issus de commandements et de départements différents.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite revenir sur le rôle de la police nationale, dont vous avez dit qu'elle devait savoir s'adapter, réformer ses méthodes etc. ; cela doit-il passer par des moyens financiers nouveaux ?

Vous avez souligné que la concentration des populations dans les villes était de plus en plus importante. Certaines banlieues sont devenues des zones de non-droit, et offrent un terreau propice à la radicalisation ainsi qu'aux stupéfiants. Comment gagner cette guerre ?

On a constaté que, quels que soient les gouvernements, la politique de la ville ne constituait pas une panacée. Ce n'est pas avec elle que l'on gagnera une guerre, elle ne constitue qu'un des moyens susceptibles de faire évoluer les choses. La police de proximité, inventée il y a quelques années, et dont on reparle aujourd'hui, représente plus une volonté qu'une réalité effective. Je repose donc la question : comment gagner cette guerre ? Quelles sont vos préconisations pour que nous atteignions cet objectif ?

Enfin, de façon quelque peu provocatrice, n'aurions-nous pas intérêt à laisser ces zones de non-droit là où elles sont ; ce qui pourrait satisfaire de nombreuses personnes, car elles seraient géographiquement fixées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez commencé votre intervention en considérant que les conséquences du trafic de stupéfiants étaient parfois plus importantes que celles des attentats.

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

Cela vaut sur une longue période…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour avoir été maire d'une ville, je connais les difficultés que rencontrent certains quartiers à cause de ces trafics et de l'économie souterraine qui en résulte.

Pensez-vous que les renseignements territoriaux sont suffisants depuis la réforme de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), survenue en 2005 ? Il semble en effet que des difficultés pour repérer ces trafics ont été rencontrées par la suite.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la réglementation en vigueur devrait évoluer ? Le rapporteur a évoqué la contravention dont est passible la consommation de drogue ; à vos yeux cette mesure produit-elle ses effets sur le terrain ou faut-il aller plus loin ? Cela fait très longtemps que nous parlons de la lutte contre les trafics de stupéfiants. Or ils augmentent et causent des dégâts considérables sur tous les plans, particulièrement sur le plan social. Contrairement à l'affirmation provocatrice de mon collègue, je pense qu'il ne faut pas laisser les choses en l'état, qu'il faut au contraire se battre pour que l'Etat de droit soit respecté dans tous les quartiers. Pensez-vous qu'il faille accroître la répression, ou, pour certains consommateurs, changer la donne ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué, monsieur le directeur général, l'avènement des réseaux sociaux et des nouveaux moyens de communication qui ont fait évoluer les menaces contre l'ordre et la sécurité publique et rendent possible la diffusion en direct de crimes ou d'attentats. La réactivité et la capacité d'organisation de fauteurs de troubles se sont ainsi accrues, de quels moyens dispose la police nationale pour répondre à ces évolutions ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un rapport de la Cour des comptes portant sur les réserves de la gendarmerie et de la police nationale est en cours de rédaction.

Pour des raisons historiques, la gendarmerie compte 30 000 réservistes contre environ 3 000 dans la police nationale. Comment comptez-vous améliorer cette réserve et cet apport qui peut constituer un véritable « plus » pour les hommes ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur général, dans votre propos liminaire vous avez abordé la question de la formation, qui est actuellement de douze mois. Il semblerait que ce temps serait appelé à diminuer pour passer à neuf ou huit mois.

Si tel devait être le cas, il serait intéressant de savoir à partir de quand cette mesure interviendrait. On comprend bien qu'elle permettra de disposer plus rapidement de gardiens de la paix sur la voie publique. Mais servira-t-elle à alimenter prioritairement la police de sécurité du quotidien (PSQ) ? Dans la mesure où vous avez indiqué que la majorité des nouveaux arrivants seraient versés dans les compagnies républicaines de sécurité, s'agit-il d'une réponse au mouvement des Gilets jaunes ?

Si la formation est réduite d'un quart, de quelle partie fera-t-on l'économie ? S'agira-t-il des « gestes métier », de l'accueil du public ou du versant judiciaire ? Et dans la mesure où beaucoup des intéressés sont versés dans les CRS, la formation ne se bornera-t-elle pas à préparer des spécialistes en intervention, au détriment des généralistes, ce qui remettrait en cause l'équilibre observé jusqu'à présent ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre expérience de préfet, monsieur le directeur général, a dû vous servir d'expérience, et vous permettre de vérifier s'il existe une différence entre « la théorie et la pratique ». Vous avez tout d'abord connu la pratique, et maintenant vous élaborez un schéma national du maintien de l'ordre. Dans ce contexte, comment vous reviennent les retours d'expérience de vos collègues qui sont sur le terrain ?

La question de la répartition des effectifs se pose. Fort de votre expérience, comment vous déterminez-vous pour prendre les décisions nécessaires ?

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

En premier lieu, je répondrai à la question de M. Bouchet sur les zones de non-droit et la façon dont on peut « gagner la guerre ».

Ma conviction profonde est que la politique de la ville, appelons-la ainsi, ne sera pas gagnée par la police nationale. J'enfonce une porte ouverte en disant cela, mais ne mettons pas sur le seul dos de la police nationale la responsabilité du succès ou du moindre succès de ces politiques complexes, qui interrogent aussi la sphère de l'éducation, du logement et tout simplement du travail.

Cela étant, lorsqu'une économie souterraine se développe, sous-tendue par un trafic de stupéfiants, et qu'il est bien plus rémunérateur et moins fatigant, quoique bien plus dangereux, de s'y livrer que d'aller travailler, on est au début de la déstructuration du tissu social. C'est en cela que je disais que le trafic de stupéfiants était une gangrène aussi puissante que le terrorisme ou le communautarisme fondamentaliste, qui eux aussi déstructurent des sociétés entières. Gagner cette guerre appelle un travail interministériel puissant, et la police nationale a sa part dans cette oeuvre, et fait preuve d'un engagement très fort quartier par quartier.

S'agissant de la police de sécurité du quotidien, elle représente un sigle de moins en moins apprécié à la DGPN, précisément pour les raisons que je viens d'évoquer. Il ne s'agit pas des termes « sécurité du quotidien », que nous adorons, mais de l'expression « police de sécurité du quotidien » qui sous-tendrait que la sécurité du quotidien n'est qu'une affaire de police. Or, ce n'est hélas pas le cas. Pour conserver l'acronyme PSQ, désormais installé dans les esprits, je préfère parler de politique de sécurité du quotidien, au sein de laquelle la police a évidemment toute sa place. Ce en quoi nous croyons, c'est un partenariat opérationnel contractualisé. Le partenariat entre l'État, les bailleurs sociaux, l'éducation nationale, les transporteurs, les élus locaux, les associations de commerçants et les travailleurs sociaux est très important, et n'est pas une découverte récente. Mais il avait tendance à s'institutionnaliser et à entrer dans une sorte de ritualisation qui lui faisait perdre en efficacité.

Ce que nous souhaitons, à travers la politique de sécurité du quotidien, c'est que ce partenariat soit à l'aune de la circonscription de sécurité publique : pas à celle du département, mais du quartier ou des quartiers, formant une même circonscription de sécurité publique.

Il faut travailler sur la base d'objectifs contractualisés. Nous nous réunissons souvent, tous les quinze jours ou trois semaines, au bon niveau de décision, c'est-à-dire celui du chef de circonscription ou du responsable « police nationale » chargé du quartier, donc pas forcément son patron, avec tous ceux qui interviennent dans le quartier. Nous nous fixons des objectifs extrêmement précis, qui peuvent paraître simplistes : l'éclairage public qui ne fonctionne pas, les poubelles qui sont mal ramassées, les voitures « ventouses » ou les épaves, les garages de trottoir, les rodéos, les appartements servant de « nourrice » au trafic de stupéfiant et le rôle des bailleurs sociaux, même s'ils n'osent pas toujours déclencher des procédures d'expulsion.

C'est tout cela qui fait que nous devons tous travailler ensemble au même moment et tirer dans le même sens – mais, encore une fois, sur la base de contrats opérationnels, dans lesquels la police a sa part, certes, mais tous les autres aussi. Lorsque je dis « opérationnel », cela signifie que nous nous revoyons dans quinze jours, et que tel ou tel problème aura été réglé ; et surtout, nous étudions ceux qui n'ont pas pu l'être et qu'elle a été la raison de ces échecs.

Il y a une autre dimension, des secteurs où nous n'en sommes déjà plus là, ce que vous avez appelé des zones de non-droit, terme avec lequel la police nationale a toujours du mal. Dans ces endroits où l'on a déjà basculé, nous n'y arriverons pas avec de la contractualisation opérationnelle telle que je l'ai décrite. Comme pour une tôle corrodée, il faut les remettre à nu et passer la sableuse, si vous m'autorisez ce terme de mécanique. Nous n'y arriverons pas sans intervention puissante de la force publique ; de ce point de vue, nous allons reparler des compagnies républicaines de sécurité CRS. Bien entendu, leur coeur de métier est et restera l'ordre public, mais elles ne font pas que cela, elles ont su s'adapter à la menace terroriste ainsi qu'aux missions d'intervention et de sécurisation des quartiers difficiles en appui des forces de sécurité publique.

Nous ne parviendrons pas à faire du bon travail dans certains quartiers sans l'appui des compagnies républicaines de sécurité, car elles interviennent de manière plus offensive. Et je me dois de vous dire que la charge opérationnelle qui pèse depuis quelque temps sur elles, sans compter ce que nous appelons les missions permanentes de lutte contre l'immigration clandestine qui mobilisent des effectifs à Calais, Vintimille ou Biriatou, font que nous notons, pour le regretter, que les forces qui sont consacrées à l'ordre public ne sont plus mobilisables pour le plan national de sécurisation renforcée (PNSR) qui nous permet d'envoyer des compagnies républicaines de sécurité dans des quartiers difficiles pour qu'elles puissent y imprimer leur marque. Or, sans leur appui, nous aurons des difficultés à être vraiment efficaces dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR). Il faut que l'on travaille, et c'est heureusement déjà le cas en matière de stupéfiants, à réduire le phénomène de « tuyaux d'orgue » qui a pu exister par le passé – c'est moins le cas aujourd'hui – entre sécurité publique et police judiciaire. C'est la coordination renforcée de la lutte contre les stupéfiants qui a permis de faire collaborer de manière opérationnelle et efficace ces deux directions, mais sans les compagnies républicaines de sécurité, on aura vraiment des difficultés à avancer lorsque la situation est dégradée.

Monsieur Bouchet, vous dites que les zones de non-droit sont un peu comme des quartiers perdus pour la République et qu'il faut les laisser à leur néant. Je ne partage pas votre vision des choses. Je n'imagine pas que la République puisse admettre l'existence de territoires perdus. De plus, n'oublions pas que si la plaie n'est pas soignée, elle finira par gangrener le membre tout entier. Il est donc nécessaire de reprendre pied, y compris dans les zones de non-droit, que nous n'abandonnons pas puisque les policiers y entrent, parfois au péril de leur vie car les confrontations peuvent être violentes. Il y a de nombreux blessés, y compris à l'occasion de guet-apens qui leur sont tendus. Nous veillons à ce qu'aucun territoire ne soit perdu, mais nous ne gagnerons pas tout seuls ce combat, terme que j'utilise à dessein.

Monsieur Pueyo, vous me demandez si le renseignement territorial est suffisamment efficace pour lutter contre le trafic de stupéfiants au regard des mutations successives qui ont eu lieu. Vous avez raison, le renseignement territorial a été profondément chahuté, à la suite de la réforme de 2008 qui avait prévu la disparition de la direction des renseignements généraux. Tout ce qui concernait la sécurité intérieure, le terrorisme a été transféré à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue depuis la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il est resté la sous-direction de l'information générale (SDIG), dont le champ de compétences était extrêmement réduit – phénomènes sociaux et hooliganisme notamment. Cette sous-direction n'avait même pas accès aux fichiers de police, car elle n'avait pas d'autorisation légale pour accéder à des traitements informatisés. Elle faisait tout de même son travail, mais dans un champ missionnel extrêmement réduit. S'agissant des phénomènes sociaux et de tout ce qui concourait aux violences urbaines, qui étaient quand même dans le champ de compétences de la SDIG, il y avait et il y a toujours une compétence en matière d'économie souterraine, pas au sens judiciaire du terme mais du renseignement.

Même s'il n'a pas encore atteint son altitude de croisière, le service central du renseignement territorial (SCRT) ne ressemble pas du tout à ce qu'était la SDIG. Des évolutions très importantes ont eu lieu, notamment en 2013 et 2014, et en 2015 avec la loi relative au renseignement, ce qui fait qu'aujourd'hui le SCRT est un service de renseignement de la communauté française du renseignement à part entière. Il a accès, grâce aux lois qui ont été votées, à des techniques de renseignement. C'est donc un service tout à fait armé tout en continuant sa mue. S'il n'est pas encore totalement adulte, on peut dire que c'est un grand adolescent et qu'il est de grande qualité.

L'économie souterraine fait bien partie, sous l'angle du renseignement, des missions du SCRT, s'agissant de la surveillance et de l'analyse des phénomènes dans les quartiers et des violences urbaines qui sont souvent sous-tendues.

Vous avez souligné que le trafic de stupéfiants ne concernait pas uniquement les grandes agglomérations, mais qu'il atteignait aussi les villes petites et moyennes. Vous avez parfaitement raison. On pense que le trafic de stupéfiants n'existe qu'à Marseille et en Seine-Saint-Denis, alors que des villes ou des quartiers entiers ont complètement basculé en une quinzaine d'années. Je prendrai l'exemple de quartiers de la ville de Nantes qui, il y a quinze ans, respiraient la douceur de vivre des grandes villes de l'ouest, mais dont la physionomie ressemble aujourd'hui à ce qui se passait dans les quartiers compliqués du Mirail, à Toulouse. C'est pourquoi j'ai répondu tout à l'heure qu'on ne pouvait pas laisser les zones de non-droit à leur triste sort. Ce ne serait pas en effet une bonne solution, puisque les trafiquants, en grands et bons entrepreneurs qu'ils sont, n'ont qu'une envie : augmenter leurs parts de marché. Aussi ne peut-on pas imaginer un seul instant que les choses resteraient cantonnées là où elles le sont.

Je pense que votre question sur la contraventionnalisation sous-tendait celle de la dépénalisation ou de la non-dépénalisation. Je suis un peu embarrassé pour vous répondre, car il y a des sommités et des gens très sérieux dans les deux camps. Je comprends d'ailleurs à quel point il est difficile pour ceux qui font la loi d'avoir un avis tranché sur la question.

À titre personnel, je ne suis pas un fervent défenseur de la dépénalisation, tout en ayant bien conscience de toutes les limites des politiques de prohibition au cours de l'histoire. Dans les pays qui ont dépénalisé, y compris ceux qui sont proches de nous ou qui ont un rapport un peu plus permissif avec les produits stupéfiants – je pense aux Pays-Bas –, la situation n'est pas très différente de la nôtre en termes de dégâts sur la santé publique ou la criminalité organisée.

Sur les réseaux sociaux, ce que je peux dire, c'est qu'une très grande attention est portée sur tout ce que l'on peut y voir. Il existe, au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) – M. Jérôme Bonet vous en donnera le détail – une sous-direction chargée de la cybercriminalité qui abrite notamment la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS), à partir de laquelle nous tentons d'identifier les adresses émettrices, quand c'est possible. Il y a, là aussi, une partie souterraine et il est difficile d'identifier des adresses émettrices, soit parce qu'elles sont abritées à l'étranger, soit à cause de rebonds techniques, et lorsqu'on les a localisées d'avoir une coopération technique avec certains pays.

S'agissant notamment des déferlements de haine ou des menaces qui sont proférés sur les réseaux sociaux, nous parvenons à identifier un certain nombre d'auteurs qui doivent ensuite rendre des comptes à la justice.

Vous m'avez interrogé également sur la réserve civile. La police et la gendarmerie n'ont pas la même histoire. La gendarmerie tire son avance évidente en matière de réserve de son histoire militaire, et elle n'aurait sans doute pas le même visage sans la réserve.

Dans la police nationale, le vivier qui est de 6 000 et non de 3 000 personnes comme cela a été dit, repose essentiellement sur de jeunes retraités de la police nationale. Ce n'est pas une réserve citoyenne, comme peut l'avoir constitué la gendarmerie, qui compte plus de 30 000 réservistes. Pour autant, la réserve de la police nationale, aussi modeste soit-elle, est un élément important dans le contrôle aux frontières ou la lutte contre l'immigration clandestine, ce qui n'est pas neutre actuellement, ou encore dans les centres de rétention administrative. Les réservistes n'ont pas le droit de participer à l'ordre public, dans le contexte actuel de contestation sociale qui a lieu chaque samedi. En revanche, ils sont utilisés au sein des services de police pour faire de l'accueil, ce qui libère des personnels d'active qui, eux, sont autorisés à faire de l'ordre public.

Les contraintes budgétaires qui sont les nôtres nous permettent d'avoir une réserve civile, de continuer à la faire vivre dans les limites que je viens d'indiquer, mais sans perspective d'augmentation massive du nombre de réservistes. J'ai même dit que nous avions des contraintes budgétaires, liées à la surconsommation de nos ressources les samedis, qui a un coût direct sur la masse salariale et les heures supplémentaires. Il faut en effet payer les indemnités de déplacement des compagnies républicaines de sécurité et leurs heures supplémentaires. Dans la police nationale seules les heures des compagnies républicaines de sécurité sont défrayées, les autres fonctionnaires voyant ces heures compensées ou pas. Si l'on était amené à réguler les dépenses du fait que c'est de l'argent public et que la planche à billets ne fonctionne plus depuis bien longtemps, voilà le type de levier qui serait à ma disposition, le reste étant essentiellement constitué d'indemnités statutaires sur lesquelles je n'ai pas de prise. C'est le cas aussi de mes amis gendarmes qui n'ont pas non plus tant de leviers de régulation de leurs dépenses. La réserve en est un pour eux, comme elle en est un pour moi. J'espère que nous n'en arriverons pas là et que nous pourrons mobiliser les réserves comme nous le faisons habituellement.

Il sera indispensable de développer la réserve citoyenne dans la police nationale parce que je suis intimement convaincu qu'on ne pourra pas s'inscrire dans une logique du « toujours plus ». On est dans une dynamique de ressources humaines plutôt positive avec ce plan des 10 000 dont je parlais tout à l'heure, qui fait que nous recrutons beaucoup. Mais il ne sera pas soutenable budgétairement de faire continuellement ce type d'effort. La réserve citoyenne est sans doute un bon moyen de réguler les pics saisonniers, certains événements ou des fonctions particulières. En tout cas, c'est comme cela que l'utilise la gendarmerie, et il n'y a aucune raison que nous n'en fassions pas autant. En ce qui concerne la politique de la sécurité du quotidien, nos délégués à la cohésion police-population dans les quartiers sont essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, des réservistes.

Nous ne pourrons pas continuer à augmenter indéfiniment nos emplois de titulaires. En revanche, une fois que nous aurons atteint le palier dans nos effectifs, la réserve civile constituera assurément, et plus encore si nous développons la réserve citoyenne, l'élément de souplesse dont nous aurons forcément besoin.

Madame Vanceunebrock-Mialon, vous m'avez interrogé sur la réduction des temps de formation. Actuellement, un gardien de la paix est formé en présentiel à l'école en un an, auquel s'ajoute un an de stage avant d'être titularisé. Sa formation est donc au total de deux ans. C'est dans cette même enveloppe de deux ans que nous nous inscrivons, et que la durée de présentiel à l'école serait raccourcie. Les chiffres que vous avez donnés tout à l'heure sont conformes à la réalité. La durée en présentiel pourrait être de l'ordre de huit mois et demi, et nous continuons à travailler, y compris sur les contenus. C'est la période de stage professionnalisante, si je puis dire, qui serait plus longue, puisque l'on reste bien dans une enveloppe totale de deux ans, avec le développement parallèle du tutorat au sein de la police nationale, notion que nous allons organiser par les textes, y compris dans son contenu.

Nous avons fait ce choix parce que, quand vous interrogez les élèves sur le contenu de la formation, ils formulent beaucoup de critiques. Actuellement, comme les candidats dans les écoles de gardien de la paix sont recrutés au niveau du baccalauréat – c'est un corps de catégorie B –, il n'est pas complètement stupide de reconsidérer la formation en présentiel et de densifier la formation professionnalisante dans les services eux-mêmes avec du tutorat, toujours dans la même période de deux ans qui ne sera pas modifiée. Ce changement a un petit coût budgétaire – assez marginal – puisqu'à l'école ils sont payés en tant qu'élèves, mais que l'indice budgétaire est un peu supérieur lorsqu'ils deviennent stagiaires. Il ne s'agit donc pas de réaliser des économies.

Par ailleurs, nous sommes dans une phase opérationnelle de définition avant mise en oeuvre de ce que l'on appelle des apprentissages partagés, sujet qui n'est pas totalement consensuel, mais assez majoritairement partagé. Il s'agirait de rassembler, en début de scolarité, des élèves gardiens de la paix, des élèves commissaires et des élèves officiers pendant quatre semaines, quels que soient ensuite leur destin professionnel et la scolarité que chacun suivra, afin qu'ils apprennent ensemble les valeurs de la police nationale et de la République et certains gestes techniques de base qui seront évidemment développés ensuite au cours de la scolarité. Il n'est pas facile de concrétiser ce projet, car les durées de scolarité et les calendriers d'entrée à l'école ne sont pas les mêmes. Nous réfléchissons actuellement à faire converger toutes les entrées à l'école, quel que soit le grade, au 1er septembre, afin que les élèves gardiens de la paix, les élèves commissaires et les élèves officiers puissent partager pendant un mois ce que les militaires appelleraient une période de classes. Cela nous semble important pour la cohésion, avec une arrière-pensée en termes de management des cadres en particulier.

Mme Poueyto m'a interrogé sur la pratique et la théorie. J'ai été effectivement en administration territoriale dans le très beau département des Pyrénées-Atlantiques. Je suis même venu à deux reprises dans les Pyrénées-Atlantiques, d'abord comme sous-préfet de Bayonne puis comme préfet à Pau. Il est important pour un directeur général de la police nationale d'avoir été au contact des réalités opérationnelles du terrain. J'ai eu la double chance de le faire en administration territoriale et à la préfecture de police qui est une grande et belle maison dont nous aurions pu parler, notamment en termes de réforme de la police nationale incluant la préfecture de police. Et j'ai également été en cabinet ministériel. Tous ces éléments font que je parle de ce que je commence à connaître un peu.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite revenir sur la question des heures supplémentaires, sujet extrêmement important pour tous les fonctionnaires de police. À combien estimez-vous le stock d'heures supplémentaires accumulées, et comment comptez-vous le résorber, tout en limitant la perte opérationnelle liée aux récupérations ?

Permalien
éric Morvan, directeur général de la police nationale

C'est un vaste et coûteux sujet.

Le stock d'heures supplémentaires dans la police nationale est de 23 à 24 millions. Si nous devions les défrayer instantanément et dans leur globalité, cela représenterait un coût de 280 millions d'euros environ, ce qui est budgétairement insupportable. En tout cas, nous n'avons pas les ressources inscrites pour le faire.

L'idée n'est pas de défrayer toutes ces heures supplémentaires, pour deux raisons. D'abord, elles doivent donner lieu à une prise en temps pour des questions de repos ou de respiration physiologique. Ensuite, parce que les fonctionnaires de police souhaitent conserver un petit matelas de sécurité, d'une centaine d'heures au moins, et de puiser dans ce stock pour régler des problèmes liés à leur vie personnelle, ce que tout un chacun peut comprendre tant ce métier est mobilisateur et la charge opérationnelle rude – sans compter qu'ils font souvent l'objet de rappels dans les temps que nous connaissons.

C'est un sujet d'actualité puisque, comme vous le savez, le ministre de l'intérieur a signé, avec les trois organisations représentatives du corps d'encadrement et d'application, c'est-à-dire les syndicats de gardiens et de gradés, un protocole d'accord qui inscrit noir sur blanc, pour la première fois, le terme d'heures supplémentaires, et ouvre la possibilité d'un défraiement de ces heures, sous la condition de parvenir, d'ici à la fin du premier semestre, à un accord global sur le temps de travail, les cycles horaires etc. Nous y travaillons, éclairés par le rapport de l'IGPN, avec l'idée de déterminer les conditions de défraiement de ces heures en termes de valeur budgétaire et d'indiquer ou de poser les règles qui permettront aux fonctionnaires de conserver un matelas d'heures pour les raisons d'organisation de leur vie personnelle que je viens d'évoquer. Cet élément doit être réglé dans le cadre d'un dialogue social, certains fonctionnaires de la police nationale ayant pu accumuler au cours de leur carrière – les cas sont rares mais ils existent – jusqu'à deux, trois ou quatre ans d'heures supplémentaires. Autrement dit, ces personnels peuvent quitter leur service quatre ans avant leur retraite tout en étant rémunérés comme s'ils étaient en activité et en occupant leur poste budgétaire. Ce sont des excès auxquels il faut mettre un terme, tout en acceptant la possibilité qu'ils conservent ce petit matelas dont je parlais à l'instant.

L'autre question à régler, dans le cadre du dialogue, c'est la manière dont nous allons gérer le flux dans les années futures. Si nous revenons devant votre commission dans dix ans parce que nous n'aurons pas mis en place un mécanisme qui aura permis d'éviter de reconstituer ce stock dans le temps, cela signifiera que nous aurons fait une politique de gribouille. Nous sommes en train de réfléchir aux mécanismes que nous devrons financer chaque année pour éviter la reconstitution progressive de ce stock. Les grandes options devront aboutir à une convergence entre les organisations syndicales et l'administration à la fin du semestre. Si l'on peut parvenir, au-delà de la convergence, à une identité de vues, le directeur général de la police nationale en sera encore plus satisfait.

L'audition s'achève à quinze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 14 heures

Présents. - M. Xavier Batut, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, M. Olivier Gaillard, M. Denis Masséglia, M. Christophe Naegelen, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon

Excusés. - M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Brigitte Kuster