Intervention de éric Morvan

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

éric Morvan, directeur général de la police nationale :

Précisément par pragmatisme, je serais plutôt partisan de ne pas étendre le champ des délits forfaitisés tant que nous n'aurons pas démontré ce que nous sommes capables de faire avec les outils aujourd'hui à notre disposition. La forfaitisation, cela ne veut pas dire la possibilité de manier nous-mêmes de l'argent sur la voie publique. Cela implique un certain nombre de procédures, même très allégées. Je voudrais être complètement persuadé que nous saurons gérer avec toute l'efficience requise la forfaitisation des délits telle que la loi la permet aujourd'hui avant d'étendre le champ d'application de cette forfaitisation.

Avec les effectifs de 2010, la face de l'ordre public aurait-elle été changée ? La réponse est affirmative en ce qui concerne la fatigue et la capacité de mieux utiliser les forces. La diminution des effectifs des CRS a conduit non pas à diminuer le nombre de compagnies mais à en réduire le format interne. Cela a conduit à abaisser de quatre à trois le nombre de sections qui composent une compagnie – qui ne sont donc pas sécables.

Dans ces conditions, pour obtenir un résultat comparable, un préfet confronté à un problème d'ordre public n'hésitera pas aujourd'hui, compte tenu de la configuration des lieux, des cortèges déclarés qu'il devra gérer, à demander deux compagnies quand une compagnie de quatre sections comme antérieurement aurait suffi. Nous perdons donc en agilité opérationnelle sur le terrain, et cela entraîne une sorte de surconsommation en nombre de compagnies. La baisse des effectifs, en ce qu'elle a diminué le nombre de sections par compagnie, n'est donc pas neutre. Cela étant, compte tenu de ce que nous avons vu, entre déferlement de violences et « instantanéité » des manifestations, le taux d'emploi aurait de toute manière été très élevé – sans doute avec une agilité opérationnelle plus importante.

Je me permets une petite parenthèse. Le Premier ministre a annoncé, dès le début du mois de janvier, un schéma national de maintien de l'ordre, et nous y travaillons d'arrache-pied avec nos camarades de la gendarmerie, avec la préfecture de police et, évidemment, avec le cabinet du ministre. J'insiste bien : nous travaillons sur un « schéma national ».

Il y a parfois des confusions de vocabulaire, et j'entends souvent que nous allons faire changer ou évoluer la doctrine du maintien de l'ordre à la française, mais, à ce stade, il n'est pas question de la changer. Le principe cardinal, arrêté depuis longtemps, d'une distanciation entre les manifestants et les forces de l'ordre ne me paraît pas remis en cause. D'ailleurs, beaucoup de polices étrangères sont intéressées par la position qui est la nôtre, par rapport à d'autres techniques de maintien de l'ordre. Certains ne répugnent pas du tout à pratiquer le contact direct, y compris dans des pays très proches, et – puisque tout passe par les images – cela ne fait pas de belles images. Les images du maintien de l'ordre sont rarement belles, mais je peux vous dire que les images de maintien de l'ordre avec du contact systématique et direct sont vraiment pénibles.

Se poser la question en termes de schéma national par rapport à l'évolution des troubles à l'ordre public tels qu'on les connaît en France et ailleurs présente une vertu. En France, notre tactique se fonde très largement sur le fait que les manifestations sont déclarées – par des organismes, syndicats, partis politiques, associations de droit ou de fait qui ont pignon sur rue et dont les responsables sont connus. Il est de tradition, dans certaines villes, de ne pas déclarer les manifestations – je parle non pas de Paris, où la tradition est au contraire de déclarer, mais de Marseille –. C'est ainsi, et l'absence de déclaration formelle ne signifie pas qu'il n'y a pas de contacts informels entre les autorités et les organisateurs. Nous avions donc en quelque sorte des organisateurs identifiés, des services d'ordre interne constitués, une temporalité et un calendrier qui nous permettaient d'anticiper, notamment d'anticiper le positionnement de forces mobiles au bon endroit au bon moment. Tout cela vole en éclats aujourd'hui puisque n'importe quel personnage dont la popularité peut-être « boostée » par des émissions de télévision avides de sensationnel est capable, désormais, grâce aux réseaux sociaux, de convoquer 3 000, 4 000, 5 000 personnes en tout point du territoire, et, pire, de convoquer des manifestations de manière virale sur l'ensemble du territoire. C'est notre difficulté actuelle. Nous avons des manifestations au même moment, au même endroit, sur l'ensemble du territoire. L'instantanéité des réseaux sociaux met à mal notre modèle, notamment en termes d'anticipation.

Le schéma national du maintien de l'ordre aura donc une immense vertu car il prendra en compte la mutation que constituent ces faits pouvant causer des troubles graves à l'ordre public.

Nous ne nous situons plus du tout dans les schémas traditionnels dont je parlais tout à l'heure, mais dans des chemins nouveaux qu'il faut prendre en compte. À cette fin, on ne va certainement pas décider de multiplier par deux le nombre de compagnies républicaines de sécurité et d'escadrons de gendarmerie mobile ; cela n'aurait aucun sens.

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