En premier lieu, je répondrai à la question de M. Bouchet sur les zones de non-droit et la façon dont on peut « gagner la guerre ».
Ma conviction profonde est que la politique de la ville, appelons-la ainsi, ne sera pas gagnée par la police nationale. J'enfonce une porte ouverte en disant cela, mais ne mettons pas sur le seul dos de la police nationale la responsabilité du succès ou du moindre succès de ces politiques complexes, qui interrogent aussi la sphère de l'éducation, du logement et tout simplement du travail.
Cela étant, lorsqu'une économie souterraine se développe, sous-tendue par un trafic de stupéfiants, et qu'il est bien plus rémunérateur et moins fatigant, quoique bien plus dangereux, de s'y livrer que d'aller travailler, on est au début de la déstructuration du tissu social. C'est en cela que je disais que le trafic de stupéfiants était une gangrène aussi puissante que le terrorisme ou le communautarisme fondamentaliste, qui eux aussi déstructurent des sociétés entières. Gagner cette guerre appelle un travail interministériel puissant, et la police nationale a sa part dans cette oeuvre, et fait preuve d'un engagement très fort quartier par quartier.
S'agissant de la police de sécurité du quotidien, elle représente un sigle de moins en moins apprécié à la DGPN, précisément pour les raisons que je viens d'évoquer. Il ne s'agit pas des termes « sécurité du quotidien », que nous adorons, mais de l'expression « police de sécurité du quotidien » qui sous-tendrait que la sécurité du quotidien n'est qu'une affaire de police. Or, ce n'est hélas pas le cas. Pour conserver l'acronyme PSQ, désormais installé dans les esprits, je préfère parler de politique de sécurité du quotidien, au sein de laquelle la police a évidemment toute sa place. Ce en quoi nous croyons, c'est un partenariat opérationnel contractualisé. Le partenariat entre l'État, les bailleurs sociaux, l'éducation nationale, les transporteurs, les élus locaux, les associations de commerçants et les travailleurs sociaux est très important, et n'est pas une découverte récente. Mais il avait tendance à s'institutionnaliser et à entrer dans une sorte de ritualisation qui lui faisait perdre en efficacité.
Ce que nous souhaitons, à travers la politique de sécurité du quotidien, c'est que ce partenariat soit à l'aune de la circonscription de sécurité publique : pas à celle du département, mais du quartier ou des quartiers, formant une même circonscription de sécurité publique.
Il faut travailler sur la base d'objectifs contractualisés. Nous nous réunissons souvent, tous les quinze jours ou trois semaines, au bon niveau de décision, c'est-à-dire celui du chef de circonscription ou du responsable « police nationale » chargé du quartier, donc pas forcément son patron, avec tous ceux qui interviennent dans le quartier. Nous nous fixons des objectifs extrêmement précis, qui peuvent paraître simplistes : l'éclairage public qui ne fonctionne pas, les poubelles qui sont mal ramassées, les voitures « ventouses » ou les épaves, les garages de trottoir, les rodéos, les appartements servant de « nourrice » au trafic de stupéfiant et le rôle des bailleurs sociaux, même s'ils n'osent pas toujours déclencher des procédures d'expulsion.
C'est tout cela qui fait que nous devons tous travailler ensemble au même moment et tirer dans le même sens – mais, encore une fois, sur la base de contrats opérationnels, dans lesquels la police a sa part, certes, mais tous les autres aussi. Lorsque je dis « opérationnel », cela signifie que nous nous revoyons dans quinze jours, et que tel ou tel problème aura été réglé ; et surtout, nous étudions ceux qui n'ont pas pu l'être et qu'elle a été la raison de ces échecs.
Il y a une autre dimension, des secteurs où nous n'en sommes déjà plus là, ce que vous avez appelé des zones de non-droit, terme avec lequel la police nationale a toujours du mal. Dans ces endroits où l'on a déjà basculé, nous n'y arriverons pas avec de la contractualisation opérationnelle telle que je l'ai décrite. Comme pour une tôle corrodée, il faut les remettre à nu et passer la sableuse, si vous m'autorisez ce terme de mécanique. Nous n'y arriverons pas sans intervention puissante de la force publique ; de ce point de vue, nous allons reparler des compagnies républicaines de sécurité CRS. Bien entendu, leur coeur de métier est et restera l'ordre public, mais elles ne font pas que cela, elles ont su s'adapter à la menace terroriste ainsi qu'aux missions d'intervention et de sécurisation des quartiers difficiles en appui des forces de sécurité publique.
Nous ne parviendrons pas à faire du bon travail dans certains quartiers sans l'appui des compagnies républicaines de sécurité, car elles interviennent de manière plus offensive. Et je me dois de vous dire que la charge opérationnelle qui pèse depuis quelque temps sur elles, sans compter ce que nous appelons les missions permanentes de lutte contre l'immigration clandestine qui mobilisent des effectifs à Calais, Vintimille ou Biriatou, font que nous notons, pour le regretter, que les forces qui sont consacrées à l'ordre public ne sont plus mobilisables pour le plan national de sécurisation renforcée (PNSR) qui nous permet d'envoyer des compagnies républicaines de sécurité dans des quartiers difficiles pour qu'elles puissent y imprimer leur marque. Or, sans leur appui, nous aurons des difficultés à être vraiment efficaces dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR). Il faut que l'on travaille, et c'est heureusement déjà le cas en matière de stupéfiants, à réduire le phénomène de « tuyaux d'orgue » qui a pu exister par le passé – c'est moins le cas aujourd'hui – entre sécurité publique et police judiciaire. C'est la coordination renforcée de la lutte contre les stupéfiants qui a permis de faire collaborer de manière opérationnelle et efficace ces deux directions, mais sans les compagnies républicaines de sécurité, on aura vraiment des difficultés à avancer lorsque la situation est dégradée.
Monsieur Bouchet, vous dites que les zones de non-droit sont un peu comme des quartiers perdus pour la République et qu'il faut les laisser à leur néant. Je ne partage pas votre vision des choses. Je n'imagine pas que la République puisse admettre l'existence de territoires perdus. De plus, n'oublions pas que si la plaie n'est pas soignée, elle finira par gangrener le membre tout entier. Il est donc nécessaire de reprendre pied, y compris dans les zones de non-droit, que nous n'abandonnons pas puisque les policiers y entrent, parfois au péril de leur vie car les confrontations peuvent être violentes. Il y a de nombreux blessés, y compris à l'occasion de guet-apens qui leur sont tendus. Nous veillons à ce qu'aucun territoire ne soit perdu, mais nous ne gagnerons pas tout seuls ce combat, terme que j'utilise à dessein.
Monsieur Pueyo, vous me demandez si le renseignement territorial est suffisamment efficace pour lutter contre le trafic de stupéfiants au regard des mutations successives qui ont eu lieu. Vous avez raison, le renseignement territorial a été profondément chahuté, à la suite de la réforme de 2008 qui avait prévu la disparition de la direction des renseignements généraux. Tout ce qui concernait la sécurité intérieure, le terrorisme a été transféré à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue depuis la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il est resté la sous-direction de l'information générale (SDIG), dont le champ de compétences était extrêmement réduit – phénomènes sociaux et hooliganisme notamment. Cette sous-direction n'avait même pas accès aux fichiers de police, car elle n'avait pas d'autorisation légale pour accéder à des traitements informatisés. Elle faisait tout de même son travail, mais dans un champ missionnel extrêmement réduit. S'agissant des phénomènes sociaux et de tout ce qui concourait aux violences urbaines, qui étaient quand même dans le champ de compétences de la SDIG, il y avait et il y a toujours une compétence en matière d'économie souterraine, pas au sens judiciaire du terme mais du renseignement.
Même s'il n'a pas encore atteint son altitude de croisière, le service central du renseignement territorial (SCRT) ne ressemble pas du tout à ce qu'était la SDIG. Des évolutions très importantes ont eu lieu, notamment en 2013 et 2014, et en 2015 avec la loi relative au renseignement, ce qui fait qu'aujourd'hui le SCRT est un service de renseignement de la communauté française du renseignement à part entière. Il a accès, grâce aux lois qui ont été votées, à des techniques de renseignement. C'est donc un service tout à fait armé tout en continuant sa mue. S'il n'est pas encore totalement adulte, on peut dire que c'est un grand adolescent et qu'il est de grande qualité.
L'économie souterraine fait bien partie, sous l'angle du renseignement, des missions du SCRT, s'agissant de la surveillance et de l'analyse des phénomènes dans les quartiers et des violences urbaines qui sont souvent sous-tendues.
Vous avez souligné que le trafic de stupéfiants ne concernait pas uniquement les grandes agglomérations, mais qu'il atteignait aussi les villes petites et moyennes. Vous avez parfaitement raison. On pense que le trafic de stupéfiants n'existe qu'à Marseille et en Seine-Saint-Denis, alors que des villes ou des quartiers entiers ont complètement basculé en une quinzaine d'années. Je prendrai l'exemple de quartiers de la ville de Nantes qui, il y a quinze ans, respiraient la douceur de vivre des grandes villes de l'ouest, mais dont la physionomie ressemble aujourd'hui à ce qui se passait dans les quartiers compliqués du Mirail, à Toulouse. C'est pourquoi j'ai répondu tout à l'heure qu'on ne pouvait pas laisser les zones de non-droit à leur triste sort. Ce ne serait pas en effet une bonne solution, puisque les trafiquants, en grands et bons entrepreneurs qu'ils sont, n'ont qu'une envie : augmenter leurs parts de marché. Aussi ne peut-on pas imaginer un seul instant que les choses resteraient cantonnées là où elles le sont.
Je pense que votre question sur la contraventionnalisation sous-tendait celle de la dépénalisation ou de la non-dépénalisation. Je suis un peu embarrassé pour vous répondre, car il y a des sommités et des gens très sérieux dans les deux camps. Je comprends d'ailleurs à quel point il est difficile pour ceux qui font la loi d'avoir un avis tranché sur la question.
À titre personnel, je ne suis pas un fervent défenseur de la dépénalisation, tout en ayant bien conscience de toutes les limites des politiques de prohibition au cours de l'histoire. Dans les pays qui ont dépénalisé, y compris ceux qui sont proches de nous ou qui ont un rapport un peu plus permissif avec les produits stupéfiants – je pense aux Pays-Bas –, la situation n'est pas très différente de la nôtre en termes de dégâts sur la santé publique ou la criminalité organisée.
Sur les réseaux sociaux, ce que je peux dire, c'est qu'une très grande attention est portée sur tout ce que l'on peut y voir. Il existe, au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) – M. Jérôme Bonet vous en donnera le détail – une sous-direction chargée de la cybercriminalité qui abrite notamment la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS), à partir de laquelle nous tentons d'identifier les adresses émettrices, quand c'est possible. Il y a, là aussi, une partie souterraine et il est difficile d'identifier des adresses émettrices, soit parce qu'elles sont abritées à l'étranger, soit à cause de rebonds techniques, et lorsqu'on les a localisées d'avoir une coopération technique avec certains pays.
S'agissant notamment des déferlements de haine ou des menaces qui sont proférés sur les réseaux sociaux, nous parvenons à identifier un certain nombre d'auteurs qui doivent ensuite rendre des comptes à la justice.
Vous m'avez interrogé également sur la réserve civile. La police et la gendarmerie n'ont pas la même histoire. La gendarmerie tire son avance évidente en matière de réserve de son histoire militaire, et elle n'aurait sans doute pas le même visage sans la réserve.
Dans la police nationale, le vivier qui est de 6 000 et non de 3 000 personnes comme cela a été dit, repose essentiellement sur de jeunes retraités de la police nationale. Ce n'est pas une réserve citoyenne, comme peut l'avoir constitué la gendarmerie, qui compte plus de 30 000 réservistes. Pour autant, la réserve de la police nationale, aussi modeste soit-elle, est un élément important dans le contrôle aux frontières ou la lutte contre l'immigration clandestine, ce qui n'est pas neutre actuellement, ou encore dans les centres de rétention administrative. Les réservistes n'ont pas le droit de participer à l'ordre public, dans le contexte actuel de contestation sociale qui a lieu chaque samedi. En revanche, ils sont utilisés au sein des services de police pour faire de l'accueil, ce qui libère des personnels d'active qui, eux, sont autorisés à faire de l'ordre public.
Les contraintes budgétaires qui sont les nôtres nous permettent d'avoir une réserve civile, de continuer à la faire vivre dans les limites que je viens d'indiquer, mais sans perspective d'augmentation massive du nombre de réservistes. J'ai même dit que nous avions des contraintes budgétaires, liées à la surconsommation de nos ressources les samedis, qui a un coût direct sur la masse salariale et les heures supplémentaires. Il faut en effet payer les indemnités de déplacement des compagnies républicaines de sécurité et leurs heures supplémentaires. Dans la police nationale seules les heures des compagnies républicaines de sécurité sont défrayées, les autres fonctionnaires voyant ces heures compensées ou pas. Si l'on était amené à réguler les dépenses du fait que c'est de l'argent public et que la planche à billets ne fonctionne plus depuis bien longtemps, voilà le type de levier qui serait à ma disposition, le reste étant essentiellement constitué d'indemnités statutaires sur lesquelles je n'ai pas de prise. C'est le cas aussi de mes amis gendarmes qui n'ont pas non plus tant de leviers de régulation de leurs dépenses. La réserve en est un pour eux, comme elle en est un pour moi. J'espère que nous n'en arriverons pas là et que nous pourrons mobiliser les réserves comme nous le faisons habituellement.
Il sera indispensable de développer la réserve citoyenne dans la police nationale parce que je suis intimement convaincu qu'on ne pourra pas s'inscrire dans une logique du « toujours plus ». On est dans une dynamique de ressources humaines plutôt positive avec ce plan des 10 000 dont je parlais tout à l'heure, qui fait que nous recrutons beaucoup. Mais il ne sera pas soutenable budgétairement de faire continuellement ce type d'effort. La réserve citoyenne est sans doute un bon moyen de réguler les pics saisonniers, certains événements ou des fonctions particulières. En tout cas, c'est comme cela que l'utilise la gendarmerie, et il n'y a aucune raison que nous n'en fassions pas autant. En ce qui concerne la politique de la sécurité du quotidien, nos délégués à la cohésion police-population dans les quartiers sont essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, des réservistes.
Nous ne pourrons pas continuer à augmenter indéfiniment nos emplois de titulaires. En revanche, une fois que nous aurons atteint le palier dans nos effectifs, la réserve civile constituera assurément, et plus encore si nous développons la réserve citoyenne, l'élément de souplesse dont nous aurons forcément besoin.
Madame Vanceunebrock-Mialon, vous m'avez interrogé sur la réduction des temps de formation. Actuellement, un gardien de la paix est formé en présentiel à l'école en un an, auquel s'ajoute un an de stage avant d'être titularisé. Sa formation est donc au total de deux ans. C'est dans cette même enveloppe de deux ans que nous nous inscrivons, et que la durée de présentiel à l'école serait raccourcie. Les chiffres que vous avez donnés tout à l'heure sont conformes à la réalité. La durée en présentiel pourrait être de l'ordre de huit mois et demi, et nous continuons à travailler, y compris sur les contenus. C'est la période de stage professionnalisante, si je puis dire, qui serait plus longue, puisque l'on reste bien dans une enveloppe totale de deux ans, avec le développement parallèle du tutorat au sein de la police nationale, notion que nous allons organiser par les textes, y compris dans son contenu.
Nous avons fait ce choix parce que, quand vous interrogez les élèves sur le contenu de la formation, ils formulent beaucoup de critiques. Actuellement, comme les candidats dans les écoles de gardien de la paix sont recrutés au niveau du baccalauréat – c'est un corps de catégorie B –, il n'est pas complètement stupide de reconsidérer la formation en présentiel et de densifier la formation professionnalisante dans les services eux-mêmes avec du tutorat, toujours dans la même période de deux ans qui ne sera pas modifiée. Ce changement a un petit coût budgétaire – assez marginal – puisqu'à l'école ils sont payés en tant qu'élèves, mais que l'indice budgétaire est un peu supérieur lorsqu'ils deviennent stagiaires. Il ne s'agit donc pas de réaliser des économies.
Par ailleurs, nous sommes dans une phase opérationnelle de définition avant mise en oeuvre de ce que l'on appelle des apprentissages partagés, sujet qui n'est pas totalement consensuel, mais assez majoritairement partagé. Il s'agirait de rassembler, en début de scolarité, des élèves gardiens de la paix, des élèves commissaires et des élèves officiers pendant quatre semaines, quels que soient ensuite leur destin professionnel et la scolarité que chacun suivra, afin qu'ils apprennent ensemble les valeurs de la police nationale et de la République et certains gestes techniques de base qui seront évidemment développés ensuite au cours de la scolarité. Il n'est pas facile de concrétiser ce projet, car les durées de scolarité et les calendriers d'entrée à l'école ne sont pas les mêmes. Nous réfléchissons actuellement à faire converger toutes les entrées à l'école, quel que soit le grade, au 1er septembre, afin que les élèves gardiens de la paix, les élèves commissaires et les élèves officiers puissent partager pendant un mois ce que les militaires appelleraient une période de classes. Cela nous semble important pour la cohésion, avec une arrière-pensée en termes de management des cadres en particulier.
Mme Poueyto m'a interrogé sur la pratique et la théorie. J'ai été effectivement en administration territoriale dans le très beau département des Pyrénées-Atlantiques. Je suis même venu à deux reprises dans les Pyrénées-Atlantiques, d'abord comme sous-préfet de Bayonne puis comme préfet à Pau. Il est important pour un directeur général de la police nationale d'avoir été au contact des réalités opérationnelles du terrain. J'ai eu la double chance de le faire en administration territoriale et à la préfecture de police qui est une grande et belle maison dont nous aurions pu parler, notamment en termes de réforme de la police nationale incluant la préfecture de police. Et j'ai également été en cabinet ministériel. Tous ces éléments font que je parle de ce que je commence à connaître un peu.