Intervention de Philippe Latombe

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Latombe, rapporteur :

C'est une proposition de loi à l'objet bien délimité que le groupe MODEM et apparentés a fait le choix d'inscrire à l'ordre du jour de sa journée réservée. C'est aussi un texte qui se veut consensuel parmi les parlementaires : il l'a été au Sénat et, à quelques exceptions près, j'espère qu'il le sera également à l'Assemblée nationale.

La proposition de loi traite des entreprises publiques locales (EPL). Pour la mise en oeuvre de leurs compétences, les collectivités territoriales peuvent recourir à différents modes de gestion du service public. Elles peuvent faire le choix de la régie directe, confier l'exécution au privé dans le cadre d'une concession, ou encore recourir à des EPL dont elles contrôlent tout ou partie du capital. On parlera de sociétés publiques locales (SPL) dans le premier cas et de sociétés d'économie mixte (SEM) dans le second.

Ces EPL sont aussi le moyen de constituer un opérateur unique pour des activités qui entrent dans le périmètre de plusieurs collectivités. Il se peut, en effet, qu'une compétence soit détenue à tous les niveaux : c'est par exemple le cas de la promotion touristique. Il se peut aussi qu'une compétence soit fragmentée entre les différents niveaux de collectivités : on peut penser aux différents modes de transport ou à la gestion complète du cycle de l'eau.

Au 1er juin 2018, la France comptait 1 300 EPL en activité, dont 925 SEM, 16 sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP) et 359 SPL. On dénombrait soixante-sept créations au cours de l'année précédente et cent soixante-six projets en cours. Le secteur emploie 65 300 personnes pour un chiffre d'affaires de 13,9 milliards d'euros. C'est donc un outil qui fonctionne. On le retrouve d'ailleurs dans la plupart des États européens.

La proposition de loi que nous examinons fait suite à une jurisprudence récente du Conseil d'État. La loi qui régit les EPL comporte une ambiguïté depuis l'origine. Pour qu'une collectivité territoriale soit actionnaire d'une EPL, faut-il qu'elle détienne l'ensemble des compétences couvertes par l'objet social de l'entreprise, ou une partie de ces compétences seulement ? Les juridictions administratives se sont opposées avec des décisions contradictoires pendant plusieurs années. Finalement, le Conseil d'État a tranché le 14 novembre dernier en faveur de la solution la plus stricte : il faut, selon le juge, qu'une collectivité détienne toutes les compétences que met en oeuvre une EPL pour y investir valablement.

Cette solution jurisprudentielle porte un coup dur au développement des EPL et à leur financement, comme l'a indiqué en audition la Caisse des dépôts et consignation (CDC). De plus, elle met en question la démarche partenariale qui avait présidé aux actions des collectivités depuis des années. Elle pose également des problèmes pratiques : si des collectivités sont contraintes à des cessions forcées, qui sera désigné acheteur forcé, sinon d'autres collectivités ? Et à quel prix ?

La proposition de loi adoptée par le Sénat a été déposée à l'initiative du sénateur Hervé Marseille et de plusieurs de ses collègues de différents groupes politiques. Elle n'a qu'un objectif : renverser la position du Conseil d'État et faire prévaloir l'interprétation souple à laquelle s'étaient tenues plusieurs cours administratives d'appel. Il est donc précisé que les collectivités qui interviennent dans une EPL doivent le faire au titre d'une des compétences qui leur est octroyée par la loi. Si une EPL mène plusieurs activités, celles-ci doivent répondre à une condition de complémentarité.

Après avoir entendu les différentes parties prenantes, je vous recommanderai l'adoption de ce texte en des termes identiques à ceux retenus par le Sénat : l'application stricte de la position sans nuance du Conseil d'État menacerait clairement la bonne marche des services publics dans les territoires et soulèverait des problèmes considérables de cession capitalistique.

Je dois signaler à la Commission que le Gouvernement avait émis plusieurs réserves au Sénat, que je trouve pertinentes.

En premier lieu, il convient qu'une EPL ne puisse poursuivre une compétence que ne détient aucune des collectivités actionnaires. Je considère que la rédaction qui nous est soumise le prévoit expressément.

En second lieu, le mécanisme que nous adoptons ne doit pas donner lieu à des abus de droit, à des détournements qui permettraient à une collectivité de financer 90 % d'une EPL alors que ses compétences ne seraient que marginalement couvertes par l'action de cette dernière. Je crois qu'il s'agit là d'une règle évidente qui n'a pas besoin d'être répétée : les EPL ne sont pas un moyen de revenir subrepticement sur la répartition des compétences.

En troisième lieu, divers rapports ont formulé récemment des préconisations en faveur d'une modernisation du statut des EPL. J'y suis très favorable. Mais je constate que la Cour des comptes remettra très bientôt une étude en ce sens à la commission des Finances, que la fédération des EPL travaille de son côté à un Livre blanc de propositions, enfin que les amendements qui transcriraient ces évolutions restent à écrire et, le cas échéant, à soumettre au Conseil d'État. Par ailleurs, je rappelle l'objet limité de cette proposition de loi, corollaire de son inscription dans une niche parlementaire : elle n'a pas vocation à grossir de plusieurs dizaines d'articles. Je m'en remettrai donc au Gouvernement pour synthétiser les points de vue, dans la concertation, en vue du dépôt d'un projet de loi dans les mois qui viennent.

Voilà, mes chers collègues, les raisons qui me poussent à soutenir en l'état cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.