Intervention de Erwan Balanant

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 21h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant, rapporteur :

Le 16 avril dernier, à la majorité écrasante de 571 voix contre 60, le Parlement européen adoptait une résolution législative sur la proposition de règlement relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques. Cette proposition de règlement, qui couronne un combat politique et associatif acharné, interdit, à compter du 1er juillet 2021, la pêche électrique dans l'ensemble des eaux de l'Union européenne.

Il était temps ! La Chine, les États-Unis, le Brésil, la Russie et de très nombreux autres pays ont, en effet, depuis bien longtemps interdit cette méthode de pêche dévastatrice. L'Union européenne avait fait de même dès 1998, avant, en 2007, d'autoriser cette technique de manière exceptionnelle et très encadrée. Ainsi, dans chaque État membre, 5 % seulement de la flotte de chalutiers à perche peuvent être équipés d'électrodes pour pêcher dans une zone strictement délimitée située au sud de la mer du Nord. Or, le régime de l'exception a été très largement outrepassé, puisque 84 navires néerlandais ont été équipés d'électrodes alors que la réglementation n'en autorisait que quatorze.

Il était temps, car un combat associatif et politique de plusieurs années, dont le Parlement français a pris sa part, a été nécessaire pour obtenir enfin cette interdiction. Dès février 2017, la ministre de l'environnement avait demandé un moratoire européen sur la pêche électrique. En octobre 2017, l'association Bloom portait plainte contre les Pays-Bas pour délivrance de licences de pêche électrique illégales. En janvier 2018, paraissait dans le journal Le Monde une tribune signée par 249 députés réclamant l'interdiction de « cette pratique qui fait honte à l'Europe et nous décrédibilise sur la scène internationale ». Le 6 mars 2018, nous adoptions à l'unanimité la proposition de résolution européenne de notre collègue Joachim Son Forget relative à l'interdiction de la pêche électrique après que le Parlement européen se fut prononcé dans le même sens le 16 janvier 2018.

Il était temps, car si tant de pays avant nous ont interdit la pêche électrique, c'est parce qu'elle détruit de manière dramatique l'environnement marin. Cette technique d'une violence inouïe consiste en effet à remplacer les chaînes des chaluts à perche par des électrodes afin de faciliter, en les débusquant à l'aide de décharges électriques envoyées dans la couche sédimentaire des fonds marins, la capture de poissons plats tels que la sole, la plie ou la limande. Le courant impulsionnel bipolaire utilisé provoque de telles convulsions que 50 % à 70 % des cabillauds de grande taille ainsi pêchés présentent une fracture de la colonne vertébrale. La méthode est, certes, très efficace et très rentable, mais elle n'est absolument pas sélective et contribue à la destruction de l'ensemble des écosystèmes qu'elle électrocute. Elle favorise également la surpêche et n'est donc absolument pas durable. En détruisant la ressource sans lui laisser le temps de se reconstituer, les pêcheurs qui la pratiquent scient la branche sur laquelle ils sont assis. À preuve, les pêcheurs néerlandais ne parviennent plus à pêcher les quotas qui leur sont attribués. Les poissons issus de la pêche électrique sont, en outre, d'une qualité médiocre. Ainsi, 260 chefs cuisiniers issus de 21 pays ont signé, en janvier 2018, une tribune dans laquelle ils écrivaient : « Les chalutiers électriques produisent des captures d'une qualité déplorable, stressées et souvent marquées d'hématomes consécutifs à l'électrocution. Les poissons sont de si mauvaise qualité qu'on ne peut rien en faire ».

Mais les conséquences de la pêche électrique ne nuisent pas seulement à l'écosystème marin ; elles affectent également les pêcheurs français et, plus particulièrement, la pêche artisanale. Je rappelle qu'aucun bateau sous pavillon français n'est équipé d'électrodes. Les pêcheurs français subissent donc, du fait de la radicale efficacité des chalutiers électriques, une concurrence déloyale aux conséquences sociales et économiques tragiques. Les pêcheurs des Hauts-de-France ont ainsi constaté une diminution drastique des stocks de soles qui leur sont accessibles : en 2008, 706 tonnes de ce poisson étaient débarquées à la criée de Boulogne-sur-Mer, contre un peu moins de 213 tonnes en 2018… La pêche électrique est en effet pratiquée par des navires très mobiles qui vident une zone et s'en vont pêcher plus loin, tandis que la pêche artisanale est le fait de pêcheurs qui, attachés à un territoire et équipés de navires de petite taille, ne peuvent pas s'éloigner des côtes. Ils se retrouvent donc face à un véritable « cimetière de poissons ».

La question de la pêche électrique nous invite à poser le premier jalon d'une réflexion plus vaste sur le modèle de pêche et de gouvernance du secteur que nous souhaitons pour l'avenir. Je suis évidemment de ceux qui pensent qu'il faut absolument protéger une pêche à taille humaine, ancrée dans une économie territoriale et créatrice d'emplois. J'espère que la mission d'information sur la pêche, créée en février dernier au sein de cette commission et dont je salue la rapporteure, Mme Annaïg Le Meur, le président, M. Sébastien Jumel, et le vice-président, M. Daniel Fasquelle, permettra d'approfondir cette réflexion.

Il était temps, disais-je en introduction, d'interdire la pêche électrique dans les eaux européennes. Pourtant, la date retenue, le 1er juillet 2021, n'est pas satisfaisante. Elle est en effet le fruit d'un compromis politique qui tient davantage compte d'intérêts économiques et industriels que de l'urgence environnementale. La proposition de règlement européen adoptée le 16 avril dernier nous offre cependant la possibilité d'interdire, dès l'entrée en vigueur du règlement, cette technique de pêche dans nos eaux territoriales. Elle prévoit, en effet, au quatrième paragraphe de la partie D de son annexe V, que « jusqu'au 30 juin 2021, dans les eaux situées à moins de 12 milles marins des lignes de base relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction, les États membres peuvent prendre des mesures non discriminatoires pour limiter ou interdire l'utilisation du chalut associé au courant électrique impulsionnel ». C'est ce que je vous invite à faire en votant cette proposition de loi, afin de protéger, et l'environnement et nos marins pêcheurs.

Il me semble important d'inscrire cette interdiction dans la loi, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il ne faut pas considérer cette décision comme une simple « mesure technique relative aux engins de pêche ». J'ai en effet souligné la gravité des dommages que la pêche électrique causait à l'environnement et aux pêcheurs français. L'importance sociale, économique et environnementale de cette interdiction rend donc nécessaire son inscription dans le marbre de la loi.

Ensuite, la discussion de cette proposition de loi – et, je l'espère, son adoption – s'inscrivent dans le prolongement de l'engagement de notre assemblée contre la pêche électrique et concluent un mouvement politique fort et unanime.

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