Intervention de Didier Lesueur

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 9h20
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS :

Je souhaiterais pour ma part insister sur quelques points. D'abord, souvent, les médias n'évoquent la protection de l'enfance qu'au travers les échecs ; Jean-Louis Sanchez l'a évoqué tout à l'heure.

Ensuite, un chiffre est inquiétant : c'est le nombre de jeunes qui ont eu un parcours en aide sociale à l'enfance et qui sont sans domicile fixe (SDF). C'est une réalité qui ne devrait pas biaiser la réalité, si je puis m'exprimer ainsi. Ces jeunes sont sans aucun doute ceux qui sont les plus fracassés, et témoignent de ce que le parcours a commencé trop tardivement, qu'il n'était pas adapté ou encore, hypothèse plus minoritaire, qu'il n'était pas suffisamment protecteur. Deux questions majeures ressortent de ce constat : d'une part, la prévention, et, d'autre part, l'évolution de la protection.

Depuis la décentralisation, les départements se sont calés sur les orientations qui avaient été impulsées par l'État – je pense aux rapports Dupont-Fauville en 1972 et Bianco-Lamy en 1980 –, quand celui-ci a commencé à diminuer le nombre d'enfants placés. Ainsi, après la décentralisation, nous avons assisté à une diminution du nombre d'enfants placés et, corrélativement, à une augmentation du nombre d'enfants suivis en milieu ouvert. Aujourd'hui, le nombre d'enfants suivis est à peu près le même qu'en 1984, sauf que le nombre d'enfants placés est le même que celui des enfants faisant l'objet d'une AEMO.

Par ailleurs, aucun schéma de l'enfance des départements ne commence par le postulat suivant : la priorité est la prévention. Et depuis 1998, parmi les dépenses départementales d'action sociale, inexorablement, la part de l'hébergement ne cesse d'augmenter. Elle était de 78 % en 1998, et de 84 % en 2017. De sorte que les autres dépenses d'aide sociale à l'enfance, à savoir le soutien en milieu ouvert et la prévention, n'augmentent pas, voire diminuent.

De ce constat découle une autre question, qui est celle du contenu de la prise en charge. Finalement, n'y a-t-il pas eu un glissement dans l'accueil des enfants ? Ce que j'appelle une « sanitarisation » de l'accueil. Jean-Louis Sanchez l'a évoqué : quand un enfant est accueilli dans une structure collective, comment peut-on l'éduquer si les activités quotidiennes ne sont pas accessibles – cuisine, ménage, etc. – pour des raisons de normes ?

Il pourrait nous être rétorqué : priorité à l'accueil familial. Peut-être, mais si l'accueil familial a été une impulsion légitime pour favoriser les droits des professionnels, la question de l'organisation, de l'équilibre entre les droits des professionnels et l'intérêt des enfants, doit être posée. Par exemple, alors que l'enfant a un droit à congé, nombreux sont ceux qui doivent être déplacés de la famille d'accueil lors des temps de forts de celle-ci – et notamment pour les vacances.

S'agissant de l'AEMO, le contact singulier entre un éducateur et l'enfant est de deux heures par mois. Que peut-il se passer en deux heures par mois ? Nous savons bien que les services essaient de prioriser les situations les plus lourdes et de contrebalancer cette réalité, mais celle-ci est tellement têtue, que l'AEMO renforcée a été créée – un dispositif beaucoup plus intensif.

Nous allons d'ailleurs expertiser une initiative prise en Haute-Savoie, qui consiste en de l'AEMO avec hébergement, avec l'association Recherche, éducation, territoires, interventions, sociabilités (RETIS). Ce dispositif fonctionne six jours sur sept, avec une astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, toute la semaine, et donc la possibilité d'intervenir au moindre problème et d'extraire, le cas échéant, un enfant pour le protéger.

Certes, un tel dispositif coûte quatre à cinq fois plus cher que l'AEMO traditionnelle, mais peut-être est-il temps de la faire évoluer. Car on se rassure à bon compte, alors que nous savons tous que les limites que je viens d'évoquer ne permettent pas de traiter réellement les questions.

Je conclurai sur la prévention. Notre problème, en France, est que nous voulons traiter celle-ci comme un dispositif, alors qu'elle est un état d'esprit. C'est donc un autre type de rapport qu'il convient d'entretenir avec nos concitoyens.

Dans un dispositif, nous sommes, vis-à-vis de nos concitoyens, dans une logique reposant sur le fait de leur apporter quelque chose, soit avec leur accord, soit par la contrainte. Telle est bien la particularité de l'intervention en matière d'aide sociale à l'enfance, la majorité des situations relevant d'une décision judiciaire. Et même lorsqu'elles relèvent d'un cadre administratif, les familles, si elles ne s'y plient pas, risquent de comparaître devant le juge.

Or pour faire de la prévention, il est nécessaire de créer un tout autre type de rapport avec les familles. La logique de développement social consiste à créer un environnement plus favorable à l'éducation des enfants, avec les parents. Il s'agit d'une toute autre posture pour les professionnels et l'environnement.

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