Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 9h20

Résumé de la réunion

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  • ODAS
  • enfance
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 18 avril 2019

La séance est ouverte à neuf heures vingt.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je vous prie de bien vouloir excuser nos collègues : le Parlement a suspendu ses travaux pour deux semaines, nous sommes donc en nombre réduit. Néanmoins, compte tenu du délai restreint qui nous a été accordé pour mener cette mission, nous avons décidé de continuer nos auditions pendant cette suspension.

Mes chers collègues, nous consacrons notre matinée à une série de trois auditions institutionnelles, au cours desquelles nous entendrons, successivement, les représentants de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS), du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Pour l'ODAS, nous accueillons M. Jean-Louis Sanchez, délégué général, et M. Didier Lesueur, directeur général.

Monsieur Sanchez, vous êtes le fondateur de l'ODAS, et vous avez développé toute une série d'actions et de réflexions pour donner une traduction sociale concrète aux notions de fraternité et de solidarité. C'est donc très naturellement que l'ODAS s'est préoccupé du sort des enfants en danger et pris en charge par les services de l'aide sociale.

Messieurs, je propose de vous laisser la parole pour une présentation des missions de l'ODAS, en nous faisant part, plus spécifiquement, de vos observations sur les modes de fonctionnement des services de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Puis nous engagerons la discussion.

Je vous rappelle que nos auditions sont publiques et retransmises sur le site de l'Assemblée.

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Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS)

Nous sommes très heureux d'être parmi vous et de constater l'intérêt que le Parlement – le Sénat ayant également travaillé sur ce sujet – et le Gouvernement, qui a nommé un secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, accordent à la protection de l'enfance. En effet, si Mme Rossignol a été une ministre très impliquée sur cette question, celle-ci a jusqu'ici suscité un intérêt moindre.

Il est vrai aussi que plusieurs films récents ont appelé notre attention à tous sur un certain nombre de dysfonctionnements. Hier soir, inspiré par ma venue devant votre mission d'information, j'ai regardé le film Pupille, qui donne une autre image de l'aide sociale à l'enfance. C'est un film sympathique qui reflète bien le dévouement des personnels.

L'ODAS a été créé en 1990, et l'Assemblée nationale y est pour beaucoup. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales était à l'époque présidée par Jean-Michel Belorgey, un passionné du social, et la commission des affaires sociales du Sénat par Jean-Pierre Fourcade, un passionné, lui, de l'évaluation. Ces deux passions ont été à l'origine de la création de l'Observatoire. Je travaillais avec ces deux parlementaires pour représenter les cadres territoriaux sur le revenu minimum d'insertion (RMI), et nous constations ensemble l'absence d'information stratégique et la nécessité de créer un observatoire dont la mission première serait de créer un lien entre connaissance et décision.

Nous avons choisi volontairement la voie associative pour être à égale distance de l'État, des collectivités locales et du mouvement associatif. En choisissant une voie plus sécurisante, nous aurions été plus facilement instrumentalisés par l'État, ce que nous ne souhaitions pas, ne serait-ce que pour conserver notre image de transparence et de neutralité, et pour recueillir davantage d'informations quantitatives et qualitatives auprès des collectivités locales.

L'aventure a commencé en 1990, avec l'installation d'un conseil d'orientation composé de personnalités parmi les plus éminentes dans le secteur de la solidarité – Bertrand Fragonard, Michel Thierry – et le souci de s'inscrire dans une démarche d'analyse critique et objective.

Trois ans après la création de l'ODAS, une mission interministérielle, composée de tous les grands ministères en charge de la protection de l'enfance, nous a confié la tâche d'observer l'évolution des publics – je dis bien « des publics » –, une tâche que personne, aujourd'hui, n'effectue. Y a-t-il plus d'enfants en danger ? Y en a-t-il moins ? Le contexte économique, social, mais aussi familial, la précarité des relations sociales, la crise identitaire, la crise des valeurs, influent-ils ou non sur l'évolution du nombre d'enfants en danger ?

Durant une dizaine d'années, nous avons pu observer les publics. Nous avons alors demandé aux départements de travailler très activement leurs signalements – la définition du signalement était alors bien plus précise qu'une simple information « préoccupante ».

Ainsi avons-nous réussi, grâce à la complicité des départements, mais aussi à un travail constant et pédagogique auprès d'eux, à obtenir des chiffres extrêmement intéressants. Nous ne prétendions pas à la connaissance de l'exhaustivité du phénomène, mais de la tendance – ce qui était le plus intéressant pour des acteurs politiques.

Deux phénomènes ont été mis au jour. D'abord, le nombre d'enfants maltraités – environ 200 000 – ne progressait pratiquement pas. Ensuite, le nombre d'enfants « en risque », c'est-à-dire en risque d'être maltraités, de ne pas disposer de tous les repères suffisants pour être socialisés, progressait de façon constante – durant neuf années sur les dix étudiées : neuf années extrêmement médiatisées, alors que l'année où ce chiffre n'a pas progressé, les médias en ont à peine parlé. C'est important de le dire : les journalistes ne s'intéressaient qu'aux chiffres déplaisants.

Une tendance si significative que nous avons décidé, en nous appuyant sur la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur » (MIRES) et sur Paul Durning, qui est par la suite devenu directeur de l'Observatoire au sein du Service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger (SNATED), d'effectuer la première étude européenne – portant sur 10 000 enfants – pour comprendre pourquoi ces enfants étaient dans un tel mal-être.

La conclusion, qui a d'ailleurs précipité notre institution dans toute une série d'aventures et de combats, était que ces enfants souffraient d'un déficit de liens, et rarement de biens. Pourquoi ? Parce qu'entre-temps le RMI avait joué son rôle de bouclier social. On oublie toujours de dire à quel point le RMI a protégé les enfants. Avant sa création, il n'était pas rare de placer des enfants au seul motif qu'ils ne prenaient pas de repas tous les jours.

En revanche, les relations sociales et les repères collectifs se délitaient. D'où notre thèse, très vite développée par toutes nos actions, quel que soit le domaine : la cohésion sociale n'est pas faite uniquement d'économie et de social, mais aussi de liens sociaux et de repères collectifs. Un enfant en déficit de lien social est autant en danger qu'un enfant en déficit de moyens.

Cette découverte a précipité notre institution dans plusieurs directions. Nous avons d'abord créé une agence des bonnes pratiques pour pouvoir détecter tout ce qui peut créer du lien social en France. Nous avons, par exemple, détecté une journée citoyenne en Alsace. Un maire musicien « n'aimant pas les fausses notes et recherchant l'harmonie », comme il le disait lui-même, demandait à ses habitants de bâtir des projets et de les réaliser. Et pendant toute une journée, la population se réunissait pour en parler. Avec une telle initiative, nous avons constaté qu'une journée pouvait changer une année. Aujourd'hui, 2 000 communes organisent des journées citoyennes, dont des grandes villes – et personne n'en parle.

Si le maire d'Angers, Christophe Béchu, président de l'ODAS, a d'abord organisé une journée citoyenne parce qu'il ne pouvait pas, en tant que président de l'ODAS, ne pas le faire, il ne tarit pas d'éloges aujourd'hui sur cette journée, dont le nombre de participants double chaque année. Or en développant du lien social et du repère dans sa commune, un maire est finalement le meilleur acteur de la protection de l'enfance.

L'ODAS mène également des recherches-actions pour tenter de créer de nouvelles dynamiques ; l'une d'entre elles vous intéresse particulièrement et est en cours de réalisation, dans dix départements. Elle vise à transformer le rôle de l'école sur un territoire – ainsi que le rôle des acteurs sociaux. Il s'agit de mobiliser tout ce qui peut créer du lien social autour de l'école et dans l'école, et d'essayer de convaincre les départements de créer des permanences d'animation locales dans les écoles, les travailleurs sociaux étant beaucoup trop abrités, à force de législations et de réglementations complexes, dans des postures administratives. Ils doivent absolument retrouver de la proximité avec les familles.

Il s'agit ainsi de permettre aux familles de se prendre en charge, plus efficacement, en étant conseillées. Nous avons en effet le sentiment qu'il existe un grand déficit d'observation et de soutien à la parentalité, à un moment où être parent devient de plus en plus difficile.

L'ODAS a également une mission d'évaluation. La première constatation a été la suivante : la décentralisation a provoqué, durant les dix premières années, un saut qualitatif considérable en matière de protection de l'enfance. J'étais directeur général des services du conseil général de la Haute-Vienne au moment de la décentralisation, et je me souviens que les enfants étaient accueillis dans une sorte d'établissement hospitalier, sans aucune humanité. Nous avons, bien évidemment, déstructuré ce type d'établissements pour créer des établissements familiaux, avec une assistante familiale et des éducateurs, et ainsi métamorphosé l'ambiance autour de l'enfant. C'est une évolution qui a eu lieu dans près des deux tiers des départements.

Depuis 2004, au moment où les départements ont été amenés à prendre des missions non pas politiques, mais administratives, leur contribution stratégique et politique à l'adaptation des politiques sociales à des caractéristiques locales particulières s'est estompée au profit de responsabilités beaucoup gestionnaires – gestion du RMI, de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), de la prestation de compensation du handicap (PCH).

La première critique que nous pourrions faire de la situation actuelle est donc l'immense déficit de prévention, d'où notre recherche-action sur l'école, mais une recherche-action totalement assumée par les dix départements concernés, qui visent à une amélioration et à un changement.

Nous avons également mené une évaluation des réponses en matière de protection de l'enfance. Or le mouvement n'est pas favorable, le principe de précaution ayant transformé nos établissements en lieux où nous ne pouvons pas véritablement éduquer un enfant. Quand vous ne pouvez faire de la cuisine avec les enfants et que vous êtes submergés par les contraintes bureaucratiques, vous ne pouvez pas éduquer un enfant. De sorte que nous avons un certain nombre de critiques à formuler, d'autant plus que le coût des établissements est très élevé.

Quant à l'action éducative en milieu ouvert (AEMO), vous connaissez les chiffres, ils sont dérisoires ; le travailleur social, intervenant dans un nombre considérable de familles, ne peut suivre convenablement un enfant. Nous pouvons d'ailleurs le constater très objectivement dans les chiffres : le nombre d'AEMO progresse alors que les dépenses ne progressent pas au même rythme, si bien que les moyens attribués à chaque AEMO sont constamment resserrés. Tout cela n'est pas assumé facilement par les départements, mais le poids des contraintes pesant aujourd'hui sur les départements les amène à faire des choix qui ne sont pas forcément ceux qu'ils feraient dans des conditions autres.

J'en terminerai par l'observation. En 2003, M. Christian Jacob, alors ministre délégué à la famille, décide que l'observation est une question importante – nous étions très médiatisés à cette époque – et qu'un Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) est nécessaire – il fut créé en janvier 2004.

Nous avons, bien entendu, accompagné cette promesse sans difficulté, l'ODAS se déployant en direction de la perte d'autonomie, de l'insertion, du lien social, etc. Nous n'étions donc pas malheureux de perdre cette activité qui nous avait été confiée par l'État, et notre conseil d'orientation était composé de représentants des ministères de la justice, de l'éducation nationale, et d'autres ministères concernés par notre travail. J'ai retrouvé le nom de toutes les personnalités qui ont siégé dans ce conseil, des noms aussi prestigieux que Marceline Gabel, et qui a ensuite travaillé à l'ODAS à sa retraite.

L'ONPE a repris notre méthode de travail, qui consistait, au sein des départements, à recueillir les questionnaires, à les vérifier, à les traiter et à fournir ainsi un véritable thermomètre de la situation, non seulement des familles, mais de toute la société française. Car, à travers l'observation de l'enfance, c'est bien toute la société que nous observons.

L'ONPE a été mis en place, et un universitaire a été mis à sa direction, M. Durning. Il a souhaité faire remonter à Paris, non pas cent, mais 200 000 questionnaires. Bien évidemment, la proposition n'a pas abouti… Voilà maintenant quinze ans que nous tentons de donner des informations sur l'évolution des publics et que nous n'y parvenons pas. Cet observatoire fournit des études qualitatives intéressantes, mais ce thermomètre n'existe pas.

J'insiste sur ce point, car un tel thermomètre nous permettrait d'être rassurés ou, au contraire, inquiets quant à la situation de notre pays. Un ancien président de la République l'affirmait : la situation des familles est le thermomètre de la qualité du lien social et des repères collectifs dans notre pays.

Monsieur le président, vous avez parlé de fraternité. Mon dernier livre, La fraternité n'est pas une chimère : 35 réformes indispensables pour rétablir le vivre-ensemble, est consacré à ce sujet, extrêmement important. C'est notre expertise qui nous a amenés à défendre cette idée de fraternité – qui est d'ailleurs un peu dans l'aire du temps, notamment depuis l'incendie de la cathédrale Notre-Dame.

De quoi s'agit-il ? De redonner toute sa vigueur au pacte républicain. La liberté et l'égalité n'ont pas la vocation à nous rendre plus individualistes, plus consuméristes et plus distants des autres. Toute l'idée est bien de redonner du sens à la devise républicaine.

Le président Jacques Chirac l'avait compris et m'avait chargé, en 2004, d'animer la « grande cause nationale » de la fraternité – les deux tiers des maires de France avaient signé une charte de la fraternité. Dans le monde dans lequel nous vivons, rien ne serait plus utile, pour protéger l'enfant, que de redessiner dans ce pays une ambition collective autour de cette idée de fraternité, de vivre-ensemble.

Tous les efforts que nous pourrons déployer – grâce à votre mission, par exemple – en matière d'amélioration de la protection de l'enfance seront assez vains, si nos postures individuelles et collectives n'évoluent pas. Nous devons mesurer la gravité des problèmes que connaît aujourd'hui notre pays – la civilisation, la République, la démocratie – et comprendre l'importance d'une restructuration de nos postures individuelles et collectives. Et cela n'a rien d'incantatoire, puisque nous avons pu constater, notamment avec les journées citoyennes, que les choses peuvent évoluer quand des maires se mettent en situation de faire confiance à leurs habitants.

La protection de l'enfance est l'affaire de tous. Il convient donc de travailler à la fois sur le dispositif lui-même et sur l'ensemble des problématiques sociétales.

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Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS

Je souhaiterais pour ma part insister sur quelques points. D'abord, souvent, les médias n'évoquent la protection de l'enfance qu'au travers les échecs ; Jean-Louis Sanchez l'a évoqué tout à l'heure.

Ensuite, un chiffre est inquiétant : c'est le nombre de jeunes qui ont eu un parcours en aide sociale à l'enfance et qui sont sans domicile fixe (SDF). C'est une réalité qui ne devrait pas biaiser la réalité, si je puis m'exprimer ainsi. Ces jeunes sont sans aucun doute ceux qui sont les plus fracassés, et témoignent de ce que le parcours a commencé trop tardivement, qu'il n'était pas adapté ou encore, hypothèse plus minoritaire, qu'il n'était pas suffisamment protecteur. Deux questions majeures ressortent de ce constat : d'une part, la prévention, et, d'autre part, l'évolution de la protection.

Depuis la décentralisation, les départements se sont calés sur les orientations qui avaient été impulsées par l'État – je pense aux rapports Dupont-Fauville en 1972 et Bianco-Lamy en 1980 –, quand celui-ci a commencé à diminuer le nombre d'enfants placés. Ainsi, après la décentralisation, nous avons assisté à une diminution du nombre d'enfants placés et, corrélativement, à une augmentation du nombre d'enfants suivis en milieu ouvert. Aujourd'hui, le nombre d'enfants suivis est à peu près le même qu'en 1984, sauf que le nombre d'enfants placés est le même que celui des enfants faisant l'objet d'une AEMO.

Par ailleurs, aucun schéma de l'enfance des départements ne commence par le postulat suivant : la priorité est la prévention. Et depuis 1998, parmi les dépenses départementales d'action sociale, inexorablement, la part de l'hébergement ne cesse d'augmenter. Elle était de 78 % en 1998, et de 84 % en 2017. De sorte que les autres dépenses d'aide sociale à l'enfance, à savoir le soutien en milieu ouvert et la prévention, n'augmentent pas, voire diminuent.

De ce constat découle une autre question, qui est celle du contenu de la prise en charge. Finalement, n'y a-t-il pas eu un glissement dans l'accueil des enfants ? Ce que j'appelle une « sanitarisation » de l'accueil. Jean-Louis Sanchez l'a évoqué : quand un enfant est accueilli dans une structure collective, comment peut-on l'éduquer si les activités quotidiennes ne sont pas accessibles – cuisine, ménage, etc. – pour des raisons de normes ?

Il pourrait nous être rétorqué : priorité à l'accueil familial. Peut-être, mais si l'accueil familial a été une impulsion légitime pour favoriser les droits des professionnels, la question de l'organisation, de l'équilibre entre les droits des professionnels et l'intérêt des enfants, doit être posée. Par exemple, alors que l'enfant a un droit à congé, nombreux sont ceux qui doivent être déplacés de la famille d'accueil lors des temps de forts de celle-ci – et notamment pour les vacances.

S'agissant de l'AEMO, le contact singulier entre un éducateur et l'enfant est de deux heures par mois. Que peut-il se passer en deux heures par mois ? Nous savons bien que les services essaient de prioriser les situations les plus lourdes et de contrebalancer cette réalité, mais celle-ci est tellement têtue, que l'AEMO renforcée a été créée – un dispositif beaucoup plus intensif.

Nous allons d'ailleurs expertiser une initiative prise en Haute-Savoie, qui consiste en de l'AEMO avec hébergement, avec l'association Recherche, éducation, territoires, interventions, sociabilités (RETIS). Ce dispositif fonctionne six jours sur sept, avec une astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, toute la semaine, et donc la possibilité d'intervenir au moindre problème et d'extraire, le cas échéant, un enfant pour le protéger.

Certes, un tel dispositif coûte quatre à cinq fois plus cher que l'AEMO traditionnelle, mais peut-être est-il temps de la faire évoluer. Car on se rassure à bon compte, alors que nous savons tous que les limites que je viens d'évoquer ne permettent pas de traiter réellement les questions.

Je conclurai sur la prévention. Notre problème, en France, est que nous voulons traiter celle-ci comme un dispositif, alors qu'elle est un état d'esprit. C'est donc un autre type de rapport qu'il convient d'entretenir avec nos concitoyens.

Dans un dispositif, nous sommes, vis-à-vis de nos concitoyens, dans une logique reposant sur le fait de leur apporter quelque chose, soit avec leur accord, soit par la contrainte. Telle est bien la particularité de l'intervention en matière d'aide sociale à l'enfance, la majorité des situations relevant d'une décision judiciaire. Et même lorsqu'elles relèvent d'un cadre administratif, les familles, si elles ne s'y plient pas, risquent de comparaître devant le juge.

Or pour faire de la prévention, il est nécessaire de créer un tout autre type de rapport avec les familles. La logique de développement social consiste à créer un environnement plus favorable à l'éducation des enfants, avec les parents. Il s'agit d'une toute autre posture pour les professionnels et l'environnement.

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Je vous remercie, messieurs, pour cette introduction. Je vous poserai deux questions.

D'abord, comment vous positionnez-vous par rapport à l'ONPE ? Ensuite, que devraient faire les départements pour améliorer les choses – vis-à-vis des professionnels, mais aussi des enfants ?

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Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS)

S'agissant de l'ONPE, nous n'avons jamais confondu le travail de notre Observatoire avec cette difficulté que nous avons évoquée. Nous avons d'excellentes relations avec l'ONPE. Mais entretenir des relations fraternelles ne nous empêche pas d'être lucides.

C'est un peu audacieux de vous le dire, parce que cela peut déplaire, mais nous sommes attachés à l'idée que nous ne pouvons pas gouverner sans indicateurs. Savoir si, oui ou non il y a de plus en plus d'enfants en difficulté, ce n'est pas rien.

Nous avons donc toujours souhaité faciliter la tâche de l'ONPE. Nous avons récemment reçu sa présidente pour déterminer la façon dont nous pourrions aider ou accompagner l'ONPE à rebâtir le même type de dispositif que nous avions élaboré il y a quelques années, pour qu'il soit à la fois simple et très efficace. Je ne sais pas si le contexte d'aujourd'hui rendrait la tâche aussi facile qu'il y a quelques années, mais nous pourrions en tout cas travailler sur un échantillon représentatif d'une trentaine de départements pour avoir, tous les ans, des indicateurs de l'évolution et ainsi définir une tendance ainsi que les raisons de cette tendance – ce qui est le plus important. Ce sont les deux questions qu'il convient de poser chaque année.

L'amélioration, elle, est liée à toute la réflexion sur la décentralisation. Nous étions, hier, reçus par M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance auprès de la ministre des Solidarités et de la santé, qui nous a dit être en phase avec nous.

La décentralisation va-t-elle continuer à s'enfermer dans des problématiques purement gestionnaires, au détriment de sujets plus stratégiques et plus politiques ? Nous souhaitons une évolution, notamment parce que l'agilité des départements repose sur la capacité de créer des actions adaptées au territoire, de nouvelles actions sociales, etc. Il s'agit de la première des solutions. La seconde est que les départements osent changer.

En 2001, nous avions réalisé un bilan très exhaustif et très qualitatif de quinze ans de décentralisation, et nous avions remarqué que les départements étaient décidés à aller vers une restructuration en faveur de la prévention. Malheureusement les choses ont, depuis, régressé. Cette impulsion devrait être redonnée.

La recherche-action que nous menons sur l'école peut déboucher sur des voies extrêmement intéressantes. Si nous parvenons à convaincre tout le monde de cette nouvelle synergie entre l'éducation nationale, les départements et les communes, les actions menées par les dix départements pourront être facilement généralisées. Récemment, M. Lesueur animait un comité de pilotage dans les Pyrénées-Atlantiques, et tout le monde semblait enthousiaste à l'idée de travailler ensemble, mais différemment, sur les thèmes suivants : le rôle de l'école, le rôle des parents, le rôle des aînés.

Le troisième volet concerne tout ce que nous pourrions faire de mieux pour l'enfant. La réponse est vraiment difficile. Bien évidemment des mesures peuvent être prises, notamment pour les jeunes majeurs, qui ne sont pas assez accompagnés.

Je suis activement plusieurs associations composées d'anciens jeunes ayant bénéficié de l'aide sociale à l'enfance, et après leur assemblée générale nous déjeunons ensemble et discutons. Chacun évoque avec effroi la barrière des dix-huit ans. Ils sont totalement protégés et, à dix-huit ans, ils se retrouvent seuls. Évoluer sur cette question est indispensable.

Concernant la place de l'enfant, que ce soit dans un établissement ou dans sa famille, mais suivi par des services, il faut oser dire les choses. Dire que nous sommes passés d'un système ouvert à un système extrêmement fermé.

Je conclurai par une anecdote. À l'époque où j'étais directeur général des services d'un département, j'ai eu à recruter un inspecteur de l'aide sociale à l'enfance. Ne restaient, après plusieurs rendez-vous, que deux candidats. Le premier était extrêmement empathique et ouvert aux familles, le second incroyablement outillé sur le plan juridique, mais beaucoup moins empathique. À ce moment-là, j'ai fait le choix de protéger l'institution et non l'enfance. J'ai donc choisi le candidat expérimenté au détriment de la personne en empathie. Quelques mois plus tard, cet inspecteur convoquait un assistant familial dans son bureau pour lui annoncer le retrait d'un enfant, de façon si brutale que la personne est décédée dans son bureau.

C'est la raison pour laquelle je me rends régulièrement dans des assemblées d'anciens pupilles, afin de mener ma petite enquête personnelle et égoïste. Mais voilà le genre de situation provoquée par une lecture de nos responsabilités qui, finalement, est insuffisamment réinscrite dans une finalité. En France, nous parlons beaucoup des outils, mais jamais des objectifs et des finalités. Si j'avais été davantage dans la finalité, je n'aurais pas commis cette erreur. Remettons au coeur du débat sur l'avenir des politiques publiques, la question de la finalité – le bien-être de l'enfant, de la famille, de la société.

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Messieurs, nous ne ferons pas semblant de ne pas nous connaître, puisque nous avons travaillé ensemble lorsque je travaillais pour un département.

Le travail entre les départements, en coordination avec l'ODAS, est plus que nécessaire pour échanger des pratiques, partager ensemble les difficultés et s'améliorer ; un travail incontournable.

Le statut des assistants familiaux est un bon exemple pour démontrer que le monde change et que l'aide sociale à l'enfance doit aussi changer. Ce n'est pas un monde à part, elle fait partie de la société qui change. Même si la loi de 2016 a déjà apporté quelques modifications, peut-être devrions-nous évaluer les pratiques mises en oeuvre depuis la loi, pour savoir si elles apportent des réponses adaptées à la réalité d'aujourd'hui. Nous avons besoin de repenser de la place de l'enfant dans les maisons d'enfants à caractère social (MECS), en milieu ouvert et chez les assistants familiaux.

Les assistants ne sont plus les mêmes qu'hier, quand ce métier était davantage vécu comme un engagement que comme un travail ; l'enfant accueilli faisait intégralement partie de la famille. Aujourd'hui, nous l'avons dit, les enfants ne partent pas en vacances avec leur famille d'accueil, les choses ont changé. Cela a des conséquences sur la place que la société donne aux enfants placés. J'aimerais vous entendre davantage sur cette question.

Par ailleurs, pensez-vous que les enfants et les adolescents en difficulté ont changé ? La violence s'exprime-t-elle plus fortement qu'avant ? De fait, les éducateurs ne se positionnent-ils pas différemment ?

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Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS

Les questions que vous posez sont quasiment abyssales, la société ayant effectivement changé depuis la décentralisation. Nous ne sommes plus dans le même monde. Nous ne pouvons donc pas aborder la question de l'aide sociale à l'enfance sans un regard anthropologique sur notre société. C'est une question sur laquelle j'interviens beaucoup.

D'abord, les modèles familiaux se sont multipliés. Si la famille monoparentale n'est pas, en soi, source de dangers pour l'enfant, elle est un danger dans un environnement déstructuré. Un enfant sur cinq vit dans une famille monoparentale ; ce n'est pas un accident d'existence, mais un mode de vie vers lequel tend notre société. En effet, quand les couples à revenus modestes se séparent, mécaniquement l'enfant tombe sous le seuil de pauvreté.

Ensuite, il y a davantage de familles recomposées : un enfant sur dix connaît la pluriparentalité.

Enfin, une évolution fondamentale est intervenue dans notre appréhension collective de l'éducation, qui est devenue une affaire strictement privée. Les enseignants peuvent en témoigner. Alors qu'ils étaient soutenus par les parents, aujourd'hui ils sont dans une logique de devoir prouver aux parents que leur enfant a des difficultés, voire qu'il s'est mal comporté. Un certain nombre de parents contestent les décisions des enseignants.

Tous ces changements atteignent les professionnels de l'aide à l'enfance. Ce que nous appelons l'aléa des repères partagés, et qui touche particulièrement la question de l'éducation, est ce qui va faire sens, ce qui va alerter les professionnels quand l'éducation des parents est tordue, voire absente – en dehors même des situations de maltraitance.

Je vous cite un exemple. Nous travaillons avec la ville d'Orly sur la question de savoir comment une ville peut créer, avec les parents, des conditions plus favorables à l'éducation des enfants. Un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) anime un groupe de parents dans l'école. Un jour, une mère vient avec ses deux enfants – dont l'un avec une tablette – casque sur les oreilles, téléphone à la main. L'ATSEM lui demande de retirer le casque, lui expliquant qu'elle pourra sortir si elle reçoit un appel. Elle demande également au petit garçon de poser sa tablette pour pouvoir faire des activités ; le fils répond non de façon brutale. Malaise au niveau des adultes. Qu'est-ce qui nous légitime, nous, adultes, pour intervenir auprès d'un enfant qui n'est pas le nôtre ? Personne n'ose bouger. Et en fin de compte, c'est la petite soeur qui va prendre la tablette, la jeter par terre et la casser.

C'est la raison pour laquelle Jean-Louis Sanchez insistait sur le fait que l'aide sociale à l'enfance est l'affaire de toute la société. Si nous ne sommes pas tous responsables des enfants, nous n'avancerons pas.

Concernant l'évolution de la société, je voudrais également appeler votre attention sur les jeunes majeurs de vingt et un ans. Rappelons-nous que la création du contrat jeune majeur, c'est-à-dire la possibilité pour un jeune de se faire accompagner par l'aide sociale à l'enfance entre dix-huit et vingt et un ans, était lié à l'abaissement de la majorité civile, en 1974, à dix-huit ans.

Mais, en 1974, les jeunes de vingt et un ans pouvaient être autonomes, puisqu'ils terminaient leur scolarité, en moyenne, à dix-huit ans. Aujourd'hui, quel jeune de vingt et un ans est en capacité d'être autonome ?

De sorte que pour les jeunes adultes de vingt et un ans, c'est un peu la double peine. On leur demande non seulement de trouver les moyens de la résilience – ceux qui sont encore dans le parcours à vingt et un ans sont les plus fracassés –, mais également de s'insérer très vite dans la société. Par ailleurs, on fait une croix sur le fait que certains puissent vouloir faire de longues études.

Je signale toutefois que quelques départements ont mis en place des dispositifs pour les jeunes de plus vingt et un ans.

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Les travailleurs sociaux décrivent le secteur de la protection de l'enfance comme un secteur sous haute tension, dont le manque de moyens ne leur permet plus de mener à bien leurs missions. Le métier est dur, trop peu valorisé et en sous-effectifs.

Par ailleurs, faute de place, il faut parfois plusieurs mois pour appliquer une décision de justice visant à retirer un mineur en danger à ses parents. Le manque de familles d'accueil, la difficulté à renouveler le vivier, le manque de moyens qui leur sont alloués sont des obstacles importants. Au travers de vos différents rapports, avez-vous pu analyser les raisons des difficultés à recruter des assistants familiaux ?

Vous avez évoqué la problématique de l'éducation des enfants. Nous avons reçu, la semaine dernière, des jeunes qui sont passés par l'ASE, et il a été question de l'autorité parentale, notamment du fait que celle-ci perdure dans un certain nombre de situations, au mépris même des décisions de justice visant à les protéger.

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Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS)

Je ne serai pas trop audacieux sur la question des travailleurs sociaux et du manque de moyens, car je ne peux vous contredire ; il serait mal venu de vous dire que nous disposons de suffisamment de moyens.

La grande question du travail social aujourd'hui est la question du sens. Un combat doit être mené pour redonner, en particulier aux travailleurs sociaux, le sens de la mission. Il ne s'agit pas uniquement d'un métier où l'on se contente d'assumer les charges, cela va bien au-delà. À chaque fois que nous avons analysé de gros dysfonctionnements dans la protection de l'enfance – des affaires de pédophilie notamment –, nous nous sommes rendu compte que le problème venait d'une absence de coordination, à la fois des personnes et des institutions.

La question qui se pose aujourd'hui – et qui ne concerne pas uniquement le travail social – est celle du sens de la mission dans la fonction publique. Je persiste et signe : nous ne pouvons avoir le privilège de la garantie d'emploi sans avoir en contrepartie le devoir d'une autre lecture de notre responsabilité.

S'agissant des départements et du manque de moyens, j'évoquerai le poids des mineurs non accompagnés (MNA), qui vient frapper massivement les collectivités locales. C'est encore une anecdote, mais je suis allé récemment à un mariage de personnes qui travaillent dans le social. J'y allais pour faire la fête, et toute la soirée on est venu me parler de ce qu'il conviendrait de faire pour les enfants en danger. J'étais finalement très heureux de voir à quel point les travailleurs sociaux étaient motivés et ont profité de ma présence pour essayer de faire quelque chose.

Nous avons donc bien la possibilité aujourd'hui de remettre la question du sens au coeur du débat public et d'accompagner les départements, notamment sur leurs difficultés en termes de moyens.

La question des MNA a joué un rôle très positif dans les départements, puisqu'ils ont été obligés d'innover devant cet afflux de cas nouveaux – faire un peu plus confiance aux enfants, leur proposer, par exemple, des colocations – une innovation qui est en train d'impacter tout le reste de leur dispositif de protection de l'enfance.

Concernant les assistants familiaux, la difficulté du recrutement provient tout d'abord du changement des modes de vie. Les gens ne veulent plus de contraintes. Or être assistant familial, c'est très contraignant – ce qui est regrettable car, malgré les difficultés que Didier Lesueur a soulevées concernant le côté fonctionnarisé du métier, cette solution est la meilleure pour l'enfant. Un chantier mériterait donc d'être ouvert sur cette question pour définir la meilleure façon de maintenir le caractère familial de ce placement. Peut-être conviendrait-il de les payer davantage. Rien n'est plus déchirant pour un enfant que d'être retiré de sa famille d'accueil lorsqu'elle part en vacances ! Quelle blessure !

Les anciens de l'ASE vous diront que même lorsque leur famille d'accueil était même-même un peu déstructurée, elle lui redonnait les bons repères – avec les bons et les mauvais côtés de la vie de famille.

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Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS

La question des places disponibles pose une autre question : celle de la régulation du système au niveau départemental. En effet, une fois qu'un enfant entre dans le dispositif de l'aide sociale à l'enfance, il a du mal à en sortir. La régulation est difficile à faire, car s'il s'agit d'une mission décentralisée qui s'appuie en grande partie sur la justice, alors même que nous vivons dans un système de séparation des pouvoirs. Il manque un maillon entre la justice et le département pour aborder cette question, au niveau à la fois stratégique et opérationnel.

Par ailleurs, nous ne pouvons rien attendre de certains parents dont les enfants bénéficient du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, et des conséquences doivent en être tirées. Des modifications ont déjà été apportées puisque, depuis 1986, les décisions judiciaires doivent être revues tous les deux ans ; néanmoins, cela ne suffit pas. Il n'est pas imaginable d'envisager qu'un enfant passe quinze, seize ou dix-huit ans dans le dispositif de l'aide sociale à l'enfance.

Enfin, concernant l'accueil familial, un chantier devrait être ouvert sur l'accueil des tout petits. Je ne mets pas en cause la qualité des professionnels, mais nous devons nous interroger sur l'accueil des bébés dans les pouponnières. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse du système le plus adéquat.

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Je vous remercie, messieurs, pour vos présentations. J'ai été ravie de vous entendre parler de prévention s'agissant du lien social, de la vie associative, qui est très durement mise à l'épreuve aujourd'hui par la fin des contrats aidés.

Je voudrais revenir sur le manque de moyens financiers et humains. Vous le savez, les travailleurs sociaux sont en ce moment en grève, notamment dans les Pyrénées-Orientales où quatre enfants sont en attente de placement ou de mesures éducatives, prescrits par la justice. Nous avons auditionné, la semaine dernière, des adultes qui ont été, enfants, placés à l'ASE. Une seule des huit personnes présentées a indiqué avoir bénéficié d'un suivi psychologique régulier.

Nous avons entendu les vraies difficultés que doivent affronter les enfants placés. Outre le non-suivi psychologique, les contrats jeune majeur ne sont plus accessibles, dans certains départements, aux mineurs non accompagnés. Le manque de moyens met en danger les enfants que l'État est censé protéger. Savez-vous combien d'enfants sont suivis par un éducateur en AEMO ?

J'ai également été frappée par le nombre d'enfants qui ont été victimes de violence institutionnelle. La question du contrôle et de la prévention de cette violence institutionnelle a été abordée à plusieurs reprises. Avez-vous mené un travail sur cette question, notamment en vue de préconisations à adresser aux départements ?

Enfin, le bon sens voudrait qu'un fichier national des familles d'accueil soit élaboré. Qu'en pensez-vous ?

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Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS)

Nous partageons toutes ces inquiétudes, que nous avons mises en relief dans nos présentations. Concernant les AEMO, Didier Lesueur vous a cité un chiffre : deux heures par enfant, par mois.

Nous nous interdisons un peu d'aborder la question des moyens, car derrière cette question, il y a le « comment ». Mais je ne peux pas ne pas rappeler que, depuis la décentralisation, tous les ans, les moyens mis à disposition de l'aide sociale à l'enfance ont considérablement progressé ; c'est une réalité à mettre à l'actif de la décentralisation. Les élus locaux n'ont pas fui leurs responsabilités. Et s'il est incontestable que plus de moyens sont nécessaires, nous disposons de l'un des systèmes les plus performants au monde, y compris dans cette dualité entre la justice et la décentralisation.

Le système est perfectible et nous manquons de vigilance pour l'améliorer. Nous devons, par exemple, développer toutes les problématiques d'évaluation, de mesures de l'efficacité des moyens octroyés à l'aide sociale à l'enfance ; d'énormes progrès sont à réaliser.

La question des repères, qui sera le thème des assises nationales de la protection de l'enfance qui se tiendront à Marseille cet été, reste une question majeure. Même les professionnels sont en manque de repères : comment remettre un enfant en capacité de bien résister à toutes les agressions de la vie ? Ce manque de repères explique parfois la passivité de certains travailleurs sociaux : ils sont démotivés.

J'en reviens au déficit de projet collectif de notre société, à la question de l'envie de vivre ensemble, à celle du bien commun. Ce sont des questions considérables. Bien entendu, elles soulèvent des problèmes d'ordre économique que nous ne nions pas, mais il est nécessaire de lancer un appel collectif à la responsabilité que nous avons tous en matière de vivre-ensemble et d'enfance.

Enfin, il est indispensable de réactiver un véritable bénévolat dans notre pays. Si les statistiques indiquent qu'il existe beaucoup de bénévoles, ces derniers sont affectés à des tâches ludiques ; nous manquons de bénévoles responsables, ce qui soulève la question du rôle des personnes âgées dans la société française. Nous disposons de personnes extrêmement disponibles en termes d'expérience et de repères et à même d'apporter une aide aux professionnels et aux familles dans leurs démarches de resocialisation.

D'ailleurs, parallèlement à la recherche-action que l'ODAS mène sur l'école, nous avons engagé, avec un certain nombre de collectivités locales, une recherche-action sur le rôle des personnes âgées dans la société, avec un rêve un peu fou : faire de chaque personne âgée un acteur éducatif.

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Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS

La question des moyens est en effet à manier avec prudence, car nous avons mené une étude dont les conclusions sont troublantes. Les dépenses d'hébergement ont doublé entre 1998 et 2017, passant de 3 à 6 milliards d'euros en France métropolitaine, l'inflation ayant été de 30 % sur cette période et l'effet volume – c'est-à-dire l'augmentation du nombre d'enfants – étant de 4 %. Ce qui veut dire que les deux tiers de l'augmentation ne s'expliquent ni par l'inflation ni par le nombre d'enfants.

Bien entendu, nous devons prendre en compte la revalorisation de la rémunération des assistants familiaux, les 35 heures, mais aussi cette course un peu folle aux normes, dans laquelle un argent fou est dépensé. Je suis désolé, mais je vais à nouveau illustrer mon propos par une anecdote.

Lorsque que j'étais en département, une mission m'avait été confiée relative aux foyers de l'enfance. Il s'agissait de pavillons, et la cuisine centrale devait être détruite. J'ai proposé d'installer des cuisines type Ikea et d'embaucher une maîtresse de maison. L'architecte du département m'a expliqué que les normes à respecter étaient celles des cuisines de collectivité. Nous en avons construit quatre et dépensé quatre fois plus d'argent, alors même que les enfants ne pouvaient pas entrer dans les cuisines, considérées comme des laboratoires.

Nous pourrions certes enquêter davantage pour savoir où est passé l'argent entre 1998 et 2017, mais il est à craindre que les contraintes que nous nous fixons nous coûtent très cher, et ce pour accueillir le même nombre d'enfants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Et en ce qui concerne le contrôle de la violence institutionnelle ?

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Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS

Nous n'avons pas mené d'études sur cette question – observation faite que retirer un enfant de sa famille est déjà une violence.

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Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS)

Je voudrais, pour finir, faire une comparaison avec les maisons de retraite en Belgique, qui comptent le même ratio de personnel qu'en France, à une grande différence près : il s'agit d'une majorité de personnels d'animation et de très peu de personnels administratifs. Or, en France, le poids de l'administratif dans le ratio du personnel des établissements est considérable.

M. Lesueur a eu raison de le rappeler : une part des financements qui aurait dû être consacrée aux enfants a été consacrée à des mises aux normes.

La réunion s'achève à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 9 heures 20

Présents. – M. Guillaume Chiche, M. Olivier Damaisin, Mme Françoise Dumas, Mme Nathalie Elimas, Mme Perrine Goulet, Mme Monique Limon, Mme Mathilde Panot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier

Excusés. – Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, Mme Bérengère Poletti