Intervention de Jean-Louis Sanchez

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 9h20
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS) :

S'agissant de l'ONPE, nous n'avons jamais confondu le travail de notre Observatoire avec cette difficulté que nous avons évoquée. Nous avons d'excellentes relations avec l'ONPE. Mais entretenir des relations fraternelles ne nous empêche pas d'être lucides.

C'est un peu audacieux de vous le dire, parce que cela peut déplaire, mais nous sommes attachés à l'idée que nous ne pouvons pas gouverner sans indicateurs. Savoir si, oui ou non il y a de plus en plus d'enfants en difficulté, ce n'est pas rien.

Nous avons donc toujours souhaité faciliter la tâche de l'ONPE. Nous avons récemment reçu sa présidente pour déterminer la façon dont nous pourrions aider ou accompagner l'ONPE à rebâtir le même type de dispositif que nous avions élaboré il y a quelques années, pour qu'il soit à la fois simple et très efficace. Je ne sais pas si le contexte d'aujourd'hui rendrait la tâche aussi facile qu'il y a quelques années, mais nous pourrions en tout cas travailler sur un échantillon représentatif d'une trentaine de départements pour avoir, tous les ans, des indicateurs de l'évolution et ainsi définir une tendance ainsi que les raisons de cette tendance – ce qui est le plus important. Ce sont les deux questions qu'il convient de poser chaque année.

L'amélioration, elle, est liée à toute la réflexion sur la décentralisation. Nous étions, hier, reçus par M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance auprès de la ministre des Solidarités et de la santé, qui nous a dit être en phase avec nous.

La décentralisation va-t-elle continuer à s'enfermer dans des problématiques purement gestionnaires, au détriment de sujets plus stratégiques et plus politiques ? Nous souhaitons une évolution, notamment parce que l'agilité des départements repose sur la capacité de créer des actions adaptées au territoire, de nouvelles actions sociales, etc. Il s'agit de la première des solutions. La seconde est que les départements osent changer.

En 2001, nous avions réalisé un bilan très exhaustif et très qualitatif de quinze ans de décentralisation, et nous avions remarqué que les départements étaient décidés à aller vers une restructuration en faveur de la prévention. Malheureusement les choses ont, depuis, régressé. Cette impulsion devrait être redonnée.

La recherche-action que nous menons sur l'école peut déboucher sur des voies extrêmement intéressantes. Si nous parvenons à convaincre tout le monde de cette nouvelle synergie entre l'éducation nationale, les départements et les communes, les actions menées par les dix départements pourront être facilement généralisées. Récemment, M. Lesueur animait un comité de pilotage dans les Pyrénées-Atlantiques, et tout le monde semblait enthousiaste à l'idée de travailler ensemble, mais différemment, sur les thèmes suivants : le rôle de l'école, le rôle des parents, le rôle des aînés.

Le troisième volet concerne tout ce que nous pourrions faire de mieux pour l'enfant. La réponse est vraiment difficile. Bien évidemment des mesures peuvent être prises, notamment pour les jeunes majeurs, qui ne sont pas assez accompagnés.

Je suis activement plusieurs associations composées d'anciens jeunes ayant bénéficié de l'aide sociale à l'enfance, et après leur assemblée générale nous déjeunons ensemble et discutons. Chacun évoque avec effroi la barrière des dix-huit ans. Ils sont totalement protégés et, à dix-huit ans, ils se retrouvent seuls. Évoluer sur cette question est indispensable.

Concernant la place de l'enfant, que ce soit dans un établissement ou dans sa famille, mais suivi par des services, il faut oser dire les choses. Dire que nous sommes passés d'un système ouvert à un système extrêmement fermé.

Je conclurai par une anecdote. À l'époque où j'étais directeur général des services d'un département, j'ai eu à recruter un inspecteur de l'aide sociale à l'enfance. Ne restaient, après plusieurs rendez-vous, que deux candidats. Le premier était extrêmement empathique et ouvert aux familles, le second incroyablement outillé sur le plan juridique, mais beaucoup moins empathique. À ce moment-là, j'ai fait le choix de protéger l'institution et non l'enfance. J'ai donc choisi le candidat expérimenté au détriment de la personne en empathie. Quelques mois plus tard, cet inspecteur convoquait un assistant familial dans son bureau pour lui annoncer le retrait d'un enfant, de façon si brutale que la personne est décédée dans son bureau.

C'est la raison pour laquelle je me rends régulièrement dans des assemblées d'anciens pupilles, afin de mener ma petite enquête personnelle et égoïste. Mais voilà le genre de situation provoquée par une lecture de nos responsabilités qui, finalement, est insuffisamment réinscrite dans une finalité. En France, nous parlons beaucoup des outils, mais jamais des objectifs et des finalités. Si j'avais été davantage dans la finalité, je n'aurais pas commis cette erreur. Remettons au coeur du débat sur l'avenir des politiques publiques, la question de la finalité – le bien-être de l'enfant, de la famille, de la société.

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