Intervention de Michèle Créoff

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 10h30
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) :

Quels sont les enjeux du CNPE, en matière de protection de l'enfance ? Ce sont des enjeux de fond, car nous sommes à un moment crucial de la protection de l'enfance. Je sais bien que votre mission concerne, en particulier, l'aide sociale à l'enfance, mais je parlerai plutôt de dispositif de protection de l'enfance, la protection de l'enfance allant bien au-delà de la prestation à assurer par les départements au titre de l'aide sociale à l'enfance.

Nous sommes à la croisée des chemins, la réforme de 2016 étant fondamentale. Elle définit très précisément la mission de la protection de l'enfance, contrairement aux autres réformes qui étaient beaucoup plus vagues sur les critères d'intervention. Notre mission est de garantir les besoins fondamentaux de l'enfant au regard de son développement. La notion de danger est très clairement abordée : tout ce qui contrevient à ce développement, dans le non-respect de ses besoins fondamentaux.

Toutes les errances diverses et variées sur la question de la définition du danger sont censées prendre fin, si nous acceptons que le législateur définisse la politique publique. J'insiste sur ce point, car je sais bien que, pour certains, la notion de danger reste un concept à géométrie variable. Une définition aussi précise est un bouleversement dans la protection de l'enfance.

Nous sommes à la croisée des chemins, parce que la loi de 2016 administre les pratiques professionnelles. La loi et ses décrets d'application détaillent, par exemple, la composition de l'équipe devant réaliser l'évaluation de l'information préoccupante (IP) et précise que, pour ce faire, il est indispensable de se rendre au domicile. Il s'agit toujours d'une compétence décentralisée, mais le législateur a fait le choix d'administrer les pratiques professionnelles, afin d'établir un minimum d'égalité de traitement entre les enfants en danger, sur l'ensemble du territoire. Il s'agit vraiment d'un changement de paradigme.

Désormais, le parcours de l'enfant doit être sécurisé. C'est-à-dire que ce n'est plus l'enfant qui doit être déplacé au gré des aléas de la vie institutionnelle ou des parents. L'enfant doit mener une vie stable, se développer dans un lieu sécurisé ; ce sont les organisations qui doivent s'adapter au parcours de l'enfant.

Cette loi précise également que l'assistance éducative n'est pas l'alpha et l'oméga de la protection de l'enfance, et que d'autres statuts juridiques sont possibles – notamment lorsqu'il s'agit de suppléances longues, c'est-à-dire que l'enfant va être pris en charge jusqu'à sa majorité. Les départements doivent obligatoirement mettre en place une commission qui vérifie que le statut juridique de l'enfant correspond bien à son besoin fondamental de sécurité.

Ce changement de paradigme doit mobiliser l'ensemble des acteurs. Les leviers doivent être forts pour que cette loi soit appliquée. Et pour disposer de leviers forts, le pilotage national doit également être fort, sinon nous aurons, une fois encore, une application de la loi à géométrie variable, en fonction des compétences et des moyens des départements. De sorte que le CNPE propose dans ses avis, en termes d'instances de régulation nationale, des outils nationaux permettant de faire levier.

L'un de nos avis propose un référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes – comment définir le danger, comment poser un diagnostic de danger. Car si nous nous trompons dans le diagnostic, nous nous trompons dans la thérapeutique. Nous estimons que ce référentiel est un moyen de garantir une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Nous avons donc rendu un avis visant à étendre le référentiel, déjà existant dans de nombreux départements, et qui a reçu un certain nombre de validations scientifiques, au niveau national.

Nous avons, par ailleurs, mis en place un groupe santé afin de définir la façon de mobiliser le dispositif de santé – autre levier, en termes de régulation et d'harmonisation au niveau national. Les enfants pris en charge par l'ASE ne sont pas dans un état de santé satisfaisant, l'accès aux soins, notamment psychiques, n'est pas satisfaisant, alors même qu'ils présentent des traumatismes importants et que la prise en charge doit se faire le plus précocement possible pour éviter l'aggravation des troubles, et notamment des troubles du développement.

Nous avons donc, et je remercie tous les bénévoles, mis en place un groupe santé, composé de praticiens médicaux, la plupart hospitaliers, mais aussi de personnel de la protection maternelle et infantile (PMI). Ce groupe se réunit toutes les six semaines pour travailler sur l'accès aux soins des enfants de l'ASE et des enfants victimes de violences.

Ces praticiens ont préconisé – et nous avons transmis notre avis au Gouvernement – l'organisation d'un parcours de santé, gratuit, pour l'ensemble des enfants pris en charge ou victimes de violences, et notamment la prise en charge gratuite des psychothérapies, dans le cadre d'un réseau de soins coordonné.

Nous avons également transmis un avis sur les indicateurs de vulnérabilité en termes de prévention, qui devraient être identiques sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, nous sommes extrêmement inquiets sur le devenir des jeunes majeurs. Nous avons, dans le cadre des chiffres que nous produisons via l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), constaté une baisse de 6 % des prises en charge des jeunes majeurs, entre 2017 et 2018. Et ce, malgré une hausse de 13 % des décisions de prise en charge rendues par les juges pour enfants.

Nous avons recueilli des témoignages – et je crois savoir que vous aussi – selon lesquels le statut de pupille de l'État ne protège plus les jeunes majeurs. Des départements arrêtent de prendre en charge les pupilles de l'État à leurs dix-huit ans ; des jeunes qui n'ont aucune famille. Je n'avais encore jamais vu une telle chose de toute ma carrière ! Si les pupilles de l'État ne sont plus protégés, où allons-nous ? Il y a une urgence sociale absolue sur la question de la prise en charge des jeunes majeurs. Nous avons donc rendu un avis demandant que soit instaurée une obligation légale à la continuité de la prise en charge des jeunes au-delà de leurs dix-huit ans.

Enfin, nous sommes inquiets de l'état de l'accueil familial. L'âge moyen des familles d'accueil est de cinquante-cinq ans. Tous les départements – urbains, péri-urbains, ruraux – reconnaissent qu'il existe une crise du recrutement. Si nous ne faisons rien, dans dix ans, nous n'aurons plus de familles d'accueil. Il y a donc, là aussi, une urgence institutionnelle, politique, à mettre à plat le statut des familles d'accueil et à repérer quels sont les freins au recrutement, les freins à la formation, les freins à l'intégration dans les équipes éducatives, pour les lever rapidement.

Nous demandons au Gouvernement, dans notre avis, de mettre en place très rapidement ce diagnostic au niveau national, qui vient interroger l'ensemble de la problématique ; ce qui est de la compétence des départements et de l'État, en termes de statut et de réglementation, et de la compétence des diverses organismes paritaires, en termes de formation, d'assurance, etc.

Voilà, de façon non exhaustive, bien sûr, comment nous avons travaillé, quels sont aujourd'hui nos enjeux et nos questionnements sur la protection de l'enfance. Je ne vous cache pas que nous espérons, de façon peut-être un peu égoïste, que les moyens du CNPE soient à la hauteur de sa tâche et de l'ambition affichée. Nous espérons également que les avis que nous rendons, sur les urgences que nous constatons, puissent servir de socle à une mise en oeuvre d'une politique de la protection de l'enfance au niveau national.

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