Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Jeudi 18 avril 2019
La séance est ouverte à dix heures trente.
Présidence de Mme Nathalie Elimas, vice- présidente de la mission d'information de la Conférence des présidents
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Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions. Nous accueillons Mme Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et Mme Marie Derain de Vaucresson, secrétaire générale.
Mesdames, je vous laisse la parole pour une présentation liminaire, puis nous vous poserons des questions.
Nous vous remercions de nous recevoir. Nous allons vous présenter le CNPE et ses travaux, les éléments que nous considérons comme prioritaires pour la protection de l'enfance et l'aide sociale à l'enfance (ASE), sachant que le CNPE n'est installé que depuis le 12 décembre 2016.
L'institution du CNPE par la loi est un événement important, puisqu'il s'agit d'une attente de tous les acteurs du domaine de la protection de l'enfance. En effet, depuis une dizaine d'années, nous sollicitons la création d'une instance nationale qui serait un lieu de débat, un lieu de construction des consensus et un lieu d'échange des bonnes pratiques – en espérant une harmonisation des pratiques professionnelles sur l'ensemble du territoire.
Le CNPE est composé de quatre-vingt-deux membres et représente l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance, dont, bien évidemment, les départements, qui sont représentés aussi bien au niveau politique – neuf vice-présidents en charge de la protection de l'enfance sont membres du CNPE –, qu'administratif, avec des représentants de deux associations, l'Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé des départements et métropoles (ANDASS) et l'Association nationale des directeurs de l'enfance et de la famille (ANDEF).
Le CNPE est également composé des associations professionnelles – éducateurs, assistants sociaux, médecins, administrateurs ad hoc, avocats, magistrats ; des grandes fédérations des institutions habilitées – l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE) ; des associations d'assistants familiaux ; d'une représentation des personnes directement concernées – anciens enfants placés et parents d'enfants placés.
Le CNPE ayant absorbé le Conseil supérieur de l'adoption (CSA), il est également composé de représentants de familles adoptives et de représentants d'enfants adoptés. Enfin, il est composé d'associations de protection de l'enfance et de douze personnalités qualifiées – juristes, sociologues, chercheurs, personnes expertes et personnes concernées.
Après un peu plus de deux ans d'expérience, nous nous considérons comme un collectif représentatif des acteurs de la protection de l'enfance dans toute sa diversité – d'approche, idéologique, de pratiques… Nous avons réussi à construire des consensus sur des sujets complexes, tels que les mineurs non accompagnés (MNA) ou la définition du viol sur mineur, et à rendre des avis au Gouvernement.
Nous travaillons en cinq commissions thématiques. Une première commission sur la prévention et le repérage précoce. Le CNPE s'articulant avec d'autres instances, notamment le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), dont l'un des champs concerne l'enfance et l'adolescence, nous nous sommes partagés le périmètre de la prévention. La prévention primaire relève du Haut Conseil, et la prévention secondaire du CNPE. Pour 2019, la thématique de travail de notre commission est la prévention des violences en institutions.
Deuxième commission : la commission adaptation des interventions aux besoins de l'enfant. Nous avons fait le choix d'inscrire l'ensemble de nos travaux dans le droit fil de la loi de 2016. Notre fil rouge, notre critère de référence, est donc la satisfaction des besoins fondamentaux de l'enfant au regard de son développement. Nous nous inscrivons dans cette initiative du législateur de repositionner l'enfant, ses besoins fondamentaux et son développement, au coeur de la protection de l'enfance.
Très stratégique, cette commission devra déterminer comment les prises en charge doivent s'adapter à la satisfaction des besoins fondamentaux de l'enfant, au regard de son développement.
Troisième commission : amélioration de la formation en matière de protection de l'enfance.
Quatrième commission : amélioration de la connaissance sur la protection de l'enfance et développement de la recherche. Vous connaissez le déficit de chiffres, d'études, d'analyses de cette politique publique. Il nous a donc semblé important que le CNPE soit le lieu où sont certifiées un certain nombre de données statistiques, où sont questionnées les quelques données statistiques existantes et où nous intervenons pour demander l'instauration de véritables outils statistiques pour piloter une politique nationale.
Enfin, la commission adoption a pris la place, si je puis m'exprimer ainsi, du CSA, et traite de l'ensemble des problématiques d'adoption.
Le CNPE peut soit être saisi par le Gouvernement, soit s'autosaisir. Il est saisi par le Gouvernement des projets de texte qui traitent de la protection de l'enfance. Et il peut donc s'autosaisir, et heureusement. Car la conception de la saisine du CNPE est pour l'instant extrêmement étroite ; nous ne sommes saisis que sur des textes concernant stricto sensu l'aide sociale à l'enfance, de sorte que nous nous sommes autosaisis, dans le cadre de la réforme relative aux violences sexuelles, de la définition du viol sur mineur. Il nous a semblé anormal que le CNPE ne soit pas saisi par le Gouvernement sur cette question. Nous nous sommes également autosaisis dans le cadre d'initiatives parlementaires, dont celle relatives à la garde alternée.
Le fonctionnement du CNPE est singulier, puisque, contrairement à d'autres conseils, c'est le ministre en charge de la politique publique qui préside le Conseil – alors que nous devrions être autonomes. Nous avons donc parfois des incertitudes sur la façon dont nous devons fonctionner, même si pour l'instant tout a été relativement fluide.
Par ailleurs, nous sommes l'un des rares conseils à ne pas être rattachés au Premier ministre. C'est la raison pour laquelle, nous disposons de moyens extrêmement limités. Je vous présente « l'unique moyen du CNPE » qui a été mis à disposition par le ministère de la justice, en l'occurrence par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : Mme Marie Derain de Vaucresson.
Tout repose sur la mobilisation de nos membres. Ils assurent la veille parlementaire, nous transmettent les travaux existants, animent les commissions, prennent des notes, assurent les comptes rendus, etc. Certes, nous existons, mais nous n'avons pas le sentiment d'être dans une existence « stabilisée » – je vais le dire de cette façon.
Je souhaiterais préciser que la loi prévoit le rattachement du CNPE au Premier ministre. C'est dans la mise en oeuvre de son fonctionnement qu'il a été décidé, j'imagine dans un « bleu », à Matignon, en 2016 – je n'étais pas encore là – que le Conseil ferait avec les moyens du bord. C'est la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) qui m'abrite physiquement. Je dois cependant faire la « danse du ventre » pour obtenir un petit quelque chose, que ce soit un service de secrétariat ou un point d'organisation quelconque.
Quels sont les enjeux du CNPE, en matière de protection de l'enfance ? Ce sont des enjeux de fond, car nous sommes à un moment crucial de la protection de l'enfance. Je sais bien que votre mission concerne, en particulier, l'aide sociale à l'enfance, mais je parlerai plutôt de dispositif de protection de l'enfance, la protection de l'enfance allant bien au-delà de la prestation à assurer par les départements au titre de l'aide sociale à l'enfance.
Nous sommes à la croisée des chemins, la réforme de 2016 étant fondamentale. Elle définit très précisément la mission de la protection de l'enfance, contrairement aux autres réformes qui étaient beaucoup plus vagues sur les critères d'intervention. Notre mission est de garantir les besoins fondamentaux de l'enfant au regard de son développement. La notion de danger est très clairement abordée : tout ce qui contrevient à ce développement, dans le non-respect de ses besoins fondamentaux.
Toutes les errances diverses et variées sur la question de la définition du danger sont censées prendre fin, si nous acceptons que le législateur définisse la politique publique. J'insiste sur ce point, car je sais bien que, pour certains, la notion de danger reste un concept à géométrie variable. Une définition aussi précise est un bouleversement dans la protection de l'enfance.
Nous sommes à la croisée des chemins, parce que la loi de 2016 administre les pratiques professionnelles. La loi et ses décrets d'application détaillent, par exemple, la composition de l'équipe devant réaliser l'évaluation de l'information préoccupante (IP) et précise que, pour ce faire, il est indispensable de se rendre au domicile. Il s'agit toujours d'une compétence décentralisée, mais le législateur a fait le choix d'administrer les pratiques professionnelles, afin d'établir un minimum d'égalité de traitement entre les enfants en danger, sur l'ensemble du territoire. Il s'agit vraiment d'un changement de paradigme.
Désormais, le parcours de l'enfant doit être sécurisé. C'est-à-dire que ce n'est plus l'enfant qui doit être déplacé au gré des aléas de la vie institutionnelle ou des parents. L'enfant doit mener une vie stable, se développer dans un lieu sécurisé ; ce sont les organisations qui doivent s'adapter au parcours de l'enfant.
Cette loi précise également que l'assistance éducative n'est pas l'alpha et l'oméga de la protection de l'enfance, et que d'autres statuts juridiques sont possibles – notamment lorsqu'il s'agit de suppléances longues, c'est-à-dire que l'enfant va être pris en charge jusqu'à sa majorité. Les départements doivent obligatoirement mettre en place une commission qui vérifie que le statut juridique de l'enfant correspond bien à son besoin fondamental de sécurité.
Ce changement de paradigme doit mobiliser l'ensemble des acteurs. Les leviers doivent être forts pour que cette loi soit appliquée. Et pour disposer de leviers forts, le pilotage national doit également être fort, sinon nous aurons, une fois encore, une application de la loi à géométrie variable, en fonction des compétences et des moyens des départements. De sorte que le CNPE propose dans ses avis, en termes d'instances de régulation nationale, des outils nationaux permettant de faire levier.
L'un de nos avis propose un référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes – comment définir le danger, comment poser un diagnostic de danger. Car si nous nous trompons dans le diagnostic, nous nous trompons dans la thérapeutique. Nous estimons que ce référentiel est un moyen de garantir une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Nous avons donc rendu un avis visant à étendre le référentiel, déjà existant dans de nombreux départements, et qui a reçu un certain nombre de validations scientifiques, au niveau national.
Nous avons, par ailleurs, mis en place un groupe santé afin de définir la façon de mobiliser le dispositif de santé – autre levier, en termes de régulation et d'harmonisation au niveau national. Les enfants pris en charge par l'ASE ne sont pas dans un état de santé satisfaisant, l'accès aux soins, notamment psychiques, n'est pas satisfaisant, alors même qu'ils présentent des traumatismes importants et que la prise en charge doit se faire le plus précocement possible pour éviter l'aggravation des troubles, et notamment des troubles du développement.
Nous avons donc, et je remercie tous les bénévoles, mis en place un groupe santé, composé de praticiens médicaux, la plupart hospitaliers, mais aussi de personnel de la protection maternelle et infantile (PMI). Ce groupe se réunit toutes les six semaines pour travailler sur l'accès aux soins des enfants de l'ASE et des enfants victimes de violences.
Ces praticiens ont préconisé – et nous avons transmis notre avis au Gouvernement – l'organisation d'un parcours de santé, gratuit, pour l'ensemble des enfants pris en charge ou victimes de violences, et notamment la prise en charge gratuite des psychothérapies, dans le cadre d'un réseau de soins coordonné.
Nous avons également transmis un avis sur les indicateurs de vulnérabilité en termes de prévention, qui devraient être identiques sur l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, nous sommes extrêmement inquiets sur le devenir des jeunes majeurs. Nous avons, dans le cadre des chiffres que nous produisons via l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), constaté une baisse de 6 % des prises en charge des jeunes majeurs, entre 2017 et 2018. Et ce, malgré une hausse de 13 % des décisions de prise en charge rendues par les juges pour enfants.
Nous avons recueilli des témoignages – et je crois savoir que vous aussi – selon lesquels le statut de pupille de l'État ne protège plus les jeunes majeurs. Des départements arrêtent de prendre en charge les pupilles de l'État à leurs dix-huit ans ; des jeunes qui n'ont aucune famille. Je n'avais encore jamais vu une telle chose de toute ma carrière ! Si les pupilles de l'État ne sont plus protégés, où allons-nous ? Il y a une urgence sociale absolue sur la question de la prise en charge des jeunes majeurs. Nous avons donc rendu un avis demandant que soit instaurée une obligation légale à la continuité de la prise en charge des jeunes au-delà de leurs dix-huit ans.
Enfin, nous sommes inquiets de l'état de l'accueil familial. L'âge moyen des familles d'accueil est de cinquante-cinq ans. Tous les départements – urbains, péri-urbains, ruraux – reconnaissent qu'il existe une crise du recrutement. Si nous ne faisons rien, dans dix ans, nous n'aurons plus de familles d'accueil. Il y a donc, là aussi, une urgence institutionnelle, politique, à mettre à plat le statut des familles d'accueil et à repérer quels sont les freins au recrutement, les freins à la formation, les freins à l'intégration dans les équipes éducatives, pour les lever rapidement.
Nous demandons au Gouvernement, dans notre avis, de mettre en place très rapidement ce diagnostic au niveau national, qui vient interroger l'ensemble de la problématique ; ce qui est de la compétence des départements et de l'État, en termes de statut et de réglementation, et de la compétence des diverses organismes paritaires, en termes de formation, d'assurance, etc.
Voilà, de façon non exhaustive, bien sûr, comment nous avons travaillé, quels sont aujourd'hui nos enjeux et nos questionnements sur la protection de l'enfance. Je ne vous cache pas que nous espérons, de façon peut-être un peu égoïste, que les moyens du CNPE soient à la hauteur de sa tâche et de l'ambition affichée. Nous espérons également que les avis que nous rendons, sur les urgences que nous constatons, puissent servir de socle à une mise en oeuvre d'une politique de la protection de l'enfance au niveau national.
J'insisterai sur le fait que la mission du CNPE est de présenter des propositions d'orientation de cette politique publique pour élaborer une stratégie nationale de la protection de l'enfance – décret du 29 septembre 2016.
Mesdames, je vous remercie pour cette entrée en matière. Nous sommes tous marqués par les témoignages recueillis la semaine dernière d'anciens enfants de l'ASE, s'agissant notamment des dysfonctionnements institutionnels.
Aucune personne auditionnée ne nous a dit que la loi de 2016 n'était pas une bonne loi. J'aimerais donc comprendre les freins à son application. Où en est, par ailleurs, le projet pour l'enfant (PPE) ? Quelle est l'évolution du statut d'adoptabilité des enfants ? De la prise en charge des soins ?
Enfin, que se passe-t-il, une fois vos avis rendus ?
S'agissant de l'application de la loi de 2016, nous avons essayé, dans la limite de nos moyens, et avec l'aide de l'ANDASS et de la DGCS, d'avoir une visibilité de son application.
Un questionnaire a été élaboré, dans le cadre de la commission adaptation des interventions aux besoins de l'enfant, et envoyé via l'ANDASS aux départements. Les retours sont plutôt satisfaisants.
Visiblement, il existe une vraie volonté des départements de mettre en place la commission statut, visant à vérifier que le statut juridique de l'enfant correspond bien à son besoin fondamental de sécurité – certains sont en train de la créer, d'autres l'envisagent fortement. L'instauration de la commission est assez complexe, notamment parce qu'elle nécessite l'intervention d'acteurs extérieurs à l'aide sociale à l'enfance – ASE, magistrats, psychiatres, psychologues...
Par ailleurs, le volume de traitement n'a pas été calibré dans la loi. La situation des enfants de moins de deux ans doit être revue par la commission tous les six mois et, pour les enfants de plus de deux ans, tous les ans.
Les notions de sécurité juridique et de suppléance parentale longue étaient les non-dits de la protection de l'enfance. Personne n'a jamais regardé combien d'enfants étaient concernés par ce parcours sur le long terme, car nous considérions qu'ils avaient vocation à rentrer chez eux. De sorte que les départements, à partir des critères fixés par la loi, sont surpris par le nombre important d'enfants concernés par cette commission statut.
Les difficultés de l'application de la loi de 2016 s'expliquent également par le fait qu'un amendement du Sénat a neutralisé la définition du délaissement parental – et a ainsi empêché la loi d'aller au terme de son objectif. L'une des conditions posées par l'article 381-1 du code civil dispose que « les parents ne doivent pas avoir été empêchés par quelle que cause que ce soit ». Or une schizophrénie, par exemple, est un empêchement ; l'enfant va être délaissé. Un enfant dont les parents disparaissent du paysage familial parce qu'ils souffrent de maladie mentale ou d'addiction sévère est un enfant délaissé. Donc, si la notion d'empêchement vient neutraliser la notion de délaissement, nous allons rencontrer de grandes difficultés à définir, de façon simple, les critères de ce délaissement.
L'évaluation des informations préoccupantes demande, en revanche, des moyens, les textes prévoyant, obligatoirement, un binôme d'évaluateurs, des technicités différents – une assistance sociale, une puéricultrice, un psychologue, un éducateur – et une évaluation qui doit être réalisée dans les trois mois. Elle sera donc, très clairement, différente selon les départements, puisqu'elle se fera en fonction de leur niveau d'organisation. Nous ne disposons que de peu d'informations, mais son installation, depuis deux, nous paraît difficile. D'où l'importance, encore une fois, du référentiel national.
S'agissant du projet pour l'enfant, qui était déjà une obligation de la loi de 2007, son application est très variable – 101 départements, organisés de 101 façons différentes. Les départements ont démarré très lentement, d'autant que ce projet demande une transformation profonde des pratiques professionnelles. Jusqu'à présent la protection de l'enfance consistait en un accueil provisoire de l'enfant et à un travail avec les parents pour qu'il puisse rentrer dans sa famille. Là, il leur est demandé de construire un projet pour l'enfant, de se projeter dans son avenir, d'avoir une ambition d'éducation sur le moyen et le long termes – et non plus seulement une mission de mise à l'abri face au danger. Un projet qui englobe toute la problématique : il doit être discuté avec les parents et explore les ressources parentales, environnementales et celles de l'enfant.
La question est donc la suivante : comment se donner l'ambition et les moyens, avec les départements, d'accompagner ce changement de pratiques professionnelles profond et ainsi instaurer une politique nationale de protection de l'enfance ?
En respectant les compétences des uns et des autres. C'est-à-dire en persuadant les départements qu'ils ont tout à gagner à ce changement de pratiques professionnelles. Bien sûr, il est très compliqué d'accompagner des milliers de travailleurs sociaux dans ce changement de pratiques professionnelles, mais c'est absolument nécessaire. Peut-être conviendrait-il de simplifier un certain nombre d'éléments, notamment de diminuer le nombre de documents, et de participer au financement des formations et des actions des organisations.
Quoi qu'il en soit, ce chantier doit s'ouvrir, car nous ne ferons pas bouger les choses si nous ne transformons pas les pratiques professionnelles, sur l'ensemble du territoire – afin d'éviter les inégalités territoriales.
Je renforcerai le constat de Michèle Créoff sur l'intention des départements. De nombreux départements ont en effet engagé des chantiers, puisque nous disposons du chiffre de 80 % d'existence d'un PPE. Mais s'il existe sur le papier, ce PPE n'est pas forcément mis en oeuvre, et pas pour tous les enfants.
Je voulais également vous indiquer que vous trouverez les résultats que nous avons obtenus l'année dernière dans l'annexe 6 du rapport 2018. Nous aurons de nouveaux résultats en mai prochain – que nous transmettrons à votre mission.
Madame Créoff, vous avez coécrit un livre avec Françoise Laborde, dans lequel vous dressez un constat d'échec de la protection de l'enfance en France et proposez un certain nombre de pistes d'amélioration. Parmi elles, le déploiement d'un guide national d'évaluation des situations de danger à destination des assistantes sociales, infirmières, instituteurs, etc. Sur quels critères repose cette évaluation ?
Les préconisations que nous formulons dans ce livre ont très largement été travaillées au CNPE ; et ce qui a été travaillé au CNPE était très largement contenu dans une diversité de rapports. C'est d'ailleurs ce qui est désolant : toutes ces questions ont déjà été traitées, le CNPE n'est qu'un lieu de synthèse, nous n'inventons rien.
Ce référentiel national, fondé sur le travail de la commission adaptation des interventions aux besoins de l'enfant, existe déjà. Il y a plus de dix ans, un certain nombre de départements, dont le Val-de-Marne, la Seine-et-Marne et la Savoie, ont travaillé avec le centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptées (CREAI) d'Auvergne-Rhône-Alpes et la PJJ pour mettre en place un référentiel d'évaluation participative en protection de l'enfance.
Pour l'élaborer, nous nous sommes inspirés d'un référentiel québécois, que nous avons francisé, et bien sûr travaillé avec des équipes québécoises. Ce référentiel a été testé dans les départements concernés, sous l'égide de l'ONPE et de son comité scientifique. Un comité scientifique qui l'a éprouvé trois fois de suite, à chaque évolution législative et de pratiques professionnelles ; et nous en avons rendu compte à chaque fois.
Ce référentiel permet de se poser les bonnes questions dans un certain nombre de domaines – santé, scolarité, relations avec les parents, étapes de développement de l'enfant, etc. – à partir de concepts partagés, comme la théorie de l'attachement ; des concepts de psychanalyse, de psychoéducation, etc. Il permet de poser un diagnostic – l'enfant est en danger, telles ressources peuvent être exploitées…
Les vingt-sept départements qui utilisent ce référentiel depuis plus de dix ans en sont très satisfaits. Nous demandons au Gouvernement, depuis deux ans, que ce référentiel devienne le référentiel national – à partir d'un pilotage national.
Comment voyez-vous la relation État-département dans la mise en oeuvre de la loi de 2016, qui a le mérite d'exister et de dire les choses ? Car nous savons qu'il va falloir du temps pour accompagner les professionnels dans ce changement de paradigme, qui était nécessaire.
Nous savons que des moyens sont indispensables, mais nous pourrions les augmenter et n'obtenir aucun résultat, si ne sont pas mis en place une organisation adéquate, un changement de pratiques professionnelles, un partage d'informations, etc.
Pourriez-vous revenir sur cette question : comment faire pour que ce changement de pratiques professionnelles puisse être réalisé au niveau national, tout en respectant l'organisation des départements ?
L'expérience de deux ans du CNPE permet d'affirmer que l'élaboration d'un consensus est possible. Quand on se donne le temps de réunir l'ensemble des acteurs et de décrypter les dissensions, nous sommes tout à fait capables de construire des consensus sur des sujets complexes.
Ce que nous avons réalisé, avec les moyens du bord, de manière très artisanale, doit maintenant devenir opérationnel. C'est la raison pour laquelle, nous souhaitons une instance opérationnelle capable de construire des consensus. Il existe déjà des embryons d'instances paritaires : le groupement d'intérêt public (GIP) Enfance en danger, qui rassemble le service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED), et l'ONPE ; le CNPE. Ne pourrions-nous pas penser une instance nationale paritaire qui aurait ce rôle d'impulsion, de construction des consensus, de diffusion des bonnes pratiques et de soutien des départements en difficulté ?
Par ailleurs, dans les territoires, l'État peut véritablement investir de façon beaucoup plus efficace le soutien aux départements, notamment avec sa politique de santé psychique et mentale. Comment mobiliser les agences régionales de santé (ARS) ? Comment l'État et l'assurance maladie peuvent-ils financer des réseaux de soins qui accompagneront les départements ? Mais la question se pose également pour tous les acteurs de l'État concernés par les problématiques de l'insertion, de l'hébergement d'urgence, de la formation…
N'oublions pas, en effet, que la protection de l'enfance est une compétence partagée entre l'État et les départements : c'est l'exécution de mesures judiciaires – une compétence en grande partie régalienne.
Il est en effet important, pour la représentation nationale, de mesurer l'enjeu du portage politique de cette politique publique. Ce n'est pas anodin si le CNPE a été placé auprès du Premier ministre. Se contenter de le rattacher au champ de la solidarité et de la santé aurait eu pour résultat de réduire son action. Plus de 80 % des décisions de placement sont encore judiciaires, aujourd'hui. Le ministère de la Justice est donc l'un des acteurs éminemment important de cette politique publique. La transversalité ministérielle est indispensable.
Quelles sont les réticences avancées par les gouvernements pour mettre en place ce référentiel national ? De même, quelles sont les réticences à l'instauration d'un fichier national des agréments ?
Madame Créoff, vous indiquez avoir présenté des recommandations concernant la prévention des violences en institutions. Or, l'un des faits marquants exposés par les anciens de l'ASE était justement l'absence de contrôle et de prévention des violences institutionnelles. Quelles sont vos préconisations sur cette question ?
Enfin, la problématique des mineurs non accompagnés m'inquiète particulièrement. Lors de cette audition, un ancien MNA a parlé de rupture d'égalité forte au sein de l'ASE, notamment au sein des appels à projets relatifs à ces mineurs, dont il dénonçait les accompagnements « low-cost » – prix de journée plus bas, moyens alloués inférieurs aux autres enfants, etc. Quelle est votre position ?
S'agissant des réticences, les premières nous ont été signifiées par le ministère des Solidarités et de la santé. Elles évoquaient une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. Nous avons répondu qu'il existait une grille nationale d'estimation de la perte d'autonomie pour la demande de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ; or que personne ne considère cette grille comme une atteinte à la liberté d'administration des collectivités territoriales. Il est donc possible d'assurer l'égalité de traitements des personnes âgées mais pas des enfants à protéger ?
Il existe une vraie difficulté à faire comprendre, même au niveau national, que la protection de l'enfance est très largement une mission régalienne. Et que s'il y a bien une politique pour laquelle nous devons nous donner les moyens d'assurer l'égalité de traitement, c'est bien celle-ci. Nous renvoyer des grands principes institutionnels pour justifier ce manquement devient de moins en moins audible – notamment au regard des résultats obtenus.
Une autre raison est relative à la propriété industrielle déposée par le Centre régional d'études d'actions et d'informations (CREAI) Auvergne-Rhône-Alpes, qui nécessitera des négociations pour que l'État puisse reprendre la main sur cette propriété. Une question complexe. Même si, je le rappelle, cela a été effectué pour la grille APA.
Concernant le fichier des agréments, nous avons un rendu un avis selon lequel il convenait avant tout d'établir un diagnostic extrêmement précis de tout ce qui pose problème dans l'organisation du métier d'assistant familial. Parmi les problèmes que nous avons recensés, nous avons notamment relevé : les relations entre l'assistant familial, l'enfant et la famille ; l'organisation du travail au sein des services de l'aide sociale à l'enfance et des services habilités ; les ressources humaines concernant la rémunération, l'entretien, les congés et les formations ; et le contrôle. S'agissant du contrôle, nous avons été assez loin, puisque nous préconisons d'expertiser la pertinence, ou pas, d'outils de contrôle plus automatisés et réguliers.
Nous demandons donc, et c'est une première, un diagnostic de ce métier, et, encore une fois, un diagnostic partagé. Nous souhaitons la construction d'un diagnostic consensuel, avec notamment les associations des familles d'accueil, les familles d'accueil et les enfants, car nous sommes persuadés qu'établir ce diagnostic nous permettra de trouver les solutions.
Concernant la question des mineurs non accompagnés, nous venons de rendre un avis, sur demande du ministère de l'intérieur, concernant le financement que l'État va accorder aux départements pour la prise en charge de l'évaluation de la minorité et de l'isolement familial. Nous indiquons que les montants alloués aux MNA, notamment pour l'hébergement, sont sans commune mesure – à la baisse, bien évidemment – aux montants pratiqués en termes de prix de journée dans le cadre de la protection de l'enfance. Nous demandons donc que ces montants soient revus, l'État devant prendre sa juste part financière de l'évaluation – qui, je le répète, est une compétence régalienne.
Enfin, la prévention des violences en institutions est le thème que nous allons étudier cette année. La commission prévention et repérage précoce se réunit trois fois par an – une première réunion s'est déjà tenue.
Je rappellerai que des travaux ont déjà été menés sur cette question, par le ministère, au cours des années 1997-1998-1999-2000, qui a sorti des premiers chiffres, présenté une recommandation et élaboré un guide pratique. Cette question a également fait l'objet de nombreux travaux de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), qui présente, depuis 2008, des recommandations.
Nous allons refaire ce qui a déjà été fait. Très clairement, sur cette question, comme sur d'autres, nous savons faire. Nous savons comment prévenir les violences en institutions, que ce soit en termes de formation des acteurs, de participation à la gestion de la structure, de sécurité des parcours et de contrôle. Aujourd'hui, nous avons besoin, non pas d'en savoir plus, mais de faire appliquer les connaissances – dans la diversité, bien entendu, des organisations départementales.
L'un des objectifs du développement durable (ODD) est le suivant, je cite : « Mettre un terme à la maltraitance, à l'exploitation, à la traite et à toutes les formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants ».
J'ai travaillé, il y a quelque temps, sur le coût de la violence faite aux enfants, pour les enfants et la société. Il serait intéressant d'évaluer ce coût.
Je vous remercie pour cette question, car, même si cela est paradoxal, il est assez rare de parler de la violence faite aux enfants quand on parle de l'ASE.
La loi de 2007 a supprimé le terme de « maltraitance » des missions de la protection de l'enfance, comme elle a supprimé l'obligation de signalement à l'autorité judiciaire pour le président du conseil départemental des situations de maltraitance – heureusement réintroduite par la loi de 2016.
Affirmer que la protection de l'enfance est principalement une politique de protection contre les violences faites aux enfants a été toujours été un enjeu idéologique. Le CNPE a demandé qu'un certain nombre de chiffres soient connus pour pouvoir suivre l'évolution des violences faites aux enfants. L'ONPE s'est donc intéressé aux chiffres de la police et de la gendarmerie ; les violences sont en augmentation permanente.
Voici les chiffres de 2017 : 59 265 mineurs victimes de violences physiques, soit 10 % de plus qu'en 2016 ; 23 293 mineurs victimes de violences sexuelles, soit 11 % de plus qu'en 2016 ; une augmentation de 10 % des violences de 10 % dans le cadre intrafamilial.
Nous espérons, bien entendu, que l'augmentation de ces chiffres, qui sont pour la première fois portés à la connaissance des autorités et du grand public, soit le résultat d'une meilleure signalétique des violences, mais nous ne pouvons néanmoins ignorer qu'ils augmentent tous les ans. Jusqu'à présent, tout le monde considérait les violences familiales et institutionnelles comme des situations exceptionnelles en termes de protection de l'enfance – or je suis persuadée que ce n'est pas le cas.
Imaginez alors la difficulté à évaluer un coût – alors même que la société a du mal à accepter la réalité de ces violences ! Nous n'en sommes vraiment pas là. Même si des auteurs de quelques études se sont autorisés, dans certains secteurs, à évaluer des coûts, en termes de santé et de problématique d'insertion sociale.
Pouvoir définir le coût de la non-prise en compte de ces violences serait extrêmement intéressant. Tout comme définir le coût des effets iatrogènes de la prise en charge. Car un jeune majeur de dix-huit ans qui est mis à la rue et vient grossir les rangs des sans domicile fixe (SDF) est le résultat d'une violence institutionnelle.
Nous n'avons effectivement aucune idée de la réalité du coût social en France. Les seules références sur lesquelles nous nous appuyons viennent des États-Unis. Les éléments de comparaison nous donnent des rapports d'échelle intéressants.
Par ailleurs, hormis les jeunes qui se retrouvent à la rue à dix-huit ans, nous devons évoquer et tenir compte de la question de la perte de sens dû au manque d'ambition que les institutions ont pour eux – en matière de projet d'insertion, de rêve professionnel, de formation.
Le manque d'ambition n'est-il pas lié au fait qu'ils ne peuvent être accompagnés que jusqu'à vingt et un ans ?
Nous pouvons effectivement nous demander si nous devons nous arrêter de les accompagner à vingt et un ans. Tous ceux qui ont réussi leur parcours – certains travaillent à nos côtés et ont travaillé dans le cadre de la stratégie de la prévention et de lutte contre la pauvreté – ont bénéficié d'accompagnement au-delà de cette limite d'âge. D'abord, parce que des départements accompagnent ces jeunes après vingt et un ans et, ensuite, parce qu'il existe des formes variées de solidarité – y compris de solidarité nationale, avec les bourses. Le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS), par exemple, est un acteur qui se mobilise particulièrement, avec des actions concrètes. Par exemple, les jeunes issus de la protection de l'enfance se retrouvaient à la rue l'été, les chambres universitaires étant réquisitionnées pour d'autres projets. Aujourd'hui, le problème ayant été identifié, le logement leur est attribué pour douze mois. De la même matière, la bourse est étalée sur douze mois.
Nous en revenons à la nécessité d'une gouvernance nationale et d'une mobilisation d'un certain nombre d'acteurs nationaux.
Je ne dispose pas du chiffre exact, mais il me semble que 70 % des jeunes ayant eu un parcours ASE sortent, à vingt et un ans, sans diplôme. La marge d'évolution est tellement importante que même si nous n'avançons qu'un tout petit peu, ce sera toujours mieux pour ces enfants – sans perdre l'ambition de faire le maximum pour tous les enfants, bien entendu.
Vous avez cité, s'agissant de l'élaboration du référentiel national, l'exemple québécois. D'aucuns s'accordent à dire que la politique de la protection de l'enfant n'est pas la même qu'en France, notamment en ce qui concerne l'autorité parentale qui est plus facilement suspendue, la politique étant plus centrée sur l'enfant que sur la cellule familiale. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous donner votre vision sur le tiers digne de confiance, une notion qui ne se développe pas beaucoup en France, alors qu'il me semble qu'une enfant serait mieux chez un membre de sa famille qu'en institution ?
Il y a les tiers dignes de confiance, mais aussi les familles bénévoles, dont la prise en charge d'un enfant est accompagnée par l'ASE. Contrairement aux familles bénévoles, les tiers dignes de confiance, si aucune mesure complémentaire n'est adoptée – une action éducative en milieu ouvert (AEMO), par exemple –, sont tous seuls à gérer des problématiques parfois compliquées. Par ailleurs, l'accompagnement financier alloué ne représente que la part entretien, ce qui est très peu.
Enfin, le tiers digne de confiance est un statut d'assistance éducative. Ce qui pose la question du périmètre de son autorité pour pouvoir gérer la vie de l'enfant dont il a la garde – et les relations avec les parents.
La question reste toujours la même : l'utilisation du statut d'assistance éducative, qui est un statut très particulier prévu pour des situations provisoires – les parents gardant l'autorité parentale. Le statut des tiers dignes de confiance doit être revu.
La famille bénévole, telle qu'elle est prévue dans la loi de 2016, s'inscrit presque dans le nouveau statut, à savoir que la famille peut être choisie par l'ASE, après évaluation, et est obligatoirement accompagnée durant la prise en charge par un personnel de l'ASE.
S'agissant de la politique québécoise, vous l'avez indiqué, le personnage le plus important est l'enfant. Les Québécois ont élaboré un référentiel très clair sur les questions des besoins fondamentaux et du développement de l'enfant, grâce en particulier aux travaux de Michel Lemay, un Français qui travaille au Québec depuis plus de quarante ans.
Leur paradigme est différent du nôtre, tout comme leurs initiatives, notamment en termes de prévention et de soutien des familles à domicile. Vous pouvez, au Québec, soutenir une famille à domicile jusqu'au départ de l'enfant – et avec tout ce que cela comporte.
Carl Lacharité est un spécialiste de ces questions. Quand un dispositif de soutien d'une famille défaillante et instauré, notamment dans les situations de négligence, un éducateur, une équipe intervient à domicile de façon extrêmement intensive et sur de très nombreuses années. La famille et l'institution acceptent cette intrusion dans le cadre d'une démarche de prévention, c'est-à-dire sans mandat du juge. Ce qui ne correspond pas du tout à notre culture.
Vous comprenez donc que, nos systèmes étant si différents, la question du placement ne se pose pas de la même façon, tout comme celle de l'autorité parentale, les parents pouvant la conserver s'ils acceptent durant de très nombreuses années une intrusion dans leur vie privée, leur capacité et compétences éducatives. En revanche, si les parents n'acceptent pas cette intrusion ou ne peuvent pas élever leur enfant, se pose rapidement la question d'une incompétence plus durable à l'éducation de l'enfant, et donc à son adoptabilité. C'est la raison pour laquelle, ils ont élaboré des outils précis visant à poser un diagnostic.
La politique du Québec en matière de protection de l'enfant fait vibrer en moi la fibre de défenseur des enfants et de leurs droits. Ils sont sur une approche de l'enfant et de ses droits, qui n'a rien avoir à ce que nous développons, culturellement, en France. Nous pouvons le constater au travers du débat relatif aux violences faites aux enfants et à la loi d'interdiction symbolique, qui rappelle aux parents que l'on n'éduque pas un enfant avec des modalités de violence, telles qu'elles sont portées aujourd'hui.
Il en va de même sur la question de la sphère familiale dans laquelle, en France, personne n'est censé pouvoir entrer pour expliquer aux parents ce qu'il convient de faire.
Il est nécessaire, en France, de faire évoluer, non seulement les états d'esprit, mais aussi les pratiques. Car si ces démarches sont possibles au Québec, c'est aussi parce que des droits ont également été élaborés pour les parents – des droits de la défense. C'est à cette condition, et sur le mode de la médiation, qu'ils peuvent se permettre de mener des actions plus offensives – et non agressives.
S'agissant des dispositifs et de l'enjeu de la diversification des prises en charge – ce que la loi de 2016 a essayé d'impulser –, il est nécessaire d'inventer des interventions éducatives qui reposent sur des socles solides, en termes de respect des droits, qui puissent être ajustés, adaptés. L'exemple de la famille bénévole est criant de ce point de vue. Pour autant, quand cette solution est choisie dans certains départements, l'un des écueils est que les professionnels retrouvent leurs vieux réflexes et se comportent comme s'il leur appartenait de tout gérer, de tout décider. Avec l'enjeu de l'autorité parentale derrière, bien évidemment.
C'est la raison pour laquelle, nous devons envisager l'autorité parentale avec plus de souplesse, en la combinant notamment avec les évolutions de la prise en charge.
Les dispositifs existent : observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE), instances traitant des cas complexes, instances politiques… Nous devrions spontanément rapprocher ces différentes instances.
La protection judiciaire de la jeunesse se remobilise sur les enjeux de protection de l'enfance, pour des mineurs ayant commis des actes de délinquance, depuis 2014, et très intensément depuis 2017 – une question qu'elle avait laissé de côté durant plus de dix ans. Ce qui veut bien dire que, en matière d'approche professionnelle à la PJJ, il existe une difficulté à mobiliser ces instances.
L'une des réponses à votre question serait de penser la gouvernance nationale dans cette pluridisciplinarité, et d'installer un copilotage de toutes ces questions. Il est délétère de s'adresser uniquement à tel ou tel acteur national pour penser des évolutions de dispositifs. Par exemple, s'agissant des jeunes majeurs, il est tout à fait contreproductif de considérer cette question uniquement du point de vue de la PJJ ou de l'ASE.
La directrice de la PJJ nous a indiqué qu'une étude était menée sur la question de la continuité des parcours. Il convient d'arrêter de considérer qu'un jeune qui commet un acte répréhensible ne relève plus de l'ASE. Nous devons être plus souples et envisager des allers retours.
J'ai connu le temps, avant que la mission de la PJJ soit recentrée sur la question des mineurs ayant commis des actes de délinquance, où, très spontanément, étaient mobilisés les services de l'aide sociale à l'enfance. Pour assurer des mesures de protection jeunes majeurs, par exemple. Aujourd'hui, cela est très compliqué.
Alors la question budgétaire se pose, bien évidemment. Et je ne suis pas compétente pour vous faire des recommandations sur des passages entre le civil et le pénal, entre l'État et les départements ; mais il est certain que des choses doivent être assouplies.
La construction d'un langage commun est nécessaire. Les collègues de la PJJ sont mobilisés sur la question du référentiel national, qui l'utilise dans le cadre de leurs missions d'investigation et d'orientation que leur confie le magistrat.
Un langage commun entre professionnels, sur la thématique de la protection de l'enfance, me semble être la meilleure façon pour dialoguer et partager les diagnostics et les objectifs des prises en charge.
Concernant l'organisation, sur le territoire, du dispositif d'accueil et de prise en charge, c'est la PJJ qui dispose des habilitations. La PJJ délivre l'habilitation à la structure d'accueil ou d'AEMO, en lien avec les agréments de l'aide sociale du département ; il s'agit d'une compétence partagée. Comment construire de vraies politiques d'habilitation et d'agrément à partir des besoins repérés, des bonnes pratiques et des contrôles nécessaires ?
Les schémas départementaux de protection de l'enfance (SDPE) étaient, jusqu'en 2004, obligatoirement conjoints. Ils ne le sont plus, et c'est dommage, pour toutes les raisons que nous venons d'évoquer.
Mesdames, je vous remercie pour la qualité de vos exposés, de vos réponses et de vos nombreux éclairages.
La réunion s'achève à onze heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 10 heures 30
Présents. – M. Guillaume Chiche, M. Olivier Damaisin, Mme Françoise Dumas, Mme Nathalie Elimas, Mme Perrine Goulet, Mme Monique Limon, Mme Mathilde Panot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.
Excusés. – Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, Mme Bérengère Poletti.