Intervention de Jacques Pulou

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 9h15
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Jacques Pulou, référent hydroélectricité de France nature environnement (FNE), vice-président du comité de bassin Rhône-Méditerranée :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je remercie votre mission d'information de permettre à France nature environnement de s'exprimer, peut-être dans une tonalité un peu différente de ce que l'on vient d'entendre, même si certains éléments se recoupent.

J'ai organisé mon intervention en cinq fiches que je vous transmettrai.

La première fiche concerne la situation alarmante de nos cours d'eau et le rôle de l'hydroélectricité dans cet état.

Les trois quarts des cours d'eau du bassin Rhône-Méditerranée-Corse n'atteindront pas le bon état en 2027. Or, je vous rappelle que, lors du Grenelle de l'environnement, c'est un objectif de 66 % de cours d'eau en bon état qui avait été fixé. Je vous ai fourni un tableau émanant du bureau du comité de bassin de l'agence de l'eau et de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui témoigne de l'importance des différentes pressions qui s'exercent sur nos cours d'eau. On s'aperçoit que les pressions qui n'ont pas d'impact direct sur la qualité de l'eau sont celles qui sont déterminantes pour l'atteinte du bon état. Il s'agit du régime hydrologique, de la morphologie et de la continuité écologique qui occupent les trois premières places.

Pour atteindre l'objectif de bon état, il faut améliorer l'insertion du parc existant dans son environnement naturel et limiter la création d'installations nouvelles aux sites les moins sensibles. L'hydroélectricité est donc un enjeu très important pour atteindre un bon état des eaux.

J'en viens à la deuxième fiche : le développement de l'hydroélectricité joue un rôle marginal dans la transition écologique. Le tableau vous montre que la part relative du développement hydroélectrique dans celui des énergies renouvelables représentera, en 2028, 1 % du total. Comme cela fait cent ans que l'on exploite l'hydroélectricité en France, il est normal que l'on arrive au bout de ce gisement. Bien sûr, certains chiffres circulent, mais ceux-ci ne tiennent pas compte des réalités du terrain. De nombreux endroits, notamment dans les Alpes, n'ont pas été équipés, parce que, lorsque vous creusez un tunnel, la montagne vous tombe dessus – on pourrait citer quelques sites en Tarentaise.

Le développement de l'hydroélectricité ne jouera donc, en toute hypothèse, qu'un rôle marginal dans la transition écologique. L'importance de l'hydroélectricité réside dans sa souplesse et son caractère pilotable, mais cette caractéristique n'est l'apanage que d'une partie du parc actuel : les deux tiers en comptant les STEP, 50 % sans les STEP, et 45 % du productible.

La transition écologique dans le domaine de la production d'électricité – 20 % à 25 % de la consommation d'énergie finale en France – vise entre autres à injecter massivement dans le réseau l'énergie produite par des sources variables, voire intermittentes comme le photovoltaïque. Au-delà de la production électrique, les points durs concernent l'adaptation du réseau à la multiplication des sites de production dispersés et sa régulation. Sur ce dernier point, l'hydroélectricité, et plus particulièrement les grands ouvrages concédés, dotés de réservoirs et fonctionnant par écluses, peuvent apporter une contribution intéressante. Lorsque le parc renouvelable aura atteint une certaine taille et que sa production excédera parfois les besoins, des services de stockage peuvent être utiles et, là encore, la grande hydraulique, dotée de réservoirs, peut jouer ce rôle. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Le développement de la production électrique ne revêt qu'un caractère marginal dans la transition écologique pour laquelle le maintien, voire l'accroissement de la pilotabilité du parc hydroélectrique constitue par contre un enjeu significatif.

La troisième fiche concerne les perspectives climatiques et sociétales, point qui n'a pas été abordé. Les débits sont menacés. Mme Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), parle d'une baisse de 40 % du module du Rhône, et les exploitants des ouvrages EDF du Drac de la Romanche, que Mme Battistel connaît très bien, évoquent couramment une perte de module avérée de 10 % à 20 %.

Par ailleurs, les études des volumes prélevables, réalisées dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, montrent que 70 territoires de ce bassin manquent ou risquent de manquer d'eau à brève échéance.

Ce risque de pénurie se conjugue avec une augmentation de la variabilité des débits et la multiplication des épisodes de crues ou d'étiages.

Toutes ces perspectives sont préoccupantes, et nous sommes loin d'en avoir pris toute la mesure.

Toute la production hydroélectrique sera affectée, surtout la production au fil de l'eau, et notamment des petites centrales qui n'ont pas de réservoir pour concentrer les apports.

Parallèlement, les besoins en eau à d'autres fins que l'hydroélectricité ne vont pas baisser – alimentation en eau potable (AEP), irrigation, loisirs – compte tenu des épisodes de pénurie qui s'annoncent. Face à ces perspectives peu encourageantes, les investissements hydroélectriques doivent se limiter aux secteurs les moins exposés en tenant compte de ces évolutions inéluctables, et il faut faire attention à tout ce qui concerne le fil de l'eau et la petite hydraulique.

Que peut-on faire d'intelligent en matière d'hydroélectricité en France ? C'est l'objet de la quatrième fiche.

Il faut d'abord focaliser les aides sur les véritables enjeux du parc hydroélectrique dans le contexte de la transition écologique, c'est-à-dire en maintenir la pilotabilité et la souplesse d'intervention.

Le développement anarchique de la petite hydraulique que l'on voit aujourd'hui – plus de 100 projets sont en cours dans les Alpes du nord – fonctionnant au fil de l'eau, sans intérêt pour la souplesse du parc, qui affecte fortement les milieux aquatiques, notamment par sa pullulation sur les bassins versants, en particulier sur les têtes de bassins, doit être stoppé.

Le développement des chutes au fil de l'eau en site vierge doit être limité, et l'équipement des seuils existants doit être mis en balance avec leur effacement, en particulier dans les réservoirs biologiques et les cours d'eau habités par des espèces amphihalines.

Les appels d'offres « petite hydraulique » en cours sont menés sans transparence – pas de réelle concurrence puisque les sites sont différents, choix discrétionnaire entre des réponses non connues – excluent les aménagements des chutes sur les réseaux existants – AEP, assainissement – et le turbinage des débits réservés. L'environnement naturel est peu pris en compte dans l'appréciation des projets. Tout cela conduit bien souvent à de mauvais projets qui suscitent le rejet.

FNE a été consultée sur un certain nombre de sites non équipés en vue d'appels d'offres « concessions ». On a répondu, mais on ne nous a jamais recontactés. De toute façon, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ne répond à aucune de nos lettres.

Jusque dans les années soixante, l'hydraulique, très proche du parc actuel, faisait jeu égal avec le thermique, constitué de centrales minières au charbon que l'on n'hésitait pas à conserver comme réserve tournante pour assurer les pointes, et des centrales au fioul qui ont été arrêtées après les chocs pétroliers. Cela montre que tout le parc a été construit dans des conditions économiques totalement différentes de ce que l'on connaît aujourd'hui, et totalement différentes de celles que l'on connaîtra en 2035. Aussi le potentiel pour améliorer le parc est-il très grand.

À titre d'exemple, si l'on examine l'équipement du Rhône – 25 % du productible environ –, on ne peut qu'être frappé par le sous-équipement de tout le bas Rhône. Si cet effort d'équipement était réalisé aujourd'hui, on aboutirait à un parc bien différent.

Je tenais donc à appeler l'attention sur le potentiel de modernisation du parc grand hydraulique existant et son adaptation à la transition écologique et au changement climatique. La PPE, indique un potentiel de 400 MW, sans autre précision. Quid du productible ? Qui le connaît vraiment ? Personne en fait, sauf peut-être les exploitants.

Nous sommes favorables à des suréquipements de chutes existantes, sur le Rhône et ailleurs, comme à Gavet sur la Romanche, surtout celles augmentant la souplesse d'intervention du parc si les effets de leurs éclusées en sont maîtrisés. C'est ce que font nos voisins suisses, et c'est ce que fait EDF à La Bâthie-Roselend. Nous sommes favorables à certaines extensions de chutes concédées existantes – ce que termine EDF à La Coche n'a pas appelé de réaction de notre part –, ce qui renvoie à leur renouvellement pour les plus anciennes d'entre elles.

En ce qui concerne les STEP, nous remarquons : que le besoin de stockage ne s'affirme pas avant 2035 ; que la PPE n'identifie ce besoin que de façon très imparfaite puisque le temps de cycle des 1,5 ou 2 GW prévus n'est pas donné alors que ce paramètre essentiel conditionne le volume des réservoirs ; que des technologies existent – pompes turbines à vitesse variable – qu'elles sont disponibles sur le marché, notamment chez l'ex-Alstom à Grenoble, mais qu'elles ne sont pas utilisées pour moderniser l'existant ; que des solutions de stockage de longue durée innovantes existent – je pense à l'hydrogène et au power-to-gas ; que nous avons demandé à la ministre de publier les seize sites de pompage-turbinage sur les infrastructures existantes identifiées par le projet européen e-Storage. Nous n'avons pas eu, là non plus, de réponse aux lettres que nous avons envoyées.

Il y a donc beaucoup à faire sur l'existant tout en diminuant les impacts sur l'environnement. Aussi nous ne comprenons ni n'acceptons que des fonds publics soient engagés aujourd'hui pour détruire notre patrimoine naturel avec des infrastructures nouvelles en sites vierges, souvent sensibles.

La cinquième fiche concerne les concessions hydroélectriques dont nous souhaitons le renouvellement. Nous pensons que l'ouverture à la concurrence est la seule façon aujourd'hui d'y parvenir, au vu de l'état actuel de déliquescence des services de l'État. Il faut disposer pour chaque site d'un ensemble de variantes crédibles que l'on puisse vraiment comparer. J'en veux pour preuve les errements auxquels on assiste à Poutès-Monistrol, et dans le prolongement de la concession du Rhône, où il n'y aura qu'une seule offre de prolongation.

En conclusion, les freins à la transition énergétique sont dus à de mauvais projets. On veut en effet faire accepter à la population des choses qu'elle ne souhaite pas. Si vous revenez à des projets acceptables en matière d'environnement et d'énergie, tout ira bien et il n'y aura plus de freins.

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