Intervention de Patrick Mignola

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 9h30
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mignola, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Face aux GAFAM, il ne peut pas y avoir de calculs politiciens ou de subtilité tacticienne ; il faut que nous soyons tous ensemble.

Pour autant, notre unanimité ne nous a pas empêchés d'avoir des débats. Nous en avons eu, la semaine dernière, en particulier s'agissant de la définition des très courts extraits, de la durée de la protection du droit voisin, des modalités de calcul de la rémunération de ce droit, de la part appropriée et équitable qui en sera rétrocédée aux journalistes, et, bien sûr, concernant les garde-fous qui doivent figurer dans le texte pour le cas où il n'y aurait pas d'accord sur la rémunération et sur la part rétrocédées aux journalistes, photographes ou vidéastes.

Des réponses ont pu être apportées dès la semaine dernière aux interrogations qui avaient fait émerger ces débats à l'initiative de députés issus de plusieurs groupes. Elles visent d'abord à rester au plus près de la directive afin d'éviter tout risque juridique.

C'est ainsi que, sur proposition de nos collègues Frédérique Dumas, Constance Le Grip, Sylvia Pinel, Jeanine Dubié et de nombreux députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, un nouvel article a été introduit dans le texte afin d'exclure les hyperliens, les mots isolés et les très courts extraits du champ d'application du droit voisin.

Sur proposition de nos collègues Constance Le Grip, Aurore Berger et Fannette Charvier – que je veux remercier à nouveau pour l'important travail qu'elle a conduit sur le sujet depuis un an – ainsi que des membres du groupe La République en marche, la commission a fixé à deux ans la durée de protection du droit voisin.

Sur ma proposition, partagée, là encore, avec Mmes Dumas, Le Grip, Pinel, Dubié, et plusieurs députés du groupe MODEM, la notion d'éditeur de presse a été précisée.

De plus, avec le groupe La République en marche, j'ai proposé de clarifier l'assiette de rémunération du droit voisin afin qu'elle inclue les recettes de toute nature, directes ou indirectes, ce qui comprend non seulement les revenus publicitaires mais aussi ceux résultant de la vente de données de connexion, de profilage ou de ciblage publicitaire.

Notre commission a par ailleurs instauré une obligation de transparence opposable, d'une part, aux services de communication au public en ligne à l'endroit des éditeurs et des agences de presse, et, d'autre part, aux éditeurs et agences de presse à l'endroit des journalistes professionnels et autres auteurs d'oeuvres intégrées aux publications de presse, concernant les modalités de calcul de la part de rémunération qui leur sera rétrocédée, précisant qu'elle devra être appropriée, conformément à la directive, mais également équitable.

Des députés siégeant dans des groupes politiques différents ont ainsi pu, en commission, apporter leur pierre à la construction de ce nouveau dispositif. Je souhaite naturellement qu'il en aille de même en séance publique, sachant les réponses qu'il nous faut encore apporter aux questionnements qui avaient pu se faire jour la semaine dernière. Je note à cet égard que des amendements extrêmement bienvenus ont été déposés.

Le groupe La République en marche propose ainsi un mécanisme de secours en l'absence d'accord entre éditeurs ou agences de presse et journalistes.

Je pense aussi à l'amendement déposé par le groupe Socialistes et apparentés qui vise à consacrer une approche qualitative et fonctionnelle de la notion de très courts extraits.

Je pense encore à la proposition du groupe UDI, Agir et indépendants d'étendre l'autorisation, donc la rémunération, des éditeurs et agences de presse à la mise à disposition des publications de presse par les plateformes.

Je tiens aussi à dire aux membres du groupe FI – qui m'entendront, de là où ils se trouvent… – que j'ai repris un de leurs amendements, relatif à l'application de la loi. J'espère que nous pourrons tous nous rejoindre, « au coeur du commun combat » – pour citer cette fois Aragon. Je souhaite que nous poursuivions ce travail de coconstruction et que la belle unanimité dont nous avons su faire preuve en commission surgisse à nouveau en séance.

Mais je forme le voeu que les éditeurs et agences de presse parviennent, eux aussi, à faire front uni dans la négociation avec les débiteurs du droit voisin, c'est-à-dire avec les GAFAM, parce que celle-ci ne pourra être féconde que si le rapport de forces est équilibré. Or ce ne sera le cas que si les éditeurs et agences de presse entreprennent de négocier collectivement avec les débiteurs plutôt qu'individuellement, initiative qui serait vouée à l'échec.

Il est donc crucial qu'ils soient autant que possible représentés, dans le cadre de la négociation, par un organisme de gestion collective – ce que permet l'article 3 de la présente proposition de loi. À défaut de mandat de négociation consenti à un tel organisme, ils pourraient à tout le moins s'allier pour négocier la rémunération de leur droit voisin, quitte à confier tout de même à un organisme de gestion collective la perception et la répartition ex post de cette rémunération. Leur solidarité face aux plateformes est décisive : une année de désaccord serait une année supplémentaire de revenus définitivement perdus. On ne peut donc qu'en appeler à la responsabilité de l'ensemble des acteurs durant la négociation, mais également dans ses lendemains, pour définir la part équitable qui devra revenir aux journalistes qui créent les contenus. Ce sera au fond une manière décisive pour les acteurs de s'approprier la loi.

Nous pouvons ensemble former le voeu que la représentation nationale adopte cette proposition de loi et que celle-ci trouve par la suite une application rapide, efficace et équitable. Après l'instauration d'une responsabilité éditoriale au titre des fake news et la création d'une taxe sur les services numériques, ce texte constitue une nouvelle étape essentielle vers l'intégration des GAFAM dans le cadre démocratique.

Pour conclure, je dirais qu'il est de notre devoir, dans cet hémicycle, de lutter contre loi du plus fort, et qu'il y va de notre honneur. Dans un monde ouvert et mondialisé, les contenus et les productions, autrement dit le travail, sont souvent exploités par de grandes puissances financières à leur bénéfice quasi exclusif. C'est le cas, cher Richard Ramos, vous le savez, pour le travail des agriculteurs, qui aboutit injustement à plus de bénéfices pour la grande distribution que pour les paysans eux-mêmes ; c'est aussi le cas pour les salariés des industries, qui bénéficient moins de la juste rémunération de leurs efforts que ceux qui commercialisent et distribuent ce qu'ils ont fabriqué ; et c'est le cas dans le monde numérique, où le travail des journalistes est monétisé sur internet sans retour pour la presse. Face à ce capitalisme qui creuse les inégalités croissantes, il est bien de notre devoir de remettre de la règle et de la justice, de faire de la régulation par la loi. Alors faisons-le.

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