Intervention de Philippe Latombe

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Sécurisation de l'actionnariat des entreprises publiques locales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Latombe, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

C'est une proposition de loi à l'objet bien délimité que le groupe MODEM et apparentés a choisi d'inscrire à l'ordre du jour de sa « niche ». C'est aussi un texte qui se veut consensuel parmi les parlementaires : il l'a été au Sénat et, à quelques exceptions près, qui dépassent d'ailleurs son objet strictement technique, en commission des lois.

Pour la mise en oeuvre de leurs compétences, les collectivités territoriales peuvent recourir à différents modes de gestion du service public. Elles peuvent faire le choix de la régie directe, confier l'exécution au privé dans le cadre d'une concession, ou recourir à des entreprises publiques locales dont elles contrôlent tout ou partie du capital. On parlera de sociétés publiques locales dans le premier cas, et de sociétés d'économie mixte dans le second.

Ces entreprises publiques locales sont aussi le moyen de constituer un opérateur unique pour des activités qui entrent dans le périmètre de plusieurs collectivités. Une compétence peut en effet être détenue à tous les niveaux, ce qui est le cas de la promotion touristique. Elle peut également être fragmentée entre les différents niveaux de collectivités, comme les différents modes de transport ou la gestion complète du cycle de l'eau.

Au 1er juin 2018, la France comptait 1 300 EPL en activité dont 925 sociétés d'économie mixte, 16 sociétés d'économie mixte à opération unique et 359 sociétés publiques locales. On dénombrait 67 créations au cours de l'année précédente et 166 projets en cours. Le secteur emploie 65 300 personnes pour un chiffre d'affaires de 13,9 milliards d'euros. C'est donc un outil qui fonctionne et qu'on retrouve dans la plupart des États européens.

La loi qui régit les entreprises publiques locales comporte une ambiguïté depuis l'origine. Pour qu'une collectivité territoriale soit actionnaire d'une EPL, faut-il qu'elle détienne l'ensemble des compétences couvertes par l'objet social de l'entreprise ou une partie seulement ? Les juridictions administratives se sont opposées sur ce point pendant plusieurs années, avec des décisions contradictoires.

Finalement, le Conseil d'État a tranché le 14 novembre dernier en faveur de la solution la plus stricte. Selon le juge, une collectivité doit donc détenir toutes les compétences que met en oeuvre une EPL pour y investir valablement.

Cette solution jurisprudentielle porte un coup dur au développement des EPL et à leur financement, comme l'a indiqué en audition la Caisse des dépôts et consignation. Qui plus est, elle remet en question la démarche partenariale qui avait présidé aux actions des collectivités depuis des années. Elle pose également des problèmes pratiques : si des collectivités sont contraintes à des cessions forcées, qui sera désigné acheteur forcé sinon d'autres collectivités ?

Déposée à l'initiative du sénateur Hervé Marseille et de plusieurs de ses collègues de différents groupes politiques, la proposition de loi n'a qu'un objectif : renverser la position du Conseil d'État et faire prévaloir l'interprétation souple qui avait été celle de plusieurs cours administratives d'appel. Il est donc précisé que les collectivités qui interviennent dans une entreprise publique locale doivent le faire au titre d'une des compétences qui leur est octroyée par la loi. Si une EPL mène plusieurs activités, celles-ci doivent répondre à une condition de complémentarité.

Après avoir entendu les différentes parties prenantes, j'ai suggéré à la commission des lois, qui l'a accepté, d'adopter ce texte en des termes identiques à ceux retenus par le Sénat. En effet, l'application stricte de la position sans nuance adoptée par le Conseil d'État menacerait la bonne marche des services publics dans les territoires et soulèverait des problèmes considérables de cession capitalistique.

Madame la ministre, au-delà du soutien que vous apportez à cette proposition de loi, vous avez exprimé quelques interrogations au cours de votre intervention, comme votre collègue l'avait d'ailleurs fait au Sénat. Je vous en remercie car ce sont des questions tout à fait judicieuses qui méritent que l'Assemblée nationale leur apporte une réponse.

En premier lieu, vous souhaitez qu'une EPL ne puisse assumer une compétence que ne détient aucune des collectivités actionnaires. Je considère que la rédaction qui nous est soumise le prévoit expressément. C'était aussi la position du sénateur Loïc Hervé devant le Sénat. L'intention du législateur est très claire et je la répète ici après l'avoir écrite noir sur blanc dans mon rapport. Vous pourrez en faire état auprès des autorités chargées du contrôle de légalité et il reviendra aux juridictions administratives d'en faire application : les EPL ne doivent agir que dans le champ des compétences des collectivités actionnaires. Il n'est pas question d'admettre l'exercice de compétences orphelines. Les choses sont très claires.

En second lieu, le mécanisme que nous adoptons ne doit pas donner lieu à des abus de droit, à des détournements qui permettraient à une collectivité de financer 90 % d'une EPL alors que ses compétences ne seraient que marginalement couvertes par l'action de cette dernière. Il n'est pas nécessaire de rappeler cette règle évidente : les EPL ne sont pas un moyen de revenir subrepticement sur la répartition des compétences décidée par le législateur. Toute violation de ce principe devra être sanctionnée. Le partenariat est une bonne chose, mais il faut que chacun vienne mettre au pot commun dans le respect des missions qui lui incombent. Nous ne voulons pas qu'un département finance massivement une société d'aménagement au motif que celle-ci agirait de façon connexe en faveur de l'insertion sociale. Là encore, madame la ministre, vous pourrez faire état de cette position de principe auprès des préfets appelés à veiller sur le terrain au bon respect de la loi.

Dès lors que ces interprétations répondent aux préoccupations du Gouvernement, je lui demanderai sans surprise de bien vouloir considérer ses amendements comme satisfaits et de ne pas risquer de faire obstacle à une adoption conforme de la proposition de loi. L'urgence est réelle dans les territoires et nous souhaitons, nous parlementaires, qu'il y soit répondu dans les meilleurs délais. C'est bien pour cette raison que le groupe du Mouvement démocrate et apparentés y consacre une part de son ordre du jour réservé.

J'aimerais conclure par un sujet qui ne figure pas dans la proposition de loi, laquelle a un objet technique auquel je demanderai à l'Assemblée nationale de se tenir, mais qui méritera une action du Gouvernement et du Parlement dans les meilleurs délais : la nécessaire modernisation des statuts des entreprises publiques locales, notamment au regard des obligations de transparence et de contrôle démocratique.

Dans ce domaine, divers rapports ont formulé récemment des préconisations en faveur d'une modernisation. C'est le cas, au cours des dix-huit derniers mois, de la Cour des comptes et des inspections générales qui ont pointé des dysfonctionnements qu'il conviendrait de corriger. Des amendements ont été déposés en ce sens par les groupes La République en marche et Libertés et territoires. Je remercie nos collègues de porter la lumière sur ce sujet.

En tant que rapporteur d'une proposition de loi inscrite par un groupe minoritaire lors d'une journée d'initiative parlementaire, je ne suis pas en mesure de transcrire au mieux ces recommandations dans la loi. Néanmoins, les plus hautes autorités se sont saisies du sujet. C'est votre cas, puisque vous lancerez bientôt une concertation avec les associations d'élus sur les évolutions à venir. C'est le cas du président de la commission des finances qui a commandé à la Cour des comptes un rapport qui nous sera présenté le 29 mai par son président, Didier Migaud. C'est aussi le cas sur le terrain puisque la fédération des EPL travaille à un Livre blanc de propositions qui abordera ces questions.

La transparence des EPL est un sujet technique mais important pour notre démocratie. Les parlementaires auront besoin que le Gouvernement s'engage à leur côté et, à travers lui, de l'expertise du Conseil d'État pour affiner les dispositifs. J'espère que vous pourrez nous confirmer que cette ambition est partagée et que, bientôt, l'ouvrage sera mis sur le métier dans la perspective d'un projet de loi.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui me poussent à soutenir en l'état cette proposition de loi et à solliciter de votre part son adoption conforme, comme l'a fait la semaine dernière la commission des lois.

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