Je suis en effet secrétaire national de la Confédération paysanne, en charge du pôle « Élevage ».
J'ai été spécifiquement désigné pour suivre les débats relatifs à la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGAlim) et aux États généraux de l'alimentation (EGA), qui l'ont précédée.
Je suis paysan dans le département du Jura, éleveur de vaches laitières, dont le lait sert à fabriquer le Comté et le Morbier.
Je répondrai à vos interrogations sur l'évaluation des pratiques des grandes et moyennes surfaces (GMS), suite à l'adoption de la loi ÉGAlim et aux négociations commerciales. Sachez, tout d'abord, que nous ne disposons pas de beaucoup d'éléments tangibles, en tant que syndicat paysan, relatifs à ce qui se passe dans les box de négociations entre la grande distribution et l'industrie.
Nous avions demandé, lors des États généraux de l'alimentation, une plus grande transparence des échanges, concernant la répartition de la valeur ajoutée, qui ont lieu entre la grande distribution et l'industrie alimentaire, et entre l'industrie alimentaire et le monde paysan. Je précise que « plus de transparence » ne signifie pas « tout montrer, tout mettre sur la table ». Mais de disposer de suffisamment d'éléments pour étudier, juger et discuter de cette répartition de la valeur ajoutée.
C'est ce que nous arrivons à faire dans la filière lait pour le Comté, dans le Jura, sans que tout soit dévoilé. La répartition de valeur ajoutée qui a été adoptée permet de servir les intérêts, à la fois des paysans, des coopératives et des industriels de l'affinage de notre région.
Il est vrai que le modèle que nous avons mis en place n'est pas reproductible en l'état : la filière du Comté concerne une appellation d'origine protégée (AOP), une régulation des volumes est appliquée, et elle ne compte que très peu de gros industriels – les paysans ont encore la main sur leur coopérative.
Nous sommes inquiets de l'attaque qui a été menée, lors des dernières négociations commerciales, sur l'agriculture biologique et les produits « à plus forte valeur ajoutée » ou « à segmentation », répondant à un objectif de montée en gamme. Le produit bio est devenu, pour beaucoup de GMS, un produit d'appel pour lequel ils n'hésitent pas à rogner sur leurs marges – importantes –, et qui fait peser sur l'agriculture biologique de réelles incertitudes.
S'agissant de la filière laitière, elle a souvent été citée en exemple à la suite de ces négociations, au motif qu'elle est productive et que les paysannes et paysans vont percevoir une meilleure rémunération. Nous sommes plus nuancés. En effet, alors que l'indicateur livré par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) est de 396 euros la tonne de lait, la majorité des contrats signés entre la grande distribution et les industriels le sont à 370 euros la tonne ; un prix ne permettant pas de couvrir les coûts de production.
En outre, le contexte du marché du lait est relativement bon. Nous sortons d'une sécheresse, en France et dans une partie de l'Europe, la production a été réduite et l'Union européenne a enfin dégagé les stocks de poudre qui faisaient peser sur le marché une grosse incertitude et empêchaient les marchés de monter. Ce sont donc bien des effets structurels qui ont permis la signature de meilleurs contrats, et non la loi ÉGAlim.
En revanche, le marché de la viande bovine est plus rude. Les discussions qui ont eu lieu à l'interprofession bovine (INTERBEV) ont été très dures et le sont encore, non seulement avec la grande distribution, mais également avec l'industrie agroalimentaire.
Je vous citerai trois exemples. D'abord, les acteurs, en aval, ont refusé d'intégrer les producteurs à la discussion sur la répartition de valeur sur les steaks hachés – un produit important de la filière bovine. Ensuite, les discussions sur les indicateurs de coût de production, qui doivent permettre la répartition de la valeur ajoutée, n'ont pas abouti. Le 26 juin 2018, l'institut technique d'INTERBEV avait présenté des indicateurs de coût de production à 4,64 euros le kilogramme de carcasse – carcasse, par ailleurs, choisie dans les meilleurs élevages.
Le Médiateur des relations commerciales est intervenu pour tenter de faire aboutir ces discussions mais en vain. Dernièrement, le 26 mars, la distribution a rejeté la publication de ces indicateurs. Nous sommes donc totalement dans le flou, s'agissant de cette répartition de valeur, à partir des indicateurs de production.
Enfin, dernier exemple, il avait été acté, dans le plan de la filière viande bovine, de passer à 40 % de « Label rouge » d'ici à cinq ans, avec une montée en gamme et un cahier des charges. Les éleveurs ont réalisé des efforts sur leur façon de produire – produire davantage à l'herbe – et pour ce qui concerne le bien-être animal. Notre demande relative à l'allongement de la durée de maturation – importante pour une bonne montée en gamme – a été refusée. Le 26 mars, à nouveau, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) s'est opposée au projet d'accord d'indicateurs sur le Label rouge, au motif que les enseignes n'étaient pas prêtes à s'engager sur de tels actes.
Aujourd'hui encore, la distribution a rejeté les discussions relatives aux indicateurs et à la montée en gamme sur le Label rouge.
De nombreux éléments expliquent notre forte incertitude quant à la répartition de la valeur ajoutée, qui permettrait une meilleure rémunération paysanne ; je rappelle qu'il s'agissait du point d'entrée des États généraux de l'alimentation. Cette situation est dure à vivre pour le monde paysan, qui attendait beaucoup de ces EGA et de la loi.
Concernant les fruits et légumes, l'attente est également très forte et les résultats très faibles. Si rien ne change, nous importerons, dans quelques années, plus de fruits et légumes que nous en produisons en France. Or, nous sommes tout à fait capables de produire davantage, à des coûts permettant de rémunérer les paysans et de satisfaire les attentes sociétales en matière alimentaire.
Voici un exemple relatif à la régulation des fruits et légumes : à chaque crise conjoncturelle, l'État met de l'argent sur la table pour une campagne de publicité, en collaboration avec l'interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL), visant à écouler les stocks. Cependant, la publicité est diffusée toujours trop tard, FranceAgriMer devant évaluer les baisses des cours sur quatre semaines ; l'argent de l'État est à chaque fois gâché.
Nous sommes satisfaits de la constitution de votre commission d'enquête qui travaille sur la suite législative à donner aux EGA. Nous aurions toutefois préféré qu'elle n'ait pas pour thème uniquement la grande distribution. En effet, la transparence réclamée, au tout long des États généraux, doit également s'appliquer à l'industrie. Je ne vous citerai que l'exemple de parlementaires, patrons d'entreprises agroalimentaires, qui ne répondent pas aux questions ou qui ne publient pas leurs comptes. La transparence est nécessaire au niveau industriel, sinon il sera impossible de contraindre la grande distribution à tendre vers plus de transparence.