La séance est ouverte à dix-sept heures.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne (CP).
Au préalable, mes chers collègues, je vous informe que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) a désigné Mme Manuéla Kéclard-Mondésir pour siéger au sein de notre commission. Par ailleurs, au titre du groupe La République en Marche, (LaREM), Mme Dominique David a été désignée pour remplacer Mme Monique Limon, démissionnaire.
La commission qui, lors de son installation, comptait vingt-neuf membres, en compte désormais trente, conformément au Règlement.
Conformément aux dispositions de l'article 6, de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande, monsieur Girod, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »
La personne auditionnée prête serment.
Monsieur, je vous propose de nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
Je suis en effet secrétaire national de la Confédération paysanne, en charge du pôle « Élevage ».
J'ai été spécifiquement désigné pour suivre les débats relatifs à la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGAlim) et aux États généraux de l'alimentation (EGA), qui l'ont précédée.
Je suis paysan dans le département du Jura, éleveur de vaches laitières, dont le lait sert à fabriquer le Comté et le Morbier.
Je répondrai à vos interrogations sur l'évaluation des pratiques des grandes et moyennes surfaces (GMS), suite à l'adoption de la loi ÉGAlim et aux négociations commerciales. Sachez, tout d'abord, que nous ne disposons pas de beaucoup d'éléments tangibles, en tant que syndicat paysan, relatifs à ce qui se passe dans les box de négociations entre la grande distribution et l'industrie.
Nous avions demandé, lors des États généraux de l'alimentation, une plus grande transparence des échanges, concernant la répartition de la valeur ajoutée, qui ont lieu entre la grande distribution et l'industrie alimentaire, et entre l'industrie alimentaire et le monde paysan. Je précise que « plus de transparence » ne signifie pas « tout montrer, tout mettre sur la table ». Mais de disposer de suffisamment d'éléments pour étudier, juger et discuter de cette répartition de la valeur ajoutée.
C'est ce que nous arrivons à faire dans la filière lait pour le Comté, dans le Jura, sans que tout soit dévoilé. La répartition de valeur ajoutée qui a été adoptée permet de servir les intérêts, à la fois des paysans, des coopératives et des industriels de l'affinage de notre région.
Il est vrai que le modèle que nous avons mis en place n'est pas reproductible en l'état : la filière du Comté concerne une appellation d'origine protégée (AOP), une régulation des volumes est appliquée, et elle ne compte que très peu de gros industriels – les paysans ont encore la main sur leur coopérative.
Nous sommes inquiets de l'attaque qui a été menée, lors des dernières négociations commerciales, sur l'agriculture biologique et les produits « à plus forte valeur ajoutée » ou « à segmentation », répondant à un objectif de montée en gamme. Le produit bio est devenu, pour beaucoup de GMS, un produit d'appel pour lequel ils n'hésitent pas à rogner sur leurs marges – importantes –, et qui fait peser sur l'agriculture biologique de réelles incertitudes.
S'agissant de la filière laitière, elle a souvent été citée en exemple à la suite de ces négociations, au motif qu'elle est productive et que les paysannes et paysans vont percevoir une meilleure rémunération. Nous sommes plus nuancés. En effet, alors que l'indicateur livré par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) est de 396 euros la tonne de lait, la majorité des contrats signés entre la grande distribution et les industriels le sont à 370 euros la tonne ; un prix ne permettant pas de couvrir les coûts de production.
En outre, le contexte du marché du lait est relativement bon. Nous sortons d'une sécheresse, en France et dans une partie de l'Europe, la production a été réduite et l'Union européenne a enfin dégagé les stocks de poudre qui faisaient peser sur le marché une grosse incertitude et empêchaient les marchés de monter. Ce sont donc bien des effets structurels qui ont permis la signature de meilleurs contrats, et non la loi ÉGAlim.
En revanche, le marché de la viande bovine est plus rude. Les discussions qui ont eu lieu à l'interprofession bovine (INTERBEV) ont été très dures et le sont encore, non seulement avec la grande distribution, mais également avec l'industrie agroalimentaire.
Je vous citerai trois exemples. D'abord, les acteurs, en aval, ont refusé d'intégrer les producteurs à la discussion sur la répartition de valeur sur les steaks hachés – un produit important de la filière bovine. Ensuite, les discussions sur les indicateurs de coût de production, qui doivent permettre la répartition de la valeur ajoutée, n'ont pas abouti. Le 26 juin 2018, l'institut technique d'INTERBEV avait présenté des indicateurs de coût de production à 4,64 euros le kilogramme de carcasse – carcasse, par ailleurs, choisie dans les meilleurs élevages.
Le Médiateur des relations commerciales est intervenu pour tenter de faire aboutir ces discussions mais en vain. Dernièrement, le 26 mars, la distribution a rejeté la publication de ces indicateurs. Nous sommes donc totalement dans le flou, s'agissant de cette répartition de valeur, à partir des indicateurs de production.
Enfin, dernier exemple, il avait été acté, dans le plan de la filière viande bovine, de passer à 40 % de « Label rouge » d'ici à cinq ans, avec une montée en gamme et un cahier des charges. Les éleveurs ont réalisé des efforts sur leur façon de produire – produire davantage à l'herbe – et pour ce qui concerne le bien-être animal. Notre demande relative à l'allongement de la durée de maturation – importante pour une bonne montée en gamme – a été refusée. Le 26 mars, à nouveau, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) s'est opposée au projet d'accord d'indicateurs sur le Label rouge, au motif que les enseignes n'étaient pas prêtes à s'engager sur de tels actes.
Aujourd'hui encore, la distribution a rejeté les discussions relatives aux indicateurs et à la montée en gamme sur le Label rouge.
De nombreux éléments expliquent notre forte incertitude quant à la répartition de la valeur ajoutée, qui permettrait une meilleure rémunération paysanne ; je rappelle qu'il s'agissait du point d'entrée des États généraux de l'alimentation. Cette situation est dure à vivre pour le monde paysan, qui attendait beaucoup de ces EGA et de la loi.
Concernant les fruits et légumes, l'attente est également très forte et les résultats très faibles. Si rien ne change, nous importerons, dans quelques années, plus de fruits et légumes que nous en produisons en France. Or, nous sommes tout à fait capables de produire davantage, à des coûts permettant de rémunérer les paysans et de satisfaire les attentes sociétales en matière alimentaire.
Voici un exemple relatif à la régulation des fruits et légumes : à chaque crise conjoncturelle, l'État met de l'argent sur la table pour une campagne de publicité, en collaboration avec l'interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL), visant à écouler les stocks. Cependant, la publicité est diffusée toujours trop tard, FranceAgriMer devant évaluer les baisses des cours sur quatre semaines ; l'argent de l'État est à chaque fois gâché.
Nous sommes satisfaits de la constitution de votre commission d'enquête qui travaille sur la suite législative à donner aux EGA. Nous aurions toutefois préféré qu'elle n'ait pas pour thème uniquement la grande distribution. En effet, la transparence réclamée, au tout long des États généraux, doit également s'appliquer à l'industrie. Je ne vous citerai que l'exemple de parlementaires, patrons d'entreprises agroalimentaires, qui ne répondent pas aux questions ou qui ne publient pas leurs comptes. La transparence est nécessaire au niveau industriel, sinon il sera impossible de contraindre la grande distribution à tendre vers plus de transparence.
Je vous remercie.
Nous avons décidé d'entendre toutes les parties concernées, en commençant par l'amont, les producteurs, jusqu'à l'aval de la filière, les industriels, les coopératives, les distributeurs et les centrales d'achat.
Nous allons prendre une première série de questions. L'une des questions que les députés souhaitent appréhender est celle des relations commerciales ; un sujet qui est traité, ici, depuis une dizaine d'années. La grande distribution et les centrales d'achat jouent un rôle déterminant, même si nous ne sommes pas ici pour faire le procès de qui que ce soit – de grands industriels, de grandes coopératives, de grands groupes de la distribution ou de centrales d'achat. Monsieur le secrétaire national, je vous encourage à être libre dans vos réponses.
Monsieur Girod, vous avez évoqué les négociations, les prix. Évoquez-vous également les pénalités, le transport, les livraisons, lors des discussions ? Pouvez-vous nous livrer plus d'éléments et nous indiquer comment se sont passées les négociations sur ces points précis, ces deux dernières années ?
À votre connaissance, les pratiques de négociation commerciale sont-elles les mêmes pour les politiques d'achat vers les outre-mer ? Existe-t-il une organisation de quotas spécifiques dans les pratiques d'achat vers les départements et régions d'outre-mer ?
Vous nous avez fait part du refus net de la grande distribution d'intégrer les producteurs à la participation de la construction du prix du steak haché, ainsi que son refus concernant l'élaboration des indicateurs sur la montée en gamme du Label rouge de la production bovine. Quels étaient leurs arguments pour motiver ces refus ?
Quel est le rôle que les organisations de producteurs (OP) ont pu jouer dans les négociations commerciales, l'objectif de la loi étant de renforcer ces OP, justement pour pouvoir négocier avec la grande distribution ?
La loi ÉGAlim vous a-t-elle été utile dans le cadre de vos relations avec les grandes surfaces et notamment dans le cadre de la construction des prix pour intégrer le coût des producteurs ? Des aides vous ont-elles été apportées, ou cette loi n'apporte-t-elle aucune plus-value à la négociation, toujours très difficile avec les grandes surfaces ?
Je ne peux répondre à la première question, puisque les paysans sont exclus des négociations commerciales – qui se déroulent entre la grande distribution et l'industrie. Nous vendons nos produits à une coopérative, ou un industriel, qui négocie ensuite avec une grande surface. Nous ne sommes jamais en lien direct avec la grande distribution. Nous pouvons donc, ni négocier, ni intégrer des sanctions, ni évaluer le coût du transport, etc.
Pourtant la loi vise à une plus grande transparence des négociations, afin que le prix soit formé «…en marche avant » – dixit M. Macron. Or nous n'avons aucune connaissance de ce qui est vendu par l'industriel à la grande surface – quel est le volume agroalimentaire, à quel prix la matière première a été acheté au paysan –, nous avons donc aucun moyen de cranter les choses pour parvenir à une meilleure répartition de valeur ajoutée.
Concernant les départements, territoires et régions d'outre-mer, je ne connais pas la réponse, mais je peux me renseigner auprès des référents de la Confédération paysanne – comment cela fonctionne, si cela fonctionne mieux, quels sont les leviers – et vous transmettre les réponses.
INTERBEV a refusé que les indicateurs de coût de production prennent en compte la rémunération paysanne à hauteur de deux fois le SMIC. Alors, refusent-ils d'intégrer la rémunération à hauteur de deux fois le SMIC ou ne veulent-ils pas l'intégrer du tout ? Nous ne sommes pas parvenus à le savoir.
Enfin, s'agissant de la discussion au sujet du steak haché, ils estiment que ce produit est un produit transformé, le producteur de la matière première n'a donc pas à y être intégré !
Il en va de même dans l'interprofession laitière, le CNIEL. À chaque fois que nous voulons discuter, en plénière, de la répartition de valeur ajoutée, on nous rétorque que ce n'est pas le lieu pour évoquer cette question. Nous pouvons discuter de la meilleure façon d'élargir l'assiette à se partager, mais pas de sa répartition.
Quelle lecture avons-nous de la loi ÉGAlim et nous a-t-elle permis d'avancer ? Clairement, non. Nous en avons une lecture assez critique : manque de sanctions et de garde-fous. L'ordonnance sur le prix abusivement bas vient de sortir, ses termes sont toutefois plutôt satisfaisants. Elle peut être intéressante. Malheureusement, un juge doit être saisi, la procédure sera donc longue et difficile à mettre en place ; un paysan n'aura peut-être pas les moyens, notamment financiers, d'attendre le jugement.
Par ailleurs, la loi et l'ordonnance sur le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) ont consisté à donner un « paquet de bonbons » à la grande distribution, et à l'industrie agroalimentaire par ricochet, et à aucun moment les pouvoirs publics manient le bâton pour que les bonbons soient distribués entre tous les acteurs.
Lorsque nous éduquons un enfant, nous ne lui donnons pas une récompense avant qu'il ait réalisé ce qui lui a été demandé. Dans le cas qui nous intéresse, il serait plus judicieux de faire évoluer, collectivement, les pratiques, et ensuite, seulement, de récompenser ceux qui ont joué le jeu.
S'agissant des OP, je n'ai pas de réponse. Je ne sais pas si le renforcement des OP a permis de peser davantage dans les négociations commerciales ou dans la contractualisation avec les industriels. Cependant, regrouper les producteurs est intéressant, il est toujours plus facile de négocier à plusieurs que seul.
Concernant le lait, nous revendiquons, depuis longtemps, des OP transversales par bassin, liées à plusieurs acheteurs, plutôt qu'à un seul – la mainmise de l'acheteur serait alors trop forte.
Je souhaiterais revenir sur la philosophie du texte. Nous avons fait naître dans le pays une attente importante, notamment auprès des paysans : un équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable.
Le 17 avril 2018, au moment de l'examen du texte, le rapporteur s'était félicité de l'ambition de l'exercice, à savoir redonner une rentabilité aux exploitations françaises. Le ministre avait surenchéri, indiquant qu'il s'agissait de « redonner de l'air aux producteurs ».
Au-delà du panorama que vous avez décrit, à travers les différentes productions, vous nous dites que seul le lait tire à peu près son épingle du jeu, mais pour des raisons structurelles et non grâce à la mise en oeuvre de ce texte – ce n'est pas un procès d'intention de ma part, d'autant qu'il est un peu tôt pour évaluer les effets de la loi.
Vous avez également rappelé que, indépendamment des niches – valorisation du lait à plus de 500 euros la tonne –, le prix payé aux producteurs était d'environ à 370 euros la tonne, dans un contexte extrêmement difficile.
Vous avez également cité l'exemple de la viande bovine, et des indicateurs de coût de production à 4,64 euros le kilogramme de carcasse, alors même que le prix de vente, actuellement, est bien inférieur à 4 euros.
Je porte une attention toute particulière aux outils qui accompagnent la mise en oeuvre de ce texte, particulièrement sur les ordonnances prises en conseil des ministres le 24 avril, notamment la question de la séparation du conseil et de la vente. Ces textes vont poser plus de problème qu'ils ne vont en résoudre, les négociants privés travaillant avec l'agriculture ne voient pas comment éviter de répercuter sur le prix des produits agricoles les conséquences de la séparation de l'acte de vente de l'acte de conseil.
Pour le reste, je ne ferai aucun procès d'intention. Mais j'ai bien indiqué, lors de l'examen du texte, que j'avais le sentiment, pour bien connaître le sujet, que la montagne accoucherait d'une souris. J'aimerais connaître votre sentiment et vos attentes, monsieur Girod.
L'objet de notre commission d'enquête est relatif « à la situation et aux pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs ». Que mettons-nous dans cet intitulé ? Il est important de bien poser les choses, car nous parlons de filières complexes.
Vous l'avez dit, la relation entre la grande distribution et les producteurs est une relation indirecte qui passe par un certain nombre d'opérateurs.
Lorsque nous parlons de pratiques de la grande distribution, nous parlons de cette filière qui remonte vers les producteurs. L'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) a vocation à nous éclairer sur les réalités de la place de chaque acteur dans les filières. De fait, la notion de prix, de coût, de marge prend bien en compte l'ensemble de ces acteurs.
Vous dites, dans votre exposé, que la grande distribution refusait certains éléments dans les négociations. Mais ce constat ne suffit pas. Il me semble important de faire l'analyse de tout ce système complexe, de mesurer les droits et les devoirs de chacun.
Quelle analyse avez-vous sur cette notion de droits et de devoirs de chacun, issus de cette loi, qui a vocation à restaurer un certain équilibre dans le partage de la valeur ajoutée ?
Les deux ordonnances du 25 avril relatives aux prix abusivement bas et au modèle coopératif ont pour objet de mieux protéger l'éleveur, mais aussi de faciliter le règlement des litiges entre les coopératives et leurs adhérents, s'agissant les règles fixant les prix.
Dans votre communiqué du 25 avril, vous évoquez, je cite, « la logique du ruissellement vantée par le Gouvernement ». Il s'agit pour moi d'une polémique inutile, et je vous mets au défi de trouver le moindre texte de la majorité ou du Gouvernement qui fait référence à ce concept de ruissellement ; c'est un vocabulaire employé par des députés de l'opposition !
Cela dit, vous interpellez, dans ce communiqué, le Gouvernement sur deux points très intéressants. Vous déplorez, dans l'ordonnance, la définition des prix abusivement bas, qui doivent être caractérisés par des indicateurs de coût de production définis dans le code rural. Et la définition du terme « abusivement bas » dépend bien sûr de l'interprétation du juge. Cela relève de la séparation des pouvoirs et le Gouvernement ne peut faire autrement.
Cela dit, le juge peut tenir compte d'autres indicateurs. À l'article 1er de l'ordonnance : « Il peut être tenu compte notamment de tous les autres indicateurs possibles. » C'est peut-être sur ce point qu'il faut travailler.
Par ailleurs, vous vous félicitez des progrès accomplis au travers de l'ordonnance sur le modèle coopératif, et vous soulignez aussi les insuffisances qui permettraient de garantir une meilleure rémunération des paysans.
Vous avez évoqué les critères de définition de l'état d'une crise conjoncturelle, proposant qu'il faudrait peut-être les changer. Il s'agit d'une piste intéressante, qui permettrait plus de réactivité.
Sans esprit polémique, pouvez-vous nous indiquer les mesures qui font encore défaut pour assurer un juste revenu ?
Je souhaite rassurer mes collègues et leur dire que j'ai bien conscience de ma mission dans la rédaction de ce rapport, de ma responsabilité et des attentes du monde agricole, agroalimentaire et de la grande distribution.
Je crois dans ces trois modèles. La grande distribution est un modèle important pour nos concitoyens ; je crois aussi au modèle agroalimentaire et encore plus au modèle agricole et aux circuits courts.
Lors des EGA, nous avons privilégié le contrat de confiance par rapport à la contrainte législative, mais si nous avons créé cette commission, c'est bien pour réfléchir à la nécessité d'injecter une petite dose de contrainte législative, lorsque le mariage entre certains « frères » ne se passe pas très bien.
J'ajouterai aux propos du président que nous commençons par auditionner le secteur agricole, puis nous ouvrirons un volet « comprendre la grande distribution et le secteur agroalimentaire », qui est extrêmement compliqué. Nous entendrons les industriels de l'agroalimentaire, pour connaître leurs pratiques, loyales et déloyales, puis les centrales d'achat, la grande distribution, bio et non bio, et enfin, certains responsables politiques – ministres ou fonctionnaires de l'État, ce dernier ayant peut-être laissé pendant quelques années le bateau s'éloigner, sans en maîtriser le cap.
Concernant votre question, madame Bareigts, nous allons faire une demande écrite.
Monsieur Girod, les négociations avec les centrales d'achat, les industriels de l'alimentaire et de la grande distribution sont-elles l'occasion de pratiques déloyales ?
La séparation du conseil et de la vente est une demande de la Confédération paysanne pour tendre vers la sortie des pesticides – une demande qui nous semble répondre à une attente sociétale. Car la vente de pesticides associée au conseil, notamment dans les grandes coopératives, empêche les paysans d'être réellement autonomes quant à leur manière de travailler – ils ne travaillent qu'avec des produits phyto.
Dans l'élevage laitier, ce ne sont pas les marchands de farine qui vendent l'alimentation animale et qui préparent la ration pour nos animaux. Les experts du service du contrôle laitier de la chambre d'agriculture, – rémunérés par la chambre d'agriculture et le monde paysan – fournissent un conseil aux paysans, selon leur objectif. Ce n'est qu'après ce conseil qu'un paysan choisi l'alimentation de ces animaux. Bien évidemment, les marchands d'alimentation, qui ont tout intérêt à vendre leurs produits, délivrent également des conseils, mais ce ne sont pas les seuls, et les paysans peuvent se faire leur propre opinion.
Puisque nous sommes parvenus à instaurer un tel système, nous imaginions un processus un peu équivalent pour la vente de pesticides, afin de redonner aux paysans leur autonomie – c'est une question importante pour nous –, notamment décisionnelle. Avec, parallèlement, une recherche de la montée en gamme et d'une meilleure réponse aux attentes des consommateurs, permettant de justifier la hausse du prix payé aux paysans. Selon nous, le lien entre le prix payé au producteur et la hausse à la consommation n'est pas établi.
Il s'agit du même débat que nous avons tenu lors des EGA : entre le producteur et le consommateur, il y a l'industrie agroalimentaire et les grandes surfaces qui pourraient, j'en suis certain, non seulement laisser une partie de la valeur ajoutée aux paysans, leur permettant ainsi de mieux vivre, mais également ne pas tout répercuter sur les consommateurs. C'était en tout cas la lecture que nous avions des EGA : que l'on cesse de tirer sur les deux extrêmes de la chaîne.
Concernant nos attentes, cela fait des années que nous parlons de montée en gamme, de production de valeur ajoutée, d'une alimentation de qualité reconnectée aux territoires et aux attentes sociétales et qui doivent permettre de mieux rémunérer les paysannes et les paysans.
S'agissant des droits et devoirs, si nous souhaitons mieux répartir la valeur ajoutée entre tous les maillons de la chaîne, il conviendrait d'abord de mieux identifier sur quoi les uns et les autres se rémunèrent. Or les dérives sont importantes. Mais le monde paysan prend sa part dans ces déviances, puisqu'il a laissé partir la transformation et la coopération – dans beaucoup de régions.
La filière Comté a réussi à conserver la main sur la coopération, la valeur ajoutée créée par la première transformation reste donc entre les mains des paysans ; mais ce n'est le cas quasiment nulle part ailleurs. Et la raison est simple : on explique depuis des années aux paysans qu'il faut produire plus pour produire moins cher. Et que produire plus ne leur laisse pas le temps de transformer. « Produisez et laissez-nous transformer, d'autres s'occuperont de distribuer ».
L'industrie agroalimentaire tire une grande partie de sa rémunération davantage sur sa capacité à mettre la pression sur les producteurs, que sur sa capacité à travailler les process de transformation, à gagner des parts de marché ou à innover. De fait, même regroupés en OP, les producteurs n'ont pas la capacité à endiguer cette mise sous pression.
Or il nous semblait que l'objectif des EGA et du débat législatif était de rééquilibrer les discussions. Malheureusement, ce n'est pas le cas, faute de contraintes, faute de leur faire peur – je ne sais pas si c'est le bon terme – et faute d'appréhension de la part des acheteurs et des distributeurs.
Concernant les mesures qui pourraient nous assurer un juste revenu, nous espérions que la notion de prix abusivement bas soit la notion centrale de la loi. En amont des EGA, la Confédération paysanne a tenu son congrès annuel sur le thème du « Revenu du paysan » et sur la notion d'interdiction de la vente à perte – une interdiction compliquée à mettre en place. Nous nous sommes interrogés sur la façon dont le législateur pouvait procéder, la revente à perte étant illégale, contrairement à la vente à perte.
Il nous semblait que la notion de prix abusivement bas pouvait être recoupée avec la notion d'interdiction de vente à perte. Mais celle-ci ayant été placé, dans une ordonnance, en toute fin du débat législatif, après la mise en place du seuil de revente à perte, et après les négociations commerciales, elle n'a eu aucun effet sur les négociations ni sur la pression qu'elle pourrait générer sur les acheteurs ; au même titre que la charte sur les négociations commerciales, signée il y a deux ans.
Parmi les mesures qui font défaut, toutes ne sont pas du fait de la France. Mais que les seuls éléments de régulation et de maîtrise des marchés en volume soient confiés aux acheteurs par la contractualisation nous semble insuffisant et dangereux. C'est donner beaucoup de poids et de puissance aux industriels qui contractualisent avec nous. Si je prends l'exemple du lait, même si tout n'était pas parfait avec les quotas laitiers, cette régulation évitait aux paysans d'être mis sous pression, sous dépendance des acheteurs, concernant non seulement le prix, mais également les volumes.
La régulation du lait destiné à faire le Comté, par exemple, est l'un des trois-quatre éléments fondamentaux qui permettent un meilleur prix – pas forcément une meilleure répartition, mais un meilleur prix au départ. Les paysans et les industriels craignent de ne pas pouvoir répondre à tous les marchés ; et on nous explique que si nous ne répondons pas, d'autres le feront à notre place. Mais si nous répondons à tous les marchés, le risque est, à terme, que le prix ne suive pas – c'est ce que nous avons vu avec l'arrêt des quotas laitiers, et ce que nous constatons avec l'arrêt des quotas sucriers.
Enfin, concernant les pratiques déloyales, je ne saurai vous répondre. Pratiquent-ils des pratiques déloyales ou n'ont-ils aucune volonté d'avancer sur une meilleure répartition de valeur et sur l'instauration d'outils permettant de faire redescendre de la valeur vers les producteurs ? Nous regrettons l'opacité dans laquelle les contrats entre producteurs et industriels, et industriels et distributeurs, sont signés.
Une meilleure transparence des éléments à partir desquels ils contractualisent nous aiderait : quel volume, quelle part de production agricole fait partie de ce qui est vendu par l'industriel à la grande distribution, etc. ? J'insiste sur la part de la production agricole et le prix de sa vente. Par ailleurs, quelle part d'importation fait partie de ces contrats ? Tous ces éléments nous permettraient de savoir ce qui se passe entre les industriels et la grande distribution et nous aideraient dans nos négociations avec nos acheteurs.
J'ai toujours entendu dire, dans le Jura, que nous n'étions pas producteurs de lait, mais de Comté. Je mets mon lait en commun, dans une coopérative qui réunit vingt-cinq paysans. Comme toutes les coopératives du Jura et du Doubs, ce sont les paysans qui dirigent la coopérative – nous n'avons pas de directeur –, et elles emploient les fromagers pour fabriquer le fromage. Nous vendons ensuite notre fromage en blanc, non affiné, à des affineurs qui, une fois le produit fini, le vendent aux grandes surfaces, mais aussi aux crémeries, etc. Nous en achetons une partie pour la vendre dans notre coopérative.
Les Comté en blanc sont achetés par des maisons d'affinage – il y en a neuf ou onze, dans le Jura et le Doubs –, majoritairement familiales. Le plus grand nom et Monts et Terroirs, filiale de Sodiaal, la plus grande coopérative laitière française ; elle occupe 30 % du marché de l'affinage du Comté.
Nos discussions, nos négociations se passent bien, car ni Sodiaal ni Lactalis, lui aussi présent dans la filière à travers un petit affineur qui ne détient pas une grosse part de marché, n'a la volonté de casser ce mode de répartition de la valeur ajoutée.
Pouvez-vous nous dire, en tant que producteur de lait qui vend une partie de ses fromages en blanc à Sodiaal ou Lactalis, si ces derniers vous mettent la pression – comme vous venez de le dire dans l'une de vos réponses ? Vous sentez-vous libre de répondre à cette question, en tant non pas que secrétaire national, mais à titre privé ?
Oui, je peux répondre librement que les discussions que nous avons avec nos acheteurs de fromages en blanc, et au sein de l'interprofession du Comté, sont libres, que nous nous exprimons librement, et en toute connaissance de cause. Je ne comprends pas bien votre question.
Vous parlez de pression de la part des industriels de l'agroalimentaire. Comment exercent-ils cette pression ? Quelles sont les pratiques utilisées – vous n'avez pas répondu à cette question tout à l'heure ? Mais peut-être préférez-vous être entendu à huis clos, afin d'être plus libre de parler ?
Nous ressentons moins cette pression dans la filière du Comté. En revanche, les paysans qui vendent leur lait à un grand industriel subissent bien une pression. S'ils n'acceptent pas le prix décidé par l'industriel, celui-ci les menace de ne plus ramasser leur lait, ou moins souvent, ou d'aller en acheter ailleurs… Très clairement, les industriels laitiers sont dans cette démarche. Ils ont été encore plus durs cet été, au moment de la sécheresse, quand les paysans disposaient de moins de lait ; des coups de pression ont été, en effet, mis sur certains producteurs pour ne pas ramasser leur production en dessous d'un certain volume.
Vous insistez sur la répartition de la valeur ajoutée, sur la nécessité de percevoir sa part. Si un producteur crée une filière bio, cet élément est-il pris en compte lors de la négociation des prix ? Est-ce ou non un élément de valeur ajoutée ?
Vous avez évoqué le besoin de transparence et d'une meilleure connaissance du circuit – importation, exportation… –, de tous les mouvements de volumes. Quels sont pour vous l'intérêt et le rôle de l'Observatoire de la formation des prix et des marges ?
J'étais rapporteure de la commission d'enquête sur l'alimentation industrielle – qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance –, nous avons donc auditionné tous les acteurs, des producteurs jusqu'aux distributeurs. Nous avons pu, à cette occasion, constaté que tout le monde se renvoyait la balle, c'est toujours la faute de l'autre – sauf peut-être des producteurs.
Concernant la construction du prix, un distributeur sait fixer le prix produit, car il connaît la marge qu'il peut prendre, ses coûts, etc. ; il en va de même pour l'industriel. Comment définir le prix des producteurs ? Pour ce faire, une transparence est nécessaire à chaque maillon de la chaîne, et tant que nous serons dans le flou, c'est qu'il y aura un loup ! Il est donc difficile de juger si l'État, par la loi, a bien fait ou pas, les choses étant opaques et le prix réel n'étant pas transparent.
Je souhaiterais apporter une précision, monsieur Girod. Vous êtes sur un marché spécifique, une niche. Pouvez-vous nous détailler la construction du prix de votre lait ? Si j'ai bien compris, le prix de vente de la tonne de lait est d'environ 500 euros. Êtes-vous limité dans votre production ou vous limitez-vous ? Est-il possible de produire plus, dans le Jura et le Doubs ? Quoi qu'il en soit, vous êtes sur marché où la demande est forte. C'est donc un peu vous qui construisez le prix.
Concernant la filière bovine, vous avez évoqué l'échec des négociations malgré l'intervention du Médiateur. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez eu recours à ce Médiateur, ce qu'il a apporté à la négociation et comment analysez-vous cet échec ? Nous avons essayé de donner plus de pouvoir à ces médiateurs, de mieux les intégrer grâce à l'intervention d'un tiers, et pourtant les résultats ne sont pas là, en tout cas dans la filière bovine.
Monsieur le secrétaire national, selon vous, la diminution du nombre d'opérateurs – de transformateurs et de distributeurs –, et donc l'augmentation de leur poids, à la limite du monopole, est-elle un handicap majeur ? Sera-t-il difficile d'obtenir des résultats ? En matière de production de viande bovine, par exemple, si un opérateur tient le marché à hauteur de 40 % à 45 %, pensez-vous qu'il soit possible, de ce fait, d'obtenir des négociations visant à redistribuer la valeur ajoutée ?
Je conclurai cette série de questions. Monsieur Girod, vous êtes producteur de lait dans le joli département du Jura. Une région où les producteurs de lait se sont fédérés autour de la filière du Comté. Une filière que vous avez organisée et menée à l'excellence. La grande distribution et les centrales d'achat sont-elles parvenues, depuis quelques années, à mettre main basse sur cette filière ? Ce qui expliquerait que la richesse créée par les producteurs leur échappe ? Je pense notamment à la création de marques de distributeurs.
Madame Gipson, la valeur ajoutée, ce sont l'élevage à l'herbe, le bien-être animal, l'allongement de la durée d'élevage. Des éléments qui devraient, par leur inscription dans le cahier des charges, créer de la valeur ajoutée pour les producteurs.
Lors des discussions interprofessionnelles de la filière laitière, par exemple, les syndicats agricoles minoritaires étaient les seuls à réclamer une définition de lait à l'herbe suffisamment ambitieuse pour qu'elle soit un peu contraignante.
Nous sommes, en effet, convaincus que pour créer de la valeur ajoutée, des contraintes doivent être posées ; des contraintes qui seront, demain, des atouts, puisque nous aurons fait évoluer nos modes de production.
Or nous n'avons obtenu, lors de ces discussions, qu'un lait de pâturage, c'est-à-dire un lait à l'herbe au rabais, avec des durées de pâturage et des surfaces d'accès aux pâturages pour les bovins très insuffisantes ; 85 % à 90 % des éleveurs laitiers peuvent répondre actuellement aux critères du lait de pâturage. Non seulement, nous n'allons pas créer de valeur ajoutée, mais nous allons entretenir le doute chez les consommateurs sur la notion de lait de pâturage.
Pour arriver à créer de la valeur ajoutée, nous devons, au niveau de la production – c'est l'idée que nous mettons sur la notion de montée en gamme –, nous imposer des contraintes qui obligent à des changements de pratiques. Et ces changements de pratiques créeront de la valeur ajoutée. C'est ce que nous avons fait dans la filière Comté.
Sachez cependant, que cette filière n'a pas toujours valorisé le lait au même niveau qu'aujourd'hui. À la fin des années 1980, le lait à Comté était aussi bien ou aussi mal payé que le lait industriel dans le Jura, alors que les contraintes – race de vaches, accès au pâturage, etc. – étaient plus importantes. Une majorité des paysans ont tenu bon, et, aujourd'hui, nous en tirons les bénéfices. Quand je dis « nous », c'est la génération d'après ; nous tirons les bénéfices des efforts réalisés par nos pères.
Ces paysans se sont imposé beaucoup de contraintes, qui paient, aujourd'hui, car elles se sont transformées en valeur ajoutée. Ils ont réussi à effectuer un changement de mode de production qui répond, en outre, aux attentes sociétales. Mais pour ce faire, le paysan doit pouvoir tenir, c'est-à-dire avoir la capacité financière de s'imposer des contraintes durant des années, sans bénéficier de la valeur ajoutée.
Vouloir faire de la valeur ajoutée au rabais, sans contrainte, est un mauvais choix. Il me semble que les interprofessions devraient accompagner le mouvement, car si la montée en gamme est effective, au final tout le monde serait gagnant. Et elle nous permettrait d'enclencher une démarche plus vertueuse sur toute la chaîne.
Concernant l'Observatoire de la formation des prix et marges, nous avions, dès le début, demandé que la loi l'impose comme instance de recours, pour définir les coûts de production, en cas d'échec des interprofessions. Il aurait ainsi pu pallier l'incapacité d'INTERBEV. D'autant qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour fournir des indicateurs pertinents.
Nous sommes satisfaits que l'ordonnance relative aux prix abusivement bas prévoie que le juge peut se référer aux indicateurs de cet OFPM pour motiver sa décision. Mais le recours à l'OFPM aurait également dû être prévu en amont.
Concernant la transparence, nous fournissons à nos acheteurs des indicateurs de coût de production et des informations sur notre capacité à les fournir à tel ou tel prix ; nous avons le sentiment d'être le plus transparents possible. En revanche, il est difficile de connaître, pour un paysan qui ne fait pas partie d'une coopérative, ou d'une coopérative qui est a tellement grossi qu'elle en est devenue industrielle, sur quel marché va son lait, quels produits sont fabriqués avec et à quelle valorisation ils sont vendus ?
Car aujourd'hui, le lait de ferme ne se retrouve pas directement en supermarché. Il est fragmenté et utilisé dans une multitude de produits. Or nous sommes incapables de savoir à quoi sert notre litre de lait vendu et quelle valorisation il a apportée.
L'industrie agroalimentaire agite, par ailleurs, le chiffon signifiant « nous ne pouvons pas payer votre lait, le marché de la poudre n'étant pas satisfaisant ». Nous avons vécu cet épisode, l'année dernière encore, quand le prix du beurre montait en flèche, et que les industriels ne voulaient pas nous payer davantage, sous prétexte que le marché de la poudre n'était pas satisfaisant.
Nous en revenons-là à la question de l'opacité : nous ne savons pas sur quels marchés les acheteurs évoluent et quelle valorisation ils sont capables de réaliser.
Concernant la filière du Comté, le prix, dont la répartition va être discutée par l'interprofession, est établi sur la moyenne pondérée nationale (MPN), qui est constituée par les volumes de Comté vendus par nos affineurs et leurs prix de vente. Une fois la MPN établie, nous avons connaissance du gâteau et nous engageons les discussions pour que chacun en reçoive une part satisfaisante.
Si la filière du Comté peut encore fonctionner de cette façon, c'est bien parce que nous n'avons pas d'industriels – même si Sodiaal est maintenant présent – qui, par leur taille, empêchent cette discussion. Mais la grande distribution n'est pas seule responsable. Il en va de même du secteur de la transformation, les entreprises ayant énormément grossi. Certaines entreprises sont en situation de quasi-monopole et la discussion n'est plus possible, elles ne souhaitent pas répartir la valeur ajoutée – et rien ne les y contraint.
Enfin, comment sont régulés les volumes ? Lorsque l'Union européenne a mis fin aux quotas laitiers, l'interprofession du Comté a négocié avec la Commission européenne pour qu'une limitation des volumes soit maintenue. Une limitation calculée par rapport, non pas aux fermes ou aux producteurs, mais aux hectares.
Historiquement, pour chaque paysan, étaient définis un quota laitier et une surface. Aujourd'hui, chaque producteur a un droit à « plaque verte » – que nous apposons sur le Comté – qui correspond à son ancien quota divisé par le nombre d'hectares qu'il possède ; ainsi est définie notre productivité par hectare – nous ne pouvons pas produire plus.
Historiquement encore, était inscrite dans le cahier des charges la productivité laitière à l'hectare pour l'ensemble de la filière Comté ; elle était de 4 600 litres hectare. Aujourd'hui, ma ferme, par exemple, a une productivité de 3 300 litres par hectare.
Un quota qui fait grincer nos affineurs, qui n'arrivent pas à répondre à la totalité de la demande. Mais l'interprofession souhaite tenir cette position et accepte de ne pas répondre aux marchés. Par ailleurs, si nous voulons y répondre, nous préférons le faire en augmentant, non pas notre productivité, mais le nombre de producteurs. Il s'agit pour nous d'un principe de solidarité.
Enfin, concernant le médiateur, nous ne sommes pas surpris, puisque nous avons toujours dit que si le bâton devait être manié, pour faire aboutir les négociations commerciales et la répartition de valeur, il devait l'être par la force publique.
Même en présence du Médiateur, les affrontements ont été violents et chacun est resté sur ses positions. Le Médiateur ne dispose pas du pouvoir de faire évoluer les positions. Il s'est entretenu avec chacune des parties prenantes de l'interprofession, avant la discussion en plénière, mais les négociations n'ont pas abouti, notamment sur la question de la prise en compte de la rémunération paysanne dans les coûts de production.
Oui, bien sûr. Une rémunération à deux fois le SMIC dans les coûts de production ne nous paraît pas à anormale, sachant que nous ne travaillons pas 35 heures par semaine.
Monsieur Girod, il me reste à vous remercier, au nom du rapporteur et des membres de la commission. Nous vous souhaitons de rester un bon producteur de lait de Comté, car nous sommes fiers du travail que vous réalisez. Vous êtes l'exemple de ce que nous souhaiterions voir dans toutes les régions de France.
La séance est levée à dix-huit heures trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 30 avril 2019 à 17 heures
Présents. – Mme Ericka Bareigts, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Guillaume Garot, Mme Séverine Gipson, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Yannick Kerlogot, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Sandrine Le Feur, Mme Cendra Motin, M. Jean-Pierre Vigier, M. André Villiers
Excusés. - M. Nicolas Turquois, M. Arnaud Viala
Assistaient également à la réunion. - Mme Sophie Auconie, M. Jacques Marilossian